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A sauts et à gambades - Page 212

  • Faire la queue aujourd'hui

    Faire la queue

     

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    A Paris pendant la guerre

    Faire la queue, cela réveille en nous le souvenir des temps qui de détresse, la famine, la conscription. Quand nous faisions la queue avant la guerre, c’était une joie, pour une jouissance artistique. On se mettait en file devant l’Opéra, devant un théâtre, rongeant notre frein, mais joyeux, brûlant d’impatience, l’attente même augmentait le plaisir, enthousiastes, nous nous rassemblions en une allègre cohue, jeunes gens, amis camarades, étrangers.

     

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    Aujourd'hui à Maputo au Mozambique

    Nous n’y étions pas contraints, poussés par quelque nécessité.(...) Ce n’est que pendant la guerre, et après, que le monde à découvert cette humiliation, cette nouvelle forme d’attente dictée par la contrainte, la peur et la nécessité, comme on attend un interrogatoire, un jugement, et c’est pourquoi, chaque fois qu’on nous l’inflige, ne fût-ce que pour quelques minutes, s’éveillent au profond de moi-même la révolte et la colère.

    Le livre : Journaux 1912-1940 - Stefan Zweig - Editions Belfond

  • Cent ans - Herbjørg Wassmo

    Portraits de femmes

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    C’est moins l’envie d’obéir à la mode des récits nordiques que le plaisir de retrouver une vieille connaissance qui m’a fait lire Cent ans. Herbjørg Wassmo est un écrivain très attachant, le Livre de Dina et la Véranda aveugle sont d’excellents souvenirs de lecture.
    La retrouver sur le deuxième versant de sa vie était une tentation à laquelle je n’ai pas résisté.
    Comme dans ses autres romans les femmes ici ont la part belle, et même plus que belle puisque quatre d’entre elles animent tout le récit. Quatre femmes qui dessinent l’arbre généalogique de l’auteur. Un arbre généalogique vrai ou parfois rêvé, mais qu’importe. Nous allons donc de sa mère à son arrière grand-mère, ou dans l’autre sens de 1860 à 1960.

    Quatre portraits de femmes et celui d’une région, un pays au nord du nord, une région dure, désolée, l’archipel des Lofoten, le Nordland objet de déconsidération par les Norvégiens du sud, dont on moque l’accent et le parler.

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    Vue panoramique du fjord Bas, un paysage typique des îles Lofoten.

    Par ordre de préséance voyons d’abord Sara Susanne, dotée d’un beau tempérament elle épouse Johannes Krog, un peu par obligation, un peu aussi parce que, bien qu’atteint d’un fort bégaiement, il est capable de sensualité et Sara elle a « un appétit scandaleux »
    Avec elle vous vivrez la dure vie des femmes de pêcheurs, vous connaîtrez les jours de disette et ceux de pêche miraculeuse, les grossesses qui se succèdent, les bouches à nourrir. Mais sur cet archipel fouetté par les vents il y a des moments de pur bonheur comme ces séances de pose auprès du Pasteur parce que Sara sert de modèle à l’ange du retable de l’église des Lofoten « Elle rayonnait comme si Dieu en personne lui avait attribué le rôle de l’ange. »
    Tenaillée par l’envie de prendre son envol  elle va transformer à jamais les veillées de toute la famille, des voisins, des domestiques le jour où ouvrant un livre elle prend la parole.« les mots trouvaient leur voie dans la pièce comme les ruisseaux d’un lac de montagne débordant. Et elle entra au coeur du sujet »
    Viendra ensuite Elida, fille de Sara, celle qui regimbe, qui se marie contre l’avis de sa mère, qui va voir aussi les enfants arriver plus vite que nécessaire et voir Frederik son amant, son époux, son ami, tomber malade. Frederik qui ne peut être soigner qu’à condition de partir à Kristiania la capitale.

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    Kristiania au XIX ème siècle, aujourd'hui Oslo

    Elida va prendre la plus difficile des décision « Elle partirait avec lui pour Kristiana. Plus elle y pensait, plus l’idée lui plaisait. Car n’était ce pas ce dont elle avait toujours rêvé ? S’évader  »
    Vite on vend la vache, mais il n’est pas question d’emmener la trop nombreuse famille et certains des enfants devront rester, placés, abandonnés.....

    Hjørdis la mère de l’auteur, celle qui placée à 2 ans ne fera connaissance avec sa famille qu’à 6 ans, ce qui ne l’empêche pas de revenir vers le Nordland de son enfance une fois adulte.
    Je vous laisse découvrir la dernière femme, Herbjørg et la naissance de son goût pour l’écriture grâce à ses petits carnets jaunes cachés sous le plancher de l’étable.

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    Eglise sur les Lofoten

    Un vaste tableau brossé que ces quatre portraits de femmes. Découvrez leur soif de liberté, leur inquiétude devant les sacrifices à consentir, leur peur face à la violence qui souvent leur est faite.
    L’alternance entre les différentes histoires et les différentes époques rythme très heureusement le récit.
    J’ai retrouvé dans ce roman tout l’art d’ Herbjørg Wassmo qui donner chair et vie à ses personnages, qu’elle sait nous  rendre très proches. Un roman attachant qui vous lie pour longtemps à ces quatre destins de femmes.


    L’avis de Lettres exprès et celui de La Ruelle bleue  et de Margotte  ou alors la balade touristique de Theoma

    Le livre : Cent ans - Herbjørg Wassmo - Traduit du norvégien par Luce Hinsch - Editions Gaïa

    L’auteur
    Herbjørg Wassmo est l’auteur d’une œuvre considérable, des livres pour enfants à l’écriture théâtrale en passant par la poésie. Œuvre inscrite aux programmes scolaires et universitaires, et qui, traduite en de nombreuses langues, connaît un succès populaire exceptionnel. Elle est, en Scandinavie, l’écrivain mondial le plus lu, et Dina a pris place aux côtés des grandes héroïnes de la littérature.(source l’éditeur)

    photo : Rolf M. Aagaard

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  • La Compagnie du fleuve - Thierry Guidet

    Je profite de grands rangements dans mes bibliothèques pour ressortir des livres qui m’ont plu
    C’était bien avant la descente de la Loire en Canoë, mille kilomètres à pied le long de ses rives, un long parcours du Mont Gerbier de Jonc à Saint Nazaire. Si la curiosité vous titille bouclez votre sac.

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    Le départ

    Départ en avril aux premières jonquilles, le temps de se mettre en jambes et il laisse déjà loin derrière lui le pays de Modestine, il suit avec l’oeil d’un peintre « un chemin de terre au milieu des pins, des aubépines, des noisetiers, qui longe une Loire d’aquarelle ».
    Marcher, penser, rencontrer et lire car Thierry Guidet ne saurait se passer de livres, lors de précédentes randonnées il était accompagné par Montaigne ou Sénèque, dans son parcours en Loire c’est la Bible qui lui tient compagnie car il lui faut « des livres qui se hument, se mâchent puis se digèrent lentement ».

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    La Charité sur Loire

    File le chemin rythmé par les bivouacs et les rencontres. Ici et là on repère les blessures mal refermées de la tempête de 1999.
    La Haute Loire, l’Allier, les plaines du Forez, les canaux latéraux, les chemins de halage, les « pays de rêveuses rivières et de canaux pensifs », il avance au rythme d’une péniche pendant un petit moment savourant la liberté des mariniers.
    La Loire était, avant le chemin de fer, un fleuve de chalands et de gabares. Thierry Guidet nous parle même d’une « marine de Loire » au temps où les péniches transportaient les épices des Antilles « la verrerie du Dauphiné, la faïence de Nevers, les couteaux d’Auvergne (...) les livres imprimés à Genève. »

    Mais le fleuve n’est pas toujours doux, les lignes de crues sur les façades des maisons sont là pour le rappeler. 
    Mi parcours et c’est l’entrée dans « La Loire des châteaux et des vignes » Vite  un signe de la main à Balzac, à Stendhal qui navigua entre Tours et Nantes, une pensée pour D’Artagnan qui fait son entrée à Meung sur Loire.
    Notre marcheur fait un détour par Chambord, flâne dans le potager de Villandry.
    Rois, reines, art de vivre, douceur angevine, avec au détour d’un chemin ....une centrale nucléaire.

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    Gabare sur la Loire

    La fin du parcours approche et c’est un monde d’îles que l’auteur nous fait découvrir à bord d’une gabare : l’île Meslet, le Piloquet, l’île aux bergers, et même Kerguelen.
    Le voyage se termine à Saint Nazaire, j’ai aimé la compagnie de Thierry Guidet, jamais pompeux, toujours curieux qui dit « J’ai marché en badaud, curieux de la leçon de choses, et d’histoire, et de géographie, et de littérature que me donnerait le fleuve. »

     

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    Le bout du voyage : l'estuaire de Saint Nazaire

     

    Le livre : La Compagnie du fleuve - Thierry Guidet - Editions Joca Seria 2004

  • Proust contre la déchéance - Joseph Czapski

    Un livre sur Proust ? non pas vraiment, un livre sur les camps soviétiques ? non plus.

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    Un livre sur la dignité, le courage, sur la place de la vie intellectuelle quand celle-ci est interdite, un livre sur la lecture quand elle est devenue impossible, un livre sur la mémoire et son rôle dans le maintien en position debout des hommes que l’on veut abattre.

    scan_11314153945_1.jpgCe livre rend compte des conférences improvisées par Joseph Czapski officier polonais au camp d’internement soviétique de Griazioweitz.
    Quand plus rien n’est possible les prisonniers du camp décident en prenant beaucoup de risque, d’échanger leur savoir, pour maintenir le moral des hommes voilà des conférences improvisées avec des sujets très variés en fonction des compétences de chacun. C’est vital pour ces hommes pour « essayé de reprendre un certain travail intellectuel qui devait nous aider à surmonter notre abattement, notre angoisse, et défendre nos cerveaux de la rouille de l'inactivité. »

    Joseph Czapsik est peintre mais aussi bon connaisseur de l’oeuvre de Proust et de la littérature française, le voilà lancer dans des exposés sur La Recherche, faisant vivre pour ses compagnons les personnages de l’oeuvre, tentant de faire comprendre la richesse du style, la complexité de la construction. Le travail de mémoire est fantastique de précision, de justesse et de simplicité et se révèle être un joli clin d’oeil à Proust et au travail de la mémoire qui sous-tend son oeuvre et qui ici devient une belle leçon et pas seulement littéraire.


    scan_11314154514_1.jpgLe public est fidèle malgré les risques, et lire les feuillets préparatoires, griffonés, corrigés, parcourus de flèches, de soulignements est très émouvant. Ecoutez Joseph Czaspki « Je vois encore mes camaraedes entassés sous les portraits de Marx, Engels et Lénine, harassés après un travail dans un froid qui descendait jusqu’à quarante-cinq degrés sous zéro, qui écoutaient nos conférences sur des thèmes tellement éloignés de notre réalité d’alors. Je pensais alors avec émotion à Proust, dans sa chambre surchauffée aux murs de liège, qui serait bien étonné et touché peut-être de savoir que vingt ans après sa mort des prisonniers polonais, après une journée passée dans la neige et le froid, écoutaient avec un intérêt intense l’histoire de la duchesse de Guermantes, la mort de Bergotte et tout ce dont je pouvais me souvenir de ce monde de découvertes psychologiques précieuses et de beauté littéraire ».

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    Joseph Czapski peintre

    Ce livre longtemps empêché de parution comme celui de Julius Margolin ressort aujourd’hui faites lui une place dans votre bibliothèque comme l'ont fait Aifelle et Keisha

    Le livre : Proust contre la déchéance - Joseph Czapski - Editions Noir sur blanc

    L’auteur
    czapski.jpgNé à Prague en 1896 dans une famille aristocratique polonaise, Joseph Czapski passa son enfance en Biélorussie, puis fit des études de droit à Saint-Pétersbourg et de peinture à l’Académie des Beaux-arts de Cracovie. Czapski fut parmi les rares officiers de l’armée polonaise qui survécurent au massacre de Katyn en 1940. Son livre Souvenirs de Starobielsk retrace ses efforts pour faire connaître la vérité à propos de ce crime.
    Comme peintre, Czapski est connu notamment pour son appartenance au mouvement kapiste, qu'il contribua à fonder avec quelques amis, pendant son séjour à Paris (1924–1933). Après la Seconde Guerre mondiale, il vécut en exil en France, à Maisons-Laffitte, dans la banlieue de Paris. Il participa à la fondation du mensuel culturel polonais Kultura de Jerzy Giedroyc. Il y est mort en 1993.(source l’éditeur)

  • La souffrance de l'écrivain

    Les affres de la création littéraire


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    Les romanciers scribes incontinents, décochent inlassablement des mots contre la mort, comme des archers postés sur les créneaux d’un château fort en ruine.

    Aussi longtemps qu’ils restent dans les limbes rutilantes de l’imaginaire, dans le domaine des projets et des idées, nos livres sont absolument merveilleux, les meilleurs qu’on ait jamais écrit. C’est plus tard que les choses se gâtent, au moment où on se met à les fixer mot après mot dans la réalité, comme Nabokov épinglait ses malheureux papillons sur du liège, quand on les transforme inexorablement en choses mortes, en insectes crucifiés, même si alors on les recouvre de poudre d’or.

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    comme Nabokov épinglait ses malheureux papillons

    Dans ces périodes amères, vous devez vous traîner jour après jour jusqu’à l’ordinateur, vous vous prenez par la peau du cou comme on transporte un chaton hors de la maison et, dans ces moments-là, vous sentez que vous êtes en train de gagner votre paradis car, de toute évidence, vous traversez le purgatoire.


    Elles se sont mises à deux pour me tenter, vous pouvez retrouver Rosa Montero chez Tania ou chez Colo

    Le livre :  La folle du logis - Rosa Montero - Traduit de l’espagnol par - Editions Métailié



  • Nous étions les Mulvaney - Joyce Carol Oates

    Quand le bonheur vire au cauchemar

     

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    Tournez les pages de l’ album de famille : Sur la photo la famille Mulvaney avec en arrière fond High Point Farm et dans le lointain la petite ville de Saint Ephraim. Si vous regardez attentivement vous voyez les tenues vestimentaires qui vous ramènent aux années soixante.
    Tout est propre, net, rangé, tout respire l’amour familial, la prospérité grâce au travail de Michael le père entrepreneur en bâtiment ET membre du Country club local; il lui a fallu plusieurs années pour en arriver là mais c’est chose faite, il est devenu un notable et il a laissé loin derrière lui son catholique de père, brutal et alcoolique.
    Juste derrière vous voyez Corinne, l’épouse, fantasque toujours vêtue à la diable, voyez elle sort de l’étable à moins que ce soit de son atelier de réparation d’antiquités en tout genre. Elle aime Michael plus que tout, plus même que ses enfants, et tout cela sous l’oeil bienveillant de Dieu !
    Au premier plan les enfants,  magnifiques, heureux, beaux « j'ai souvent rencontré des gens qui pensaient que nous, les Mulvaney, formions quasiment un clan, mais en réalité nous n'étions que six »  Michael Jr, Patrick, Marianne dite Bouton. C’est Judd qui parle, le plus jeune des Mulvaney,  celui qui va dévoiler toute l’histoire.

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     Ferme américaine  Kimble Warren

    Quelque chose va soudain briser ce tableau idyllique, faire voler en éclats l’amour familial, faire porter la culpabilité sur un seul membre de la famille au point de l’exclure , de l’effacer du tableau. Quand la tempête va s’abattre chaque membre de la famille va y faire face avec son histoire, ses émotions, le poids du regard des autres.
    Le clan se lézarde, se disloque sous les coups de la société puritaine de Saint Ephraim.

    Une leçon d’analyse psychologique, lucide, tranchante, montrant du doigt le puritanisme d’une société bien pensante, soupesant la force du besoin d’intégration d’un homme, du besoin d’amour d’une femme et du poids effrayant de la culpabilité.
    Un roman passionnant qui bien que datant des années 70 ne perd rien de sa force tant l’analyse est pertinente et habile. On pourrait le proposer à tous les apprentis psychologues !
    Un seul bémol : que JC Oates signe une fin un peu trop angélique à mon goût. Mais c’est broutille, j’ai aimé les personnages, l’écriture, le rythme du roman. A lire assurément, c’est d’ailleurs l’avis de Chaplum
    Sylire
    et Golovine

    Je connaissais JC Oates à travers son journal et j'ai très envie maintenant de poursuivre la lecture de ses romans

    Le livre : Nous étions les Mulvaney - Joyce Carol Oates - Traduit de l’américain par Claude Seban - Editions Stock