Patrice vient de publier un billet sur le livre monumental de Vassili Grossman : Vie et destin.
Ce livre est un chef-d’oeuvre absolu et je vous invite à lire Patrice sur le sujet, en le lisant j'ai eu envie de relire un roman de Vassili Axionov sur le même sujet
En 1995 paraissait Une Saga Moscovite, un roman russe sur un sujet très similaire et même si l’envergure n’est pas toute à fait la même, sa lecture est passionnante et éclairante.
Pour entrer dans le monde d’Axionov il faut vous transporter en Russie, juste après la révolution, au moment où Staline va accéder au pouvoir, c’est lui qui va rythmer ce roman.
Nous suivons le destin de plusieurs personnages, ballotés par les évènements, maltraitrés, emprisonnés.
Arrivé au pouvoir
Le chef de la famille Gradov, Boris Gradov « cinquante ans, un homme encore parfaitement svelte, au complet bien coupé et seyant, à la petite barbe taillée avec soin » est un médecin, issu de la bourgeoisie, prudemment reconverti à un communisme discret, respecté par la communauté médicale. C’est lui qui va déclencher la tourmente pour les siens.
Appelé en consultation auprès d’un membre du bureau politique il a le malheur de poser un diagnostic qui déplait, la victime est liquidée lors de l’intervention chirurgicale qui suit.
Boris Gradov fait silence sur ce meurtre mais sa conscience le poursuit.
Il s'est trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, sa famille et lui vont en payer le prix.
Tous les membres de la famille vont connaitre un destin tragique mais tous d’une façon différente, chacun d’eux représentant une part des horreurs de la dictature stalinienne.
Le fils aîné Nikita a embrassé la carrière militaire et sera très tôt nommé général. Il a participé à la répression du soulèvement des marins de Cronstadt en 1921, cela serait à son crédit s’il n’en éprouvait pas un remord profond, persuadé que l’on a fusillé des innocents.
Son épouse Véronika est connue pour ses goûts de luxe, pour tout dire des goûts bourgeois
Un remord et une épouse peu présentable cela va suffire.
Propagande stalinienne
Kyrill, le second fils,lui est le parfait bolchevique stalinien, pur, dur, sans état d’âme. Il travaille dans les villages où les populations sont soumises de gré ou de force à la collectivisation.Les paysans, les femmes, les enfants sont déplacés comme du bétail vers l’abattoir. Il parait à l’abri de la tempête, mais c’est sans compter sur un sursaut d'humanité envers un enfant.
La Dékoulakisation
Tsilla son épouse communiste convaincue affirme « j’aime mon père, mais en tant que communiste, j'aime encore plus mon parti » mais communiste ou pas Tsilla est juive et le régime stalinien est profondément antisémite.
Pacte Germano-soviétique
Enfin Nina, la fille de la famille est une poétesse communiste mais qui réserve sa ferveur à la poésie plutôt qu’au régime. Quittant Moscou, elle partira vivre en Géorgie où elle croisera Mandelstam mais aussi le terrible Lavrenti Béria
Lavrenti Beria : le Himmler russe
La Second guerre viendra s'ajouter aux souffrances et aux horreurs.
C’est à travers le sort de ces personnages que Vassili Axionov nous dresse un tableau gigantesque de cette période. Sa fresque historique que l’on a qualifiée de « Guerre et paix » du XXè siècle est pleine de « bruit et de fureur »
Vassili Axionov
Il ne nous épargne rien : dénonciations, surveillance, torture, déportations, goulag, massacre de la population juive. Il nous fait ressentir la peur qui nait chez chacun et fait dire à Mandelstam « Ces grosses voitures noires....Quand je les vois, quelque chose d'aussi gros et d'aussi noir s'élève du fond de mon âme. Je suis poursuivi par la vision de quelque chose de terrible qui, inévitablement, nous étouffera tous.. »
Réquisitoire contre tous les totalitarismes, ce récit ample est plein d’émotions et passionnant de bout en bout.
Les digressions lors de certains chapitres, loin d’affaiblir le récit, nous rendent parfaitement présente la propagande de l’époque.
Ce roman n’est pas une autobiographie mais plusieurs éléments ressemblent de troublante façon au destin de la famille de Vassili Axionov et à son enfance marquée par la condamnation de ses parents.
Sa mère Evguénia Sémionovna Guinzbourg se tournera vers l’écriture à sa sortie du Goulag avec deux livres qui témoignent de ce que fut le stalinisme : Le Vertige et Le ciel de la Kolyma
Les Livres
Une Saga Moscovite - Vassili Axionov - Traduit du Russe par Lily Denis - Editions Gallimard ou Folio 2 tomes
Vie et destin - Vassili Grossman - Editions Bouquins Robert Laffont
Le Vertige et Le Ciel de la Kolyma - Evguénia Guinzbourg - Editions du Seuil Poche