J’ai lu il y a trois ans Jours de travail qui était le journal d’écriture des Raisins de la colère. J’avais beaucoup aimé ce livre j’ai donc tout naturellement lu le journal d’écriture d’A l’est d’Eden.
Il faut malgré tout que je vous prévienne, si vous n’avez jamais lu les romans je vous déconseille de lire ces journaux. Non que ce ne serait pas intéressant mais c’est tellement plus prégnant après la lecture du roman.
Outre que Steinbeck donne des détails qui casseraient un peu les surprises de lecture.
Pascal covici
C’est parti
Ces lettres sont destinées à son éditeur et ami Pascal Covici. Steinbeck joue franc jeu avec lui, ne lui épargne pas ses difficultés, mais l’associe à ses joies.
Au fil des pages on voit naitre le roman et l’on en suit la génèse.
Ce livre lui a été inspiré par ses fils, il a muri le roman durant 3 ans avant de se lancer. Il est prêt :
« La forme en sera étonnante, l’écriture maigre et décharnée, les concepts rugueux, la philosophie antique et en même temps à peine née »
Le thème ? « L’histoire du bien et du mal, de la force et de la faiblesse, de l’amour et de la haine, de la beauté et de la laideur. »
John Steinbeck est quelqu’un qui doute, sera-t-il à la hauteur ?
« Que je sois assez bon ou assez doué pour le faire reste encore une interrogation »
Il tente donc de se rassurer « J’ai de l’expérience, je connais l’amour et j’ai connu la douleur »
Il est à la fois optimiste et méfiant, son expérience des Raisins de la colère reste comme une épine plantée dans le cœur.
Il a une forte ambition pour ce livre « Je veux faire celui-là comme si c’était le dernier »
Il s’installe, achète une nouvelle pipe, fait provision de crayons à papier d’une marque particulière, et il ne lésine pas les achetant pas dizaine !!
Il est temps de démarrer « Il faut que je me rende dans la vallée de Salinas »
Les Hamiltons entrent en scène : « je peux raconter ce que je veux à leur sujet parce qu’ils sont tous morts et qu’ils ne s’offusquent pas de la vérité »
La famille Trask c’est autre chose « J’ai plongé dans l’histoire de leurs ancêtres. Je connais leur humeur et leurs pulsions peut-être mieux que les miennes »
Je suis touchée et un peu dans l’incompréhension, comment un écrivain peut à ce point s’approprier des personnages ?
L’auteur a une idée bien arrêtée de ce que sera son roman
« C’est un roman à l’ancienne, Pat. Il atteindra l’effet qu’il recherche grâce à une accumulation et non grâce à de rapides épisodes à l’éclat fugitif »
Qu’on se le dise ce roman va prendre son temps, et donc évidemment ce sera un pavé.
Steinbeck explique le rythme de ses journées, ses jours de doute, ses jours de joie.
Plus question de se jeter tête la première dans le récit.
Il ne veut pas revivre la tension des Raisins de la colère « Je souhaite que ce soit un livre très lent et pas qu’il se mette à courir loin devant moi.»
Je suis toujours étonnée quand un auteur parle de son livre comme d’une chose qui lui échappe ! Pourtant Steinbeck parle de ses personnages comme s’ils n’émergeaient de rien grâce à l’histoire.
Lorsqu’il reçoit l’état des lieux de la vente de ses livres, il est rassuré.
Il redoute l’échec mais en fait il n’est obnubilé que par le livre en gestation « Je me fiche éperdument d’un livre une fois qu’il est terminé. L’argent et la célébrité qui en découlent n’ont aucun lien avec le sentiment qu’il m’inspire. »
Je vous laisse découvrir comment le titre passera du Signe de Caïn au titre véritable. Comment le dernier chapitre du livre va lui donner du fil à retordre, le voir se plonger dans la Bible, chercher le sens des mots en hébreu.
Le roman est dense et long et Steinbeck avoue « J’ai l’impression d’écrire depuis une éternité »
Ce livre sera automatiquement à côté des romans de Steinbeck, comme une leçon, comme un mystère résolu, comme un exemple.
Le livre : Les lettres d’A l’est d’Eden journal d’un roman – John Steinbeck – traduit par Pierre Guglielmina – Éditions Seghers