Il arrive que des textes s’imposent à vous, et parfois en appellent d’autres.
Un sujet difficile mais qui concerne beaucoup d’entre nous ou des personnes de notre entourage.
Lorsque j’ai lu le livre de Claire Marin, j’ai immédiatement pensé au texte d’Alphonse Daudet. Il m’a paru intéressant de les rassembler dans ce billet.
« Hors de moi » texte vraisemblablement autobiographique nous fait spectateur de la maladie, de la souffrance, de la douleur d’une jeune femme. Elle souffre d’une maladie auto-immune qui détruit organes et articulations.
Dans La Doulou, douleur en provençal, Alphonse Daudet atteint de syphilis, qui ne cessera pas de souffrir jusqu’à sa mort, tient le journal de sa douleur pendant environ 15 ans.
« Hors de moi » est un texte dur, brutal, violent. L’auteure fait montre d’une incroyable capacité d’analyse clinique de son « cas ». Elle sait trouver les mots pour dire l’indicible. Elle examine son mal, le dissèque, le met sous le microscope, en mesure les conséquences sans appel : le mal est irréversible, définitif, il obsède, il entraîne des renoncements quotidiens, il oblige à vivre plus vite et plus intensément.
La malade devient observatrice de sa propre descente aux enfers, de sa propre mutilation involontaire, son corps examiné et malmené par le corps médical ne lui appartient plus, ce corps se révulse et regimbe, « Cette maladie me met hors de moi. »
La maladie devient compagne au quotidien, c’est la définition même de la chronicité, mal acceptée par le corps soignant pour lequel elle est la marque de l’échec.
Récit âpre, poignant et insupportable dans lequel la vie personnelle de la personne n’a aucune place, celle-ci étant phagocytée par la maladie. Le récit sans date, sans point de repère fait entrevoir une vie mutilée, son écriture a la précision du scalpel.
« La Doulou » texte où Alphonse Daudet porte témoignage de l’affection qu’on appelle alors Tabes dorsalis, le diagnostic est net.
Ataxie c’est à dire perte du mouvement volontaire, paralysie.
Pour la petite histoire Le Tabes a été le sujet de la thèse de doctorat en médecine de Sir Arthur Conan Doyle, l'auteur de Sherlock Holmes.
Pour tout traitement du mercure terrible poison, le laudanum et la morphine, pronostic : la mort dans d’indicibles souffrances.
Le journal de cette maladie, de cette douleur est d’une grande lucidité, c’est un témoignage terrifiant sur la prise de possession du corps par la maladie, l’avancée de la destruction. Ce corps sans cesse se rappelle à lui, petit à petit le tient prisonnier.
Edward Munch. Le Cri
On assiste à la dévastation progressive du corps et de l'esprit.
L’ écriture est un cri de douleur permanent, un cri strident et insupportable et un refus d’abdiquer devant le mal.
Dans les extraits qui suivent les deux écrivains à plus d’un siècle de distance, se parlent, se répondent et se comprennent.
En italique la voix d’Alphonse Daudet.
« Comme si les charnières de mes articulations s’étaient recroquevillées »
« Obstination des mains à se recroqueviller, au matin, sur le drap, comme des feuilles mortes, sans sève. »
« Giclées de douleur au creux des poignets, dans les bras, dans les hanches »
« Ce que j’ai souffert, hier soir - le talon et les côtes ! La torture...pas de mots pour rendre ça, il faut des cris. »
« Mes nerfs sont des fils dénudés. »
« Grands sillons de flammes découpant et illuminant ma carcasse »
« Qu’est-ce que vous faites en ce moment ? - Je souffre. »
« J’apprends à me taire. »
Le Viel homme. Vincent Van Gogh
« Mon corps est de la tourbe qui se consume sans fin. » « Cette maladie me met hors de moi. »
« Parfois je perds le sentiment d’une partie de mon être, marionnette détraquée »
C’est à Alphonse Daudet que je laisse le mot de la fin :
« Je ne sais qu’une chose, crier à mes enfants « Vive la vie »
Claire Marin est née en 1974, elle est docteur en philosophie
Alphonse Daudet écrivit ce texte à partir de 1883 date à laquelle sa maladie s’aggrave, il note alors chaque jour les progrès de la douleur. En 1887 il meurt subitement. Le texte ne fut publié qu’en 1930.
Les Livres
Hors de moi - Claire Marin - Editions Allia
La Doulou - Alphonse Daudet - Arléa 1985
Commentaires
Dux textes que tu as raison d'associer, mais faut être prêt à leur découverte!
je suis d'accord mais ce sont des faits qui nous guettent tous
Je ne sais pas si j'arriverai à lire ce genre de récit qui doit être poignant encore davantage quand on sait qu'il est autobiographique. La mise en parallèle est très intéressante, je ne connaissais pas ce texte de Daudet mais bien entendu je savais de quoi il était mort...et je me doutais de la souffrance qui va avec. Merci de nous les présenter pour l'instant je passe...
mes chroniques ne sont pas des invitations à lire forcément les livres mais plutôt des petites lumières qui parfois s'éclairent à propos d'un livre ou d'un sujet
Ces analyses précises des douleurs de la progression de la maladie me fait, c'est visuel, penser à certains tableaux de Frida Kahlo.
Ce qui, tu le soulignes, ajoute à l'insupportable, dans les deux cas, c'est de devenir un sujet d¡étude, un cas clinique, qui tu es n'a aucune importance. Les cris de douleur non plus....
j'ai hésité dans le choix de mes illustrations et Frida Kahlo était présente mais je n'étais pas certaine que les lecteurs, lectrices du blog feraient le rapprochement
Je ne pense que j'ai envie de lire ces livres qui crient la douleur, cette dernière est tellement présent partout, en nous et autour de nous, que la lire est au-dessus de mes forces,...
Et en même temps il faut parfois se dire que cela nous guette tous
Un univers terrible que celui de la douleur et de l'évolution d'une maladie. Ta mise en parallèle de ces deux textes et ton choix d'illustrations sont formidables. Que faire de sa vie quand elle est foudroyée à ce point, j'admire le courage de ces êtres humains qui ne renonce pas. Douce semaine Dominique. brigitte
je crois Brigitte qu'il n'y a rien à admirer hélas, faire front c'est parfois tout ce qu'il reste à une personne pour ne pas sombrer
Voilà qui m'intéresse beaucoup. Je note le livre de Claire Marin ; ce n'est pas évident de mettre des mots sur sa douleur, les extraits que tu donnes son forts. Je risque de grincer des dents en pensant au corps médical, mais ce n'est pas grave.
Comme soignante et enseignante j'ai plusieurs fois recommandé la lecture de ces deux livres qui peuvent éclairer les soignants et le corps médical
j'ai une très grande compassion pour cette jeune femme mais je n'ai pas le courage de lire son livre
ce n'est pas une invitation à forcément lire ce livre, c'est plutôt une réflexion sur la douleur, son ressenti et son expression
Terrible dialogue à travers le temps....
un dialogue douloureux en effet, la douleur n'a pas d'époque n'a pas d'âge
Qu'ajouter, que dire ? Cela rend muet.
les grandes douleurs sont muettes en effet sauf lorsque la personne prend la plume
Trop dur pour moi. Très belles illustrations
Pour moi faire une chronique sur un livre ce n'est pas attendre que chacun se précipite sur sa lecture mais si tu es comme moi ce genre de billet reste dans la mémoire et un jour on le réactive parce que le sujet d'un seul coup fait sens
Pas pour moi pour l'instant, mais j'admire... J'ai effectivement pensé à Frida Kahlo, ainsi qu'au livre de Pia Pera.
les deux rapprochements sont pertinents en effet j'ai beaucoup lu sur la douleur dans le cadre de mon métier mais là c'est une lecture plus personnelle
Dans cette même veine connaissez vous le livre de la soeur de Guillaume Gallienne qui a laissé une oeuvre de poésie bouleversante, faisant le journal de sa maladie dont elle savait qu'elle allait rapidement l'emporter....Lors de sa dernière émission sur les ondes (émission qui allait être supprimée) Guillaume G nous l'a faite connaitre en lisant de magnifiques passages de cette jeune femme s'enivrant d'une vie qu'elle savait éphémère.
je ne connais pas du tout mais je vais chercher et voir ce que je peux encore trouver
merci à toi
La syphilis, un mal du siècle , du XIX siècle et pas que... Maupassant, Baudelaire, Nerval et tant d'autres, tant que l'on n'a pas su la soigner ! C'est une maladie horrible. A lire, le livre de laure Murat, la maison du docteur Blanche.