Si un auteur peut être considéré comme un grand témoin d’un siècle tourmenté c’est bien George Orwell.
L’essai de Jean-Pierre Martin n’est pas une biographie, c'est le récit de quelques mois de la vie d'un homme.
C’est un écrivain en marge, ses prises de position antifascistes, sa participation et ses écrits sur la Guerre d’Espagne l’on rendu à la fois connu mais aussi impopulaire car à contre-courant.
Les journaux lui refusent ses articles, il a pris position pour l’indépendance de l’Inde, il affiche un anti-stalinisme très peu orthodoxe pour l’époque.
C’est un homme fatigué, il vient de perdre sa femme, il est marqué par la tuberculose qui finira par l’emporter.
En 1946 il éprouve le besoin de vivre à l’écart du monde pour pouvoir se consacrer à l’écriture.
Il choisit pour sa retraite l’île de Jura en Écosse, une île sauvage des Hébrides, une île loin de tout, très peu peuplée.
Le voyage prend plusieurs jours, de bateau en bateau, de petites routes en chemins.
Il va vivre environ deux ans dans la ferme de Barnhill sur une île envahie par les cerfs, les fougères où l’on fabrique un Single Malt très prisé des connaisseurs.
Chose plus étrange encore Orwell s’installe sur l’île avec un très jeune enfant, son fils adoptif alors que la maison est tout juste habitable : pas de chauffage, pas d’électricité ...
L'écrivain devient fermier
Il va réinventer sa vie, se transformer en agriculteur, il sème, il plante, il retourne la terre, il crée un poulailler, achète une vache, crée un potager, se fait menuiser, plombier, bref en quelques semaines il peut vivre en autarcie.
Orwell et son fils adoptif
Je ne sais si le bruit de la machine à écrire se mêle aux cris des goélands mais il écrira là son plus grand roman.
Un très bel essai qui révèle une facette surprenante de cet écrivain et qui interroge sur les raisons de ce retrait.
JP Martin a tenté de comprendre cette volonté de vivre loin de tout, coupé du monde, il s’est rendu à Jura et il dit :
« maintenant que je peux imaginer l'homme oscillant entre la main à plume et la main à charrue, entre la chambre où s'invente Big Brother et cette vie du dehors livrée aux éléments, à l'écart de l'Histoire, je ne vois pas davantage de raison majeure, de raison tout court qui l'emporterait, qui puisse justifier cette fugue, mis à part ce qui dépasse la raison, une pulsion profonde, une intériorité exigeante, radicale »
L’auteur nous permet de voir vivre Orwell, échapper ainsi à la pression de Londres, aux polémiques, aux demandes en tous genres. Il nous le montre heureux de s’occuper de son fils Richard et peu gêné par la rudesse des conditions de vie, s’adonnant à la chasse et à la pêche pour améliorer l’ordinaire.
Un temps de pause où il redevient Eric Blair avant que la maladie ne le rattrape.
Lisez cet essai qui donne fortement envie de lire une biographique de George Orwell et de le retrouver sur le Quai de Wigan ou pour comme moi d’écouter 1984 ou la Ferme des animaux
Le livre : L’Autre vie d’Orwell - Jean-Pierre Martin - Editions Gallimard L’un et l’autre