Voilà un roman à la fois passionnant et déroutant lu dans le cadre de la lecture commune proposée par Passage à l'Est et Si on bouquinait.
Un roman passionnant sur le fond, l’Holocauste et le problème de la responsabilité, la question torturante du bien et du mal.
Un roman déroutant par sa forme qui flirte avec l’humour noir, une ironie dévastatrice et même le ridicule.
Un texte provocant chez le lecteur une quasi apnée, un quasi étouffement par la particularité de l’écriture et par le choix d’un paragraphe qui court sur plus de 100 pages.
Belgrade après l'invasion allemande
Le roman se situe à Belgrade, dans un passé assez proche mais non daté.
Le narrateur un juif professeur de lettre dont pratiquement toute la famille a disparu dans les camps, est amené à faire des recherches sur son passé et celui de sa famille.
Ses recherches dans les archives sont décevantes mais il a trouvé un petit fil rouge, deux SS envoyés d’Allemagne pour leur compétence particulière, conduire et faire fonctionner un camion transformé en chambre à gaz. Ils sont mutés à Belgrade pour leur « savoir faire »
Un camion à gaz utilisé en Pologne
Goetz et Meyer, deux SS que David Albahari transforme en une seule entité « Goetz et Meyer »
Le narrateur tente de comprendre ce qui s’est passé, de comprendre qui étaient ces deux hommes qui ont participé à l’élimination de sa famille et à celle de cinq mille juifs de Serbie.
Cette enquête tourne à l’obsession et le narrateur frôle parfois la folie par la difficulté a retrouver trace de sa famille et au fur et à mesure qu’il découvre les faits, les noms, les chiffres.
Déportations en ex-Yougoslavie
Pourquoi « Goetz et Meyer » ont-ils participé au Génocide ? Comment ont-ils fait pour supporter cela ? Voir des femmes, des enfants, des vieillards, monter dans ce camion, leur sourire, faire « comme si » il s’agissait d’un petit voyage anodin puis débarrasser le camion des corps, nettoyer le tout et … recommencer.
Sont ils inconscients ? Sont ils des modèles d’obéissance ? Sont-ils des monstres ?
A la lecture de tous les livres sur l’Holocauste, les questions lancinantes sont toujours les mêmes : pourquoi, quel homme peut faire cela, qu’est-ce qui me différencie de tels hommes, qu’aurais je fais dans les mêmes circonstances …
Que reste-t-il aux survivants ? J’ai pensé à plusieurs reprises au livre de W.G. Sebald Les émigrants, en lisant ce roman.
David Albahari livre ici un roman d’une très grande force qui ouvre la porte aux interrogations, à l’incompréhensible, à l’inhumain.
J’ai été bouleversée par ce roman. Tout d’abord parce qu’il évoque, ce que j’ignorais totalement, l’existence de camps en Serbie, et parce que quand on dit Holocauste on ne pense pas forcément à ce pays.
Staro Sajmiste Camp de concentration Serbe
Un roman sombre bien entendu mais qui palpite pourtant de vie, une vie douloureuse certes mais la vie « malgré tout ».
Il plonge le lecteur dans un magma brûlant le contraignant à courir devant les coulées de lave qui déferlent.
Sa façon de transformer ces deux hommes en une seule entité « Goetz et Meyer » les liant définitivement car ils sont les « rouages d’un vaste mécanisme »
Les témoins de l’Holocauste sont en train de disparaitre et il est indispensable que des voix reprennent ce récit, empêchent l’oubli.
Un grand et beau roman qui date déjà de 2002, alors un grand merci à Passage à l’Est qui me l’a fait connaitre et qui a initié cette lecture commune avec Patrice.
Le livre : Goetz et Meyer - David Albahari - Traduit par Gabriel Iaculli et Gojko Lukic- Editions Gallimard