Le temps de l'imaginaire
Comment parler d’un livre que l’on a énormément aimé au point d’avoir envie de le garder pour soi ?
« Depuis bien des jours le vieux cheminait avec la petite le long de la rivière. »
Le livre débute comme un récit initiatique, vous ne saurez jamais où se passe le récit, ni le nom des deux personnages, ni d’où ils viennent, ni où ils vont.
Le vieux et la petite vont cheminer ensemble tout au long du roman, le vieux protégeant la petite, l’éveillant à ce qui l’entoure, la portant quand elle est fatiguée, la réchauffant quand elle a froid, la nourrissant avec amour.
Ce que l’on devine c’est que le récit fait retour vers un monde médiéval, un monde ancien. L’homme et l’enfant vont affronter ensemble des épreuves.
Un moyen-âge imaginaire se déploie, le village et ses remparts, un tournoi avec des chevaliers en cotte de mailles et des dames portant hennin, le travail des artisans le long de la rivière.
Ils vont croiser la route d’une série de personnages, bienveillants ou dangereux, comme les figures d’un ancien jeu de cartes, l’auteur les nomme : il y a le géant, l’abbé, le veneur. Les lieux traversés sont nommés avec le même laconisme : le marais, la ville….
Le vieux se fait éducateur :
« Il lui dit qu’ils possédaient le ciel et il lui dit qu’ils possédaient la forêt et il lui dit qu’ils possédaient les poissons dedans la rivière et aussi les animaux de la forêt. Il lui dit qu’ils possédaient les plantes et il lui redit qu’ils possédaient le ciel et aussi les oiseaux dedans le ciel »
« De grands et nobles animaux enfantés par la nuit des forêts et le vieux lui parla de leur vie de bêtes traquées. Il lui parla de leur vie de proies fugitives et lui parla de leurs moeurs. Il lui parla des rudes combats entre mâles et lui parla des femelles faonnant dans les chambres de feuillage. »
Il lui nomme le monde, lui montre ses beautés et ses pièges
« Chaque fois qu’il le pouvait, le vieux enseignait la petite sur les êtres et sur les choses qu’ils rencontraient. Le vieux nommait à la petite toutes les choses qu’elle découvrait et, quand il le connaissait, il lui en décrivait l’usage. »
Il l’avertie de la folie des hommes lorsqu’ils assistent à un exécution
« le vieux dit à la petite qu’il n’existait pas de mot pour le décrire et il se tut en poursuivant sa marche puis, après un moment encore, le vieux reprit la parole et il dit à la petite fille que, de surcroît, il n’aurait servi à rien de l’inventer. »
Avec lui elle découvre le monde, sa violence, ses lois, sa beauté.
Le chemin sera long et semé d’embûches, de belles rencontres, de dangers évités pour atteindre le but du voyage.
Le récit se déploie et l’auteur utilise un mode d’écriture basé sur la répétition, ces répétitions transforment les phrases en litanies, donnent au récit un rythme lent et procure une sensation un peu hypnotique.
C’est une écriture qui envoûte mais qui aussi se mérite, l’auteur vous fait parcourir des lieux escarpés et sa langue est elle-même une épreuve initiatique.
Pour le lecteur aussi il s’agit d’apprentissage, les mots du travail, des outils, de la chasse, de la pêches, les mots des joutes et des tournois. Ils sont autant de pièges et de détours qu’il vous faudra passer.
J’ai noté au fur et à mesure tout un vocabulaire inconnu, inusité, rare, et j’ai béni mon Littré et mon Dictionnaire historique de la langue française.
brousser cabarer eubage
cosnil camail archiatre faonner
muid brassin abeausir
toue achevaler ablais dosse
ébarouir adamantin
Pour apprécier ce livre il faut accepter de se laisser surprendre, ensuite on est envoûté et on pénètre dans les terres secrètes de Marc Graciano.
Ce livre est beaucoup plus qu’une bonne surprise, c’est un récit splendide auquel il faut faire une place dans votre bibliothèque.
Le Livre : Liberté dans la montagne - Marc Graciano - Editions José Corti
L’auteur : C’est le premier roman de Marc Graciano qui est infirmier en psychiatrie et vit près du plateau du retord dont les paysages ont sans doute inspiré plusieurs pages de ce roman
Commentaires
Merci de me donner envie de lire un livre de plus... Bonne journée.
@ Bonheur du jour : un livre magnifique dont je conseille la lecture avec véhémence
C'est un peu mystérieux? tu m'intrigues.
@ miriam : ce livre est une réussite totale et ne crains pas le fait qu'il n'y ait pas vraiment un récit avec rebondissements, tours et détours, on dévore ce livre avec délectation
Mais où vas tu chercher tout ça? Au début je ne voyais pas le rapport avec ton thème actuel, mais tu as expliqué. J'aime bien les illustrations.
Alors oui, si je le vois à la bibli (au fait j'ai terminé Esquisse d'un pendu)
@ Keisha : je ne me souviens pas si tu avais lu et aimé le roman de Tatiana Arfel l'attente du soir (j'ai fait un billet) qui a eu un certain succès et à plu à pas mal de blogueurs et bien je vois celui ci de la même veine
le roman de Arfel était plus onirique mais celui ci à des qualités d'écriture plus fortes
C'est un premier roman époustouflant à mon goût
Comme un voyage initiatique?
Ces extraits, nombreux, et tes mots, ces photos et mots étranges venus du passé...je note et souligne, bien sûr!
Merci et belle journée Dominique.
@ colo : Un voyage initiatique oui mais pas tout à fait car je vois (mais je me trompe peut être) le voyage initiatique comme celui d'un adolescent ou d'un jeune adulte, là c'est une toute jeune enfant et l'aspect protecteur l'emporte sur l'aspect éducatif. C'est pour ça que le terme d'apprentissage semble mieux collé ....mais ....c'est affaire de détails l'essentiel étant dans cette écriture magnifique
j'ai lu ce livre aussi, très intrigué et pris par ce rythme de mots, ce style d'errance, le thème de la petite fille, la fin qui finit mal. J'ai bien aimé, j'ai juste éta un peu lassé en fin de compte par une écriture qui devient peu à peu comme une mécanique, avec son parti pris de recherche de mots inconnus pour faire plus "bizarre", plus "moyen-âge". Par moments, j'ai pensé à Jean-Marc Lovay (que je préfère bien que je le trouve parfois illisible), connaissez-vous Jean-Marc Lovay?
@ @ Alain : je n'ai pas éprouvé cette lassitude là, pour ne pas interrompre le récit j'ai souvent fait la recherche de mots inconnus plus tard et je suis revenu ensuite. L'aspect de litanie peut gêner un lecteur en fonction de sa sensibilité, par exemple dans le roman de Julie Otsaka certains lecteurs ont été agacés par le parti pris d'écriture, mais ici il ne m'a pas pesé du tout
Merci de cette référence, je ne connais pas du tout Jean Marc Lovay et je vais chercher ce que je trouve à la bibliothèque
@ Alain : je viens de trouver tout une série de livres de Jean-Marc Lovay dispos à la bibliothèque je vais tenter l'aventure
je l'ai noté déjà, Aliette Armel en parlait déjà en termes plus que laudatifs dans le nouvel obs, si tu rajoutes une couche, je ne vais pouvoir résister...
@ Hélène : je vais aller lire cette critique qui confirme mon impression
J'ai noté ce livre aussitôt après avoir lu ton avis bellement illustré. Mon envie de le lire est devenue encore plus forte après avoir rendu visite sur leur site aux éditions José Corti et écouter l'entretien de l'auteur avec Alain Veinstein sur France culture. Grâce à toi j'ai bien commencé ma journée !!!
@ Nadejda : Alain Veinstein est parfais pour faire accoucher un auteur dans ses entretiens, il les laisse parler, les aide et petit à petit l'entretien prend forme et rend la lecture indispensable !
un excellent roman, à lire l'avis d'Alain qui a été un peu gêné par la forme, moi pas du tout
Cet éditeur est un de mes amis j'ai eu la chance d'être invitée à une rencontre avec l'auteur le jour de mon anniversaire!!!
Je n'ai pas encore commencé la lecture que je réserve à cet été
sur le lien suivant tu peux écouter cette rencontre
Bonne journée
http://montenlair.wordpress.com/2013/01/15/marc-graciano-liberte-dans-la-montagne-editions-corti-rencontre/
Je dévore le dernier livre recommandé par Aifelle
@ Aloïs : heureuse de te retrouver, merci merci pour le lien qui intéressera tout le monde je crois
C'est un très beau roman à lire doucement pour en sentir toute la poésie et la force
La montagne et sa nature, marcher, rêver... Un programme qui me plaît, je le note et je vais écouter le lien, merci Aloïs!
Bel après-midi Dominique !
@ Enitram : j'espère que l'interview finira de te convaincre
wahou quel enthousiasme...c'est la semaine des coups de coeur sur la blogo. Je crois que je vais me laisser tenter. Belle journée de printemps.
@ sous les galets : je ne chronique que ce que j'ai aimé donc c'est difficile de se renouveler mais j'essaie de n'être pas trop dithyrambique alors quand j'affirme que c'est un excellent livre on peut me croire sur parole, par contre il peut ne pas plaire c'est autre chose
Je te fais confiance, Dominique. Initiation, transmission, amour de la langue, autant d'entrées en matière qui intriguent. Pour l'instant, je retiens "abeausir" en attendant que le ciel s'abeaudisse pour de bon.
@ Tania : un très beau roman et qui a notablement enrichi mon vocabulaire
Voilà qui donne très très envie ! Je note séance tenante !
@ Kathel : à faire acheter par les bibliothèques !
Un livre que tu voudrais garder pour toi et tu le partages avec nous! merci! Tu m'a donné une grande envie de le lire... Les autres aussi mais celui-là plus encore!
@ Claudialucia : je ne sais pas si cela t'arrives mais parfois un livre me touche tellement que du coup je n'ai pas envie de le partager, j'ai envie de le garder un peu comme un objet secret, un peu ridicule n'est ce pas ? mais qu'y puis je ?
Je suis envoutée par la lecture de ce billet, il y a de belles choses aux éditions Corti ! Le côté litanie doit ouvrir de nouveaux espaces dans notre cerveau, c'est ce que je me disais en te lisant, et à la fin tu nous présentes l'auteur, il est infirmier psychiatrique, cela m'a amusée. MERCI Dominique, j'ai hâte de découvrir ce livre, son titre, déjà, me parlait bien. Bises. brigitte
@ Plumes d'Anges : les éditions Corti sont toujours de très très grande qualité et il est appréciable qu'ils sachent prendre des risques avec des premiers romans comme ceux de Tatiana Arfel ou celui ci
je me suis un peu éloignée de mon ordi et à mon retour une foule de bonnes nouvelles dont ce livre ..
je vais toujours le mettre sur ma liste..
Luocine
@ luocine : un livre un peu exigeant mais qui vaut vraiment l'effort de lecture
Quelle belle leçon de vie et comme toujours intéressante réflexion de ta part Dominique.
@ alba : merci merci
Eh bien dis donc, ça donne vraiment envie de le lire! Je me demande comment je vais réussir à m'en sortir avec tout ce que je dois lire ces prochains mois!!!
@ Marc Lef : je suis devenue très très éxigeante maintenant et je n'arrive plus à lire des textes médiocres ou tout simplement trop banals, cela fait de la place dans les listes
J'ai été touchée par les phrases que tu cites : j'aime beaucoup les litanies, qui passent et creusent. Je note ce titre, merci !
@ Annie : je crois que c'est le genre de livre qui peut vraiment enchanter un lecteur
je l'ai repéré sur les tables des libraires: je me sens très attirée par ce livre mais j'ai peur du style d'écriture. Ça a l'air assez répétitif? Est-ce que ce n'est pas lassant au bout d'un moment?
@ petitsachem : le lien vers ta page ne fonctionne pas !
Oui il y a un côté répétitif mais qui ne gêne pas du moins à mon goût. Cela ne rend pas la lecture difficile, un peu comme lorsque l'on lit un poème et qu'une phrase revient, on l'attend et elle ne pèse pas
Et voilà, je viens de recevoir le livre, c'est "à cause" de toi, bien sûr que je l'ai acheté! Maintenant, il faut d'abord que je finisse les LC avant de le lire. Impatience!
@ Claudialucia : j'attends ta critique avec impatience, j'espère que tu y prendras autant de plaisir que moi
Enchanté...transporté, je suis page 51 : c'est un tapis magique. Je continue mon vol.
Enchanté...transporté, je suis page 51 : c'est un tapis magique. Je continue mon vol.
@ Bruno Hébert : je serai ravie d'avoir votre impression en fin de lecture
Comme je viens de terminer ma lecture de Liberté dans la montagne, je lis ta réponse à mon commentaire et te confirme que oui, j'avais beaucoup aimé L'attente du soir.
@ Keisha : j'attends ton billet