Dans ma bibliothèque le rayon dévolu à la poésie est un peu à part. S’y côtoient des livres minces et des pavés.
Bien entendu j’ai quelques anthologies même si elles n’ont pas ma préférence car il y a un côté artificiel qui ne me séduit pas vraiment. Mais c’est une façon de relire des poèmes classiques de ceux appris dans l’enfance et jamais oubliés.
Et puis il y a quelques pavés de choix et parmi eux il y a celui-là, cet Éloge des voleurs de feu, un livre qui depuis son achat a tellement été feuilleté que déjà il présente quelques signes d’usure.
Un gros livre pour un sujet qui a toute sa place sur ce blog.
Un beau titre pour un livre magnifique par son ampleur, par son ambition.
Oubliez le ministre, l’homme politique, ici il n’est question que d’une passion pour la poésie.
C’est le recueil d’une vie où se mêlent les poèmes de l’enfance, de l’école, de ceux partagés avec un ami, ceux découverts tout au long de la vie.
C’est une foule de poètes qui vient à nous, toutes les traditions et tous les continents sont présents.
Tous les poètes sont ici célébrés, honorés, glorifiés.
Dominique de Villepin se fait le passeur de leur colère, de leur chagrin parfois, de leurs mots, du feu qui les anime.
Une petite liste ?
Ronsard, Du Bellay et Villon, Scève ou Charles d’Orléans : du classique
Nerval, Mallarmé et Verlaine, Rimbaud et Baudelaire, Lamartine et Hugo: du classique toujours.
Pour ces poètes il s’agit d’un compagnonnage de longue durée, une communauté fraternelle. Celle que je partage avec l’auteur de ce livre.
Apollinaire et Cendrars, Saint John Perse, Jouve, Michaux, Char, Jaccottet ou Bonnefoy, les poètes du siècle qui s’est ouvert « dans le vacarme effrayant du désastre qui alourdit la parole ».
Mais les poètes veillent et pourront nous offrir de nouveaux enchantements.
Whitman
Et puis il y a les autres, ceux que j’ai déjà rencontrés et aimés au fil du temps : Dickinson ou Whitman, Rilke bien entendu, TS Eliot ou Robert Frost, Yeats, Paul Celan, Séféris et Cavafy, Mandelstam et Akhmatova.
Herbier de E Dickinson
Dominique de Villepin déroule son panthéon, la longue cohorte de ses poètes préférés.
Sa mère les lui a fait connaître à travers ses « recettes de vie » qu’il a engrangé et ses « poches n'ont cessé d'enfler de poèmes, de papiers ou d'objets, de mots mêlés aux choses de la vie ».
Pour chacun il y a quelques mots de l’auteur pour nous faire entrer dans un monde nouveau, nous tenter, nous charmer ou nous intriguer.
Le plus souvent vous n’aurez droit qu’à quelques vers, parfois un poème entier mais c’est un maillage magnifique qui serti tout le livre.
Lorsque le poète est devenu un ami vous saurez tout ce qu’il éveille chez D de Villepin, tout ce qui l’enchante, le fait rêver, le déboussole parfois.
C’est un long compagnonnage qu’il donne à lire, le lecteur n’a pas de repos en suivant ses découvertes accumulées, ces sauts dans le temps.
Dominique de Villepin a une préférence pour les chemins tortueux, pour les poètes rebelles, les révoltés, les insurgés ceux qui vagabondent à coup de mots, ceux qui nous font découvrir de nouvelles terres poétiques.
Il nous propose les poètes du monde pour que nous les rencontrions à travers leur destin, leur bataille parfois, et que nous fassions un bout de route avec eux.
Ces voleurs de feu dénoncent « la dure loi du monde, la déception des choses » et nous disent qu’ « Il s’agit de camper à proximité des choses, au plus près de l’être, toujours à l’écoute d’un souffle de vie ».
C’est un livre ardent, ample et ambitieux à la langue généreuse.
L’auteur nous parle avec un ton juste, ses réflexions sont très personnelles. Le mot liberté revient souvent comme s’il ne faisait qu’un avec poésie.
Que la taille du livre qui compte 800 pages ne vous effraie pas. Vous serez comblé.
Il y a parfois des envolées lyriques, certains n’aiment pas, moi j’aime si l’on sent la sincérité derrière.
C’est un voyage à travers la poésie de tous les temps, un pèlerinage là « où l'univers prend un visage nouveau » une volonté de « faire entendre le son de la vie »
Ce live n’a rien d’un essai sur la poésie, c’est bien plutôt un journal météorologique de l’âme d’un amoureux de poésie.
Le livre : Éloge des voleurs de feu – Dominique de Villepin - Éditions Gallimard 2003