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Les lumières brillantes des magasins, où les branches et les baies de houx pétillaient à la chaleur des becs de gaz placés derrière les fenêtres, jetaient sur les visages pâles des passants un reflet rougeâtre. Les boutiques de marchands de volailles et d’épiciers étaient devenues comme un décor splendide, un glorieux spectacle, qui ne permettait pas de croire que la vulgaire pensée de négoce et de trafic eût rien à démêler avec ce luxe inusité. Le lord-maire, dans sa puissante forteresse de Mansion-House, donnait ses ordres à ses cinquante cuisiniers et à ses cinquante sommeliers pour fêter Noël, comme doit le faire la maison d’un lord-maire.
« Un joyeux Noël, Bob ! dit Scrooge avec un air trop sérieux pour qu’on pût s’y méprendre et en lui frappant amicalement sur l’épaule. Un plus joyeux Noël, Bob, mon brave garçon, que je ne vous l’ai souhaité depuis longues années ! Je vais augmenter vos appointements et je m’efforcerai de venir en aide à votre laborieuse famille ; ensuite cette après-midi nous discuterons nos affaires sur un bol de Noël rempli d’un bischoff fumant, Bob !
Il y a quelques mois j'ai fait connaissance avec George Eliot, j'ai aimé son style, son art de dresser de beaux portraits psychologiques. Il était temps de la retrouver dans son roman sans doute le plus abouti mais aussi celui qui souleva le plus de polémiques.
Middlemarch nous avait emporté dans une ville de province, ici c'est l'Europe qui est le terrain de jeux de George Eliot. On voyage de l'Angleterre aux villes d'eaux allemandes, de Gênes à New-York.
La romancière de plus joue avec la chronologie classique de façon un peu déroutante au début du roman et elle y intègre les grands événements de l'époque : la guerre de Sécession et les péripéties de l'indépendanceitalienne.
Mais venons en au coeur du roman.
Le personnage central, comme le titre l'indique, est Daniel Deronda, un beau jeune homme, c'est le héros type, jeune aristocrate un brin idéaliste, bon, chevaleresque avec les dames, intelligent. Mais l'auteur aime les détours aussi le personnage qui apparait en premier c'est Gwendolen Harleth.
Gwendolen Harleth
Dans une station balnéaire en Allemagne Gwendolen perd son argent à la roulette et dans le même temps apprend que sa famille est ruinée et que seul un mariage pourrait lui permettre de sortir de cette impasse. La jeune fille belle et pleine d'esprit est ainsi poussée dans les bras d'un homme riche, Mr de Grandcourt, qui va lui mener une vie impossible, un mari que l'on qualifierait aujourd'hui de manipulateur pervers !
Et voilà le méchant mari, vous l'avez reconnu ?
C'est ainsi qu'elle fait la connaissance de Daniel Deronda qui va tenté de soutenir la jeune femme enferrée dans un mariage désastreux. Si D Deronda est brillant, il est aussi inquiet car il redoute d'apprendre la vérité sur sa naissance. Il aime et respect son tuteur, Hugo Mallinger, mais soupçonne qu'il est son fils illégitime, un bâtard, ce qui dans la société de l'époque est pire que tout.
En preux chevalier il a sauvé la vie à une jeune fille, Mirah, qui tentait de mettre fin à ses jours. Il la confie à une famille amie et petit à petit apprend son histoire. Il fait ainsi connaissance avec un milieu bien différent du sien, Mirah est juive et artiste. Il va peu à peu être fasciné par le judaïsme, ses pratiques religieuses, sa culture et sa littérature. Il devient ami avec Mordecaïle frère de Mirah.
L'intrigue romanesque est agréable à suivre mais ce qui fait l'intérêt de ce roman c'est surtout le rôle de passeur de Daniel Deronda, passeur entre deux cultures, entre deux traditions religieuses.
En Italie quelques années auparavant Giuseppe Verdi a créé Nabucco et son célèbre choeur des Hébreux inspiré du Psaume 137.
Le sujet était osé pour l'époque et a dérouté bien des lecteurs de George Eliot. Ce roman est une belle et grande fresque qui s'aventure en terrain inexploré. C'est un volet de l’histoire des juifs anglais plutôt nouveau dans la littérature de l’époque, même si Benjamin Disraéli a été nommé premier ministre, les juifs étaient toujours victimes des préjugés les plus habituels.
Ainsi le rêve de Mordécaï d' « une nouvelle Judée, située entre l'Est et l'Ouest - une alliance de réconciliation - un lieu d'arrêt des inimitiés, un terrain neutre » reflète l'intérêt de l'auteur pour ce sujet et son absence de préjugé, elle publia un essai contre l'antisémitismece qui n'était pas franchement dans l'air du temps.
Quelques années plus tard Théodore Herzl va écrire et militer pour la création d'un état juif et plus tard encore le gouvernement anglais par la voix de Lord Balfour
« va envisager favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif et emploiera tous efforts pour faciliter la réalisation de ce projet, étant bien entendu qu’il ne sera rien fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux des communautés non juives existant en Palestine et aux droits et au statut politique dont jouissent les juifs dans tout autre pays. »
L'adaptation de la BBC
Roman ambitieux et profond. George Eliot n'a pas sa pareille pour la profondeur des analyses psychologiques de ses personnages. Ici elle élargit considérablement son éventail en se tournant vers des catégories sociales jamais mises en avant sauf parfois pour les caricaturer. Si vous ajoutez à cela qu'elle fait d'un bâtard le héros du livre et qu'elle dépeint le mariage comme un enfer pour la femme ! Il y a là tous les ingrédients d'un livre scandaleux.
J'ai vraiment beaucoup d'admiration pour George Eliot, non seulement pour son talent d'écrivain mais aussi pour sa curiosité et son courage.
La BBCa fait une adaptation du roman mais hélas il n'y a pas de version sous-titrée en français.
Le livre : Daniel Deronda - George Eliot - Traduit par Alain Jumeau - Gallimard folio 2 tomes
Vous le savez j'aime les livres audio et j'aime aussi podcaster les émissions de radio quand elles sont de qualité et vous embarquent dans le monde littéraire.
Cet été je me suis baladée plusieurs heures dans les pas de Cézanne, j'ai retrouvé là le Cézanne que j'avais aimé dans laPetite route du Tholonet, ça sentait la garrigue et j'étais éblouie par la Sainte Victoireune fois encore. J'y ai retrouvé aussi l'envie de lire Zola et l'oeuvre, le roman qui le fâcha si fort avec Cézanne, promis j'en parlerai un de ces jours.
Le Jas de Bouffan à Aix en Provence
Ensuite La Grande Traversée m'a emmené sur un chemin vers George Sand, là aussi j'ai déjà quelques connaissances mais c'est bon de la retrouver que ce soit en politique, dans son jardin de Nohant au devant les partitions des son célèbre amant.
Si vous aimez George Sand ou si tout simplement vous êtes curieux foncez !
Enfin un petit tour chez Jane Austen, un peu indispensable, j'ai profité de l'été pour relire Raison et sentiments, j'y ai pris un plaisir certain et j'ai été étonné du final du roman dont je gardais un souvenir différent sans doute trop influencée par les adaptations cinéma et téléfilms.
Comme je suis une impénitente écouteuse de livres audio j'ai enrichi ma collection par le livre audio du roman. J'en profite pour faire un peu de pub aux Editions Thélèmequi sortent régulièrement des classiques avec des lecteurs de qualité, j'espère qu'ils compléteront la collection avec Mansfield Park et Emma.
Béatrice Commengéest peut-être un nom que vous ne connaissez pas. Elle est traductrice et écrivain et sa spécialité ce sont les livres d’amitié. Amitié, compagnonnage, admiration pour un auteur.
Je la lis depuis bientôt trente ans ! J’ai commencé avec sa Danse de Nietzsche et j’ai continué en la suivant sur les chemins d’Hölderlin, de Rilke, et tout récemment Lawrence Durrell.
C’est une femme qui aime la littérature et les voyages.
J’aime son parti pris de nous faire entrer dans la vie d’un écrivain par une porte dérobée, une visite à Durrell alors qu’elle était jeune, Rilke pour ses promenades au Luxembourg, Nietzsche pour les paysages de l’Italie.
J’aime les récits qu’elle fait comme une voyageuse qui accompagnerait l’écrivain dans ses errances, dans sa recherche de la beauté, dans ses souffrances aussi.
J’ai beaucoup aimé son livre sur Nietzsche qui est aujourd’hui réédité chez Verdier, Nietzsche à Portofino, je me souviens de m’être promenée sur ces sentiers là avec ce livre sous le bras et être allée du texte au paysage pour sentir le bonheur de Nietzsche devant ces mêmes couleurs.
Rilke je l’ai expérimenté à Paris, il est âgé de quarante cinq ans et séjourne dans un petit hôtel face au Luxembourg. Six jours pendant lesquels, anonyme et presque clandestin il retrouve le Paris qu’il a aimé, où il a écrit. Il cherche ici l’inspiration qui lui permettrait de terminer ses Elégies, entamées mais jamais terminées.
Eternel amoureux Rilke revient sur les pas de ses amours. Il revient sur sa rencontre avec Rodin, le maître.
Pendant ces six jours le temps est comme aboli et Béatrice Commengé explore tous les contours de l’âme du poète en même temps qu’elle explore le quartier et les traces laissées par Rilke.
Rilke et Paul Valéry
Le dernier de ses livres qui m’a particulièrement touché est consacré à Lawrence Durrell, un écrivain que j’ai déjà évoqué ici.
Béatrice Commencé est jeune la première fois où elle le rencontre, trente ans après le souvenir est toujours vif
« Lawrence Durrell m’avait ouvert la porte en me demandant : “Aimez-vous l’Indian Curry ? Sans une hésitation aucune, il me proposait de partager son délice d’enfant. Mon cerveau traduisit aussitôt : Darjeeling, 1920. C’était donc là qu’il vivait quand il avait faim – en enfance. Il se promenait dans un paysage dont on l’avait arraché à onze ans et qu’il n’avait jamais revu. J’étais venue chercher la Provence, la Grèce, l’Égypte, Alexandrie, et il m’offrait l’Himalaya. L’homme de soixante-quatre ans vivait toujours au pays de Kipling. »
J’ai beaucoup aimé retrouver Durrell à Bellapaix à Chypre, en Egypte bien entendu et en Provence.
Espace Durrell à Sommière
Ces livres sont très attachants, très vivants, ils dressent des portraitssubtils, riches. C’est un grand plaisir de suivre ses balades littéraires. J’espère que vous serez nombreux à tenter la découverte et à glisser ses livres dans vos valises parfois.
Les livres de Béatrice Commengé
En face du jardin six jours dans la vie de Rainer Maria Rilke - Editions Flammarion Et il ne pleut jamais naturellement - Gallimard (sur Hölderlin) Une vie de paysage - Editions Verdier La danse de nietzsche - Editions Verdier poche
Mansfield Park est la demeure de la famille Bertram, deux fils aussi différents l’un de l’autre qu’il est possible, Tom et Edmond, deux jolies filles sans cervelle, Maria et Julia, une femme en permanence épuisée, la soeur vipérine de lady Bertram : Mme Norris. Régnant sur le domaine et la famille Lord Bertram devant qui tout le monde tremble un peu. Et comme une pièce rapportée, la cousine pauvre, élevée par charité : Fanny Price.
Les publications sont nombreuses
Il va être question d’amour, de mariage, de plantations à Antigua, d’éducation d’une demoiselle, de bals et de promenades à cheval. Bref les ingrédients habituels de Jane Austen. Les liens familiaux sont ici au premier plan, le chef de famille est fière de ses enfants, il regarde avec affection certes mais aussi beaucoup de condescendance la jeune Fanny. Son fils aîné prendra sa suite et Edmond deviendra clergyman, voilà qui est réglé une fois pour toute.
Au fil des années Fanny a du faire face au mépris de ses cousines, à la méchanceté de Mme Norris et ne s’est apprivoisée que grâce à Edmond son fidèle ami.
une adaptation que je n'ai pas aimé
Le moment arrive où les demoiselles Bertram sont bonnes à marier, Edmond doit partir se former à son nouveau rôle de pasteur, Tom et Lord Bertram entame un long voyage sur leur plantation d’Antigua.
Le grain de sable dans la mécanique c’est l’arrivée au presbytère qui fut celui de Monsieur Norris, d’un nouveau pasteur et de sa femme, les Grant, et dans leur sillage Mademoiselle Crawfordet son frère.
Au cinéma
Ah les jeux de l’amour et du hasard, c’est un vrai festival dans ce roman, Maria trouve un fiancé riche et benêt, Julia se désespère d’attirer l’attention de M Crawford, Edmond tombe sous le charme un rien sulfureux de Marie Crawford.
La comédie est prête à se jouer et comme d’habitude Jane Austen va y mêler beaucoup d’ironie. Elle alterne de joyeux portraits, des dialogues qui permettent aux personnages de se découvrir, des situations digne de Marivaux
Elle nous donne son avis sur l’Eglise et le rôle d’un clergyman, sur les pièces de théâtre du moment qu’elle juge sévèrement, sur l’aménagement des jardins, mais tout cela elle le peint
« de son pinceau délicat de gracieux tableaux de mots sur un petit morceau d’ivoire » dit Nabokov aux yeux de qui Mansfield Park a trouvé grâce.
J’ai aimé ce roman même si le personnage de Fanny Price m’a paru un peu trop sage. Les différentes scènes : la représentation théâtrale, le bal, la visite des jardins, sont très réussies. Les personnages très amusants : lady Bertram se pâmant son chien sur les genoux, Mme Norris toujours à la recherche d’une méchanceté à dire ou à faire.
Le jardin anglais objet d'une jolie scène
La peinture de la société est attrayante et bien intégrée dans le récit.
C’est le troisième roman de Jane Austen a être publié en 1814, après Raison et Sentiments et Orgueil et Préjugés. Elle a mis deux ans pour écrire son roman, c’est un joli tour de force quand on sait que c’est 450 page en pléiade !
Le livre : Mansfield Park dans Oeuvres tome II - Jane Austen - Traduit par Pierre Goubert - Editions Gallimard Pléiade
Plus encore que Roderick Hudson voilà une façon simple et légère d’entrer dans le monde de Henry James.. James a trente-cinq ans lorsqu’il écrit Les Européens. De ce roman va naitre sa renommée, même si la réception fut plus positive en Angleterre qu’aux Etats-Unis.
Une atmosphère bucolique
Félix et Eugenia viennent d’arriver à Boston. Ils sont frère et soeur, américains mais ont toujours vécu en Europe.
On pressent que la visite qu’ils font à leurs cousins d’Amérique est un rien entachée d’intentions intéressées dues à une situation très précaire.
Félix est un beau jeune homme à l’heureux caractère et sans occupation aucune, Eugénia quant à elle a contracté un mariage avec un prince allemand, mariage proche de sa dissolution.
Leurs cousins américains les Wentworth sont une famille austère mais pleine de générosité qui les accueille avec quelques réserves surtout Mr Wenworth, homme froid avec une maison à son image
« pas de splendeurs, pas de dorures, pas de régiment de domestiques. »
Ses deux filles elles sont un peu éblouies par ces cousins si exotiques, Gertrude, sur laquelle Félix jette très vite son dévolu, est promise au pasteur Brand. Elle est celle qui est le plus attirée par ces nouveaux venus
« Elle n’avait rien connu d’aussi délicieux depuis la lecture de Nicholas Nickleby »
L'archétype de la jeune américaine
Robert Acton cousin et ami de la famille se laisse lui aussi prendre dans les filets de ces européens, seule résiste sa soeur Lizziearchétype de la jeune fille américaine, hardie et innocente à la fois, si on veut lui trouver une parenté il faut la chercher chez Edith Wharton et le personnage de May Welland dans le Temps de l’innocence.
Mona Ozouf dit que ce roman est une « palette de couleurs tendres » c’est vrai mais le ton est constamment ironique. Satire légère et pleine d’humour qui entérine l’opposition entre Nouveau et Ancien monde, entre un monde puritain et bien pensant et celui du plaisir des sens et de l’esprit.
L’ atmosphère du roman est crée par petites touches « le décor bucolique, la campagne environnante » les sentences religieuses accrochées ici et là, les fiacres collectifs qui surprennent nos européens. Les Wentworth représentent une société prude et moralisatrice, chez eux
« pas de splendeurs, pas de dorures, pas de régiment de domestiques »
L'adaptation de James Ivory
Le décor d’une maison, les parures féminines relèvent pour eux du mensonge, des apparences et donc du péché. Plusieurs scènes mettent en opposition la froideur et la rigueur morale à l’insouciance et la frivolité européennes, le roman est une passerelle jetée entre ces deux mondes que tout oppose. Félix est jovial, léger, un rien inconséquent « Je n’ai jamais étudié; je n’ai pas de formation. Je fais un peu de tout, mais rien de bien . je ne suis qu’un amateur »
Les scènes sont parfois cocasses, les comparaisons très ironiques, Eugenia a une conversation que le pasteur n’hésite pas à rapprocher de Mme de Staëlet de Mme de Récamier et dans sa bouche c’est loin d'être d’un compliment.
Lee Remick en Eugenia
C’est un roman délicieux mais ne nous y trompons pas le James plus noir, plus caustique n’est jamais loin. Ne dit-il pas d’Eugenia. « Rien de ce que disait la baronne n’était tout à fait faux. Mais peut- être convient-il d’ajouter en toute justice que rien de ce qu’elle disait n’était tout à fait vrai » Quant à Gertrude voilà comment elle voit sa famille et son entourage.
« Il doit y avoir mille façons d’être lugubre et parfois je me dis que nous les utilisons toutes »
Donc palette tendre mais ce sera la dernière fois dans l'oeuvre de James qu'un roman se termine par des mariages.
Le livre : Les Européens dans Portrait de femme et autres récits - Henry James - Traduit par - Gallimard Pléiade