La passion d'une langue
John Florio ce nom vous dit quelque chose ? Je dois avouer qu’avant de lire ce livre j’étais comme vous.
Pourtant voilà un européen humaniste du temps de la Renaissance que l’amour des mots commande de connaître.
1553 L’Angleterre de la reine Marie la sanglante, après les turpitudes d’Henry VIII elle a repris le pays en main et s’acharne à supprimer les protestants.
Pauvre Michelangelo Florio, prédicateur qui croyait avoir trouvé asile en Angleterre pour fuir les prisons de l’inquisition italienne. Il doit fuir à nouveau avec sa famille.
Le fils John va suivre des études à Tübingen où on espère le voir suivre les traces de son père. Il a une connaissance parfaite de l’italien, normal avec un père italien, il parle anglais normal sa mère est anglaise, ajouter suffisamment de français pour se donner bel air et voilà le parfait homme de son époque.
Là où le destin va être malicieux c’est qu’il va transformer pour John Florio l’amour des langues en outil de travail et en gagne pain.
Il va devenir l’homme d’une langue : l’italien qu’il va essaimer dans toute l’aristocratie anglaise, des familles lui confient leurs enfants, des pères mettent leurs fils sous sa garde. Pour eux il va collecter des mots, des phrases, des proverbes, de petits récits jusqu’à en faire pour la première fois un outil pédagogique. Tout y est, la vie quotidienne, les métiers, les expressions usuelles, tout pour que l’apprentissage soit aisé. Il est convaincu que la langue parlée vaut toutes les grammaires.
Le Globe
C’est la réussite, le bouche à oreille fonctionne et bientôt John Florio est reconnu, sollicité par les plus grands il peut avec ses cours faire vivre sa famille.
Pour être parfaitement à l’aise partout il lui faut parfaire son anglais et où mieux qu’au théâtre ? Il prend des leçons du meilleur, Will Shakespeare et fréquente le fameux théâtre de John Burdage et il a « un pied sur chaque rive » il devient « un intermédiaire entre l’Italie et l’Angleterre, qui est vite devenue ma vraie patrie ».
Il va côtoyer tout ce que l’Angleterre compte d’écrivains, de médecins, de philosophes, de savants. Certains sentent le soufre comme Giordano Bruno d’autres deviendront des amis sûrs dans ces temps d’effervescence culturelle.
Florio et ....Shakespeare (enfin presque)
Son don des langues s’étendant au-delà de l’italien il va progressivement être solliciter par les grands du royaume, le genre de proposition que l’on ne peut pas refuser, et il va petit en petit traduire des lettres, des libelles, des documents secrets…bref être un peu espion.
L’imprimerie se développe à grands pas et John Florio va en profiter, il édite un manuel d’italien qui porte le joli nom de Premiers fruits puis plus tard grâce à l’aide de mécènes généreux il va publier le premier dictionnaire Italien- Anglais qu’il baptise Le monde des mots et qui comporte déjà 75.000 entrées !!!
photo du site d'Anne Cuneo
Il lui reste à franchir une étape de plus en devenant traducteur. Il assure la traduction du Décaméron de Boccace et il est le premier traducteur des Essais de Montaigne car dit-il :
« Par rapport à l’original, un texte traduit n’est rien sinon ce que le dessin est à la nature, le portrait à l’original, l’ombre à la substance »
Comme dans ses autres romans Anne Cuneo, grâce à son érudition, rend le récit très vivant, très riche tout en respectant la vérité historique.
Quelle aventure que ce livre, je l’ai ouvert et je dois dire que mes rendez-vous avec John Florio se sont accélérés. J’ai ressenti un énorme plaisir à entrer ainsi dans cette époque tourmentée et j’ai suivi la trajectoire de John Florio avec grand intérêt, un homme que j’aurais aimé, comme disait Mme de La Fayette, "avoir pour voisin".
Un mot de l’auteur
Le livre : Un monde de mot - Anne Cuneo - Editions Bernard Campiche 2011