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Histoire - Page 13

  • Luther - Matthieu Arnold

    J'aime les anniversaires qui sont l'occasion d'éditions nouvelles, de belles biographies, de faire sortir de l'ombre des personnages célèbres mais parfois mal connus ou oubliés. C'est aussi l'occasion de concerts ou d'expositions.

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    Le 31 octobre 2017 sonneront les cinq cents ans d'un événement qui secoua l'Europe et ébranla le monde chrétien. 

    Ce jour là Martin Luther placarda sur les portes de l'église et du château de Wittemberg ses 95 thèses sur les indulgences.  

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    2017 célèbre les débuts de la Réforme protestante et c'est la bonne occasion de comprendre le destin de ce « génie religieux » qui a « repensé tout le christianisme ».

    Il y avait le choix entre plusieurs biographies j'ai choisi Matthieu Arnold qui est un fin connaisseur de Luther et qui a participé à l'édition des écrits et lettres de ce fougueux moine en pléiade.

     

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    Statue de Luther à Eisleben

    Ressortez vos livres d'histoire, rassemblez vous souvenirs. 

    On est au temps du Saint Empire romain germanique, le moment où l'empereur est élu par les princes grands électeurs, où 350 micro-états se partagent le territoire.

    On est au temps où la ferveur religieuse est grande et où le purgatoire (heureuse invention !) faisait tellement peur que les fidèles étaient prêts à y échapper moyennant une partie de leur fortune

    Un temps où le clergé et les moines donnaient parfois une image peu reluisante de la foi bien loin de la simplicité d'un Saint François d'Assise.

    La Bible commence a être traduite et les humanistes tentent un retour au source vers le grec et l'hébreu à l'instar d'Erasme.

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    Une impression de la Genèse 

    Issue d'un milieu paysan à l'origine, la famille de Luther s'est embourgeoisée avec le travail du cuivre et l'exploitation de mines et forges. Luther est entré jeune au couvent après des études universitaires à Erfurt, il avait alors une bonne connaissance des auteurs latins, il sait le grec et étudiera l'hébreu.

    Au couvent sa vocation éclate et elle est portée par une crainte irrépressible de la mort et du diableAssez vite il enseigne.

    « Il a juré ma mort, je le sens bien, et il n’a de cesse de m’avoir dévoré. Eh bien, s’il me dévore »  

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    Film Luther avec Joseph Fiennes

    Il fait un voyage à Rome vers 1511, la ville est en chantier, la Basilique Saint Pierre est en construction, « la piété mercantile qui s'étalait sur les places et dans les églises ne pouvait lui échapper. »

    Il devient enseignant et prédicateur à l'université de Wittenberg. Il donne des cours très suivis sur les Psaumes et les Epitres de Paul. 

    « Il se fait l'interprète de cette Ecriture sainte dans laquelle il croyait reconnaître l’expression directe de la parole même de Dieu. » 

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    En octobre 1517 il invita à débattre de vive voix ou par écrit et « par amour de la vérité » les thèses et la critique des indulgences.  

    Le marché des indulgences, car c'était bien un marché, je donne de l'argent et je m'évite quelques années de purgatoire, enrichissait l'Eglise au-delà de ce que l'on peut imaginer, que ce soit à Rome ou dans les différents diocèses. Le pape Léon X finançait la basilique Saint-Pierre avec cette manne.

    Quand Luther affirmera que « c'est la foi et uniquement la foi qui sauve » et non les indulgences, imaginez le manque à gagner ! 

    La sanction tombe rapidement : excommunié par Rome, banni par Charles Quint, Luther dût à quelques amis et soutiens de rester en vie et de continuer à publier. Plusieurs princes allemands dont Frédéric de Saxe, le soutinrent et lui permirent de propager ses idées.

    Pour Luther l'autorité ne reposait pas dans les mains du Pape ou des cardinaux mais bien dans les écritures, dans la Bible dont la connaissance et la lecture étaient les bases même de la foi.

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    Luther brûlant la bulle d'excommunication 

    L'imprimerie va lui permettre de propager ses idées, ses écrits, la réforme qu'il prône qui se fonde sur la lecture des Ecritures va se répandre comme une trainée de poudre et ébranler Rome et toute la chrétienté.

    L'homme a une face sombre qui apparait lorsqu'il n'hésite pas à prôner la violence pour réprimer les Anabaptistes qu'il jugeait séditieux, ou à approuver la guerre contre les paysans révoltés ou lorsque un antisémitisme violent et effrayant se fait jour dans ses écrits alors que quelques années auparavant il avait appeler  « à traiter amicalement les juifs ».

    Heureusement le réformateur a aussi une face nettement plus solaire, lorsqu'il prône l'instruction des filles, il est laïc avant l'heure lorsqu'il contribue à ce que le pouvoir politique s'émancipe de la tutelle de l'Eglise.  

    Matthieu Arnold dit qu'il est l'inventeur de la langue allemande, avec sa traduction pour rendre accessible la Bible à tous.

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    La Bible de Luther  

     

    Cette biographie s'étend aussi sur les différentes crises traversées par Luther, sur son mariage et sa vie familiale.

     Ce n'est pas une biographie légère, il est parfois difficile de suivre les tours et détours de la pensée de Luther, c'est très dense, très riche, Matthieu Arnold n'hésite pas à briser quelques idées reçues mais ne fait pas l'impasse sur les aspects gênants de la personnalité de Luther. 

    Une bonne façon de comprendre un peu mieux, à travers son inspirateur, la réforme protestante. 

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    Le livre : Luther - Matthieu Arnold - Editions Fayard

  • Retour à Lemberg - Philippe Sands

    Ceci n'est pas un roman pas plus qu'un livre facile à lire. Si comme moi vous n'avez qu'un vernis de connaissances juridiques vous aurez un petit effort à faire mais vous en serez récompensé.

    Voilà un récit fascinant et surprenant. 

    Philippe Sands est juriste international spécialiste des Droits de l'homme et c'est dans le cadre de son travail qu'il assiste à une conférence à Lviv en Ukraine.

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    Lviv aujourd'hui

    Lviv ou Lwów  ou Lemberg, selon les différentes dénominations, dans la province de Galicie. Une de ces villes qui ont été successivement polonaises, russes, allemandes et retour dans l'autre sens. Une de ces Terres de sang dont parle Timothy Snyder. Dans cette ville une seule chose sera intangible : la ségrégation, la spoliation et le massacre des juifs.

      "un lieu de mythologies, un endroit aux racines intellectuelles profondes où les communautés de culture, de langue et de religion s'entrechoquaient au sein de la grande maison que fut l'Empire austro-hongrois.

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    Lwow d'avant guerre

    Il découvre surtout que dans cette ville sont nés ou ont vécu, dans les années 1920/1930 son grand-père Leon Buchholz seul survivant de sa famille, Hersh Lauterpacht et Raphael Lemkin deux brillants penseurs du droit international

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    Hersh Lauterpacht et Raphael Lemkin

    Trois hommes, trois juifs qui ont été mêlé chacun à leur manière à la réflexion, la rédaction et l'application de deux concepts de droit en vigueur aujourd'hui et que tout le monde connait : le Crime contre l'humanité et le Génocide. 

     

    Le livre se centre sur trois pôles : 

    le premier c'est une enquête familiale autour de Leon Buchholz et son épouse Rita, qui connurent les déplacements entre la pologne, l'Empire Austro-hongrois, la France, au gré des guerres et conflits, en fonction des menaces qui pesèrent sur eux et qui terminèrent leur vie à Londres.

    Plusieurs mystères intriguent Philippe Sand, sa mère Ruth fut effectivement confiée à quelqu'un qui la rapatria en Angleterre alors que Rita sa mère restait à Vienne ! Son grand-père avait seul quitté Vienne y laissant femme et enfant ce qui parait pour le moins curieux.
    Sa quête est parfois aidée par le hasard, mais le plus souvent c'est l'acharnement pour donner du sens à des indices minuscules qui finit par payer et lui donner quelques clés de son histoire familiale

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    Lemberg en 1915

     Une photo, une adresse, un nom de rue, un bulletin scolaire, les horaires des chemins de fer : tout est bon pour creuser le passé mais en bon avocat P Sands cherche des preuves.
    On retrouve ici l'émotion ressentie à la lecture des Disparus de Daniel Mendelhson. 

    Le second pôle est une enquête sur les deux juristes juifs d'origine qui vécurent à Lemberg et chacun de leur côté tentèrent de développer le droit international en matière de droits de l'homme : l'un milita pour la reconnaissance du concept de Crime contre l'humanité, l'autre pour la notion de Génocide
    Nous voyons poindre leur vocation, leur parcours intellectuel et personnel. Raphael Lemkin et Hersch Lauterpacht, ont vécu et étudié dans la ville de Lviv et assisté à des conférences du même professeur de droit, Juliusz Makarewicz

    Deux hommes très différents, dont l'apport fut déterminant.

    Philippe Sands clarifie les deux concepts du droit qui s'appuient l'un sur les droits individuels des personnes et l'autre sur le droit des communautés et des groupes. Ces notions dont aujourd'hui on admet qu'elles dépassent celle de souveraineté d'un état mais qui mirent du temps à s'imposer et qui aujourd'hui encore donnent lieu à bien des débats.

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    Au procès de Nuremberg américains et anglais étaient opposés à introduire la notion de génocide, peut-être en partie par crainte de se voir mis en cause dans sa politique coloniale pour la Grande Bretagne et pour son aptitude à fermer les yeux sur les pratiques du Klu Klux Klan pour l'autre.

     Enfin Philippe Sands oriente son travail vers Hans Frank, le Gouverneur général de la Pologne occupée.

    Hans Frank, l'amateur d'art, l'homme qui adorait la musique mais qui dit à Curzio Malaparte avec qui il s'apprête à boire un verre de vin de Bohème 

    « Tu peux boire sans crainte, mon cher Malaparte; Ce n'est pas du sang juif. »

    Les pages sur Hans Frank sont difficiles, son fils Niklas est devenu un ami de l'auteur et est d'une sévérité absolue envers son père et sa mère qui elle aussi joua un rôle fort dans la dérive nazie de son mari.

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    Hans Frank le bourreau de la Pologne

    Juriste de formation il fut à l'origine des lois  qui ont institutionnalisé l'antisémitisme en Allemagne et il fut un des premiers à subir la justice pénale internationale en matière de Crime contre l'humanité.
    Son procès est le point culminant du livre puisqu'il rassemble tous les protagonistes du livre. 

     

    Un livre qui m'a passionné même si il est parfois exigeant. 

    Sands est un important avocat des droits de l'homme, il a été impliqué dans le procès de l'extradition du dictateur chilien Augusto Pinochet par exemple. Il parvient à rendre sa recherche et son enquête très vivantes, sa verve narratrice tient le lecteur en attente d'une façon qui s'apparente à une quête policière.

    A travers sa famille, Sands fait un tableau des familles juives qui à l'époque vécurent dans des pays où le danger les guettait, qui vécurent la fuite et l'expatriation forcée, les recommencements dans un nouveau pays.
    Il met aussi l'accent sur ces héros anonymes, modestes, oubliés, comme Mrs Tilney qui permit à la mère de l'auteur de faire le voyage entre Vienne et Paris.

    J'ai aimé le portrait de ces trois hommes (excluons Franck évidement) par forcément très sympathiques mais qui furent portés par une foi inébranlable en une certaine idée de la justice alors même qu'ils étaient  dans l'ignorance de ce qui était advenu à leur famille. 

    Ils ont marqué de leur empreinte la législation et surtout éveillé la conscience des peuples et des dirigeants.

    Un livre qui demande un peu de temps que vous ne regretterez pas. 

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    Le livre : Retour à Lemberg - Philippe Sands - Traduit par Astrid von Busekist - Editions Albin Michel 2017

  • Lutter contre l'oubli

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    L'histoire ne nous tombe pas du ciel,
    Elle ne tient que par l'attention et la persévérance de ceux qui veulent son incertitude *

    La véritable tragédie n'est jamais une confrontation directe entre le Bien et le Mal, mais plutôt, de façon plus exquise et plus douloureuse à la fois, un conflit entre deux conceptions du monde irréconciliables. **

    Oublier les morts serait les tuer une deuxième fois.***

     

    Les Livres 

    * Pierre Pachet - La violence du temps - Editions du Seuil
    ** Daniel Mendelsohn - Les Disparus - Editions Flammarion
    *** Elie Wiesel - La nuit - Editions de Minuit

  • Underground Railroad - Colson Whitehead

    Sur le sujet de l'esclavage j'ai déjà lu de bons livres, Toni Morrison, Alice Walker et la couleur pourpre, et plus récemment le thème apparait en filigrane dans le roman de Tracy Chevalier La dernière fugitive.
    Mais le sujet ne s'épuise pas et j'ai choisi le roman de Colson Whitehead parmi tous les titres de cette rentrée.

     

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    Nous sommes en Géorgie avant la guerre de Sécession. Sur la plantation des frères Randall les esclaves sont particulièrement maltraités. Cora a 16 ans, sa mère Mabel l'a abandonné en s'enfuyant et n'a jamais été reprise, le propriétaire déverse sa haine sur cette fille qui symbolise son échec.

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    Plantation en Caroline du Sud ©ivredelivres

    Cora ne vit pas, elle survit, elle est dure et déterminée. Lorsque Caesar, un jeune esclave qui sait lire, lui propose de s'enfuir avec lui, elle hésite mais deux événements vont la faire basculer. 

    Il y a urgence " Il voulait partir le plus tôt possible. La nuit prochaine. Ils devraient se contenter d’une lune déclinante. Les agents du chemin de fer clandestin les attendaient." Ils entreprennent une véritable odyssée vers le nord, vers la liberté.

    C'est un chemin semé d'embûches, il faut échapper à Ridgeway le chasseur de primes qui fait de la capture de Cora une affaire personnelle, il n’avait pas réussi à mettre la main sur Mabel, il compte bien se venger sur la fille. 
    Ils vont rencontrer un premier homme qui va les aider et plonger pour la première fois vers l'inconnu :

    " Cora et Caesar remarquèrent les rails. Deux rails d’acier qui parcouraient le tunnel à perte de vue, rivés à la terre par des traverses de bois. Les rails filaient vers le sud et vers le nord, présumaient-ils : ils surgissaient d’une source inconcevable et coulaient vers un terminus miraculeux. "

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    Caroline du Sud en 1862 © Alamy Stock Photo

    Ce périple c'est celui suivi par les noirs en fuite, aidé par un réseau constitué d'abolitionnistes souvent portés par leurs convictions religieuses (Méthodistes et Quakers ) une route vers la liberté au delà de la ligne Mason-Dixon qui séparait la Pensylvannie du Maryland.

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    L'Underground Railroad fut très actif dans les années 1850/1860 malgré les chasseurs de primes, les dénonciations. Toute aide était assimilée à un délit et entrainait la pendaison. Les milices semaient la terreur, pouvaient tuer en toute impunité. 

    D'état en état les horreurs prenaient des visages différents. 

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    Maison d'esclaves sur une plantation

    La Géorgie et ses inhumaines plantations,

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    la Caroline du sud et son apparente bienveillance qui a mis sur pied " un des projets scientifiques les plus audacieux de l’Histoire."  qui s'apparente à l'eugénisme.

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    " En Caroline du Nord, la race Noire n'existait pas, sinon au bout d'une corde." 
    Le Tennessee dévasté par les incendies et la fièvre jaune, et l'Indiana qui ne fait que perpétuer le rêve de liberté. 

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    L'esclave vue par Holywood

     

    Toujours un peu risqué de traité un sujet comme celui du racisme et de l'esclavage sur le mode romanesque. 
    La réussite est là, la très belle métaphore de ce réseau souterrain donne une dimension supplémentaire au roman.

    C'est un récit empli d'amertume à l'écriture forte, parfois brutale. Les premières plages du roman sont insoutenables mais reflètent bien la situation à laquelle étaient acculés ces hommes et ces femmes.

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    12 years slave : plus près de la réalité 

    La maitrise du récit est totale jusque dans ses inventions magnifiques. Les personnages ne sont pas manichéens, les noirs ne sont pas forcément très sympathiques et les blancs ne sont pas tous des tortionnaires, mais l'être humain en général ne sort pas grandi du récit malgré les quelques figures d'hommes et de femmes que l'on pourrait qualifier de Justes. 

    On sort de cette lecture ébranlé et admiratif et l'on comprend que le livre ait été couronné à la fois du Pulitzer et du National Book Award. 

    Un vrai et grand moment de littérature  

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    Les marais qui empêchaient les évasions © ivredelivres

     

    Une petite aparté : J'ai eu la chance de passer une journée sur une ancienne plantation en Caroline du Sud, bien sûr que sont gommés les souvenirs les plus forts et les plus choquants, pourtant il reste qu'à parcourir les lieux on imagine avec effroi et compassion ce que devait être la vie des esclaves, le climat extrêmement difficile à supporter avec des étés chauds et humides, une végétation et une faune immédiatement dangereuse qui devait freiner toute velléité de fuite et ça sans même évoquer les mauvais traitements, les maladies, la peur ……

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    Le livre : Underground Railroad - Colson Whitehead - Traduit par Serge Chauvin - Editions Albin Michel

  • L'Odeur de la forêt - Hélène Gestern

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    Parce qu'elle a lié amitié avec Mme de Chalendar, Elisabeth Bathori, historienne à L'Institut pour la mémoire photographique du siècle, se voit confier la correspondance d'Alban de Willecot un jeune homme mort au front en 1917.

    Particularité : l'essentiel de la correspondance est adressé à un grand poète de l'époque : Anatole Massis dont malheureusement les réponses aux lettres d'Alban ont disparu.

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    Apollinaire : un poète à la guerre

    Elisabeth est aussitôt passionnée par ce travail, les documents viendront enrichir le fond de l'Institut mais au-delà, ce travail lui permet de sortir peu à peu d'une sévère dépression suite à la mort de son conjoint.

     

    Elisabeth s'attache à Alban de Willcot. Quelques mois plus tard à sa grande surprise elle hérite une maison de Mme de Chalendar, charge pour elle de poursuivre les recherches sur la famille, d'explorer les zones d'ombre de l'histoire familiale, de rechercher les documents manquants. 

    Elisabeth s'installe dans cette maison où tout lui plait. Grâce à son obstination et à ses méthodes de recherche, peu à peu l'histoire prend forme, un personnage nouveau apparait : Diane, jeune fille passionnée de mathématiques mais que les moeurs de l'époque empêchent de faire des études, elle a, elle aussi, correspondu avec Alban, elle a tenu un journal qui conduira Elisabeth à élargir ses recherches loin de la France et au-delà de la Première Guerre. 

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    Ces cartes qui maintenaient le lien

     

    C'est une traversée du siècle que propose Hélène Gestern. A travers les traces laissées : photos, lettres, journaux, la reconstitution du passé devient possible et fait oublier à l'héroïne sont douloureux présent 

    « J’empruntais la vie d’une autre, je mettais mes pas dans les siens, j’adoptais son histoire. Était-ce malsain, morbide, immoral ? Je ne le savais pas et je n’avais pas voulu me poser la question, me laissant guider par une mémoire qui ne m’appartenait pas, mais dont j’épousais sans discuter les méandres. Parce que, à la faveur de cette enquête sur les lettres centenaires d’un soldat dont j’ignorais l’existence quelques mois plus tôt, quelque chose d’infiniment lent avait commencé à remuer à l’intérieur de moi, quelque chose qui n’avait pas encore ni forme ni nom, mais qui poussait obscurément les parois du chagrin pour réclamer l’énoncé de la lumière. »

     

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    Lettres des poilus

    C'est une belle façon de mettre en avant ces disparus « avalés par la guerre, le temps, le silence »; de mettre à l'honneur le travail parfois fastidieux des historiens, archivistes, tous ceux qui permettent que l'histoire ne soit plus seulement celle des événements mais aussi celles d'hommes et de femmes.

    J'ai beaucoup aimé ce roman, très dense. Grâce à l'habileté d'Hélène Gestern on suit les traces, on déroule le fil de l'histoire. J'ai été prise par la richesse du récit, par la complexité de ses personnages, par les problèmes évoqués au fil des pages : la place des femmes qui change avec la guerre, les secrets familiaux qui empoisonnent parfois plusieurs générations, les vérités pas toujours bonnes à dire sur les faits historiques.

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    Ces hommes longtemps niés, cachés

    J'avais lu avec plaisir son roman précédent : Eux sur la photo, mais j'ai vraiment aimé celui-là et je vous le recommande comme une lecture d'été tout à fait passionnante

     

    Le livre : L’Odeur de la forêt - Hélène Western - Editions Arléa

  • Un été pas comme les autres

     

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    « Sous un soleil blanc et fixe, les hommes, chemise ouverte et gouttes de sueur sur la peau, achèvent de creuser leurs tranchées. Par-dessus le grondement des batteries éloignées, nous distinguons, assourdies encore et ouatées, les détonations de batteries plus proches. Je perçois, en tendant l'oreille, des sifflements légers, qui se brisent en une explosion miaulante : ce sont des shrapnells qui éclatent, lentement dissipés dans l'air calme. »

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    « Nous marchons, chassés en avant par une poussée inouïe dont j'éprouve seulement alors la sensation nette. Nous sommes courageux et nous voulons bien faire ; mais où sont nos canons qui feraient taire ceux-là ? Nous sommes bousculés, nous cédons. Et tout doucement une impression naît en moi, s'affirmant jusqu'à m'accabler : je nous sens petits en face de cette force. »

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    « Et la pluie tombe, lourde, serrée, plaquant les capotes sur les dos, ruisselant en fontaine au bord des visières des képis. Le vent a cessé de mugir. Il souffle plus lent, comme apaisé, mais glacé, traître. Je sens l'approche du jour. C'est en moi un appel ardent vers la lumière. Je revois le champ de bataille de Sommaisne, baigné de soleil, net de lignes et riche de couleurs. Cette nuit, on se tire dessus en aveugles, on s'égorge à tâtons. Je ne voudrais pas mourir dans cette boue glacée, dans ces flaques d'eau qu'on ne voit pas… »

     

    Le livre : Ceux de 14 - Maurice Genevoix - Editions Flammarion