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Histoire - Page 13

  • Montaigne la splendeur de la liberté - Jean-Christophe Bardyn

    J'aime qu’une lecture me dérange, m’interroge sur mes certitudes, remette en cause des idées trop figées. 

    Malgré la lecture de quatre biographies de mon auteur fétiche j’ai été incapable de résister à une nouvelle parution.

    Au gré des écrits sur Montaigne on l’imagine parcourant sa librairie, feuilletant, annotant, chevauchant de temps à autre mais revenant méditer dans sa tour.

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    La librairie virtuelle de Montaigne

    Que nenni nous dit Jean-Christophe Bardyn « Au fil des siècles, les repeints se sont accumulés au point de défigurer l’original. » et c’est bien un Montaigne rajeuni, à la verdeur manifeste qui apparait une fois gratté le vernis des siècles. 

    « Il faut rendre à Montaigne sa démesure, y compris dans la modération, ses passions violentes et ses colères sanguines, son goût à la fois puissant et raffiné, et pour finir, quand il le faut, son âme partisane »

    Voilà on est prévenu d’emblée et JC Bardyn a épluché moults documents mais a cherché aussi à lire entre les lignes quand sciemment  Montaigne nous y a laissé des indices.

    Le portrait s’enrichit de mille anecdotes, de croisement d’informations qui donnent sens à des détails parsemés ça et là dans les Essais.

    La question principale est celle de sa naissance après ...11 mois de grossesse, on sourit, sauf qu’à l’époque lorsqu’une femme déclarait accoucher après 11 mois c’était le plus souvent pour masquer une grossesse illégitime

    Alors Montaigne enfant illégitime ? Je dois dire que les arguments de JC Bardyn sont tout à fait convaincants quand on les met bout à bout, une mère absente des Essais, un frère en procès avec lui quant à la succession du père, une tentative de mise sous tutelle de l’héritage au profit de la mère.  

    Non content de nous surprendre JC Bardyn dépoussière aussi la légende, l’apprentissage du latin ne lui fut pas réservé mais il le suivit en compagnie de son frère Thomas, il fit vraisemblablement des études à Paris sous l'égide de Turnèbe penseur et pédagogue de l'époque.

    Le choix par son père de la magistrature pour ce fils ainé appuie la thèse de la bâtardise alors que tout naturellement à l’époque c’était le métier des armes qui était préféré pour l’héritier.

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    La princesse de Montpensier

    On découvre Montaigne et La Boétie compagnons d’infortune, l’un en raison d’une enfance perturbée l’autre par sa probable bâtardise, le sage n’étant pas celui qu’on croit.
    La Boétie étant l’élément modérateur d’un Montaigne très porté vers les femmes mariées ce qui à l’époque représentait le danger véritable de finir une épée en travers du corps.

    Montaigne n’a pas tout dit de sa vie, la période ne s’y prêtait pas, quand on élucubre pour savoir si Montaigne était stoïcien, sceptique, épicurien, en fait notre homme était avant tout hédoniste et libertin « Montaigne fut un très grand séducteur. » 

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    Diane d'Andouins future maitresse d'Henri de Navarre

    A travers ses Essais Montaigne a énuméré de façon plus ou moins explicite la liste de ses maitresses, Diane de Foix-Candale à qui il laissa peut être un héritier,  Madame de Duras, Diane d’Andouins et qui deviendra la maitresse d’Henri de Navarre !  Madame d’Estissac et  peut être aussi Marguerite de Valois. Montaigne a cultivé les relations et pas seulement intellectuelles.

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    Marguerite de valois par Clouet

    J’ai aimé le portrait de Montaigne en maire de Bordeaux cherchant avant tout à temporiser entre les différentes factions, à négocier chaque fois que c’est possible, à mettre les magistrats devant leur responsabilité quant à la misère qui sévit dans leur ville.

    Cet homme  n’est pas banal, un jour il reçoit le roi dans son château, un autre jour il fait connaissance avec les cellules de la Bastille dont il sort grâce à Catherine de Médicis. Il est même un jour obligé de fuir en roulotte avec sa maisonnée pendant plusieurs semaines !!

    « L’époque des guerres civiles a façonné sa pensée et son style au point qu’ils entreront toujours en résonance avec les périodes troublées, inventives et inquiètes.» 

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    Ecrivit-il un pamphlet sur elle ? 

    Peut être y eut-il un Montaigne pamphlétaire, le Discours merveilleux, libelle contre Catherine de Médicis qui courait dans les salons et châteaux de l’époque est peut être de sa main. 

    Je le dit tout net j’ai aimé cette biographie, elle s’appuie sur quantité de documents et surtout sur le croisements de bons nombres d’écrits que l’auteur fait parler en les confrontant. C’est un livre passionné et qui va sans doute remuer le Landerneau universitaire.

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    Voilà un auteur qui par la magie de sa biographie pleine de gourmandise m’est rendu encore plus proche.

    Si vous êtes curieux de cette époque, si vous aimez que vos convictions soient un peu ébranlées alors lisez ce livre 

    Laissons le mot de la fin au biographe :

    « Montaigne a toujours fait, autant qu’il le pouvait, ce qu’il voulait, sans se préoccuper à l’excès des jugements moraux, sociaux ou religieux. L’absence de repentir qu’il revendique hautement signifie qu’il assume tous les aspects de sa vie, parce qu’il les a tous voulus, pour autant que cela dépendait de lui » 

     

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    Le livre : Montaigne La splendeur de la liberté - Jean-Christophe Bardyn - Editions Flammarions Les grandes biographies

    Les biographies lues :  Jean Lacouture, Madeleine Lazard, Donald Frame Hugo Friedrich et Jean-Michel Delacomptée.

     

  • Tout passe - Vassili Grossman

    Peut-être avez-vous lu le livre majeur de Vassili Grossman : Vie et destin dont le manuscrit fut confisqué par le KGB.

    Mais l'auteur a un autre livre à son actif, un roman que j’aime particulièrement  et que j’ai relu tout récemment. 

    Vassili Grossman fut un communiste convaincu jusqu’à la seconde guerre, là sa vision changea, il fut l’un des premiers à entrer dans Treblinka, puis il découvrit le massacre des juifs à Babi Yar où sa mère mourut.

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    V Grossman correspondant de guerre

    Lorsque après guerre l’antisémitisme stalinien se fit plus fort avec le procès des blouses blanches, Grossman change, prend la plume et dénonce.

    Tout passe c’est l’histoire d ’ Ivan Grigorievitch qui revient chez lui après trente ans de camps. Il fut un idéaliste mais il a depuis longtemps perdu la foi.

    Il est accueilli à Moscou par son cousin Nikolaï Andreïevitch qui ne lui a jamais fait un signe pendant trente ans. 

    Nikolaï et sa femme Maria Pavlovna accueil Ivan avec quelques réticences. Il faut dire que Nikolaï c’est l’homme des compromis, il a survécu à toutes les purges, il a vu le système broyer beaucoup d’hommes et de femmes autour de lui, c’est lui qui a signé (comme Grossman) des manifestes pour punir les traitres à la patrie, les vendus, il craint une société où le simple fait de penser met en danger.

    C’est la rencontre d’un homme terrassé par la peur, toujours prompt à obéir, et d'un homme qui pense que

    « l’histoire de la vie, c’est l’histoire de la violence invaincue, insurmontée. La violence est éternelle et indestructible. Elle se transforme mais ne disparait pas et ne diminue pas ...L’humain ne s’accroit pas en l’homme. » prêt à tout pour vivre en liberté, pour parler 

    Vassili Grossman mêle le destin d’hommes et de femmes et nous dit ne pas voir de différence fondamentale entre le servage russe sous le Tsar et le fanatisme bolchevique qui fait plier les êtres. 

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    l'Archipel du Goulag

    En un chapitre extraordinaire Vassili Grossman dresse le portrait de tous les Judas, tous ceux qui ont dénoncé, calomnié, trahi car pour eux l’état et le parti sont trop puissants pour ne pas être obéis. 

    Des lâches ? des monstres ? ils n’ont pourtant jamais cessé d’aimer leurs proches, aimer la musique ou la littérature

    « Ces hommes ne souhaitaient de mal à personne mais toute leur vie ils avaient fait le mal » 

    A la lecture de ce roman magnifique et terrible on comprend les paroles de l’auteur qui font penser à Stig Dagerman

    « L’angoisse de l’âme humaine est terrible, inextinguible, on ne peut la calmer, on ne peut la fuir ; devant elle sont impuissants même les paisibles couchers de soleil champêtres, même le clapotis de la mer éternelle » 

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    Le livre : Tout passe - Vassili Grossman - Traduit par Jacqueline Lafond - Editions Robert Laffont Bouquins 

  • La Mort en Arabie - Thorkild Hansen

    Vous est-il arrivé de classer un livre sans l’avoir lu et de l’oublier là pendant ...des années. 

    Cette Mort en Arabie a subi ce sort là, pourquoi ? je n’en sais rien, il est parmi mes livres depuis 1988 !! Je crois me souvenir que j’ai commencé à le lire et soit j’ai abandonné pour me tourner vers autre chose, soit il ne m’a pas plu sur le moment. Il a suivi tous mes déménagements, je ne l’ai ni perdu, ni prêté, ni vendu, ouf...
    Ce livre est superbe, c’est un petit joyau, un savant mélange de récit d’exploration, de récit de voyage et de biographie. 
    Et en prime vous pouvez encore le trouver en Actes sud Babel

    Cette histoire bien réelle dépasse toute fiction imaginable, elle rassemble tous les ingrédients d’un roman réussit : un but fantasmé, des participants qui sont des personnages de roman, et surtout un art de la narration admirable.

     

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    Clic pour agrandir

    1761 Le roi du Danemark, Fredérik V, a décidé de financer une expédition pour l’Arabie, pour découvrir les traces de la main de Dieu dans le désert du Sinaï, trouver les sources des récits bibliques, rapporter des manuscrits, comprendre l’appellation Arabie heureuse qu’Alexandre nous a laissé, et plus prosaïquement découvrir la provenance de l’encens.

    Bien sûr il est aussi question d’ enrichir les collections royales de botanique et ainsi faire la nique au grand Linné, de cartographier les régions traversées, de faire des croquis de toutes ces merveilles.

     

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    Dans le Sinaï sur les traces de Moïse

    Le choix des participants va s’avérer à la fois catastrophique et très heureux, il y a là Peter Forsskål  le savant botaniste, Carsten Niebuhr le mathématicien, astronome et arpenteur, Georg Baurenfeind le dessinateur, Johann Kramer et Christian von Haven sensé être linguiste mais un être vain et incompétent. De ces cinq hommes un seul rentrera vivant !

    Parce que ne vous faites aucune illusion, on sait dès le début que ce sera un échec retentissant, mais une fois enclenché la machine du récit je vous parie  que vous voudrez savoir le pourquoi et le comment de tout ça.

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    Safar au Yemen

    La route passe par Constantinople, le Caire et ses pyramides, le Sinaï puis la mer rouge et l’Arabie. 
    Mais dès les premiers jours de l’expédition on sait que des obstacles vont surgir, ni géographiques, ni politiques mais bien la mésentente dans le groupe en proie à l’ambition démesurée de certains, à l’attrait pour l’argent, à la vanité, au nationalisme parfois exacerbé, au petites trahisons.
    Ils rêvent de gloire, de laisser une trace dans l’histoire.

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    Le voyage nous est raconté en grande partie grâce au journal du survivant, nous suivant leurs découvertes, la volonté des plus sages de se fondre dans la population en adoptant son mode de vie, ils arpentent, ils herborisent, ils cartographient à tour de bras. Pendant des années la carte du Yemen sera celle de cette expédition.
    Mais la fatalité, la déraison des hommes vont avoir raison de l’expédition. Ils parviennent jusqu’à Saana, la malaria s’attaque à plusieurs membres, le climat politique devient malsain.

     

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    Lamekk port de la mer rouge  

    La fin de l’expédition est dantesque. Un seul survivant ! mais que dire du retour ! Les participants sombrent dans l’oubli, leurs travaux tombent dans les oubliettes du temps et sont parfois ridiculisés ou pire ignorés.

    Les collections si patiemment amassées seront détériorées par les conditions de transport, l’humidité ou la chaleur, pillées par goût du lucre.

    Thorkild Hansen a fait à la fois un travail d’historien mais a mis toute sa science du récit pour nous étonner, nous surprendre, il distille les informations et nous le suivons ventre à terre.
    L’absurdité du destin  est un thème cher à Hansen, il y a du Camus chez cet homme.

    La Mort en Arabie est  considéré comme le chef-d’œuvre de Thorkild Hansen. 

    Je sais qu’habituellement je ne livre pas autant de détails d’un livre, mais ici peu importe, ce qui fait l’intérêt du livre ce sont les hommes, les contrées, la réflexion parfois philosophique et poétique qui sous-tend le récit, le résultat on le connait dès le début du livre.

    Un livre qui pourrait prendre place dans votre bibliothèque ou vous offrir un voyage sans quitter votre chaise longue

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    Le livre : La mort en Arabie - Thorkild Hansen - Traduit par Raymond Albeck - Editions Actes Sud ou Actes Sud babel

  • Les serviteurs inutiles - Bernard Bonnelle

    Bon je l’avoue ma façon de classer mes livres est un peu ...curieuse
    Par exemple celui-là va prendre place à côté des Essais et de L’Obèle sur le rayon Montaigne

    Cela vous semble peut être curieux mais attendez voilà les explications.

    Les Guerres de Religion ont inspiré romanciers et cinéastes, voir récemment la Princesse de Montpensier par exemple. Et bien ce roman se situe là. 

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    Les ligueurs en procession

    Gabriel des Feuillades a fait les guerres d'Italie (comme le père de Montaigne)  et choisit de vivre retiré sur son domaine.

    Il mène un vie tranquille, partageant son temps entre l’étude de la botanique, la lecture des anciens, ses vignes mais aussi parce qu’il n’est sage qu’à moitié quelques dévergondages avec sa servante.

    Il a une épouse tendre, un fils qui rêve de gloire, une fille un peu différente des autres enfants.

    Gentilhomme périgourdin Gabriel a eu son comptant de batailles et de blessures et cherche aujourd’hui les compromis, l’isolement lui convient et si il n’a pas de tour pour se retirer comme son illustre voisin, il va néanmoins servir de médiateur local entre catholiques et protestants alors que lui-même professe un sage septicisme « Eadem sunt omnia semper » *

     

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    Son illustre voisin 

    Lorsque les événements dégénèrent que le pillage, les tueries reprennent Ulysse, le fils révolté qui rêve de gloire, va partir participer aux combats terribles des fous de Dieu, les fils s’opposent aux pères c’est bien connu.

    Alors que le père aspire à la sagesse 

    « Je rêve d’une autre religion, dit-il, toute nouvelle ou très ancienne, sans dogme ni culte, sans prêtres ni guerre, dont le seul exercice de piété serait la joie d’être au monde »

    Le fils lui il exècre l’attitude de son père et rêve d'en découdre

    « Vos livres, votre jeu d’échecs, vos écritures, votre herbier, votre feinte sagesse, votre incroyance, vos sourires et vos sarcasmes, tout cela m’était plus que jamais insupportable. » et affirme « je consacrerais ma vie à un combat juste et grand » 

     

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    Un pays à feu et à sang

    J’ai pris un très grand plaisir à cette lecture, pour le sujet d’abord qui m’intéresse malgré pas mal de lectures engrangées, et puis pour l’écriture, quelle élégance ! je suis tombée sous le charme.

    J’ai lu le journal du père, et le récit du fils qui jamais ne se rejoignent et si il y a une chose certaine c’est que Bernard de Bonnelle a du tomber un jour dans la marmite des Essais ! 
    Il semble que ce récit ressemble aux écrits de Brantôme, ma curiosité est éveillée !!

     

    * Tout est indifférent ou tout est toujours pareil  - Lucrèce De rerum natura

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    Le livre : Les serviteurs inutiles - Bernard Bonnelle - Editions La Table Ronde

  • John Florio alias Shakespeare - Lamberto Tassinari

    Si vous me suivez ici régulièrement vous savez que j’ai lu deux biographies de Shakespeare, trois en fait mais l’un d’elle n’a pas fait l’objet d’un billet.

    Dans les trois, les auteurs se posent beaucoup de question sur l’identité même de l’auteur anglais, des zones d’ombres importantes persistent, en particulier sur ses études, sur une dizaine d’années où l’on ignore ce qu’il a pu faire. Toujours les biographes se sont interrogés sur le surgissement brutal de cet auteur si doué, si magnifique sur la scène londonienne, disons le, du jour au lendemain

     

    D’ailleurs Stephen Greenblatt note les trous dans la biographie et les incertitudes

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    « Un jeune homme originaire d’un petit bourg de province, sans fortune, ni relations familiales, ni éducation universitaire »  mais aussi « une réussite qui défie toute explication rationnelle » 

    Parlant de l’oeuvre

    « Son oeuvre est si surprenante et si lumineuse qu’elle semble avoir été créée par un dieu et non par un mortel, encore moins par un provincial d’origine modeste. » Il précise « nous n’avons aucune preuve que Shakespeare fit ses études à la grammar school de Stratford. »

     

    C’est au point que beaucoup d’écrivains et non des moindre,Borges, Henry James, Dickens, Twain, Walt Whitman sans oublier Freud, mettaient en doute que l’auteur de théâtre ait pu ainsi surgir d’un chapeau.

    Beaucoup de noms ont été avancés, Francis Bacon, Edouard de Vere ou Marlowe, sans que jamais on ne soit parvenu à rien prouver faute de documents.

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    Voici l’essai de Lamberto Tassinari qui n’hésite pas à franchir le Rubicon et à considérer que William Shakespeare en tant qu’auteur n’a jamais existé, que sous ce nom se cache John Florio italien de naissance, anglais d’adoption, l’auteur du premier dictionnaire anglais/italien Le Monde des mots et le traducteur de Montaigne et Boccace en anglais.

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    John Florio

    Pour l’occasion et afin que vous ne me preniez pas pour une hurluberlue j’ai relu la biographie romancée de John Florio par Anne Cuneo

    La biographe place Shakespeare au plus près de Florio même si dans la post-face l’auteur prend bien garde de préciser que jamais au grand jamais elle n’a pu penser à une possible paternité de John Florio, faute de temps dit-elle.

     

    Ce qui m’a intéressée dans le travail de Tassinari c’est qu’alors que Shakespeare est un des auteurs ayant entrainé la production de travaux universitaires en nombres ahurissants, personne n’ait cherché à travailler sur Florio éminent intellectuel de son temps, linguiste émérite, traducteur reconnu. Comme si cet homme singulier n’avait jamais existé et surtout n’avait aucun lien avec William Shakespeare.

    Pourtant le premier livre de Florio  First Fruites  est un ouvrage d’un linguiste qui aurait dû susciter l’intérêt de tous les chercheur soucieux de reconstituer la langue anglaise de Shakespeare 

    On constate quand on lit Shakespeare qu’il a un penchant pour les proverbes en tous genres hors « John( Florio) a lancé la mode de l’utilisation de dictons populaires et de proverbes en Angleterre, une mode dont Shakespeare, selon la critique orthodoxe, allait être un des adeptes les plus enthousiastes. »

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    le dictionnaire de john Florio

    Le second livre de l’italien Second frutes est un « texte extrêmement pénétrant, résultant d’un travail de journalisme littéraire intelligent et cultivé sur la vie londonienne de l’époque. Bref, c’est un manuel plein de vivacité, d’érudition, d’idées et de tournures stylistiques qui, souvent, se retrouvent inchangées dans les oeuvres de Shakespeare »

     

    Plusieurs universitaires ont commencé d’étudier Shakespeare à la lumière de Florio, mais au dernier moment, alors qu'il avancent des arguments en faveur d'un lien fort, ils renoncent à faire un pas de plus et à dire Florio = Shakespeare

    Ce qui est certain et n’est nié par aucun biographe de Shakespeare c’est que « indépendamment de la question identitaire, le processus de l’écriture, de la représentation et de l’impression des oeuvres de Shakespeare demeure un mystère presque total » et j’avoue qu’en relisant la biographie de Greenblatt le lien qu’il fait entre, un penchant possible pour l'alcool du père de Shakespeare et la création de l’ivrogne Falstaff, est un rien tiré par les cheveux par exemple. 

     

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    Alors d’où viennent les connaissances de Shakespeare en musique, son vocabulaire musical est étendu, en botanique, en médecine ...
    Tous les biographes mettent l’accent sur l’influence de Montaigne sur Shakespeare (le Roi Lear, la Tempête) Montaigne dont les Essais furent traduits par.... John Florio

    Florio a forgé  1149 mots en anglais pour traduire Montaigne, rappelez vous que l’on dit que Shakespeare lui en aurait inventé 2000, il semble improbable que deux hommes vivant à la même époque, créent en même temps un nouveau vocabulaire sans se connaitre !

     

    Plus pertinent encore la connaissance par Shakespeare des écrits de Giordano Bruno pas encore connu, que Florio a côtoyé plusieurs années auprès de l’ambassadeur de France.
    Le Marchand de Venise et Othello ont pour source d’inspiration des romans italiens non traduits en anglais au moment où Shakespeare écrit.

    La Renaissance se prêtait bien aux emprunts littéraires, le droit d’auteur n’était pas fixé et  « la masse des emprunts de Shakespeare à Florio est avérée »

    On a souvent fait noté les emprunts de Shakespeare à la Bible et son savoir en la matière, ce à quoi L Tassinari répond qu’en effet John Florio a fait des études au séminaire de Tübingen ce qui lui permettait de vivre « bible en poche »

     

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    Enfin la connaissance fine de l’Italie est sûrement un argument de poids, connaissance des textes, de la commedia del arte, et sentiment de l’exil très souvent utilisé par Shakespeare.
    Florio est un italien amoureux de la langue anglaise ce qui pourrait expliquer l’étrangeté souvent remarquée de la langue de Will le barde.

     

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    Robert Dudley Comte de Leicester mécène de john Florio ET Shakespeare

    L’essai de Lamberto Tassinari n’est pas parfait mais il a le mérite d’ouvrir un débat.
    « Pourquoi ce linguiste polyglotte, lexicographe, traducteur, courtisan, ami des plus puissants parmi les nobles de son époque, durant seize ans secrétaire personnel de la reine Anne de Danemark et grand diffuseur des cultures européennes en Angleterre a-t-il été boudé par les universitaires ? »

     Il n’y a pas de preuves de ce que Lamberto Tassinari avance MAIS il y a un tel faisceau d’éléments concordants qu’à tout le moins on peut être certain d’une coopération entre ces deux personnages si tant est qu’ils ne fassent pas qu’un.

    Que les anglais résistent à l’idée d’étudier la question on peut le comprendre, imaginons qu’un trublion vienne nous dire que Molière c’est du vent ....

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    Le livre : John Florio alias Shakespeare - Lamberto Tassinari - Traduit par Michel Vaïs - Editions Le Bord de l’eau

     

  • Le Colonel Chabert - Honoré de Balzac

    Jean-Paul Kauffmann a su me convaincre de relire Le Colonel Chabert. Il faut dire que je l’ai lu bien trop tôt ce roman, profitant vers douze ans de la bibliothèque du collège ouverte pendant la cantine, vous savez ses longues heures d’ennui ! je piochais n’importe quoi car il n’y avait personne pour nous diriger.

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    Raimu dans le rôle

    Je me souviens uniquement de ma stupéfaction devant la fin du roman, ma colère de l’époque car à 12 ans on n’accepte pas l’injustice, on ne l’imagine même pas. 

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    J’ai pris un vrai et grand plaisir à cette relecture. Je peux dire lecture car ma première fois était vraiment bien loin.

    Je suppose que vous l’avez tous lu ou alors vu le film d’Yves Angelo aussi je ne vais pas m’attarder sur l’histoire elle-même.

    Je veux plutôt vous dire mon plaisir, Balzac n’est jamais aussi bon qu’en observateur patient et critique de la société de son temps, il brosse à merveille le système judiciaire qui va broyer Chabert

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    Sur les lieux de la Bataille

    Mais où il est vraiment parfait c’est dans le dessin du paria, dans le tableau de cette société hypocrite qui n’hésite pas à dépouiller de tout un homme qui a combattu pendant des années sur les champs de bataille de l’Empire. 

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    J’aurai voulu secouer Derville l’avoué et obtenir qu’il ferraille un peu plus pour son protégé, qu’il se fasse un peu plus justicier. 

    J’ai aimé ces portraits d’hommes et de femmes qui ont fait des bassesses pour obtenir titres et prébendes et qui ne savent pas s’en souvenir.

    Il m’est infiniment sympathique ce colonel « vieux débris de la Grande Armée » et on voudrait le soustraire à un monde cruel lui qui dit « J’ai été enterré sous des morts, maintenant je suis enterré sous des vivants, sous des actes, sous des faits, sous la société tout entière, qui veut me faire rentrer sous terre » 

    Je vous recommande l’évocation de la bataille d'Eylau et du sauvetage de Chabert, un vrai morceau d’anthologie.

    Autant parfois Balzac paraît un rien trop bavard, un rien trop amateur de descriptions à n’en plus finir, autant là le récit est resserré, clair, dense. L’intrigue est simple et dépouillée. Un roman sombre mais éclairé par la bonne tête du Colonel Chabert tirant sur sa pipe.

    Un autre avis sur Lecture/Ecriture

    Et si vous voulez connaitre la véritable histoire du Colonel c'est ici

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    Le livre : Le Colonel Chabert - Honoré de Balzac - Editions Classiques Garnier