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A sauts et à gambades - Page 51

  • L'Amour seul - Laurence Plazenet

    Un roman totalement envoûtant, dès les premières pages. La relation amoureuse intense et douloureuse, la fusion des corps entre deux êtres qui vont passer de la séduction à l’amour, de la tentation à l’enfer de la possession.

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    Monsieur d’Albrecht devient veuf, il a un fils et une fille, une fille qu’il fuit car elle lui rappelle trop son épouse. C’est un homme « plein de morgue, très instruit, taciturne » 
    Mademoiselle d’Albrecht grandit, il est temps de lui trouver un maître à sa hauteur.

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    Lucrezia Panciatichi par Bronzino

    Son père lui donne un précepteur, Agustin Ramon y Cordoba.
    Mademoiselle d’Albrecht devient une jeune fille instruite  elle savait «  le latin, le grec, l’hébreu, l’araméen. Elle avait aussi appris l’italien, l’espagnol et le portugais. »

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    Mais le diable de la tentation est entrée dans la maison car  « Il la désira dans l’instant »
    Le dangereux jeu de la séduction se poursuit. 
    « Ils lurent le Charmide, le Cratyle, et le Ménon, le Manuel d’Epictète deux fois, les Histoires d’Hérodote, Sapho , Maimonide, Anacréon (…) Catulle, Tibulle, la Cité de Dieu »

    Elle progressait, son père y veillait, alors qu’ « elle pensait que toute la séduction qu’elle pourrait exercer viendrait de son esprit »   c’est le corps qui parlât .

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    Jeune Homme avec luth Bronzino 

    Mais l’amant n’est pas un tendre «  Il lui dit que l’amour était des fadaises de rêveur, que l’amour n’existe pas, qu’il n’y a que le frottement ahuri des sexes »
    Pourtant « Elle lui appartenait, il la possédait »
    Pour elle c’est la passion, une révélation, pour lui c’est la rage et la haine même s’il admire sa beauté.

    Il y aura des départs avec une maigre consolation quand Monsieur de Ramon avoue «  j’ai plus de tendresse pour vous que vous ne l’imaginez » 
    Il y aura la solitude de Mademoiselle d’Albrecht peuplée de lectures, d’apprentissage de la médecine. Elle établit une édition de Virgile car «  Elle se demandait parfois si le chant IV de l’Enéide ne lui avait pas appris à aimer. »

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    Didon et Enée 

    Je vous invite à découvrir ce roman troublant, plein du feu de la passion et surtout rendu avec une langue somptueuse.

    L’écriture m’a rappeler celle de Pascal Quignard dans Tous les matins du monde et les personnages de Laurence Plazenet ont un parenté avec Pascal et les Messieurs de Port Royal.

     

    Un roman trop peu connu, sautez le pas !!

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    Le livre : L’Amour seul - Laurence Plazenet - Editions Albin Michel

     

  • Le Pinceau de Rembrandt 2

    « Nos mains nous disent autant que nos visages, avec peut-être moins d’apprêt, plus de maladresse, plus aussi d’ostensible vérité »

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    La Fiancée juive - Rembrandt  Rijksmuseum Amsterdam,

    « Une main de femme et une main d’homme. La droite - à gauche sur la toile- est longue et fine : belle coulée de main, soeur jumelle de celle, instante et légère de la Fiancée juive. L’autre trapue, plus épaisse et plus rude, comme sont les mains d’homme »

    Le Livre : Rembrandt L’évangile intérieur - Paul Baudiquey- editions Mame

  • Je te suivrai en Sibérie - Irène Frain

    Que feriez-vous par amour ? Seriez-vous prête à traverser la Russie, à vivre privé de tout et ce pour des dizaines d’années ? 

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    Vassili Time Révolte des décabristes

    Inspirés par le siècle des lumières, des jeunes hommes, riches et nobles pour la plupart, tentèrent le 14 décembre 1825 de renverser le Tsar. Ils souhaitaient l’abolition d’un régime sans limite et l’abolition du servage.
    Peut-être avez vous déjà entendu le nom de décabristes ou décembristes donné à ce mouvement.

    Courageux mais naïfs ils furent bien entendu arrêtés, emprisonnés, exécutés pour certains et condamnés au bagne en Sibérie pour les autres. Leurs épouses eurent un droit au divorce mais contre toute attente ce n’est pas du tout ce qui se produisit.

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    Irène Frain s’est emparée de cette histoire et s’appuyant sur un personnage bien réel, d’origine française : Pauline Geuble, elle fait le récit de cette extraordinaire épopée depuis la Lorraine jusqu’au fin fond de la Sibérie.

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    Pauline en France est en difficulté dans sa famille, entreprenante, audacieuse elle décide de partir pour la Russie. Installée comme modiste elle fait la connaissance d’Ivan Annenkov noble très riche et cultivée mais sous l’empire d’une mère autoritaire et acariâtre. C’est le grand amour mais le mariage n’est pas au programme.

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    craquant non ?

    Annenkov aime la France et ses idées, farouche adversaire du servage il s’engage dans le groupe et quand leur complot échoue il devient un décabriste. Déporté en Sibérie, une mort anonyme l’attend mais c’est sans compter sur Pauline qui comme neuf autres femmes de décabristes va le suivre en Sibérie.

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    Alexandra Mouraieva Katherine Troubeskoï Camille le dentu Zénéide Volkonsky

    Il faut s’imaginer ce qu’il fallut de détermination, de courage car ces femmes ainsi perdaient tout, parfois leurs enfants leur étaient enlevés, leurs biens confisqués.
    Pauline se bat bec et ongles car n’étant pas mariée sa situation est plus que précaire.

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    Dans les bagnes du Tsar

    C’est une belle épopée qui est racontée là. 
    Ces femmes sont devenues de véritables légendes et encore aujourd’hui sont fêtées car il est probable que, sans cette décision de suivre ces hommes jusqu’en Sibérie, ils serait morts, les conditions de détentions étaient épouvantables.

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    Le mariage de Pauline en Sibérie

    Pauline est une magnifique héroïne, amoureuse endiablée, tenace, têtue, courageuse, elle eut une vie extraordinaire et contre toute attente elle vécut jusqu’à un âge avancé. 

     

    J’ai aimé le parcours de ces femmes, les traces qu’elles ont laissé dans l’histoire. 

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    Musée des Décabristes 

    Si Alexandre Dumas, honte à lui, fait un portrait peu flatteur de Pauline dans son roman le Maître d’armes, Dostoïevski qui croisa leur route, lui rend un hommage vibrant de reconnaissance : 

    « Les anciens déportés (ou du moins, non pas eux mais leurs femmes) s’intéressaient à nous comme à des parents. Âmes merveilleuses que vingt-cinq ans de malheur ont éprouvées sans les aigrir ! D’ailleurs nous n’avons pu que les entrevoir car on nous surveillait très sévèrement. Elles nous envoyaient des vivres et des vêtements. Elles nous consolaient, nous encourageaient » Lettre à son frère 

     

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    Tombe de la famille Annenkov à Nijni Novgorod

    Le récit est bien mené, les portraits très réussis. Irène Frain a fait le voyage en Russie et s’appuie sur une documentation solide en particulier les mémoires, lettres de Pauline.

    Si vous aimez la Russie et son histoire ou les épopées romanesques ce livre est fait pour vous.

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    Le Livre : Je te suivrai en Sibérie - Iréne Frain - Editions Paulsen 2019 

  • bribes sibériennes

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    Vitus Bering

    « Jamais un marin n'avait autant marché que lui. Des côtes danoises du Jutland à la péninsule du Kamtchatka, il devait unir la terre et l'eau sur une même carte du monde. Il arpenta les steppes et les forêts de la Tartane, franchit ses monts et ses vallées, descendit ses rivières. Il atteignit la pointe nord de l'Extrême-Orient, traversa la partie septentrionale de l'océan Pacifique et vit la Grande Montagne sur les rivages de l'Amérique. » 

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    « Lorsque la croûte des marais se durcissait, la saison devenait propice à la chasse aux renards, aux zibelines et autres martres.(…) Les chevaux broutaient l’herbe rase. Ils prenaient leur dessert dans les taillis de joncs, en mordant les fleurs dont ils respiraient le parfum

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    « La saison changea d’un coup. L’hiver tomba sur l’été comme un lourd manteau de froid. La neige glacée leur causa d’indicibles souffrances, le vent rentrait sous la peau.
    La Sibérie était une terre paradoxale »

     

    Le livre : Errances - Olivier Remaud - Editions Paulsen

     

  • Je ne reverrai plus le monde - Ahmet Altan

    Tout d’abord un très grand merci à Luocine qui a attiré mon attention sur ce livre.
    On lit dans la presse, on entend à la radio l’arrestation de tel ou tel en Turquie, et puis on oublie.

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    Ahmet ­Altan, journaliste et écrivain turc, a été accusé de complicité dans le putsch de juillet 2016.
    Lors d’un premier procès la cours constitutionnelle avait décrété son emprisonnement inique mais cela importe peu au pouvoir et à Mr Erdogan et le 16 février 2018 il est condamné à la « Perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle »  condamnation annoncée par un juge fantoche tel un « personnage de Gogol »

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    « Nous ne serons jamais graciés, et nous mourrons dans une cellule de prison » a dit Ahmet Atlan
    Alors il prend la plume et le titre du livre en forme de prédiction est glaçant et d’une tristesse infinie.

    « Je n’ouvrirai plus jamais une porte moi-même »

    « Je ne verrai plus la mer, je ne pourrai plus contempler un arbre, je ne respirerai plus le parfum des fleurs…. » 

    « J’ai observé les murs. On aurait dit qu’ils se resserraient.Et soudain j’ai eu l’impression qu’ils allaient se refermer sur nous, nous broyer, nous avaler comme une plante carnivore. »

    J’ai été frappée par l’affirmation de l’auteur qui dit qu’au fil du temps on fini par oublier son propre visage en l’absence de tout miroir. 

    Comment vivre et ne pas perdre espoir ? Peut-être « s’accrocher aux branches de son propre esprit ».

    Communiquer avec ses compagnons de cellule même si c’est à la fois difficile et surprenant. Des hommes très pieux pour certains, d’autres habités par la tentation de la délation qui leur permettrait de sortir

    Des hommes qui ne parviennent pas à croire que l’on peut être athée sans être immoral ! Alors Ahmet Altan convoque Pascal et Spinoza à l’aide.
    Dans la cour sa marche forcée est prétexte à des « disputes avec lui-même ». 

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    La Datcha du Dr Jivago

    Après l’annonce de sa condamnation, pour supporter l’angoisse il se tourne vers la littérature.  
    « nous n’écrivons que ce que nous pouvons, comme nous le pouvons ». 

    Il revient à ses auteurs de prédilection : Tolstoï, Balzac, Dostoïevski.
    Il refuse de se réveiller en prison et imagine des  contrées lointaines toujours un peu teintées de littérature : la savane africaine, les fjords de Norvège ou la datcha du Docteur Jivago.

     Il rend alors hommage à Sénèque, Épictète ou Boèce dont les textes l’aident à se sentir plus humain encore. 

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    Deux frères 

    Son frère animateur à la télévision a été arrêté en même temps que lui, c’est presque une tradition familiale, le père de Ahmet Altan a lui aussi connu les prisons turques en 1971 et fut à répétition accusé de diffamation contre l’Etat.

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                 Ahmet Altan et sa fille, le 4 novembre dernier, après sa libération. | AFP / BULENT KILIC

    Philippe Sands, auteur de l’essai Retour à Lemberg lui a rendu visite en prison.

    Libéré il y a une semaine après que le jugement ait été cassé en juillet 2019 , il est de nouveau arrêté  le 12 novembre 2019

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    Ahmet Altan arrêté  le 12 novembre2019  BULENT KILIC / AFP

     « Je suis écrivain, Vous pouvez me jeter en prison, vous ne m’enfermerez jamais car comme tous les écrivains, j’ai un pouvoir magique : je passe sans encombre les murailles. »

     

    En lisant ce livre j’ai repensé à tous les condamnés célèbres, Dostoïevski, Chalamov, Soljenitsyne, Mandela. 
    J’ai eu envie de relire le manifeste d’une liberté par la littérature de Joseph Czapski

    Un livre qui est une leçon d'espoir

     « Je sais que l’Etat de droit qui a été fusillé, blessé et qui gît inconscient dans son sang, guérira éventuellement et reviendra à lui. »

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    Le livre : Je ne reverrai plus le monde  Ahmet Altan - Traduit par Julien Lapeyre de Cabanes - Editions Actes sud 

     

  • Bribes de Nobel

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    J’écris parce que j’en ai envie. 
     

    J’écris pour que des livres comme les miens soient écrits et que je les lise. 
    J’écris parce que je suis très fâché contre vous tous, contre tout le monde. 
    J’écris parce qu’il me plaît de rester enfermé dans une chambre, à longueur de journée. 

    J’écris parce que je ne peux supporter la réalité qu’en la modifiant. 
    J’écris pour que le monde entier sache quel genre de vie nous avons vécu, nous vivons, moi, les autres, nous tous, à Istanbul, en Turquie. 

    J’écris parce que j’aime l’odeur du papier et de l’encre. 
    J’écris parce que je crois par-dessus tout à la littérature, à l’art du roman. J’écris parce que c’est une habitude et une passion. 

    J’écris parce que j’ai peur d’être oublié. 

    J’écris pour être seul… 

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    J’écris parce que je crois comme un enfant à l’immortalité des bibliothèques et à la place qu’y tiendront mes livres. 
    J’écris parce que la vie, le monde, tout est incroyablement beau et étonnant. 
    J’écris parce qu’il est plaisant de traduire en mot toute cette beauté et la richesse de la vie. 
    J ‘écris non pas pour raconter des histoires, mais pour construire des histoires. 
    J’écris pour échapper au sentiment de ne pouvoir atteindre un lieu où l’on aspire, comme dans les rêves. 
    J’écris parce que je n’arrive pas à être heureux, quoi que je fasse. 

    J’écris pour être heureux.

     

    Orhan Pamuk  Discours du Nobel