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« Le grand ours s’arrêta à dix mètres de moi. Il montra les dents en grognant et coucha les oreilles. Entre ses épaules, les poils de sa bosse étaient hérissés. Nous nous fixâmes l’un l’autre pendant des secondes qui me parurent des heures »
« Le grizzly redressa les oreilles et regarda sur le côté. Reculant un peu, je tournai la tête vers les arbres. Je sentis quelque chose passer entre nous. L’ours se détourna lentement, avec élégance et dignité, puis, d’un pas cadencé, il s’enfonça dans le bois à l’autre bout de la clairière, j’avais le souffle court et le visage cramoisi. Je sentais que je venais d’être touché par quelque chose de très puissant et de très mystérieux. »
« Ce versant de montagne est un endroit tout à fait particulier pour moi, un lieu d’où émane un certain pouvoir, il en est de même de certaines autres vallées de cette région et du nord du Montana, où les grizzlys errent encore. Je reviens sur ces lieux chaque année afin de suivre les ours à la trace et de tenir le journal de ma vie. »
Le livre : Mes années grizzly - Editions Gallmeister
J’ai une étagère de livres compagnons, je n’aime pas le terme de coup de coeur parce que pour moi c’est un phénomène éphémère, alors que compagnons c’est quelque chose qui s’inscrit dans la durée.
Ce ne sont pas tous des chefs d’oeuvre, non, mais des livres qui me procurent un plaisir de lecture, un apaisement, une joie renouvelée à chaque lecture.
Le roman de Claudie Hunzinger va aller rejoindre mon étagère de livres compagnons.
Paminahabite une ferme isolée, perdue dans les Vosgesavec son compagnon Nils. Depuis longtemps elle cherche à surprendre les cerfsdont elle repère régulièrement les traces alentour. Elle est fascinée par ces invisibles et cherche à les apercevoir. Elle veut écrire sur eux.
Elle trouve de l’aide auprès de Léo, un fou de l’observation animale, un dingue de photographie. Il sait tout des cerfs, leurs habitudes, leurs cheminements, il sait où les guetter. Elle va lui permettre d’installer une cabane d’affût sur son terrain des Hautes-Huttes. Léo lui fait partager son savoirmais sans jamais se livrer totalement, un écolo à qui Pamina donnerait le bon dieu sans confession. Confiancetrop aveugle ?
J’ai aimé les apparitions nocturnes des cerfs« un tonnerre de beauté »Le mélange nature et poésie, nature et littérature :
« Dans mon sac, il n'y avait pas seulement Lucrèce. Les albums du Père Castor aussi. Je les avais tous gardés et emportés là-haut. Froux, le Lièvre, Panache, L'Ecureuil. Et il y avait Francis Ponge. Et c'était comme si j'avais pris avec moi beaucoup mieux que des jumelles, dont d'ailleurs je me suis longtemps passée, comme si j'avais pris avec moi de quoi scruter La nature des choses et la fabrique du pré. Ils faisaient la paire, Lucrèce et Ponge pour illuminer l'intérieur de notre maison pourrie d'humidité, une vraie caverne »
J’ai aimé les pages sur cette quêteun peu folle, un peu vaine aussi, j’ai aimé les saisons qui modifient la nature autant que la main de l’homme. J’ai aimé que le roman ne soit pas manichéen, certes Paminadéfend les cerfs et leur survie mais s’interroge aussi sur leurs méfaits, doit-on faire des compromis ? La nature oui mais jusqu’où ? Après la beautéet l’émerveillement vient le temps de l’effarement, des compromissions, de la destruction annoncée.
Nilsson homme ne change pas de roman en roman, toujours aussi complice, toujours un rien anarchiste bienveillant.
J’ai aimé que le lieu de vie de Claudie Hunzinger change de nom à chacun de ses livres, Bambois, la Survivance, les Hautes-huttes qui chaque fois invite à un bain de nature.
Le livre : Les grands cerfs - Claudie Hunzinger - Editions Grasset
« Lors d’une randonnée moyenne de quinze kilomètres, on devrait donc en apercevoir plusieurs centaines. Naturellement, il n’en est rien. La seule raison à cela, c’est la chasse. Comme les chasseurs (seulement en Allemagne, on compte 350 000 licences) sont toujours aux aguets, nos animaux sauvages vivent constamment dans la terreur et adaptent à merveille leur comportement à l’homme.
Bien qu’ils doivent manger tout au long de la journée pour pouvoir digérer une quantité suffisante de végétaux, les chevreuils et les cerfs, par exemple, ne sortent des bois et des fourrés que de nuit, car ils ont fait l’expérience amère d’être pris pour cibles jusqu’au coucher du soleil.
Les tirs ne s’interrompant que quand il fait nuit noire, ce n’est qu’alors que les animaux peuvent aller paître tranquillement dans les prairies. Durant la journée, ils se réfugient dans les zones boisées où ils ne peuvent être repérés, et où les affres de la faim les poussent à se nourrir des bourgeons et des feuilles, et parfois même de l’ écorce des feuillus»
Le livre : L’horloge de la nature - Peter Wohlleben - Editions Macro
Trois jeunes gens très très peu expérimentés décident d’atteindre le pôle nord en le survolant en Montgolfière, en 1897 !!
Salomon August Andrée paré du titre d’aéronaute, l'ingénieur Knut Frænkel et le photographe Nils Strindberg, s’envolent del'archipel de Svalbard direction le Pôle.
La Montgolfière de l'expédition
Ils ont fait des préparatifs qu’aujourd’hui on qualifierait de ridiculement insuffisants, ils ont une méconnaissance totale des risques. Hélène Gaudy dit que les trois hommes avaient un côté Pieds Nickelés. Cela me semble juste.
L’envolse fait par beau temps, et très vite c’est la catastrophe. Le 14 juillet 1897les rêves de gloire sont brisés, place aux efforts de survie, aux doutes et à l’incertitude du devenir.
La chute du ballon
Ils marcheront plusieurs mois sur la banquise dans un monde uniformément blanc, blanc comme un linceul « drap posé sur les yeux d’un mort »
Trente ans plus tard, Sur l’île de Kvitøya, on va retrouver leurs restes mais surtout les photos prisent par Nils Strindberg; vestiges du destin de ces trois hommes.
Hélène Gaudy écrit le roman de cette expédition, les photos sont les souvenirs de l’expédition et sur elles Hélène Gaudy bâtit son récit ainsi que sur le journal tenu par le chef d'expédition. Journal souvent laconique, ils font des prélèvements inutiles mais aussi plein d'observations naturalistes pour faire un peu briller leurs noms et leur aventure, tout enmasquant la souffrance, la peur des ours, la marche, le froid, la solitude, les privations. A la fois magnifique et dérisoire.
L'Odyssée de l'endurance
Ce que j’ai beaucoup aimé c’est le mélangesavamment orchestré entre le récit de l’expédition et les évocations autour de lui. Les lettres d’Anna Chartier la fiancée délaissée par Nils Strindberg, les découvreurs, les aventuriers, les poètes de la glace.
L'expédition de Léonie d'aunes d'après le peintre François Biard
Le Palais de glace de l’auteur norvégien Tarjei Vesaas, le récit de l’expédition d’Ernest Shackleton ou le voyage au Spitzberg de Léonie d’Aunet que vous connaissez peut être plus pour avoir été l'amour de Victor Hugo avant son exil. J’ai été sensible pour y être allée à l’évocation de Pyramidenla ville fantôme de Svalbard.
L’auteure redonne vie aux héros de l’épopée, elle comble les blancs avec finesse et dextérité. Un récit très abouti, très visuel, tout en noir et blanc. Un beau roman sur le désert glacé du Grand Nordqui aujourd’hui tend à disparaitre. Ma bibliothèque nordique est déjà riche mais je vais y ajouter ce livre.
Une rencontre était prévue avec Hélène Gaudy dans ma librairiece mardi mais les intempéries et la mini tornade qui s'est abattue sur Lyon a dérangé tous les plans !! grrrrrr
Le livre: Un monde sans rivage - Hélène Gaudy - Editions Actes Sud
Je voudrais que vous fassiez connaissance avec Martin de la Soudière, j’avais déjà croisé l’auteur grâce à un livre sur les saisons et celui qu’il vient de publier m’a aussitôt attiré.
Arpenter le paysage nous propose-t-il, j’aime la marche ou plutôt je l'ai aimé, la nature, la poésie des lieux, la peinture de paysages, les descriptions magnifiques de certains auteurs donc je me suis embarquée.
La première partie du livre est faite des souvenirs d’enfance de l’auteur, on entre ainsi en paysage avec lui à travers ses souvenirs de vacances dans les Pyrénées, randonnées, promenades, balades en vélo, en famille.
La vallée de Vicdessos
On ne s’ennuie pas un instant, il faut dire que parfois le récit tient un peu des Pieds Nickelés. On égrène avec lui les observations faites au fil du temps, les grands bonheurs lors de l’arrivée au sommet, et aussi les petits malheurs lorsque rien ne se déroule comme prévu. C'est un vrai apprentissage initiatique.
Le récit est fait de mille anecdotes familiales ponctuées de citations, de fragments de poésie, de noms d’auteurs pas toujours des plus connus. L’auteur a déclenché mes souvenirsde randonnées pyrénéennes dans les gorges de la Carança, un lieu qui me fascinait enfant.
Les gorges de la Carança
Ensuite Martin de la Soudière élargit son propos. Il nous propose de suivre des arpenteurs, des flâneurs, des promeneurs. Moi quand on m'invite chez les écrivains du voyage je ne peux pas résister.
Jean Loup Trassard en Mayenne, Julien Gracq en bord de Loire, Fernando Pessoa, André Dhôtel dans ses Ardennes ouPhilippe Jaccottetdans sa garrigue drômoise.
Julien Gracq en bord de Loire
L’universitaire bien sûr glisse quelques remarques sérieuses ici ou là, j’ai retrouvé avec plaisir Elisée Reclus par exemple, mais il laisse place bien vite à l’amoureux des paysages, au passionné de littérature.
Avec lui on se fait botaniste, géologue, on avance au rythme lent des arpenteurs, on apprend avec le géographe, on crapahute avec le montagnard, on rêve avec le poète.
Le pays où l'on n'arrive jamais
Vous êtes en bonne compagnie : bergers, taupiers, militaires, cartographesou ethnologues. C’est passionnant et cela éveille de nombreux souvenirs, les livres de Marie Hélène Laffon, les écrits de Giono, les films de Raymond Depardon.
Le livre a déclenché chez moi tout une série d’images et de lieux oubliés parfois, de sensations et d’émotions. Un château médiéval en ruine dans un coin de Vaucluse, le parfum d’une forêt de pins, le froid glacial d’un ruisseau pyrénéen, la sauvagerie des Causses.
Le château de Boulbon dans le Vaucluse
souvenirs de lectures d'enfant dans l'odeur des pins
Vous avez envie de vous plonger dans les auteurs cités, d’en découvrir d’autres, de mêler avec bonheur le savoir et l’imagination.
La plume est belle, sérieuse et légère à la fois, elle éclaire petit à petit la notion de paysages. Le genre de livre que vous fermez en vous sentant un brin plus intelligent, plus sensible à ce qui vous environne. Il vous rend le paysage intime.
Un beau livre dont la couverture est munie d’un large rabat qui sert de marque-pages
Le livre: Arpenter le paysage - Martin de la Soudière - Editions Anamosa
Savez-vous que j’ai déjà énormément voyagé …..par les livres. Il y a environ 30 ans ( oui j'ai vérifié parce que ça m'a filé un coup) j’ai fait un voyage extraordinaire à la poursuite du Léopard des neiges avec Peter Matthiessen par les vallées et sommets du Dolpo.
Aujourd’hui voilà qu’un écrivain me propose de faire un second voyage. Je n’ai pas pu refusé.L’Himalaya c’est tout à fait mythique et suivre Paolo Cognetti loin de ses Alpes de prédilection et qui veut marquer ainsi son quarantième anniversaire. C’est un bonheur pour tout aventurier en chambre.
D’abord présentons les protagonistes, Cognetti bien sûr et deux amis proches Nicola et Remigio parce que « Je savais qu'en montagne on marche seul même quand on marche avec quelqu'un, mais j'étais heureux de partager ma solitude avec ces compagnons de route. »
Lac de Phoksumdo
Maintenant le côté matériel du trek : Une caravane composée d’hommes et de bêtes ( 25 mulets quand même) ce n’est pas rien de porter le matériel et la nourriture pour 20 personnes pendant un mois. Sete le chef d’expédition veille à tout, montage du camp, préparation du riz et des lentilles chaque soir, sans oublier la petite bière dans le café des villages traversés.
Les Hauts plateaux
Ce trek c’est néanmoins un véritable challenge, car rappelez vous que son héros était atteint du mal des montagnes et se balader dans l’Himalaya avec ce démon à ses trousses ça tient ou de l’exploit ou du masochisme intégral.
Les montées sont rudes, martelées par les nausées et les vertiges. Huit cols à 5000 mètres, ce n’est pas rien, je me sens essoufflée rien que d’y penser. Et jamais on ne va au sommet ! Je vous laisse découvrir pourquoi.
Dans son sac un carnetpour les croquis et l’écriture bien sûr, et un livre, un seul, celui qui a ouvert la piste : Le Léopard des neiges un livre important pour lui au point que parfois les mots de l’auteur se fondent avec ceux de son devancier.
« Marcher était notre mission quotidienne, notre mesure du temps et de l'espace. C'était notre façon de penser, d'être ensemble, de traverser le jour »
Il retrouve un pays presque inchangépar rapport à l’américain, les campements ressemblent à ceux de Peter, il croise les mêmes personnages, les mêmes moinesbienveillants et le bleu turquoise des lacs est bien là. Pour un peu il pourrait lui emprunter ses cartes.
J’ai aimé ce récit sobre, on n’y sent un homme qui laisse la nature le remplir, qui ne s’inquiète pas des frontières, ni du temps qui s’étire indéfiniment.
J’ai aimé les descriptions de paysage que j’avais déjà apprécié dans son roman, j’ai aimé cette recherche d’harmonie et d’équilibre entre le monde et soi. J’ai aimé l’écriture très simple, claire comme l’eau du torrent, j’ai aimé la présence constante de son ainé comme une protection et un modèle qui vient confirmer les sensations, les impressions, les peurs et l’émerveillement.
Un petit défaut ? Je ne me suis pas sentie totalement rassasiée à la fin du périple, pas vraiment un défaut, juste une sensation de trop peu alors j'ai relu le Léopard des neiges pour poursuivre le voyage.
Le livre : Sans jamais atteindre le sommet - Paolo Cognetti - Traduit par Anita Rochedy - Editions Stock
A lire en complément : Le Léopard des neigesPeter Matthieusen - Editions Gallimard l’imaginaire