Journal 1973 - 1982 - Joyce Carol Oates - Traduit par Claude Seban - Editions Philippe Rey
Très attirée par les journaux et correspondances j’ai eu très envie de lire celui-ci alors que je ne goûte que très peu les romans de Joyce Carol Oates, le billet très admiratif de Frédéric Ferney a fini de me convaincre.
A l’origine un journal de 4000 pages, l’éditeur a fait une sélection et chaque année est introduite par un résumé des événements marquant pour JC Oates : changement d’université, changement d’éditeur, succès littéraires.
Toutes les pages sont centrées sur l’écriture, son travail d’enseignante, les relations amicales et la vie quotidienne.
On y voit une femme écrivain au travail, le plus souvent totalement absorbée par l’avancée de ses romans.
Ecrivain prolifique, les romans s’enchaînent de façon vertigineuse et il est parfois question d’un « embouteillage de manuscrits »
Elle a une capacité de travail énorme car entre les romans ou en même temps qu’elle y travaille, elle ajoute des nouvelles, des essais littéraires : Dostoievski, Kafka. Elle dit d’elle même « Je me sens assiéger par les mots »
On découvre dans le journal un écrivain assez insensible aux critiques bonnes ou mauvaises mais lorsque les critiques deviennent très bonnes pour Bellefleur elle avoue « Une critique positive dans le Times est analogue à ...quoi ? Se voir annoncer qu’on n’a pas le cancer. »
De nombreuses pages sont consacrées à ses lectures qui sont très éclectiques et dont elle parle sans langue de bois « Je soupçonne Rilke d’être largement surestimé » et sait défendre ce qu’elle aime « on perd fort peu de chose en ne lisant pas une critique de Whitman..on perd la moitié de la terre en ne lisant pas Whitman »
Ses lectures sont souvent dictées par son travail d’enseignante qui lui donne l’occasion de relire avec plaisir « lisons nous jamais deux fois le même livre ? lisons nous le même livre que celui que lisent les autres ? »
Au gré des pages on rencontre Virginia Woolf dont elle se sent proche, James, Joyce, Wilde, les soeurs Brontë. Elle parvient encore à assister à des soirées consacrées à écouter ou à lire de la poésie en public.
C’est un bain littéraire permanent ! Tous les gestes de la vie quotidienne sont l’occasion de méditer sur une nouvelle, sur un roman ou sur une lecture. Boulimique ? sans doute et cette boulimie fait pendant à son anorexie « une forme maîtrisée et prolongée du suicide » dont elle parle avec une grande pudeur.
J’ai été passionnée par les pages qu’elle consacre à sa vie d’enseignante. Son intérêt, je dirais son amour des étudiants transparaît, elle aime enseigner et préparer ses cours, corriger les travaux de ses étudiants Une grande partie de mon inspiration me vient quand j’enseigne. J’aime l’interaction entre l’esprit des étudiants et le mien ».
La vie sociale prend une grande place et le journal est traversé par quelques unes des plus grandes figures de la vie littéraire américaine, il n’y a jamais une once de méchanceté dans ses écrits, même pour les auteurs qu’elle apprécie peu. Au gré des pages on rencontre Bernard Malamud « un homme complexe, intelligent qui parle avec douceur et bien » John Updike, Philip Roth « Séduisant, drôle, chaleureux, courtois : quelqu’un de parfaitement aimable » ou Susan Sontag.
La musique occupe une grande place dans la vie de Joyce Carol Oates, elle passe des heures (où prend-elle se temps ?) à apprendre les sonates et préludes de Chopin, elle met la même énergie au piano que sur sa machine à écrire. Elle est excessive en tout, en musique comme dans l’écriture. « J’écoute les Préludes presque tous les jours depuis un bon moment, et je me verrais bien consacrer les vingt prochaines années à ces vingt quatre oeuvres »
Elle garde beaucoup de discrétion sur sa vie de couple et est horrifiée par le dévoilement de la vie intime d’un écrivain, à propos d’Emily Dickinson et de ses lettres elle dit « l’exhumation systématique, impitoyable, de tous les secrets par les universitaires, les critiques et les voyeurs est épouvantable »
Aucunes confidences intimes mais quelques jolies pages sur son amour indéfectible pour son mari «Intelligence. Bonté. Patience. » son admiration pour lui et son travail. Ses amis importent beaucoup et des pages émouvantes sont consacrés à certains d’entre eux,
J’ai été touchée par la simplicité et la sincérité de ce journal, j'ai lu ces pages avec un grand intérêt mais surprise de l’absence totale de pages sur le monde et les événements politiques ou sociaux durant ces années.
Cette absence accentue l’impression d’immersion totale dans la littérature et l’écriture.
C’est l’autoportrait vivant et attachant d’un écrivain nobélisable.
Commentaires
Tu ne donnerais pratiquement envie de retenter J.C. Oates tellement ça a l'air différent de ce que j'ai essayé jusqu'à présent. J'ai lâchement abandonné Les Chutes et ça va surement se terminer pareil pour les Mulvaney. A chaque fois j'ai l'impression de regarder un téléfilm de l'après-midi. Ici, d'après ce que tu dis, ça a l'air moins "cliché". As-tu lu d'autres livres de cette auteure ? Est-ce que c'est différent de son écriture de d'habitude ?
Il y a beaucoup de fougue là-dedans, Dominique, ça donne envie d'aller y faire un tour. Le billet d'une ivre de livres, assurément.
@ Tania j'ai été stupéfaite et presque effarée par l'impression d'une femme ne vivant que par et pour les livres, mais c'est le sentiment que laisse le journal car en fait elle a une vie très équilibrée ...
@ Cécile : comme toi je suis réfractaire aux romans de Oates, j'en ai emprunté et acheté plusieurs et irrémédiablement je n'aime pas
En fait c'est le journal d'un écrivain qui m'a attiré car j'aime beaucoup le genre
Moi j'ai adoré Chutes. Je trouve ce livre d'une force incroyable : le personnage de la femme tout d'abord, entière, intransigeante, inhumaine dans son orgueil farouche, celui du du premier mari victime d'une éducation puritaine, critique sociale au vitriol de la part de Oates d'une société bien-pensante, hypocrite, castratrice.
Le second mari est un personnage admirable ; il a le courage de lutter contre les société chimiques qui empoisonnent les quartiers modestes avec la complicité de la grande et riche bourgeoisie, provoquent la mort de pauvres gens qui ne peuvent se défendre, les avocats n'ayant pas le courage de s'attaquer au tout-puissant capitalisme. (Dénonciation violente, sans concession par JC Oate de faits réels de la ville de Niagara)
Avocat, il accepte cette lutte courageuse et se met au ban de la société qui est pourtant la sienne, s'aliène ses amis, perd sa femme et finalement la vie.
Ses enfants aussi sont extrêmement attachants, humains, proches de nous : leur manière de réagir à la mort de leur père.. L'enquête menée par le second fils pour découvrir la vérité qu'on lui a cachée et le meurtre de son père est passionnante.
Et puis, plus que tout, il y a la présence obsédante des chutes du Niagara décrites par l'auteur d'une manière inoubliable, avec une maîtrise digne d'un grand écrivain; les chutes, sorte de géant, de monstre d'une puissance inouië qui semble maître de la vie et de la mort de tous, comme un Dieu tutélaire qui organise le destin de chacun.
Pour moi, ce livre est un chef d'oeuvre!
J'ai oublié de dire que j'adorais aussi "Nous étions les Mulvaney". Avec Chutes, il fait partie de mes deux livres préférés de Oates.
Là aussi le malheur de cette famille, sa lente mais inexorable déchéance, la dégradation des liens familiaux sont analysés avec une puissance remarquable.
La transformation de la jeune fille après le viol, elle qui était si vivante, si heureuse, est bouleversante. La critique sociale de ces grandes familles bourgeoises intouchables qui vont prendre la défense du coupable et stigmatiser la victime est féroce, révoltante. L'hypocrisie de cette société, la hiérarchie de l'argent et de la position sociale sont dénoncées avec violence.
Il faut la plume d'une JC Oates pour traiter ces thèmes terribles avec tant de force et de délicatesse et faire naître en nous une émotion sans mièvrerie. Il y a plus d'une dizaine d'années que j'ai lu ce roman et je m'en souviens encore avec une grande précision.
@ Claudia : je vois que tu es une passionnée qui sait défendre ses préférences, c'est super car il m'arrive suite à un avis comme celui là d'aller reprendre un livre et de le lire tout autrement
donc je vais formuler autrement mon avis sur JC Oates et dire que jusqu'à aujourd'hui je n'ai pas accroché à ses romans
Merci car c'est bien tout l'intérêt des commentaires...
Parfois, ça m'est arrivé, on n'est pas prêt à lire un livre et quand on le reprend plus tard, on se demande pourquoi on ne l'avait pas aimé.
Cependant, même à la relecture on peut très bien ne jamais adhérer; c'est tout simplement que l'on n'est pas fait pour entrer dans l'univers de cet écrivain et c'est bien normal: après tout, chacun a ses goûts, ses centres d'intérêt, sa propre sensibilité; et Oates n'est pas un écrivain "aimable"! Je veux dire que ses sujets et ses personnages ne sont pas obligatoirement réjouissants. Ceci dit je n'aime pas tous ses livres. C'est un écrivain prolixe et elle ne peut pas écrire que des chef d'oeuvres!
Après ton billet et les commentaires de claudialucia, je me demande par quoi commencer : ses livres ? ou son journal ? Comme toi, les journaux d'écrivains m'intéressent même si je n'aime pas l'oeuvre. De toute façon, je crois que je tenterai les deux.
Voilà un livre qui me tente énormément. Les extraits que j'ai pu en lire m'ont semblé vraiment intéressants.
Pourtant, en ce qui me concerne (je n'ai lu à ce jour qu'un seul de ses nombreux romans !), je me demande s'il ne vaut pas mieux au préalable mieux connaître l'œuvre de l'auteur avant de s'intéresser à son journal...
Je ne suis pas d'aventure tentée par les journaux intimes d'écrivains, même s'il y a longtemps j'ai apprécié ceux d'Anaïs Nin et de Katherine Mansfield, mais à la lumière de ta lecture et des commentaires je crois que je vais me laisser tenter!
Je ne suis pas d'aventure tentée par les journaux intimes d'écrivains, même s'il y a longtemps j'ai apprécié ceux d'Anaïs Nin et de Katherine Mansfield, mais à la lumière de ta lecture et des commentaires je crois que je vais me laisser tenter!
JC Oates en rencontre-dédicace le samedi 4 Juillet à 16h au Virgin Megastore Champs-Elysées, à l’occasion de la parution de son nouveau livre « Journal 1973-1982 ».
+ d'infos : http://www.virginmegastore.fr/evenements_3.html
@ Avis aux parisiens admirateurs et admiratrices
@ J'ai trouvé interessant de voir un roman se construire à travers les pages du journal de l'écrivain, ses doutes, les affres de la création, les moments lumineux
par ailleurs j'ai beaucoup aimé ses rapports avec les étudiants, pour moi qui dirige un centre de formation de 500 étudiants j'ai été sensible à cet aspect du travail et à son respect de ses étudiants
@ In Cold Blog : Tu as peut être raison, mon choix a été vers le journal car j'aime ça alors que je n'apprécie pas ses romans que j'ai lu partiellement car je les ai souvent délaissés avant la fin c'est interressant de voir à travers le journal un auteur prolixe , elle écrit tout le temps, quand elle n'écrit pas son roman, elle écrit une nouvelle, un article pour une revue ...c'est impressionnant
J'hésitais car les journaux d'écrivain, voilà bien longtemps que je n'ai plongé le nez dedans (après ceux de Mansfield, Nin et Woolf), allez je me décide. cette femme est tout à fait fascinante !
C'est étrange comment cette écrivain qui m'attire aussi peu devienne aussi captivante dès qu'elle publie son journal. J'avoue que je ne peux pas lire ses romans. Cela ne passe pas du tout. Je n'ai jamais pu m'expliquer cette situation. Mais, là, à lire ton billet, je serais presque tentée de lire cette autobiographie pour en apprendre davantage sur elle et - peut-être - pour la relire un jour ou l'autre !
@ Nanne je suis comme toi bloquée par les romans de Oates, le commentaire de Claudia me fait réfléchir, nous sommes peut être passées à côté
En fait aujourd'hui je suis plus séduite par ce que Oates dit de sa vie et de sa passion pour l'écriture que par les romans eux mêmes
La lecture de "Nous étions les Mulvaney" m'a bouleversée, sans doute un de mes romans clef... ma PAL contient "Blonde" dont j'ai lu de très bons avis... j'aime son écriture, sa façon de saisir les personnages ... bref un grand auteur pour moi !
@ Ravie grâce à votre commentaire de découvrir votre blog, "Nous étions les mulvaney semble être en effet un sommet dans l'oeuvre de JC Oates
C'est un auteur que j'aime beaucoup, j'ai lu pas mal de ses romans et ce journal est noté sur ma liste de prochaines lectures. Je ne suis pas spécialement attirée par les journaux habituellement car la qualité est souvent très variable d'un auteur à l'autre. Je suis souvent déçue car je m'attends peut-être un peu trop à y trouver ce que j'ai aimé dans les romans... mais je suis curieuse d'en connaître un peu plus sur sa vie et son cheminement intellectuel.
@ ikebukuro : ce que j'ai aimé dans ce journal c'est la façon dont JCO allie sa vie de prof , son grand intérêt pour ses étudiants et sa propre créativité d'auteur, il y a aussi ses relations avec d'autres écrivains où l'on sent son empathie pour eux et son grand respect