Parfois on lit un auteur uniquement parce qu’on a aimé ses livres précédents et sans regarder attentivement la quatrième de couverture.
Bien m’en a pris car ici comme souvent maintenant l’éditeur en dit beaucoup trop.
Je vais donc tenter de vous parler de ce livre sans dévoiler trop de l’intrigue car si parfois je vais lire la fin d’un livre en avance, c’est mon choix et je déteste que l’on me force la main. Parenthèse refermée.
Qu’est-ce qui fait qu’un livre est un vrai grand roman, un de ceux que l’on n’oublie pas, un de ceux dont on sait que vous en parlerez autour de vous, auquel vous repenserez au détour d’un film, d’un article de presse, que vous relirez et qui marquera votre vie de lecteur ou lectrice ?
Difficile de répondre, il vaut mieux prendre un exemple comme ce roman de Bernhard Schlink.
Kaspar Wettner vit à Berlin, sa femme Birgit vient de mourir, il l’a trouvé morte un soir dans leur appartement.
Son mariage fut heureux même s’il est certain d’avoir aimé sa femme plus qu’elle ne l’a aimé.
Ils ont partagé l’amour des livres et de la musique, n’ont jamais eu d’enfant, et la fin de la vie de Birgit fut difficile, marquée par la dépression et un net penchant pour l’alcool.
Dans les jours qui suivent, Kaspar va lire le journal et les poèmes que Birgit a laissé et dont elle n’a jamais parlé.
Il retrouve là un peu de leur histoire, leur rencontre à Berlin est en 1965, quand Kaspar tombe amoureux de Birgit et lui propose d’émigrer à l’ouest ce qui représentait à la fois un espoir et un risque.
A travers les pages du journal Kaspar découvre un pan inconnu de la vie de son épouse.
Il apprend qu’elle avait un souhait, une recherche à mener, Kaspar à 70 ans ferme sa librairie et part pour enquêter et exaucer le vœu de sa femme.
Sa recherche va le mener à côtoyer des allemands de l’ex RDA ainsi que des membres de groupuscules néonazis.
L’histoire de l’Allemagne se dessine peu à peu, le nazisme et ses conséquences, cette partition forcée que fut le Rideau de fer, les séquelles laissées par la réunification joyeuse en 1989 au son du violoncelle de Rostropovitch mais dure et implacable ensuite avec sa cohorte de chômage, de pauvreté, de ressentiment, le terreau tout trouvé pour les idéologies qui fleurissent sous couvert de retour à la terre et de défense d’un nationalisme allemand nostalgique du passé.
Comment échanger avec des hommes et femmes qui s’adonnent au culte d’Hitler, nient l’Holocauste et admirent ses pires représentants.
C’est là qu’intervient le talent de Bernhard Schlink. Il a un regard à la fois bienveillant, mais très lucide, compréhensif mais sans faiblesse, sur cette Allemagne qui a tant à se faire pardonner. Qui parfois dérive à nouveau vers les extrêmes.
Comment comprendre les théories complotistes, racistes ?
Comment accepter les retombées du passé dans le présent, sur ce qui peut unir ou séparer les êtres.
Comment épauler cette génération perdue, aider des êtres qui ont souffert dans leur chair, qui ont vu leurs rêves s’évanouir, qui ont payer un lourd tribut à l’histoire.
J’ai envie de répondre que Bernhard Schlink croit à la rédemption mais aussi à la puissance de l’amour, et que si la musique et la littérature ne sont pas des remparts infranchissables pour une idéologie pernicieuse, qu’ils ne rendent pas les gens forcément meilleurs, ils sont peut-être la porte d’entrée pour se déprendre d’une idéologie mortifère.
J’ai aimé ce livre, la profondeur des personnages, le questionnement qui interpelle le lecteur.
J’ai aimé la démonstration de l’auteur quand on lui oppose que la musique, la vraie, la grande, n’est qu’allemande ! Avec une magnifique séquence d’écoute en aveugle qui vaut tous les débats sur le sujet.
C’est un passionnant voyage à travers l’histoire allemande. Livre et musique vous accompagneront tout au long du roman. La traduction est parfaite merci à Monsieur Lortholary.
Européenne convaincue ce livre me conforte dans mon imperturbable optimisme.
Le livre : La Petite fille – Benhard Schlink – Traduction Bernard Lortholary - Editions Gallimard