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Essai - Page 16

  • Lettre sur le pouvoir d'écrire - Claude-Edmonde Magny

     

     Des mots, toujours des mots, encore des mots...

     

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                        « Nul ne peut écrire s'il n'a le coeur pur  » 

     

    Ce tout petit livre qui est dans ma bibliothèque depuis 1993, était épuisé depuis longtemps. Les éditions Flammarion ont l’excellente idée de le rééditer, il sortira fin d’août. 

     

    1943. Un jeune homme qui a fui la dictature espagnole se sent invité par l’écriture. Cet homme c’est Jorge Semprun « la langue française est devenue  ma seconde patrie  » dit-il mais il se sent des scrupules et a des doutes sur sa vocation littéraire.

    Une aide et des réponses à ses questions, à sa quête,  vont venir sous la forme d’une lettre, d’une femme, critique littéraire, Claude-Edmonde Magny. 

     

    Que dit-elle dans sa lettre ? 

    Elle dit la foi qu’elle a en la valeur des livres, une foi « tenace ».

    Elle se désole de ces écrivains qui n’ont qu’une hâte c’est en avoir fini avec l’acte d’écrire, de « soupirer vers l’instant où l’on sera , enfin, par delà les mots. »

    Elle met en garde contre l’impression de simplicité de l’acte d’écrire, par exemple croire à la lecture de Laura Malte Brigge « que Rilke n’a eu qu’à y verser telles quelles les angoisses qu’il avait éprouvées à se promener dans les rues de Paris »

    Elle le met en garde envers toute facilité qui peut venir à celui doté d’un trop grand talent, car écrire nécessite un engagement, écrire c’est « se rattacher en quelque façon que ce soit à ce qu’il y a d’essentiel en vous. »

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                                    « La magnificience de Balzac »   

                          

    Cette lettre ne renferme pas uniquement des conseils.

    C’est à une belle balade en littérature que Claude-Edmonde Magny convie le futur écrivain, elle va lui fournir les armes à « une offensive vers la création littéraire » Elle se fait aider par Balzac, Kafka,DH Lawrence, Gide, Cocteau et Proust.

    Ses convictions, ses préférences éclatent à chaque page « Ecrire est une action grave, et qui ne laisse pas indemne celui qui la pratique. » Avis aux amateurs !!!

     

    Cette lettre ne parviendra qu’en 1945 à Jorge Semprun lorsque qu’il rentrera de Buchenwald et qu’il ira frapper à la porte de Claude-Edmonde Magny.

    Cette lettre le suivra partout, mais, pour survivre alors, il choisira de s’éloigner de l’écriture, pourtant la lettre restera pour lui « le seul lien, indirect, énigmatique, fragile, avec celui que j’aurais pu être : un écrivain » 

    L’oeuvre que Semprun écrira ensuite fut une belle réponse à Claude-Edmonde Magny. 

    C’est un texte tout de passion et de sincérité. Un petit livre dont on a aucune envie de se défaire une fois lu. Faites lui une place dans votre bibliothèque.

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    Le livre : Lettre sur le pouvoir d’écrire - Claude-Edmonde Magny - Editions Climats 1993 ou Flammarion 2012

  • Repenser la pauvreté - Abhijit Banerjee et Esther Duflo

    Près d’un milliard de personnes vivent avec moins de un dollar par jour 

     

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    Souvent lors de collectes, de campagnes de dons, je me suis demandé : où va mon argent ? est-il utilisé intelligemment, pour des projets viables, indispensables.

    Mais jamais je n’avais réfléchi vraiment aux questions que posent Esther Duflo et Abhijit Banerjee dans leur livre. 

    Les deux économistes sont partis des comportements des individus et des programmes mis en place par les différentes institutions pour lutter contre la maladie, pour promouvoir l’éducation et la contraception, pour améliorer les ressources.

    Ce que montre très bien ce livre c’est que la pauvreté est un piège dont il est difficile de sortir. 

    On sait que le niveau de vie augmente quand les enfants sont vaccinés, quand les hommes ont accès à l’eau, quand les enfants sont scolarisés, quand le nombre d’enfants par famille est en lien avec les ressources, quand l’agriculture est bien menée. 

     

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    Alors ? 

    Pourquoi les pauvres ne vaccinent-ils pas leurs enfants alors même que c’est gratuit ?

    Pourquoi n’épargnent -ils pas un peu en prévision d’un mauvaise récolte ?

    Pourquoi n’utilise-t-il pas les comprimés de désinfection de l’eau qu’on leur distribue ? 

    Pourquoi n'utilisent-ils pas les moustiquaires distribuées pour lutter contre le paludisme ?

    Pourquoi quand leur ressources augmentent un peu ne consacrent-ils pas l’argent à améliorer leur nourriture ou les cultures ? 

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    Si nous nous posons ces questions c’est parce que nous dans le même cas c’est ce que nous ferions ! 

    C’est oublier un peu vite que nous vivions dans des pays où nous avons accès à l’information, où nous pouvons (presque toujours) faire confiance au médecin, aux médicaments. Nos croyances et nos représentations ont évoluées et nous permettent la plupart du temps de prendre les bonnes décisions. Mais les modèles sociaux qui nous régissent sont forts et il ne faut pas oublier que parfois les programmes de limitation des naissances se sont transformés en campagne de stérilisation obligatoire sans que les pauvres aient leur mot à dire, que les contrefaçons médicamenteuses sont une plaie en Afrique, comprendre les bienfaits d’une action préventive est compliqué et que parfois une désinformation peut mettre à mal la santé y compris dans les pays occidentaux ( recrudescence de mort par rougeole aux USA). 

    Avoir une famille nombreuse est indispensable quand vous n’avez ni sécurité sociale ni système de retraite. Il est inutile d’espérer améliorer votre outil de travail si vous n’accédez pas au crédit.

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    Esther Duflo et Abijit Banerjee s’attaquent aux idée reçue bien ancrées dans nos façons de voir et nous montrent le piège de la pauvreté qui est basé sur l’intrication de multiples facteurs. 

    Le livre incarne les problèmes à travers des individus, des familles ce qui rend à la fois le propos plus proche, plus concret et en même temps rend la lecture très facile et les données statistiques et économiques moins ardues.

    Ce que les auteurs pointent comme problème c’est :

    Le manque d’informations des pauvres et les croyances qui freinent leurs choix, le fait qu'ils assument trop de responsabilités alors que nous sommes en permanence soutenu (école, hôpital, prêts, assurances, stabilité politique), qu'ils manquent de confiance en l’avenir, si nous acceptons de nous priver aujourd’hui c’est pour utiliser notre argent demain, mais ce discours n’a pas de sens quand l’avenir est très incertain.

     

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    Ces problèmes ils les ont identifiés à travers des expériences concrètes dont on peut mesurer scientifiquement les résultats.

     Un exemple

    Des vendeuses de légumes verraient leur affaire se développer et prospérer si elles s’achetaient un chariot pour les transporter, elles pourraient économiser en se privant du thé qu’elles consomment chaque jour, pourquoi ne pas le faire ? simplement parce que l’effort consenti est certain alors que l’avenir ne l’est pas, que leur vie n’est pas suffisamment stable pour qu’elles aient confiance dans le résultat. 

     

    Autre exemple en matière d’incitation à la vaccination donné par Esther Duflo dans le livre

    «  Une des solutions est de donner un petit encouragement, 1 kg de lentilles, par exemple. Petit, car cela ne forcera pas les gens qui ne le veulent pas. On a fait cette expérience dans 120 villages en 2007. Résultat, si l’on ne fait rien pour les inciter, 6% des gens se font vacciner ; après avoir mis en place des campagnes d’informations, on passe à 17%, et lorsqu’on donne un sac de lentilles, on arrive à 38%. Depuis, les taux ont même augmenté. »

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    Le livre fourmille d’anecdotes très concrètes comme celles là et aide à comprendre les motivations et les freins à la lutte contre la pauvreté même lorsque comme moi on a des notions d’économie très très basiques.

    Il faut nous disent-ils mettre en place et tester des programmes d’aide selon des protocoles scientifiquement choisis, lister ce qui marche et ce qui ne marche pas, ce ne sera pas une panacée universelle mais aujourd’hui 204 expérimentations sont en route dans 40 pays pour des programmes de santé, d’éducation, de microcrédit, d’amélioration des techniques agricoles. 

    J’ai aimé leur foi forte dans l’idée que « Les petits changements ont de grands effets » et que la lutte se construit brique à brique.

     

    Quelques liens 

    Le blog d'Annie qui m'a fait découvrir ce livre 

    Les Objectifs du Millénaire pour le développement de l’ONU

    L’association Pratham avec laquelle les auteurs ont travaillé 

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    Le livre : Repenser la pauvreté - Abhijit Banerjee et Esther Duflo - Editions du seuil

  • Transsibérien - Dominique Fernandez

    A travers la steppe 

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    « L’expérience du Transsibérien abolit toute distinction entre soi et le monde, par une dilatation de l’individu à l’infini » 
     

    J’avoue, j’ai un faible pour Dominique Fernandez, son Tolstoï m’a beaucoup plu et j’ai craqué pour son dernier livre : Transsibérien.

    Il faut dire qu’en le feuilletant en librairie que suis tombée sur cette phrase « Ce récit, je m’en excuse, sera farci de lectures et relectures » ce qui fut une incitation très forte.

    En 2010 Dominique Fernandez a participé à un voyage dans le cadre de l’Année Franco-Russe, un voyage mythique en Transsibérien.
    Avec une pléiade d’autres auteurs et journalistes, à bord de wagons aux couleurs des deux pays.

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    « Le Transsibérien quitte chaque jour Moscou, gare de Iaroslavl, à 16H50 »  le bout du voyage est sur la quai de Vladivostok quelques 9000 km plus tard. 

    L’auteur se fixe quelques règles pour ce journal de voyage : pas question d’être « aveugle et bêtement enthousiaste » mais rester vigilant, observer, s’interroger, critiquer si nécessaire mais à la manière d’un amoureux de la Russie. 

    L’auteur a prévenu, les références littéraires seront nombreuses, l’occasion pour le lecteur de se plonger dans un bain de littérature russe de Tchekhov en route pour Sakhaline, Dostoïevski en route pour la Maison des morts, en passant par Tolstoï et ses récits du Caucase ou Gorki, celui des récits d’enfance, avant qu’il encense la construction du Belomorkanal

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    C’est aussi le voyage vers le Goulag de Chalamov ou Soljenitsyne car « Très rare sont les ouvrages qui parlent d’une autre Sibérie que celle des prisons, des camp, des travaux forcés ».

    Mais la Sibérie c’est aussi l’aventure, la toundra glacée, l’impétuosité de l’Ienisseï, le « silence du Baïkal » ou le fleuve Amour.

    Les étapes du voyage sont une litanie de noms qui font rêver : Nijni-­Novgorod, Ekaterinbourg, Omsk, Novossibirsk, Irkoustk, Krasnoïarsk.........

     

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            Irkoutsk et ses maisons de bois

     

    « Des rivières, des tourbières, des étangs coupent l’immense forêt. Pas une maison, pas un homme, pas une automobile, pas un animal. Un monde s’étend devant nous, aussi neuf qu’à son origine La plaine, les arbres, le ciel, toujours la plaine, toujours les arbres, toujours le ciel, dans une suspension du temps qui ouvre la porte sur l’éternité ».

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    La Bouriatie

    A chaque étape, voyage officiel oblige, c’est une succession de réceptions en fanfare, de dîners, de rencontres plus ou moins contraintes avec des russes, de spectacles, de visites, de conférences.

    Les conditions matérielles sont très bonnes comparativement au voyageur lambda, une provodnitsa à leur service exclusif pour assurer la vie à bord, cette employée est chef du samovar qui trône en tête de wagon toujours prête à délivrer les verres, le thé, le sucre et faire abaisser les marches du wagon à chaque arrêt.

     

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    une provodnitsa

     

    La traversée occasionnelle du wagon de troisième classe remet les pendules à l’heure russe, l’inconfort réservé au « prolétariat d’esclaves » soulève l’indignation de Dominique Fernandez.

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    une page de pub 

    Au gré des étapes et visites organisées on passe d’un conservatoire de musique à une représentation du Barbier de Séville à l’Opéra dEkaterinbourg, on apprend que Rudolf Noureev est né dans un wagon du Transsibérien. Parfois les visites sont décevantes et les rencontres ou les échanges avortés. Mais il y a aussi des moments de grâce comme cette rencontre avec des lycéens qui se livrent à un jeu littéraire franco-russe à faire pâlir d’envie n’importe quel enseignant. 

    Moment d’émotion que celui où Irina une des accompagnatrices russes lui propose « d’aller déposer des fleurs au pied du monument élevé à la mémoire du poète Ossip Mandelstam » c’est la dernière image qu’emporte Dominique Fernandez, la statue de celui qui écrivait

    « Fourre-moi plutôt,  comme un bonnet, dans la manche de la chaude pelisse des steppes sibériennes ».

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    j’ai aimé ce voyage mais je n’ai pas tout à fait tout dit. Si la littérature russe est largement présente la française ne l’est pas moins et de Théophile Gautier à Balzac , d’Alstophe de Custine à Alexandre Dumas, nombreux sont les français qui ont écrit sur cette Sibérie. Il invite aussi à la lecture d’Andréï Makine le sibérien le plus français qui soit. 

    En vrai amoureux de la Russie l’auteur rend le voyage passionnant, deux carnets de photos accompagnent parfaitement le texte. 

     

    Vous vous dites peut-être qu’il y a un grand absent dans toutes ces évocations, LE héros de la Sibérie, le courageux, le téméraire Michel Strogoff ...ce n’est pas un oubli, ce sera pour la prochaine étape.

     

    Le Livre : Transsibérien - Dominique Fernandez - Photographies de Ferrante Ferranti - Editions Grasset 2012

     
  • La Cause des livres - Mona Ozouf

    Dernière étape du parcours dans la lecture,

     

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    j’ai voulu terminer par une femme que j’admire et dont j’aime les livres.

    Mona Ozouf l’historienne, écrit depuis quarante ans sur les livres dans le Nouvel Observateur. 

    Ses goûts la portent vers l’histoire bien entendu mais aussi les correspondances, les journaux. Ce recueil d’articles est intitulé « La cause des livres » car elle profite de ce recueil pour se détacher de l’urgence, de l’éphémère, de l’actualité et nous inviter à piocher dans son étal de « brocanteur » littéraire et passer de la cour de Marie Antoinette ou au salon de Voltaire.

    Plutôt qu’un long plaidoyer c’est une récolte qui doit tout à la liberté que procure la lecture, c’est une alerte envers un monde qui accélère sa course vers l’inconstant, mais par dessus tout une reconnaissance envers les oeuvres et leurs auteurs.

     

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    Le salon de Madame Geoffrin : un haut lieu littéraire

     

    Les articles sont regroupés selon une thématique personnelle à Mona Ozouf qu’elle explique dans une belle préface

    Dans la première partie elle a regroupé les grands noms, Mme de La Fayette et Balzac, Zola, Voltaire et aussi Saint-Simon ou Michelet sans oublier Chateaubriand. Ce sont des livres lus et relus qui appartiennent à sa « patrie littéraire » et qui s’ouvre sur Montaigne ce qui était fait pour me séduire.

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     " L'une de mes préférées est la correspondance de Flaubert et George Sand"

    Mona Ozouf aime particulièrement les correspondances et sous le titre « une liasse de lettres » elle nous fait connaître les échanges épistolaires célèbres  « L'une de mes préférées est la correspondance de Flaubert et George Sand » dit-elle dans son interview à lExpress. Mais vous y rencontrerez aussi Virginia Woolf ou Tante Simone (nom affectueux que M Ozouf donne à Simone de Beauvoir)

    Les « voix d’ailleurs » permettent de retrouver Nicolas Bouvier mais surtout Henry James qui se taille une belle place avec plusieurs articles qui donnent une envie forte de lire l’essai que Mona Ozouf lui a consacré.

    Mona Ozouf est féministe, j’avais lu sur les conseils de Tania : Les mots des femmes, et j’ai retrouvé ici toute l’élégance de l’écriture, toute la passion qui l’ habite dans les « portraits de femmes » de Germaine de Staël ou Mme Du Deffand et de façon amusante des filles de Marx 

     

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    La Révolution : un sujet toujours d'actualité

     

    Les deux dernières parties sont celles qui m’ont le plus intéressé car beaucoup des titres me sont inconnus, le thème « tableau de la France » est aux antipodes des élucubrations récentes sur l’identité française, le voyage en France  est mis à l’honneur, le pays où l’on revient toujours dit Mona Ozouf, j’y ai croisé deux figures connues : Pierre-Jakez Helias et le « Toinou » d’Antoine Sylvestre.

    Enfin dernier thème : Les lumières et la Révolution, occasion de saluer ses confrères : François Furet, Alain Corbin, Pierre Nora envers qui elle s’acquitte d’une « dette d’amitié »

     

    J’ai de la peine à parler de « critiques » tant ces 120 articles sont élégants et rendent un  hommage à la lecture, une lecture attentionnée, intelligente, valeureuse. Tous les articles sont excellents que l’on ait lu ou non le livre, on peut en faire son miel.

    La mode n’intéresse pas Mona Ozouf, seule le besoin d’ouverture, d’enrichissement, de confrontation, dicte ses lectures. Laissez vous prendre par la main, vous rouvrirez souvent ce volume si vous lui faites une place dans votre bibliothèque 

     

    Un grand merci à ceux et celles qui m'ont donné les références des émissions dont Mona Ozouf était ou sera l'invitée 

     

    Femme des lumières de France 5 la vidéo est disponible jusqu'au vendredi 13

     

    Présence à la grande librairie en octobre 

     

     

    Le livre : La cause des livres - Mona Ozouf - Editions Gallimard 2011

     

     

  • Autobiogrphie d'un lecteur - Pierre Dumayet

    Après les carnets de lectures et notes dans les marges voici le troisième épisode sur la lecture 

    "Je n'avais pas compris que lire servait à apprendre. Je croyais que lire servait à lire exclusivement. Je crois n'avoir pas changé."

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    C’était le temps de la Piste aux étoiles, des médicales d’Etienne Lalou et Igor Barrère, le temps de Cinq Colonnes à la une et de Lecture pour tous

    Encore enfant je n’ai retenu que Roger Lanzac en Monsieur Loyal et c’est plus tard que je conversai avec Pierre Dumayet à travers toute une série d’émissions faisant la part belle aux livres et aux lecteurs.

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    Jolie Brochette 

     

    Plus riche et plus varié que de simples échanges autour des livres on trouve dans cette autobiographie : les débuts de la télévision avec ses grands noms : Pierre Lazareff, Pierre Desgraupes, la période noire où ils furent tous évincés après Mai 68 « Pour avoir joué avec le ballon, je fus puni : privé d'antenne pendant un an. Interdit d'antenne, plus exactement. » dont il garde malgré tout un bon souvenir. Mais la plus grande place est occupée par les livres et les émissions littéraires. 

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    © AFP 1976

    Lecteur compulsif, acharné il va se passionner pour les textes et les donner à lire à des personnes de toutes conditions, de toutes provenances, des lecteurs à qui l’on ne donne jamais la parole et qui ont pourtant tant de choses à dire. Pour lui il n’y a pas de bon lecteur, il n’y a pas de bonne ou mauvaise façon de lire, les oeuvres se suffisent à elles-mêmes.

    Il se méfie des lectures un peu trop doctes, un peu trop savantes, il est plus proche des sauts et gambades de Montaigne que de l’érudition des universitaires. Le livre est pour tous, pour l’ouvrier qui lit Germinal, pour l’agricultrice qui se plonge dans Madame Bovary, pour les clients d’un troquet de Belleville qui vont lire ou se faire lire l’Assomoir

    Il sait vous donner envie de relire, je vous défis d’ouvrir Dumayet et de ne pas aller retrouver Madame Bovary, je n’ai pas pu...Il a une façon bien à lui d’éclairer une oeuvre, il peut être sévère mais toujours il invite à découvrir les grandes figures littéraires et les grandes oeuvres : Flaubert toujours, Colette, Raymond Queneau, ou François Mauriac. qui appelait Dumayet «  le Diable »

    Des émissions littéraires ?  Lire c’est vivre, Lire et écrire , cela aurait pu servir de titre à ce livre.

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    Il s’interroge sans relâche : pourquoi Van Gogh lisait-il Tartarin de Tarascon, il vous invite chez Michaux mais également chez la Comtesse de Ségur, sans a priori, pour faire des comparaisons, pour décoder les secrets du style d’un auteur « la peau du texte ».

    Ce goût et cet éclectisme vont nous valoir des grands moments de télévision, d’intelligence, de malice parfois. Il a même réussi à consacré une émission entière à une seule phrase du Talmud, je regrette de ne l’avoir jamais vu !!

    C’est vivant, excitant, la mémoire joue à plein et il y a quelques passages très réjouissants comme celui où il explique ses démêlés avec Epicure, ou sa lecture des Trois Mousquetaires. Il a une conviction forte :

    « Tous les textes peuvent se lire comme si nous étions leurs contemporains  » 

    Grâce à ce livre j’ai ajouté à ma liste de lecture ou de relecture : Le Dernier des justes de Schwarz-Bart et les Récits hassidiques de Martin Buber de quoi entamer mon carnet de lectures 2012

    Le livre : Autobiographie d’un lecteur - Pierre Dumayet - Editions Pauvert   

    Les émissions Lectures pour tous et Relectures pour tous à retrouver sur le site de L'INA

  • La Colombe poignardée - Pietro Citati

    A la recherche de Proust  Episode 2

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    Vous n’avez jamais lu La Recherche, vous avez été tenté mais ... vous avez commencé et vous êtes enfui à toutes jambes ....Voilà un livre fait pour vous.
    Après le témoignage de Céleste, une analyse subtile qui déclenche l’envie de lire Proust ou apporte un plaisir renouvelé à sa lecture.

    Essai d’un érudit, d’ un esthète, d’un admirateur intransigeant, d’un écrivain d’un rare talent. Je vous assure que je n’exagère pas du tout.

    Le livre se divise en deux temps distincts, les premiers chapitres ont la forme de la biographie, mais une bio sautillante car le respect de la chronologie n’est pas le fort de Pietro Citati.
    Ce qui l’intéresse et qui du coup intéresse son lecteur ce sont les à côtés, les moments clé de la vie de Proust, ceux qui ensuite vont se retrouver dans son oeuvre et servir de trame à la Recherche.
    Pietro Citati nous invite à découvrir un homme pour qui le bonheur est le centre, l’essence même de son écriture.
    Je vous vois tressauter derrière votre écran ! quoi Proust amateur de bonheur ! lui qui dissèque pendant des pages sa quasi agonie lorsque sa mère ne lui donne pas le baiser du soir ?  

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    Oui ce Proust là, dont Pietro Citati nous dit que son envie de bonheur était tellement intense qu’elle en était douloureuse. D’une façon inattendue il rapproche Proust de Tolstoï dans cette course effrénée vers la vie et le bonheur.
    A travers des anecdotes, des épisodes de la vie de Marcel Proust il donne à voir cette réalité. Les relations avec sa mère, qui refusait tout ce que son fils était « l’emphase, l’exagération, la tragédie, le dévoilement de soi » les relations avec les autres qui toutes étaient blessure car « la douleur est l’arme véritable pour pénétrer dans le coeur des autres. »
    On voit Proust au travail, Proust en pleine crise d’asthme, Proust devant les tableaux de Chardin ou de Vermeer, Proust se gorgeant de musique.
    Pietro Citati nous invite dans son intimité avec ses amis, ses amants : Reynaldo Hahn, Antoine Bibesco, Anna de Noailles.

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    La seconde partie  Autour de la recherche  est une analyse de l’oeuvre, une recherche sur la Recherche, en découvrir les mécanismes, en comprendre les rouages. Voir se construire cette cathédrale somptueuse :
    « La Recherche est une oeuvre unique. Si nous lisons Wilhelm Meister, Crime et Châtiments, Anna Karénine, les Démons ou L’homme sans qualités, nous découvrons que l’oeuvre grandit d’abord comme un arbre ou un taillis, sans posséder encore une architecture, ou une théorie sur elle-même. »
    Pour la Recherche il en va autrement « Toute l’énorme masse narrative s’y dissimule, comme un germe qui deviendra arbre, forêt, continent. »

    Proust voulait écrire un roman avec des « essences »  des « gouttes de lumière » et son oeuvre « tente de réunir en elle toutes les traditions la littérature. »
    Effort prodigieux de Marcel Proust car nous dit Pietro Citati
    « Pour écrire un livre aussi démesuré, Proust avait l’impression de devoir se multiplier. Il lui fallait faire appel à tous ses sens : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher »

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    Proust l’écrivain du temps « Nous connaissons tous le temps, tous nous vivons immergés en lui, et nous entendons le lent bruissement qui l’accompagne et nous enveloppe tandis que nous pénétrons en lui »  mais quelle différence avec d’autres écrivains du temps « Stevenson reproduit sa légèreté rapide, Flaubert sa continuité monotone, Hardy sa laborieuse épaisseur, Proust la mélodie des événements. »
    Ce livre est un monument d’admiration pour un auteur, le Proust portraitiste, le Proust maître du dialogue, le Proust ironiste mais aussi le ténébreux et presque frère de Dostoïevski.
    Je vous laisse en compagnie de Citati qui je l’espère finira de vous convaincre de glisser ce livre dans votre bibliothèque.

    « Nous sommes parvenus ici, vers la fin du temps retrouvé; nous avons lu des milliers de pages, sans comprendre les signes, les indices, les avertissements, les révélations inachevées, les clartés dans l’ombre; des épisodes entiers reçoivent maintenant leur signification : nous n’avions même pas compris les premières pages ; il nous faut maintenant revenir en arrière, déchiffrer Longtemps je me suis couché de bonne heure , puis relire tout le livre, tandis que Marcel commence à écrire le sien. »

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    Le livre : La Colombe poignardée - Pietro Citati - Editions Gallimard 1997 également en Folio