Sur le sujet de l'esclavage j'ai déjà lu de bons livres, Toni Morrison, Alice Walker et la couleur pourpre, et plus récemment le thème apparait en filigrane dans le roman de Tracy Chevalier La dernière fugitive.
Mais le sujet ne s'épuise pas et j'ai choisi le roman de Colson Whitehead parmi tous les titres de cette rentrée.
Nous sommes en Géorgie avant la guerre de Sécession. Sur la plantation des frères Randall les esclaves sont particulièrement maltraités. Cora a 16 ans, sa mère Mabel l'a abandonné en s'enfuyant et n'a jamais été reprise, le propriétaire déverse sa haine sur cette fille qui symbolise son échec.
Plantation en Caroline du Sud ©ivredelivres
Cora ne vit pas, elle survit, elle est dure et déterminée. Lorsque Caesar, un jeune esclave qui sait lire, lui propose de s'enfuir avec lui, elle hésite mais deux événements vont la faire basculer.
Il y a urgence " Il voulait partir le plus tôt possible. La nuit prochaine. Ils devraient se contenter d’une lune déclinante. Les agents du chemin de fer clandestin les attendaient." Ils entreprennent une véritable odyssée vers le nord, vers la liberté.
C'est un chemin semé d'embûches, il faut échapper à Ridgeway le chasseur de primes qui fait de la capture de Cora une affaire personnelle, il n’avait pas réussi à mettre la main sur Mabel, il compte bien se venger sur la fille.
Ils vont rencontrer un premier homme qui va les aider et plonger pour la première fois vers l'inconnu :
" Cora et Caesar remarquèrent les rails. Deux rails d’acier qui parcouraient le tunnel à perte de vue, rivés à la terre par des traverses de bois. Les rails filaient vers le sud et vers le nord, présumaient-ils : ils surgissaient d’une source inconcevable et coulaient vers un terminus miraculeux. "
Caroline du Sud en 1862 © Alamy Stock Photo
Ce périple c'est celui suivi par les noirs en fuite, aidé par un réseau constitué d'abolitionnistes souvent portés par leurs convictions religieuses (Méthodistes et Quakers ) une route vers la liberté au delà de la ligne Mason-Dixon qui séparait la Pensylvannie du Maryland.
L'Underground Railroad fut très actif dans les années 1850/1860 malgré les chasseurs de primes, les dénonciations. Toute aide était assimilée à un délit et entrainait la pendaison. Les milices semaient la terreur, pouvaient tuer en toute impunité.
D'état en état les horreurs prenaient des visages différents.
Maison d'esclaves sur une plantation
La Géorgie et ses inhumaines plantations,
la Caroline du sud et son apparente bienveillance qui a mis sur pied " un des projets scientifiques les plus audacieux de l’Histoire." qui s'apparente à l'eugénisme.
" En Caroline du Nord, la race Noire n'existait pas, sinon au bout d'une corde."
Le Tennessee dévasté par les incendies et la fièvre jaune, et l'Indiana qui ne fait que perpétuer le rêve de liberté.
L'esclave vue par Holywood
Toujours un peu risqué de traité un sujet comme celui du racisme et de l'esclavage sur le mode romanesque.
La réussite est là, la très belle métaphore de ce réseau souterrain donne une dimension supplémentaire au roman.
C'est un récit empli d'amertume à l'écriture forte, parfois brutale. Les premières plages du roman sont insoutenables mais reflètent bien la situation à laquelle étaient acculés ces hommes et ces femmes.
12 years slave : plus près de la réalité
La maitrise du récit est totale jusque dans ses inventions magnifiques. Les personnages ne sont pas manichéens, les noirs ne sont pas forcément très sympathiques et les blancs ne sont pas tous des tortionnaires, mais l'être humain en général ne sort pas grandi du récit malgré les quelques figures d'hommes et de femmes que l'on pourrait qualifier de Justes.
On sort de cette lecture ébranlé et admiratif et l'on comprend que le livre ait été couronné à la fois du Pulitzer et du National Book Award.
Un vrai et grand moment de littérature
Les marais qui empêchaient les évasions © ivredelivres
Une petite aparté : J'ai eu la chance de passer une journée sur une ancienne plantation en Caroline du Sud, bien sûr que sont gommés les souvenirs les plus forts et les plus choquants, pourtant il reste qu'à parcourir les lieux on imagine avec effroi et compassion ce que devait être la vie des esclaves, le climat extrêmement difficile à supporter avec des étés chauds et humides, une végétation et une faune immédiatement dangereuse qui devait freiner toute velléité de fuite et ça sans même évoquer les mauvais traitements, les maladies, la peur ……
Le livre : Underground Railroad - Colson Whitehead - Traduit par Serge Chauvin - Editions Albin Michel
Commentaires
À votre façon toutes les lectrices et lecteurs de ce roman, vous êtes marqués par sa lecture. Il est donc dans ma liste. Merci.
un livre marquant pour moi en effet
Bonjour Dominique, je n'entends et lis que du bien à propos de ce roman, cela semble justifié à te lire semble t-il. Je l'ai noté comme Luocine. Mais si l'histoire est aussi dure que dans 12 years a slave, il faut je m'arme de courage. Je l'avais trouvé insoutenable par moment. Bonne journée.
certains passages sont très durs, globalement le livre aussi de par son sujet
Je note ce livre. C'est un hommage répété que les Etats-Unis devrait rendre à tous ces êtres qui ont souffert et participé bien douloureusement à leur richesse.
Les livres heureusement sont là pour que vive leur mémoire et rappeler ce sacrifice humain.
On trouve encore aujourd'hui la trace de ces événements il n'y a qu'à voir ce qui s'est passé récemment en Caroline !!!
Je suis certainement une des seules à émettre des réserves sur ce roman, notamment pour ce qui est des personnages que je n'ai pas trouvés particulièrement forts, certains même bâclés. Sur le sujet vraiment, j'ai lu beaucoup mieux...
je ne suis pas d'accord avec toi du tout, je crois que si les personnages ne sont pas fouillés ils représentent tous les anonymes qui ont suivi le même chemin, la même souffrance
Il y a une multitude de personnages qui représentent bien la multitude nécessaire pour permettre à quelques 100 000 esclaves de trouver le chemin de la liberté
j'ai aimé les trouvailles que je ne détaille pas pour ne pas gâcher le plaisir de lecture, j'ai aimé les rapprochements avec des situations historiques plus récentes ( Anne Franck par exemple)
Bref j'ai beaucoup aimé ce roman
Hum, je demeure petite nature, et surtout j'ai l'impression de connaître le sujet, j'ai lu pas mal dessus (même la case de l'oncle Tom, où il y a des passages difficiles aussi!) Je risque de rester sur no home et Racines, ou y a t-il du nouveau?
j'ai également beaucoup lu sur le sujet, je trouve que ce roman renouvelle le genre d'une belle façon
Ton avis donne envie, comme souvent ! Surtout lorsque tu dis que les personnages ne sont pas manichéens, c'est souvent facile de juger en blanc et noir ( sans mauvais jeu de mots !). La réalité devait être bien plus complexe, et c'est souvent la littérature qui permet ce recul, la justesse est rare !
le personnage principal provoque la compassion évidement mais elle n'est pas totalement sympathique et j'aime ces nuances pour les personnages
Le sujet m'intéresse et tu donnes envie de le lire, je vais voir si je peux le télécharger sur la kindle, peux-tu me donner le titre original s'il te plait
c'est le titre original
Quel succès pour ce titre que l'on voit fleurir partout en cette rentrée littéraire, et c'est tant mieux, compte tenu du sujet abordé, et, si j'en crois les divers avis lus à son propos, de sa qualité... ! Il est sur ma PAL aussi, j'attendais sa traduction depuis qu'il a fait parler de lui en obtenant le Pulitzer, il me tarde de la découvrir à mon tour..
un livre que j'ai beaucoup aimé, je l'ai lu pour le sujet plus que pour le prix Pulitzer qui est parfois attaché à des romans un peu décevant, mais là ce ne fut pas le cas
Je l'ai déjà noté ; je vais attendre qu'il arrive à la bibliothèque.
on peut penser que les bibliothèques vont l'acquérir
Il me tente beaucoup. Je note les réserves de Sandrine, mais je le lirai quand même car le sujet m'intéresse et on en sait tellement peu sur ce moment de l'histoire américaine.
je n'ai pas ressenti du tout la même chose que Sandrine, j'attends ton opinion, c'est intéressant que nous ne lisions pas tous de la même façon
Difficile tout cela, et pourtant je sais que c'est une réalité, je note pour ma maman. La couverture du livre est très belle...
Douce journée Dominique. brigitte
maintenant que je connais un peu ses lectures je pense que celui là devrait l'accrocher
J'attends de le croiser en bibliothèque, un bon roman américain comme ça ça ne se refuse pas !
tu auras raison
A lire, certainement. Merci pour la carte qui éclaire ces parcours sud/nord salvateurs (qui me rappellent la volonté de Richard Wright dans "Balck boy").
un livre où l'on retrouve des points communs avec des romans antérieurs mais qui par sa forme apporte un supplément d'âme à cette histoire
Je l'avais noté en anglais, mais j'ai préféré attendre la traduction et les avis de lecteurs français... maintenant je me tâte parce que les passages difficiles le seraient peut-être moins en anglais. Bref, ce sera l'occasion qui me fera le lire... Je ne sais pourquoi, j'ai lu la première phrase et je la trouve très belle dans sa simplicité..
C'est un très bon roman, j'ai aimé l'écriture et la construction qui tout en étant classique est mise au service du récit
Ce roman fait partie de mes incontournables de cette rentrée, même si certaines pages sont difficiles : le sujet le mérite.
tu n'as pas encore fait de billet ? je ne l'ai pas trouvé
J'ai beaucoup lu sur le sujet mais celui-ci, il me le faut !
j'espère que tu auras la même impression forte à sa lecture
Si enthousiaste sur l'extraordinaire Ballade pour John Henry j'ai bien l'intention de le lire. Reconnaissons que les médias nous le matraquent pas mal aussi.
je ne lis plus beaucoup la presse littéraire et du coup j'ai échappé au matraquage, c'est vraiment le sujet qui m'a décidé
Je n'ai pas Balade pour John Henry encore un retard à rattraper
C'est l'un de ceux que j'ai repérés pour cette rentrée. En voyant ces beaux paysages du sud-est des Etats-Unis, difficile de croire qu'il s'y est passé de telles horreurs...
les paysages sont magnifiques mais les marais donnent immédiatement une sensation de danger
décidément malgré tous mes efforts il est impossible de poser un commentaire chez toi, je ne sais pas si c'est mon navigateur qui ne plait pas à Canal blog
c'est très agaçant
même en changeant de navigateur impossible de déposer chez toi un commentaire .....mystère car avant j'y parvenais sans problème
J'avais trouvé la dernière fugitive intéressante mais superficielle. Celui-là me tente davantage même si c'est romancé.
La dernière fugitive était intéressant pour le portrait de ces familles quakers mais effectivement ce n'était pas un grand roman sur le sujet
Celui là est d'une autre facture
J'ai vu "12 years a slave" et votre billet me le rappelle. En lisant beaucoup sur Faulkner, le Mississipi de la première partie du 20è siècle me remet souvent en face des gros problèmes raciaux dans cet état. Les crimes contre les noirs, les assassinats, étaient encore largement approuvés par la société civile blanche dans les années 1960.
Merci pour ce billet intéressant.
Pas aussi enthousiaste que toi sur ce livre... lecture facile, on passe un bon moment mais c'est tout. Ai lu bien plus fort sur ce sujet.
Le livre est assez fort mais j'avais tout de même davantage été remué par Ballades pour John Henry. Billet prochainement.
je vais lire ton billet et j'ai noté la référence du livre dont les critiques étaient en effet très bonnes