John E Jackson est un poète qui a passé les meilleures années de sa vie à traduire et faire connaitre des poètes.
Je dois dire que je lui envie sa connaissance des langues qui lui permet non seulement de traduire mais surtout de vivre avec des poètes allemands, anglais, italiens, ou français, quelle richesse et quelle chance.
Ce livre m’a transporté, je crois que je ne peux pas trouver de meilleur mot, bon certes j’aime la poésie mais il m’est arrivé de lire des préfaces, des postfaces qui m’ont, allez disons le, ennuyé au possible, m’ont fait douter de mon penchant pour la poésie.
Ici c’est tout l’inverse, rien que pour le premier chapitre je vous invite à lire ce livre.
Je l’ai lu pendant le confinement, dieu sait que la période ne prêtait pas vraiment à l’euphorie et pourtant je suis sortie de ce livre, enthousiaste, heureuse, plus riche d’un livre qui a su pour moi « faire résonner le sens de l’existence »
Je vais vous livrer un peu du secret de l’auteur. A quinze ans il a été saisi, transporté, marqué par un sonnet de Baudelaire.
Pas n’importe quel sonnet, un de mes préférés, Recueillement
Son avenir s’est dessiné ce jour là.
Edouard Munch Amour et douleur
Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma douleur, donne-moi la main ; viens par ici,
Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;
Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.
Rien que pour le premier et le dernier vers je donnerai le soleil la lune et les étoiles.
Les chapitres suivants s’ils n’ont pas la même force, ont par contre l’avantage de vous introduire auprès de poètes dont vous connaissez le nom mais que peut-être vous n’avez jamais lu
Paul Celan
Je vais vous parler de mes préférés
En langue allemande j’ai beaucoup aimé le chapitre sur Paul Celan, un poète que j’aime depuis que j’ai lu Personne, un poème qui évoque les camps et les morts, et ce Personne devient nous dit John E Jackson, un accusé, « il est le « nous » des morts d’Auschwitz ou de Treblinka.»
J’ai aimé le poème de John McCrae qui évoque les morts de la Première Guerre, dans les champs de Flandre.
De nos mais défaillantes nous vous passons
Le flambeau, tenez le haut,
Si vous manquez de foi
Nous qui sommes en train de mourir,
Nous ne pourrons dormir, malgré les coquelicots
Dans les champs de Flandre.
Ce poète m’a vraiment ému et j’ai repensé à un poète que j’ai chroniqué dans ce blog Albert Paul Granier
Il vous fait vous interroger sur ce qu’est la poésie et vous propose de demander aux poètes de vous aider à mieux saisir les faits les plus simples de la vie, qui sont aussi les plus fondamentaux : l’amour, l’amitié, la tristesse, le sentiment du vide ou de l’absence comme aussi celui de la joie.
John E Jackson nous propose de faire mieux connaissance avec T.S Eliot car dit-il « Je sus tout de suite, dès la première fois où j’ouvris la petite anthologie des Selected poèmes de T.S Eliot, aux alentours de ma vingtième année, que ces vers et d’autres semblables disaient une vérité qui non seulement m’importait, mais qui était aussi mienne »
Shakespeare le poète, car de lui « chaque poème adresse en silence une sorte d’offrande au lecteur ».
Shakespeare « qui en savait sans doute plus long sur la poésie qu’aucun autre écrivain des Temps modernes » le suggère admirablement dans ses 154 sonnets.
Mais aussi : Goethe, Hölderlin, Nerval et Rimbaud bien sur, mais aussi l’Enéide de Virgile qui « a été ma mère et ma nourrice en poésie » ou la Divine comédie de Dante
Le pouvoir et la puissance des mots des poèmes sont là
« les mots agissaient en lui par leur musique et donnaient à sa vie une profondeur nouvelle, celle des émotions et de la beauté. »
Si vous aimez la poésie, que vous êtes prêts à élargir votre champ d’investigation ce livre est fait pour vous.
Et si vous vous interrogez sur le titre du livre sachez qu'il vient d'un poème de Guillaume d'Aquitaine
Ferai un vers de pur néant :
Non point sur moi ni d’autres gens,
Non plus d’amour, ni de serment,
Ni dicts féaux ;
je l’ai composé en dormant
Sur un cheval.
Sous quelle étoile suis-je né :
Je ne suis gai ni attristé
Ni revêche ni familier,
je n’en puis au ;
Une fée de nuit m’a doué,
Sur un puy haut.
Ne sais si je suis endormi
Ou si je veille et où je suis.
Peu s’en faut mon cœur soit parti :
Dolent étau,
Ne le prise plus que souris
Par Saint-Marceau.
Malade suis et crois mourir,
Mais ne puis que le pressentir :
Un médecin j’irai quérir,
Par monts et vaux ;
Bon certes s’il me peut guérir,
Mauvais s’il fault.
J’ai une amie qui je ne sais
Car ne la vis ma foi jamais ;
D’elle je n’eus bien ni méfait,
Il ne m’en chaut ;
Oncques n’eus normand ou français
Dans mon ostau.
Jamais ne la vis, l’aime fort,
Jamais ne m’a fait droit ni tort ;
Quand ne la vois, bien m’en déport,
Ne vaut moineau.
Je sais minois bien plus accor,
Et qui mieux vaut.
Mon vers est fait de tout ceci ;
Je vais le donner à celui
Qui le transmettra par autrui
Là vers l’Anjou,
Et m’enverra de son étui
La Contraclau.
Le livre : En dormant sur un cheval - John E Jackson - Editions Les Belles Lettres