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Histoire - Page 10

  • Guerre et térébenthine - Stefan Hermans

    J’ai lu il y a peu un roman de Stefan Hertmans qui m’a beaucoup plu et bien sûr cela m’a donné envie de lire son livre précédent, ni essai, ni autobiographie, ni roman, c’est un peu des trois à la fois.

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    « Mon enfance a été envahie par ses récits sur la Première Guerre mondiale, toujours et encore la guerre; les vagues actes d’héroïsme dans les plaines boueuses sous une pluie de bombes, le claquement des fusils, les ombres criant dans l’obscurité » 

    Urbain Martien a survécu à la Grande guerre et à l’horreur des tranchées. Il lègue trois cahiers à son petit fils, Stefan Hertmans va écrire grâce à eux le livre de mémoire de sa famille, un roman sur la guerre, sur les liens familiaux. Tout cela et un peu plus encore.
    Ces récits sont nous dit l’auteur « mélange d’élégance désuète, de maladresse et d’authenticité »

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    Adaptation au théâtre

    Ce grand-père fut un  homme courageux qui retourne au front après ses blessures, un courage jamais reconnu par les autorités et qui trouvera un épanouissement dans l’art : musique et peinture
    Au-delà de la personnalité du grand-père c’est toute la famille qui est mise en scène, avec précision parfois, grâce à des anecdotes souvent très touchantes comme le cadeau de cette montre à douze ans. 

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    On remonte le temps pour découvrir la vie des quartiers pauvres de Gand, une région dans laquelle l’Eglise tient une place majeure imprimant son empreinte sur les familles et les consciences.
    Le travail de l’arrière grand-père magnifier superbement par le récit, le lien filial entre Urbain et Franciscus qui restaurant peintures et statues donnait  au Christ le visage de son fils.

    Le travail très jeune dans une fonderie qui a tout d’un petit enfer. C’est la misère de Germinal ou chez Dickens

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    François Bonhommé, Fonderie - le Creusot Montceau.

    J’ai ainsi découvert, grâce à ce livre, cette région des Flandres, rencontrée au hasard des lectures, qui ici a pris un relief particulier. 

    Pendant la Première guerre les ordres aux troupes étaient donnés en français uniquement, ce qui conduisait à des quiproquos parfois dramatiques pour les combattants de langue flamande et surtout à une humiliation perpétuelle qui finira par engendrer la révolte.

    Les combats désespérés de cette armée belge en déroute devant la force de frappe allemande sont évoqués avec sensibilité, pudeur, et un brin de colère.

     

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    L’auteur recherche des traces avec un souci constant d’objectivité, il revisite les lieux.
    Ainsi il nous décrit l’inondation de la plaine de l’ Yser, inondation volontaire pour arrêter les troupes allemandes, une scène effrayante qui prend vie grâce aux écrits d’Urbain.

    « Cependant, le spectacle qui s’offrit à nos yeux le lendemain matin dans la pénombre nous fit froid dans le dos : des chiens, des lapins, des chats, des belettes, des putois et des rats traversaient le fleuve en masse comme une armée irréelle en traçant, de leurs museaux sensibles à fleur d’eau, d’innombrables triangles sur la surface lisse et noire ; les écluses à Nieuport avaient été ouvertes, et jusqu’à Stuivekenskefke, Pervijze, Tervate et Schoorbakke, le pays se couvrait d’eau peu à peu. Nous prîmes lentement conscience que la marche de l’ennemi serait peut-être ainsi interrompue. Le cœur battant, nous regardions. Il fut strictement interdit de tirer sur les animaux, pour ne pas trahir notre position. Nous les vîmes par conséquent, ces messagers au nez fin d’un monde maudit, prendre la fuite face à cet incompréhensible Armageddon, arriver à terre, secouer l’eau de leur fourrure, courir sans se soucier de rien le long de nos tranchées, fuyant à l’aveuglette comme des Lemmings. Personne ne chercha à s’emparer des animaux, personne ne voulait en tuer pour les manger, même si nous avions faim. Tels des anges du Jour du Jugement dernier déguisés, ces créatures fantomatiques trempées disparurent de notre champ de vision, traversant en bondissant la plaine boueuse noire et brillante dans la lumière grise du matin. »

    Ce passage à lui seul dit à la fois le désespoir des combattants, leur attente, leur crainte devant ce spectacle halluciné et tout cela sans le moindre effet de manche, sans aucun pathos.

    J’ai tout aimé de ce livre, les rappels historiques, l’évocation de la guerre, l’évocation des métiers, des amours, des liens filiaux.

    Je vais faire une place à ce livre dans ma bibliothèque.

     Voir l’avis d’Anne 

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    Le livre : Guerre et térébenthine - Stefan Hertmans - traduit par Isabelle Rosselin - Editions Gallimard Folio

  • Tous, sauf moi - Francesca Melandri

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    Francesca Melandri est parmi les auteurs dont je surveille les nouvelles publications. Quelque soit le sujet de son nouveau roman j’étais partante.
    Je suis tombée immédiatement sous sa coupe, je n’ai pas dit sous le charme car ce n’est pas du tout un roman charmant, il est dur, violent, noir par moments. 
    La quête de la vérité fait parfois souffrir.

    melandri

    Ilaria vit à Rome où elle est enseignante, elle habite un vieil immeuble dont les occupants refusent obstinément l’installation d’un ascenseur, elle grimpe donc ses étages en râlant. 
    Un jour devant sa porte attend un jeune africain qui se présente :  « Shimeta Ietmgeta Attilaprofeti… si Attilio Profeti est ton père, alors tu es ma tante »
    Ilaria est choquée, stupéfaite et immédiatement méfiante. Oui mais par le passé son père a déjà menti de façon éhontée alors…

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    un pays magnifique

    La jeune femme va devoir enquêter sur la vie de ce père, remonter dans son passé. Une mission difficile car son père est très âgé et peu lucide, Ilaria ne peut rien en attendre. 
    Attilio est parti comme bénévole en Ethiopie dans les années trente, espérant bien entendu des retombées de son geste. A-t-il eu un fils d’ Abeba une jeune éthiopienne ?  Attilio n'apprend son existence q’une fois rentré en Italie mais semble bien y croire car quand ce fils est emprisonné dans les geôles de Menghistu il intervient et le fait libérer. 

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    le fascisme et la guerre

    Elle devra faire appel à ses frères et à son amant Piero Casati,  son amour de toujours avec lequel elle est en bataille constante car c’est un élu de Forza Italia le parti de Berlusconi contre lequel Ilaria est vent debout.

    melandri

     

    Le roman se déroule sur deux plans, Francesca Melandri nous invite dans le passé de l’Italie, sa période sombre, celle des Chemises noires, de la conquête de l’Ethiopie, des massacres, des lois raciales effrayantes. L'autre côté c'est l’Italie d’aujourd’hui confrontée aux vagues migratoires venues d’outre Méditerranée, celle des demandeurs d’asile, des clandestins, des passeurs.  
    Le récit du voyage de Shimeta est plus que douloureux, il est insoutenable dans sa brutalité et son horreur. Il est l'archétype des voyages de migrants.

    melandri

    Lampedusa aujourd'hui

    C’est peu dire que j’ai aimé ce livre, j’ai été stupéfaite par la violence de ce conflit, je n’étais pas naïve mais je ne connaissais pas les exactions pratiquées lors de cette colonisation, je n’en savais pratiquement rien, la découverte est rude. 

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    une guerre injuste et meurtrière 

    Francesca Melandri sait rendre avec une grande justesse le mélange entre passé et présent. La vie secrète de ce père et la vie du petit fils qui aujourd’hui en est réduit à traverser les déserts pour vivre une vie digne.
    Elle présente les faits de façon brute, sans jugement partisan, les italiens colonisateurs nous ressemblent, ils sont identiques aux français ou au belges ou aux anglais. 
    Les réflexes de crainte qu’elle a envers Shimeta ce sont les nôtres.

    Elle utilise une écriture forte, âpre pour réveiller notre conscience, celle de l’histoire de tous les colonialismes, celle des migrants qui sont devenus des enjeux politiques puissants et redoutés.

    Un roman que je fais plus que vous conseiller.

    Des avis très bons aussi chez  Motpourmots et chez Myriam

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    Le livre : Tous sauf moi - Francesca Melandri - Traduit par Danièle Valin - Editions Gallimard

  • bribes d'une guerre

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    « La défaite d’Adoua, en 1896. (…) “La première victoire africaine sur les puissances coloniales.” Une humiliation politique. Une gifle militaire. Un émerveillement pour l’enfant qu’il était. Il avait passé des heures à lire et relire les articles, à apprendre par cœur le nom des chefs éthiopiens, Ras Mekonnen, Mengesha Yohannes, Tekle Haymanot, Taytu Betul, des heures à contempler les illustrations qui restituaient la géographie du champ de bataille ou la tenue d’un soldat éthiopien. Il ne l’avait dit à personne, mais ces guerriers noirs qui avaient mis en déroute les troupes italiennes étaient pour lui des héros qui accompagnaient ses rêves de bravoure. »

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    Le Négus Ménélik à la bataille d'adoua 

    Le livre : Les oliviers du Négus - Laurent Gaudé - Editions Actes Sud

  • Le Facteur Cheval ... jusqu'au bout du rêve - Nils Tavernier

    Quand on est lyonnaise comme moi, la visite du Palais idéal du Facteur Cheval est un incontournable.

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    Le tombeau

    Je me souviens encore de ma première fois, je devais avoir dix ans, le fameux palais était dans un état lamentable avec des zones interdites à la visite par peur d’accidents, malgré tout  on devinait un monde  extraordinaire et dans ma mémoire d’enfant c’est resté pour toujours.

    Dans le jargon local c’était la maison du fada jusqu’au jour où on l’a réalisé que cet homme avait fait une véritable oeuvre, d’une originalité exceptionnelle mais cela a pris du temps ….

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    Le palais autrefois

    Depuis une restauration a été entreprise et aujourd’hui on vient du monde entier visiter ce Palais que le fameux facteur à érigé pour le bonheur de sa fille Alice.

    Il n’était pas architecte, il n’avait aucune connaissance mais il avait un rêve et une capacité d’imagination et une obstination qui dépassent l’entendement.
    Cet homme a vécu une aventure artistique hors du commun lui qui toute sa vie parcouru les chemins et les routes de son village, plus de trente kilomètres chaque jour par tous les temps pour distribuer le courrier.
    « il parcourt ainsi les ravins, les coteaux, les endroits les plus arides, faisant ici et là des petits tas de pierres que, le soir, il retourne chercher. »

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    Il a l’imagination fertile cet homme, il aurait tant voulu aller à l’école. Il se console en admirant les cartes postales qu’il distribue, les magasines que reçoivent certains des administrés, les revues de voyages.

     Et il va poser la première pierre de son palais,  une cascade comme on en voit alors dans les jardins italiens.
    Pendant plus de trente ans il va bâtir son palais idéal pierre à pierre. Il ajoute des fontaines, des belvédères, des cadrans solaires,  il fait jaillir l’eau, puis naissent des animaux fantastiques.  Tout son temps et son argent y passent. Il réussira à la fin de sa vie à construire son tombeau !! 

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    Il faudra des décennies pour que soit reconnue cette oeuvre extraordinaire et féérique,  longtemps laissée à l’abandon, une restauration a été entreprise et aujourd’hui on vient du monde entier visiter ce Palais. En 2017 plus de 175 000 visiteurs sont venus découvrir le palais du « fada »

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    Nils Tavernier a été fortement touché par la vie de cet homme et si je ne doute pas que son film sera magnifique.
    Si vous allez voir le film ne vous privez pas malgré tout de cette biographie.

    Le site officiel 

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    Le livre : Le Facteur Cheval …Jusqu’au bout du rêve - Nils Tavernier - Editions Flammarion

     

  • Morts imaginaires - Michel Schneider

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    Finita la comédia 

    Ecrire, raconter, imaginer parfois les morts d’écrivains célèbres, de poètes maudits ou non. Que se passe-t-il lorsque le rideau tombe ?

    Ce sont les morts dont Michel Schneider nous fait le récit sous un angle particulier, un point de vue bien à lui.
    C’est la réalité et en grande partie la vérité mais l’auteur nous les développe de façon très  personnelle.

    C’est un livre surprenant, que je lis pour la seconde fois pour vous en parler et je l’ai fait sans une once d’ennui, avec le même grand plaisir qu'à la première lecture de retrouver ces moments de vie ou plutôt de mort où  poésie et  réflexion s’invitent.

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    Le cimetière du Père Lachaise

    « Je tiens ici le registre des morts imaginaires d'écrivains réels. J'ouvre le rideau au moment où La commedia è finita »

    Certains ont eu une mort douce, d’autres tragique, certaines sont un rien ridicules.

    Michel Schneider nous offre ainsi les heures dernières de trente-six écrivains, mais la cérémonie n’est pas macabre du tout.
    Il utilise les biographies, les correspondances, les bons mots de la fin restés célèbres de ces hommes et femmes à qui il offre ainsi un beau monument funéraire.

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    le combat du jour et de la nuit

    Certains derniers moments sont très révélateurs, d’autres totalement incompréhensibles, certains sont choquants d’autres risibles. Parfois l’on prend une leçon de courage et de dignité.

    Je vous propose d’aller vous recueillir sur quelques tombes célèbres et de répondre à l’invitation de Michel Schneider, après avoir déposé vos fleurs il sera tant d’ouvrir les oeuvres.

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    Nabokov en chasseur

    Prenez Nabokov pense-t-il à  sa Russie natale ? Pas le moins du monde, Nabokov dit « un certain papillon est déjà en vol » joli dernier rêve non ?

    Montaigne qui souhaite mourir à cheval mais qui s’éteint parmi les siens lui qui disait avoir « continuellement la mort en bouche »

    Tchékhov qui « était un médecin. Il savait un peu ce qu’était la mort » et réclame un peu de champagne. 

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    Lev Nicolaïevitch Tolstoï en gare d’Astaopovo, fuyant sa femme, sa maison « fuir…fuir »

    Robert Walser à la mort « malicieusement tragique » qui trouve la mort en promenade « D’un pas frêle mais assuré, il est parti sur la page du jour. »

    Vous trouverez aussi Pascal, la belle marquise de Sévigné, Goethe ou Pouchkine, Kant et Flaubert, Rilke ou Zweig.

    Un livre à ranger à côté de celui de Cees Nooteboom 

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    Le livre : Les morts imaginaires - Michel Schneider - Editions Grasset et Folio

  • Le Coeur converti - Stefan Hertmans

    Un roman qui mêle petite et grande histoire, qui a ses racines en Provence mais qui emporte le lecteur vers Narbonne et plus loin encore en Egypte.

     

    Nous sommes en 1092 Vigdis Adélaïs est une jeune fille issue d’une famille de Rouen, elle s’est enfuie avec David Todros un jeune juif, fils du grand rabbin de Narbonne «  que tout le monde nomme le Roi aux juifs car sa lignée descendrait tout droit du roi David » 

    Et aujourd’hui le couple en fuite arrive dans le Vaucluse « Depuis la fenêtre qui m’offre une vue sur la vallée, je vois au loin deux personnes approcher. Elles doivent venir des hauteurs de Saint-Hubert, d’où l’on peut contempler aussi bien le sommet du mont Ventoux que la vallée de Monieux » du moins c’est ainsi que les imagine Stefan Hertmans. 

     

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    Ruines du village de Monieux

    Saviez-vous que le Lubéron fut une région où les juifs vécurent un temps sans être inquiétés ? Il reste encore des traces même si elles sont difficiles à repérer.
    « Nombre de maisons ont donc commencé à s’effondrer dès la fin du dix-huitième siècle. Il n’en reste que des tas de pierres pittoresques, recouverts de vigne sauvage qui en octobre se teinte de rouge. » 

    Mais quand Vigdis Adélaïs, devenue Hamoutal, et David y pénétrèrent le pays était à quelques mois de l’appel du pape Urbain II pour la Sainte Croisade et Monieux va connaître un pogrom terrible.

     

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    Urbain II prêchant la croisade et la mort

    pour les musulmans et les juifs "Dieu le veut"

    Comment une jeune fille qui a connu une vie d’aisance et de sécurité va-t-elle faire face aux dangers multiples : sa famille d’abord des chevaliers Normands assoiffés de vengeance, les armées de croisés qui vont déferler sur le village de Monieux. Les dangers du temps : épidémies, accouchement difficile, famine.

    C’est un roman très réussi. L’auteur parvient à nous embarquer sur les traces quasi invisible de ce couple hors norme. 
    Il le fait avec beaucoup d’empathie, avec tendresse et bienveillance sans pour autant omettre les faits noirs et violents. 
    Le destin d’Hamoutal nous emporte bientôt, on la suit à travers bois, rivières et mers. 

    Par de très habiles allers-retours entre présent et passé on suit son enquête qui le conduit de Rouen à Narbonne, de Palerme jusqu’au mystère d’une Guéniza véritable « puits de souvenirs »  ou à l’Université de Cambridge. 

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    Maquette d'une Guéniza

     

    Stefan Hertmans fait parfaitement revivre le passé, du funeste « Dieu le veut » des croisés en délire aux descriptions d’une région où il vit 

    « Tout donne l’impression que le paysage est resté le même au fil des siècles. Pourtant, ce jardin d’apparence paisible était à l’époque la partie la plus peuplée du village, où les ruelles étaient étroites et les hautes maisons sombres collées les unes aux autres. Ici dominaient le bruit, la puanteur et la diversité quotidienne d’une communauté médiévale grouillant de vie, entretenant des relations étroites et intenses. Ici on vivait et on mourait, on dormait, on travaillait et on jurait, on faisait l’amour et des enfants venaient au monde dans les conditions les plus primitives. »

    Un roman comme je les aime.

     

    Le Livre : Le coeur converti - Stefan Hertmans - Traduit par Isabelle Rosselin - Editions Gallimard 2018