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A sauts et à gambades - Page 10

  • Un Tableau un livre : le Gréco

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    « Le Caballero est un homme d’âge mûr. Son buste se découpe sur une sombre flaque, épaisse comme du mercure. Son manteau noir se détache de ce gris teinté de rose. Une lueur comme une auréole court tout autour de sa silhouette ».
    « Le Greco a fait venir des musiciens. Il aime travailler sur les notes d’un orchestre de chambre. Il peint avec rapidité, fixe les traits avec une véracité confondante.
    Là, il a en face de lui un mortel, un gentilhomme issu d’une vieille et grande famille tolédane, un familier de la Cour qui aspire à de hautes fonctions, un estropié dont il connaît l’histoire. »

    Le Livre : La main sur le coeur - Yves Harté - Editions La Table Ronde
    Le Tableau : Le Gentilhomme à la main sur la poitrine - Le Gréco-Musée du Prado

  • Les Pauvres gens - Fedor Dostoïevski

    Quand on a lu les principaux romans d’un auteur, il reste ses écrits plus anciens, pas forcément les meilleurs mais l’on a plaisir à découvrir l’auteur un peu balbutiant, un peu maladroit parce qu’on sait ce qu’il adviendra.

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    Constantin Makowski

    Les Pauvres gens est le premier roman de Dostoïevski, il a obtenu un succès immédiat alors qu’il n’a que 25 ans
    Le style est déjà là, ce roman épistolaire contient en germe ce que l’on retrouvera plus tard dans son œuvre.

     Le roman tourne autour de deux personnages : Varvara Dobrossiolova et Makar Dévouchkine.
    Lui est un petit fonctionnaire toujours sur la corde raide question finance, il est plus âgé qu’elle.
    Varenka est une lointaine cousine à la santé précaire, une orpheline qui vit dans une pauvreté terrible et qui a été déshonorée par un riche propriétaire terrien.

    Makar vit dans un logement collectif sans aucun confort, bien qu’en difficulté il tente d’aider Varenka. Il est touché par son courage, il dépense jusqu’à son dernier kopek pour lui faire quelques cadeaux.

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    Ilya Répine

    Au fil de leur correspondance se dessine une affection sincère et profonde même si elle est faite de non-dits et de silences.
    « l'existence est moins lourde quand on la supporte à deux. »

    Ils font état de leurs craintes, de leurs difficultés, ils se livrent avec sincérité et humilité, Makar se traite d’ignorant, Varenka dit « Ah ! mon ami ! le malheur est une maladie contagieuse. » Chacun devient le confident de l’autre.

    On a au fil du récit le sentiment d'avoir affaire à des personnages aux abois, et cette impression va crescendo.
    Mais Varenka sait ce qu’elle veut, ce qu’elle est prête à accepter, et le dénouement final n’a rien de glorieux.

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    Illuminations à Saint Pétersbourg Fiodor Vasilyev

    A travers leur lettres Dostoïevski dresse un tableau sordide de la vie à la russe, la lutte quotidienne pour manger, se loger, se vêtir, bref vivre.
    Il décrit merveilleusement bien l’univers « des petits, des sans grade » ces êtres pitoyables qui gravitent autour des personnages principaux : un écrivain raté, un commerçant indélicat, une tante monstre d’égoïsme.

    « J'ai mis chez moi un lit, une table, une commode, deux chaises, j'y ai accroché une icône.Votre fenêtre est en face, de l'autre côté de la cour, et celle-ci est exiguë ; je vous apercevrai en passant, cela égaiera ma misérable vie »

    Son analyse de l’âme humaine présente déjà toutes les contradictions que l’on rencontrera dans ses grands romans. Culpabilité et péché, orgueil ou rédemption.

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    L’auteur exagère les émotions, l’amour de Makar est profond et intense,
    « Dès que je vous ai connue, d'abord, j'ai commencé à mieux me connaître moi-même, et je vous ai aimée ; et avant vous, mon petit ange, j'étais solitaire, c'était comme si je dormais, je ne vivais pas au monde. »

    Le rythme des phrases accentue l’impression de tourment qui assaille les personnages et donne cette sensation de percer l’âme humaine ce qui sera le propre de Dostoïevski.

    La traduction de Markowicz rend parfaitement l'esprit torturé de l'écrivain et apporte tout ce qu’il faut au lecteur pour se laisser séduire par ce roman.

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    Le Livre : Les Pauvres gens - Fedor Dostoïevski - Traduction  André Mar­ko­wicz  -  Actes Sud

     

     

  • Un tableau un livre - Music

    A Propos de l’œuvre de Zoran Music

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    Nous ne sommes pas les derniers. – zoran Music - Dachau

    « Ce paysage n’est assurément pas celui d’un paradis, mais peut-être celui d’un paradis perdu et retrouvé. Ces ruines ont un langage : vestiges d’une terre florissante et cultivée. »

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    Renaissance. ZMusic

    « Il faut que l’artiste ou le narrateur aient été des témoins. Alors, et comme malgré eux, apparaît une vision qui s’impose et bouleverse »

    Le Livre : Les Intermittences du jour – Paul de Roux - Le Temps qu’il fait

  • Sois sage ô ma douleur - Claire Marin - Alphonse Daudet

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    Il arrive que des textes s’imposent à vous, et parfois en appellent d’autres.
    Un sujet difficile mais qui concerne beaucoup d’entre nous ou des personnes de notre entourage.
    Lorsque j’ai lu le livre de Claire Marin, j’ai immédiatement pensé au texte d’Alphonse Daudet. Il m’a paru intéressant de les rassembler dans ce billet.

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    « Hors de moi » texte vraisemblablement autobiographique nous fait spectateur de la maladie, de la souffrance, de la douleur d’une jeune femme. Elle souffre d’une maladie auto-immune qui détruit organes et articulations.
    Dans La Doulou, douleur en provençal, Alphonse Daudet atteint de syphilis, qui ne cessera pas de souffrir jusqu’à sa mort, tient le journal de sa douleur pendant environ 15 ans.

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    « Hors de moi » est un texte dur, brutal, violent. L’auteure fait montre d’une incroyable capacité d’analyse clinique de son « cas ». Elle sait trouver les mots pour dire l’indicible. Elle examine son mal, le dissèque, le met sous le microscope, en mesure les conséquences sans appel : le mal est irréversible, définitif, il obsède, il entraîne des renoncements quotidiens, il oblige à vivre plus vite et plus intensément.

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    La malade devient observatrice de sa propre descente aux enfers, de sa propre mutilation involontaire, son corps examiné et malmené par le corps médical ne lui appartient plus, ce corps se révulse et regimbe, « Cette maladie me met hors de moi. »
    La maladie devient compagne au quotidien, c’est la définition même de la chronicité
    mal acceptée par le corps soignant pour lequel elle est la marque de l’échec.
    Récit âpre, poignant et insupportable dans lequel la vie personnelle de la personne n’a aucune place, celle-ci étant phagocytée par la maladie. Le récit sans date, sans point de repère fait entrevoir une vie mutilée, son écriture a la précision du scalpel.

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     « La Doulou » texte où Alphonse Daudet porte témoignage de l’affection qu’on appelle alors Tabes dorsalis, le diagnostic est net.
    Ataxie c’est à dire perte du mouvement volontaire, paralysie.
    Pour la petite histoire Le Tabes a été le sujet de la thèse de doctorat en médecine de Sir Arthur Conan Doyle, l'auteur de Sherlock Holmes.

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    Pour tout traitement du mercure terrible poison, le laudanum et la morphine, pronostic : la mort dans d’indicibles souffrances.
    Le journal de cette maladie, de cette douleur est d’une grande lucidité, c’est un témoignage terrifiant sur la prise de possession du corps par la maladie, l’avancée de la destruction. Ce corps  sans cesse se rappelle à lui, petit à petit le tient prisonnier.

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    Edward Munch. Le Cri

    On assiste à la dévastation progressive du corps et de l'esprit.
    L’ écriture est un cri de douleur permanent, un cri strident et insupportable et un refus d’abdiquer devant le mal.

    Dans les extraits qui suivent les deux écrivains à plus d’un siècle de distance, se parlent, se répondent et se comprennent.

     

    En italique la voix d’Alphonse Daudet.

     « Comme si les charnières de mes articulations s’étaient recroquevillées »
    « Obstination des mains à se recroqueviller, au matin, sur le drap, comme des feuilles mortes, sans sève. »

    « Giclées de douleur au creux des poignets, dans les bras, dans les hanches »

    « Ce que j’ai souffert, hier soir - le talon et les côtes ! La torture...pas de mots pour rendre ça, il faut des cris. »

    « Mes nerfs sont des fils dénudés. »

    « Grands sillons de flammes découpant et illuminant ma carcasse »

    «
    Qu’est-ce que vous faites en ce moment? - Je souffre. »

    « J’apprends à me taire. »

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    Le Viel homme. Vincent Van Gogh

    « Mon corps est de la tourbe qui se consume sans fin. » « Cette maladie me met hors de moi. »

    «  Parfois je perds le sentiment d’une partie de mon être, marionnette détraquée »

    C’est à Alphonse Daudet que je laisse le mot de la fin :

    « Je ne sais qu’une chose, crier à mes enfants « Vive la vie »

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    Claire Marin est née en 1974, elle est docteur en philosophie
    Alphonse Daudet écrivit ce texte à partir de 1883 date à laquelle sa maladie s’aggrave, il note alors chaque jour les progrès de la douleur. En 1887 il meurt subitement. Le texte ne fut publié qu’en 1930.

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    Les Livres
    Hors de moi - Claire Marin - Editions Allia
    La Doulou - Alphonse Daudet - 
    Arléa 1985

     

  • Bribes jardinières

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    « J’ai donc posé mes bagages dans la maison des castors. Puis , moi qui avais tant marché, tant couru les chemins, je suis allée m’asseoir sous l’arbre, au fond du jardinet en friche. »

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    « Surtout, je vais me promettre de rester le plus souvent possible là, assise au soleil sur les marches gelées, avec ou sans jumelles, avec ou sans tâches urgentes à accomplir. Juste rester là. Sur la même planète que le roitelet »

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    « Quand je suis arrivée ici, cœur et corps en miettes, ce sont eux qui m’ont fait place : les mésanges et les pissenlits, les pies et les moustiques, les fourmis et les trèfles. Ce sont eux qui, indifférents et amicaux tout à la fois, m’ont transfusé de saison en saison leur énergie sans faille, leur industrieuse ténacité, l’ivresse de leur chant. »

    Le livre : Le jardin nu - Anne Le Maître – Editions Bayard

  • La Vie d'Arséniev - Ivan Bounine

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    Un billet sur un livre lu il y a longtemps mais que j’ai décidé d’aller piocher dans mes archives pour vous le proposer.

    L’hiver est la meilleure période pour entreprendre un voyage dans la steppe russe, une troïka, des fourrures et à l’arrivée un énorme samovar.

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    C’est ce que je vous propose à travers  la vie d’Arséniev  les souvenirs de jeunesse d’un héros qui ressemble comme un frère à Yvan Bounine.

    la Russie impériale jette ses derniers feux et nous voilà au sein d’une famille de la noblesse terrienne avec ses personnages hauts en couleurs et attachants.

    La mère effacée, le père qui dilapide au jeu la fortune familiale sans que jamais personne ne semble lui en tenir rigueur, les frères contraints d’aller chercher fortune au loin, les soeurs ombres fugitives à peine évoquées.

    L’on suit les tribulations de la famille au gré des pertes de jeu, des héritages, des récoltes, des désastres naturels, des fêtes religieuses, des voyages.
    Le héros dès l’enfance est d’une sensibilité exacerbée, il se tourne à l’adolescence vers l’écriture,la poésie.

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    Patio of Sviyazhsk - Alexander Alexandrovsky

    Le récit est fait de petites scènes, de tableaux de la vie russe et de descriptions d’une nature omniprésente.
    La vie campagnarde, les travaux des champs, le passage des saisons, l’antique demeure, les senteurs , les couleurs sont superbement restitués.
    Les descriptions de la nature sont lumineuses, chaleureuses et empreintes d’une grande mélancolie. La mort est très présente aussi, angoissante et marquée de mysticisme ( les fêtes religieuses, les icônes russes ..

    Extrait

    « A commencer par cette campagne perdue au fond de laquelle s’est déroulée ma petite enfance. Des champs déserts, un manoir solitaire au milieu...L’hiver, un océan de neige à l’infini, l’été, un océan de blé, d’herbes et de fleurs...Et le perpétuel silence de ces champs, leur étrange mutisme..Mais une marmotte ou une hirondelle sont-elles tristes dans un trou perdu plein de silence? Non elles ne demandent rien, ne s’étonnent de rien, elle ne sentent pas cette présence secrète que l’âme humaine perçoit dans le monde qui l’entoure, elles ne connaissent ni l’appel des espaces ni la course du temps. »

    Lorsque Yvan Bounine écrit  la vie d’Arséniev il est en exil en France et le monde décrit dans son roman a disparu, balayé par l’histoire. Il sait nous communiquer l’amour de sa patrie, et grâce à une écriture pleine de poésie et de sensualité on est gagné par l’émotion.
    La magie a opéré, j’ai ressenti de façon poignante, la perte, la nostalgie, l’atmosphère d’un bonheur définitivement perdu.

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    Ivan Bounine, prix Nobel de littérature en 1933 est l’auteur des Allées sombres que vous pouvez retrouver sur ce blog
    Il fait partie des figures emblématiques de l'émigration russe et ses écrits sont des classiques de la littérature de ce pays.

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    Le livre : La vie d'Arséniev - Yvan Bounine - Editions Bartillat