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dostoïevski

  • Un coeur faible

    J’avance doucement dans ma lecture des oeuvres de Dostoïevski et en particulier  des petits récits et nouvelles qui sont regroupés par date de publication dans l’édition Actes Sud. J’avais aimé sa nouvelle et je viens de repiquer avec Un coeur faible.

     

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    Arkadi Ivanovitch Néfédévitch et Vassia Choumkov travaillent comme copistes et vivent ensemble dans un tout petit logement. Ils sont amis depuis longtemps.

    Tout s’accélère quand Vassia tombe amoureux de Lisanka Artémiev. Vassia se sent indigne du bonheur qui lui échoit. Il déborde de joie, il est sous l’emprise total de cet amour et les aspects matériels apparaissent comme très secondaires. Ses revenus sont faibles mais il a un bienfaiteur qui lui fournit régulièrement des travaux supplémentaires : Ioulian Mastakovitch, bien sûr celui-ci est exigeant et il s’agit de rentre le travail dans les délais sinon... 

    « J’ai le coeur tellement plein, mais plein! Arkacha ! Je suis indigne de ce bonheur ! Je le sens, je le pressens. »

    Arkadi est heureux pour lui mais un peu inquiet. Vassia est pris d’une douce folie qui le pousse à oublier la tâche à accomplir. 

    Le retard devient énorme, Vassia a maintenant 21 jours de retard dans son travail. Et soudain tout tourne au cauchemar, la folie s’empare de lui, il va décevoir son bienfaiteur, il va être puni, il va devoir partir au service militaire,  il va ...il va.... 

     

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    Le récit est rythmé par la passion et la folie, Dostoïeski sait parfaitement rendre cette excitation par des dialogues hachés, tronqués. Il fait monter l’angoisse chez le lecteur qui s’interroge 

    « Comment pourrait-on devenir fou par reconnaissance ? »

    Il mêle reconnaissance et haine, angoisse et joie 

    Dostoïevski s’est semble t-il inspiré d’un fait réel qu’il avait jugé choquant et qu’il a transposé. Un homme né serf, racheté par une association de bienfaisance mais maintenu dans la misère et l’exploitation par son  bienfaiteur avec la menace de voir son exemption de service militaire (20 ans de service !) supprimée.

    J’ai aimé cette nouvelle qui mélange le rire et la crainte, la folie et l’amour.

    L’avis de Sibylline sur Lecture/Ecriture 

     

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    Le livre : Oeuvres romanesques 1846-1849 - Fedor Dostoïevski - Editions Actes Sud Thesaurus

  • Tolstoï ou Dostoïevski - George Steiner

    Entre les deux mon coeur balance

     

    « Demandez à un homme si il préfère Tolstoï ou Dostoievski et vous connaitrez le secret de son coeur »

     

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    J’ai commencé très tôt (trop tôt ?) à lire les écrivains russes, vers douze ans j’ai mis la main sur Anna Karénine et mon coeur s’est arrêté de battre. 

    Et puis plus tard j’ai lu Dostoïevski et les livres se sont enchainés. 

    Aujourd’hui je suis totalement incapable de trancher entrer ces deux monstres de la littérature mondiale, je les aime, peut être pour de mauvaises raisons mais qu’importe je ne pourrais pas supprimer leurs livres de ma bibliothèque ni savoir que je ne les relirai jamais.

    Mais vrai bien sûr qu’ils sont aux antipodes l’un de l’autre ces deux géants.

    Dominique Fernandez a tranché, lui c’est Tolstoï, et bien que George Steiner affirme « Chaque lecteur choisi l’un plutôt que l’autre » je n’ai jamais vraiment tranché.

     

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    Aussi tout naturellement ce livre m’a passionné car nous dit l’auteur il y a

     

    « Trois très grands moments dans la littérature : le moment grec avec Homère, le moment Shakespearien et le moment russe ».

     

    George Steiner fait donc ainsi l’analyse des romans des deux auteurs majeurs de la littérature russe. Il ne fait pas l’impasse sur les faiblesses de ces deux monstres de la littérature.

    Surtout il replace leurs oeuvres dans l’histoire du roman, ainsi il nous fait voyager de Mme de La Fayette à Balzac, de la critique autour de Madame Bovary ou des romans de Stendhal. Des correspondances entres les géants du roman. 

    Pour Steiner c’est certain les russes sont les meilleurs 

     

    « Qu’il me soit donc permis d’affirmer mon inébranlable conviction que Tolstoï et Dostoïevski sont les plus grands des romanciers. Ils excellent dans l’ampleur de la vision et dans la forme d’exécution » 

     

    C’est passionnant de bout en bout, les comparaisons avec les autres grands du roman au XIX ème siècle, les particularités de chacun des romanciers, une analyse longue et complète du début d’Anna Karénine et une belle étude de l’Idiot, de celles qui vous donne immédiatement l’envie de rouvrir ces livres là.

    Il les renvoie dos à dos : Tolstoï qu’il apparente à Homère et Dostoïevski qui trouve sa parenté chez les grands auteurs du théâtre tragique. Il voit en eux deux conceptions de la religion, l’un étant fasciné par le mal, l’autre persuadé que l’on peut réformer l’homme.

     

    Une façon passionnante de comprendre le roman russe et de s’y replonger avec délectation

     

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    Le Livre : Tolstoï ou Dostoïevski - George Steiner - Editions 10/18

  • Dostoïevski Les années miraculeuses - Joeph Frank

    Les biographies sur Dostoïevski sont multiples, on peut en trouver de toutes sortes mais LA biographie indispensable c’est celle de Joseph Frank. On n’est pas aussi favorisé que le public anglo-saxon qui dispose d’une bio en 6 volumes, Actes Sud avec l’aide de l’auteur a réduit cela à un volume uniquement, certes une biographie réduite mais malgré tout oh combien passionnante ! 

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    La version française est centrée sur ce que Frank appelle les années miraculeuses, les années les plus productives pour Dostoïevski.

    Peut-on se représenter le travail de l’écrivain ? En six ans ce sont cinq des plus grands textes russes qui vont être publiés. Crime et châtiment, Le joueur, L'idiot, L'éternel mari et Les démons 

    Dostoïevski est rentré de l’exil qui a suivi le bagne, repris un travail littéraire mais la mort de son frère et de sa femme l’ont mis dans une situation difficile le contraignant par devoir à prendre en charge un beau-fils et la famille de son frère. Ses dettes s’accumulent, ses éditeurs ne lui font aucun cadeau, les crises d'épilepsie augmentent.

    Il est acculé et contraint à écrire sans relâche. Spirale infernale.

    C’est la collaboration puis le mariage avec  Anna Grigorievna  Snitkina.

     

    Plus de vingt ans les séparent mais cette jeune femme est sans doute pour beaucoup dans ces années miraculeuses, permettant à l’écrivain de faire face à ses engagements, l’aidant à supporter la charge familiale, tolérant son addiction au jeu et lui offrant une vie de famille paisible. Quatre années en Europe  permettent d’échapper un peu aux créanciers mais aussi de perdre le peu d’argent qu’il gagne sur les tapis des casinos.

     

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    Crime et Châtiment paraît en feuilleton  en 1865, les critiques sont parfois sévères mais les lecteurs sont au rendez-vous. 

    « ouvrage d’une puissance fascinante, l’un des plus importants romans du XIXe siècle, qui dès sa publication suscite une grande controverse critique »

    Pour aider le lecteur  J Frank nous souffle

    « Il y a donc, enchâssé dans Crime et châtiment un point de vue sur la façon dont il faut lire le roman  (...)

    Personne à notre connaissance, n’a jamais accordé la moindre attention à cette composante : il serait utile de réparer cette omission flagrante. »

    Il attire notre attention sur

    « certaines pages les plus émouvantes que Dostoïevski ait jamais écrit »

    Raskolnikov est patiemment disséqué, étudié, critiqué, compris.

    « Dans la pure tradition du roman du XIXe siècle, Dostoïevski achève son livre sur un épilogue par lequel l’existence des ses personnages principaux se poursuit au-delà des limites de l’intrigue, qu’avait close l’aveu de Raskolnikov. »

     

    Si l’accouchement de Crime et Châtiment fut difficile c’est avec la parution du Joueur que

    « Dostoïevski est parvenu à gagner l’un des plus grands paris de sa vie; il réalise la prouesse exceptionnelle de composer une longue nouvelle en moins d’un mois, en respectant le délai imposé. » grâce à Anna Grigorievna.

     

    Mariage, départ pour l’Europe.C’est en voyage qu’il rencontre Tourgueniev et qu’il affine ses idées sur l’Europe, la Russie, le nihilisme.

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    Vous pouvez aussi faire le choix du livre audio

     

    L’encre du roman précédent est à peine sèche qu’il lui faut de nouveau chercher l’inspiration pour un nouveau roman. Il accumule les notes, les compilations de faits divers, il cherche un personnage

    « qui incarne son idéal moral positif. »

    Il va créer le Prince Mychkine affligé d’épilepsie, Aglaïa, Nastassia Filippovna et Rogojine. 

    « Si l’Idiot est le plus inégal de ses quatre meilleurs romans, il reste le texte où l’écrivain exprime le plus profondément sa vision de la vie, dans toute sa complexité tragique, sur un ton particulièrement poignant  et avec une intense émotion dont le lyrisme touche au sublime. »

    Pour Joseph Frank l'Idiot 

    « est la plus personnelle de ses oeuvres majeures, le livre dans lequel il exprime ses certitudes les plus intimes, les plus chères et les plus sacrées » « Un affrontement dramatique entre l'humain et le divin » 

     

    Dans les derniers mois passés en Europe il va écrire l’Eternel mari une grande nouvelle et débuter Les Démons ! 

    Si vous n’avez jamais lu Dostoïevski commencez par l’Eternel mari, le trio classique de la femme, du mari, de l’amant, mais la farce prend une toute autre dimension sous la plume de Dostoïevski. Il étudie les revirements de personnalité, les évolutions psychologiques, la transformation morale, les conflits intérieurs. Veltchaninov et Troussotski l’éternel mari sont inoubliables.

    « la plus travaillée des oeuvres courtes de Dostoïevski » 

     

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    Les Démons au théâtre 

     

    Dernier des romans des années miraculeuses Les Démons, certainement l’oeuvre la plus difficile d’accès à mon avis dont J Frank nous ouvre les portes.

    L’idée du roman n’est pas récente, Dostoïevski l’a en tête depuis longtemps, il a même commencé à peintre ses personnages.

    C’est le roman qui a fait que les bolcheviks vont doucement éliminer Dostoïevski de la scène littéraire russe pour n’y laisser que Tolstoï moins dangereux.

    Décembre 1869 à février 1870 Dostoïevski va reprendre toutes ses notes et créer l’oeuvre où la vie politique russe est la plus présente.

    Il y a un fond de raillerie et de parodie dans le roman avec les coups de griffes données aux occidentalisés dont Tourgueniev est le représentant.

    Joseph Frank consacre deux chapitres à l’analyse du roman c’est dire son importance.

    Le roman a

    « à maintes reprises été critiqué avec virulence en tant que calomnie malveillante du mouvement révolutionnaire russe »

    l’histoire donnera largement raison à Dostoïevski et l’on peut aujourd’hui considérer

    « le livre comme un ouvrage plus prophétique que diffamatoire ». 

    Stavroguine est un héros inoubliable, maléfique, tourmenté et effrayant.

    Les personnages du roman vivent 

    « les questions morales, philosophiques et sociales les plus profondes et les plus complexes. »

    « Les démons demeurent insurpassés par leur tableau prémonitoires des enlisements moraux et des trahisons potentielles que recèlent (...) l’idéal révolutionnaire. »

     

    Ce livre de Joseph Frank  est pour moi le type même de la biographie parfaite, éclairant l’oeuvre, la faisant vivre, la commentant, l’expliquant et dressant en filigrane le portrait d’un homme tourmenté grâce à des analyses fines et profondes et une connaissance étourdissante de l’oeuvre. 

     

    Le livre fourmille de détails bienvenus, le tableau politique et intellectuel de la Russie permet au lecteur de replacer l’écrivain dans son siècle et d’accéder à l’homme Dostoïevski avec son courage, son abnégation mais aussi sa xénophobie et son antisémitisme larvé. 

    Le propos est  d’une grande richesse et d’une puissante vigueur, l’auteur s’est plongé dans la correspondance, les journaux, et la traduction est très bonne.

     

    Un défaut à cette biographie ? oui celle de s’arrêter trop tôt et du coup de ne pas nous donner l’analyse des Frères Karamazov.

     

     

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    L'auteur et son épouse 

     

    Imaginez un homme qui a passé sa vie à lire et relire Dostoïevski, à analyser son oeuvre, à comparer ses romans et à tenter de comprendre son cheminement intellectuel et personnel. Tellement impressionné par l’écrivain qu’il décide dans les années 50 d’apprendre le russe et qu’il se promène avec sous le bras une grammaire russe et que sa maison est pleine de photos de son auteur fétiche et d’affiches des films adaptés de l’oeuvre.

    Joseph Frank est un universitaire éminent, professeur émérite l'Université Stanford et Princeton. Son travail a été plusieurs fois récompensé par des prix prestigieux aux USA et salué par la critiques :

    « Une réalisation monumentale... »

    « Il a changé de manière significative notre compréhension de l'homme et son travail »

    « Frank a réussi triomphalement »

    « Magnifique... » 

     

    En lisant cette biographie je n'ai pas pu m'empêcher de repenser aux film "la femme aux cinq éléphants" qui montre si bien le travail de la traduction

     

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    Tout Dostoïevski chez Actes Sud 

     

     

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    Le livre : Dostoïevski, les années miraculeuses (1865-1871) - Joseph Frank -  traduit par Aline Weill - Solin Actes Sud

  • Toujours Dostoïevski

    Un auteur et un traducteur 

     

    Pour ceux et celles qui sont intéressés par la collection Thésaurus

     

     

    dostoïevski

     

     

    le premier tome date de 1998 ( et moi qui croyais que cela datait de 5 ans !!) avec Crime et châtiment, le joueur et l’Idiot

     

    le second tome est de 2014 et regroupe les oeuvres écrites entre 1875 et 1880  l’adolescent, la Douce, le rêve d’un homme ridicule, les Frères Karamzov et des nouvelles Le moujik Mareï, le garçon à la menotte, le Triton et la Centenaire

     

    Troisième tome en 2015 avec les oeuvres de 1846 à 1849  : beaucoup de textes courts mais aussi Les pauvres gens, le Double, Nétotchka Nezvanova, le Petit héros, Les Nuits blanches et neuf autres nouvelles

     

    dostoïevski

    André Markowicz traducteur de l'oeuvre chez Actes Sud

     

    Il reste encore à paraître : Souvenirs de la maison morte, Humiliés et offensés, l’Eternel mari, Carnet du sous-sol, et bien sûr Les Démons plus sans doute quelques nouvelles 

    J'espère qu'Actes sud n'attendra pas éternellement pour nous les proposer 

  • Le Moujik Mareï - Fedor Dostoïevski

    Il était temps de renouveler un peu ma bibliothèque russe, constituée par des livres de poche essentiellement et un rien de pléiade. Les poches tombaient en loques alors...

     

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    J’ai choisi pour Dostoïevski les thésaurus publiés par Actes Sud, il manque encore un ou deux volumes à l’appel mais on a déjà le principal.

    Un inconvénient ? oui oui : gros et lourds et mous ....on ne peut pas tout avoir, j’ai privilégié la qualité de la traduction.

     

    Cela a été l’occasion de lire des nouvelles publiées par Dostoïevki dans les journaux et qui ont été ajoutées à ses grands romans.

    D’habitude les nouvelles m’agacent mais je dois dire que j’ai pris à ces deux là un grand plaisir 

     

    Le Garçon à la menotte a été publiée dans le « journal d’un écrivain » et André Markowicz a fait le choix de l’ajouter aux romans publiés entre 1875 et 1880.

     

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    l’expression « à la menotte » signifie qui tend la main, qui mendie.

    Voilà une version noire de « la petite marchande d’alumettes », une histoire qui, même si l’on sait que Dostoïevski avait un penchant pour les larmes, nous touche au plus profond. 

    Un enfant de 5 ou 6 ans contraint de faire la manche, il est maigre, il est à peine vêtu alors que l’hiver est là, il voit des lumières, des dorures, il entend de la musique, aperçoit même de la nourriture, c'est noël....mais rêve ou réalité ? Ses doigts ne peuvent plus guère remuer tant le froid est intense, il se recroqueville tel un tas de chiffon et entend près de lui la voix de sa mère. 

     

    Dostoïevski le dit, c’est une histoire inventée par un écrivain mais tellement réelle et franchement l'on est fortement ému par le récit.

     

    La seconde nouvelle piochée dans ce thésaurus c’est l’histoire du Moujik Mareï. Parue de la même façon que la nouvelle précédente dans « Le journal d’un écrivain » et publiée en 1876.

    C’est un jeu de poupées russes cette nouvelle. l'auteur se souvient du bagne et du souvenir qui au bagne l’a assailli un jour de Pâques, au milieu d’hommes frustres, violents, assassins pour certains. 

     

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    C’est un souvenir d’enfance qui relate la rencontre de l'écrivain avec un moujik.

    « L’été touchait à sa fin » bientôt il faudrait repartir à Moscou et retourner au collège, Fédor profite des derniers jours de liberté en pleine nature. Il observe les insectes, ramasse des hannetons. Lorsqu’il croit entendre « au loup » il est pris de peur et dit « je courus tout droit jusqu’au paysan qui labourait.»

    C’est le moujik Mareï « un homme de quelque cinquante ans, solidement bâti, d’assez haute taille, à la barbe en éventail châtain foncé déjà fortement grisonnante. »

    Celui-ci parvient à calmer la peur de l’enfant par quelques mots simples.

    L’écrivain revoit le bon visage de Mareï, son sourire bienveillant, ses signes de croix pour éloigner le mal, sa voix pleine de sollicitude.

    « Brusquement à présent, vingt ans plus tard en Sibérie, je me souviens de toute cette rencontre »

    Ce n’était qu’un serf et subitement Dostoïevski,  par la grâce du souvenir voit autrement sa chambrée, ses compagnons de bagne  «  j’ai brusquement senti que je pouvais poser sur ces malheureux un regard différent. »  sans doute ce qui lui permit ensuite de faire le récit de ces années là.

     

    Deux nouvelles loin des grands romans mais qui possèdent une force et un charme indéniables 

     

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    Le livre - Fedor Dostoïevski Oeuvres Romanesques 1875-1880 - Traduction André Markowicz - Editions Actes Sud Thesaurus 2014

  • Dostoïevski, mémoires d'une vie - Anna Grigorievna Dostoïevskaïa

    Dans l'intimité de l'écrivain

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    Il n’est pas si fréquent d’avoir, pour éclairer la vie d’un écrivain, le témoignage de son épouse, certains de leurs écrits sont parfois des actes vengeurs et enlèvent ainsi une part de crédibilité.
    Les mémoires d’Anna G Dostoïevskaïa ne sont pas du tout dans ce registre. D’un bout à l’autre on y sent la vérité, la sincérité et le souci d’une honnêteté totale.

    En 1866 Anna Grigorievna se voit proposer un moyen de gagner sa vie, M Olkhine son professeur de sténographie la propose pour aider un écrivain en difficulté qui doit rendre un livre dans un délai extrêmement court sous peine de voir tous ses droits sur ses livres précédents lui échapper. Elle accepte immédiatement car " Depuis mon enfance, le nom de Dostoïevski, romancier préféré de mon père, m’était familier " et elle a lu récemment Crime et châtiment
    Pour Fédor Dostoïevski c’est un ange tombé du ciel ! Il va pouvoir écrire le roman attendu dans les délais ce sera Roulettenbourg qui plus tard prendra le titre du Joueur et en même temps avancé la dictée de l’Idiot.

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    La première rencontre montre un Dostoïevski qui " était de taille moyenne. et se tenait très droit. Ses cheveux châtain clair et même légèrement roux étaient fortement pommadés et soigneusement lissés."
    Pendant ce travail en commun Dostoïevski va petit à petit se confier à Anna, parler de sa passion pour le jeu, des dettes énormes qu’il a contracté, et surtout de son épilepsie. Il faudra vingt six jours pour terminer le roman, et un mois pour que l’écrivain demande Anna Grigorievna en mariage.  

    Elle va pour 14 ans attachée sa vie à celle de l’écrivain. Elle sera pour lui une compagne dévouée, prête à passer plusieurs années à l’étranger pour permettre à son mari d’échapper aux usuriers. Elle est  un soutien constant pendant les années d’écriture des chefs-d’oeuvre : les Démons, les Frères Karamazov, elle partage avec lui les jours sombres où il s’est remis à jouer, les jours fastes où il est invité à la cour par le Grand-duc Constantin et la grande-duchesse Alexandra. Elle le suit lorsque Dostoïevski fait des lectures publiques de ses oeuvres malgré sa fatigue et malgré les crises d’épilepsie. Elle s’efface lorsqu’il est pressenti pour faire le discours en l’honneur de l’inauguration d’un monument à Pouchkine.
    Elle conduira son époux à sa dernière demeure au cimetière de Tikhvinsk dans la Laure Saint-Alexandre Nevski grâce à l’intercession du Grand-duc Constantin, entourée d’une foule nombreuse qui rendait hommage à l’écrivain du petit peuple.

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    Si vous aimez Dostoïevski ce livre vous plaira, il n’est en rien une analyse de l’oeuvre, mais il est le témoignage de la vie quotidienne d’un écrivain. Anna Grigorievna n’est pas écrivain, son livre ne vaut pas par le style. Il est attachant par la vivacité, la sincérité que l’on entend derrière les mots. On y découvre un homme pressuré par son entourage familial et qui ne sait rien leur refuser, un père de famille qui vénère ses enfants et qui s’occupe d’eux " c’est aussi un tendre père de famille pour lequel tout ce qui se passe dans la maison a une grande signification "
    On y voit vivre une famille russe au quotidien, les réceptions, les relations amicales, les difficultés, la résidence d’été, les voyages.
    Elle ne cache rien Anna Grigorievna la jalousie maladive de son mari,  les contraintes du travail du grand écrivain qui comme Balzarc, comme Dumas, court après l'argent

    " Il fallait de l’argent pour vivre, pour payer les dettes ; pour cette raison, malgré la maladie, et quelquefois le lendemain d’une crise, il était nécessaire de travailler, de se hâter, sans même revoir le texte écrit, pourvu que celui-ci pût être remis le jour fixé et rapporter le plus vite possible l’argent qu’on en attendait. "

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    Bureau de Dostoïevski

    C’est le manque d’ambition d’Anna qui rend le livre  si simple et si touchant. Jusqu’à la fin de sa vie après la mort de Dostoïevski, elle travaillera sans relâche pour défendre et éditer l’oeuvre de son mari. Elle ne parle de lui qu’avec admiration et amour " Il était bon, généreux, charitable, juste, désintéressé, délicat, compatissant "
    Elle sait nous le rendre vivant, proche et si l’on été admirateur de l’oeuvre on éprouve de la sympathie pour l’homme après avoir lu son récit.

    Si vous voulez une biographie de Dostoïevski centrée sur son oeuvre c’est le livre de Joseph Franck qu’il faut livre aux éditions Actes Sud.


    Le livre : Dostoïevski, mémoires d’une vie - Anna Grigorievna Dostoïevskaïa - Traduction André Beucler - Mercure de France