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Les eaux glacées du Belomorkanal - Anne Brunswic

Les eaux glacées du Belomorkanal - Anne Brunswic - Actes Sud
belomorkanan.gifEnquête historique et récit de voyage, ce livre écrit par une journaliste, qui fut communiste dans ses jeunes années, nous invite à travers documents et témoignages, à découvrir l’histoire du Belomorkanal.
Quelques indices ont été le point de départ de sa recherche. Le premier est le paquet de cigarettes qui portent le nom de Belomorkanal qui « est aux russes ce qu’est la Gauloise aux français. »
Son deuxième indice sera  un livre que lui montre une amie russe, livre de propagande préfacé par Maxime Gorki qui « sans en avoir le titre, tient le rôle de Ministre de la Culture » et qui chante les louanges d’une réalisation soviétique le Belomorkanal, véritable chef-d’oeuvre initié par Staline. Ironie de l’histoire, une partie des auteurs de ce livre seront eux mêmes victimes des purges staliniennes quelques années plus tard.

Inauguré en 1933, ce canal qui comporte 19 écluses répondait à des besoins stratégiques et militaires, il relie le lac Onega à la mer Blanche et permet à la navigation d’éviter le contournement de la Scandinavie.

 

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Carte du trajet du Belomporkanal (source le site de l'auteur)

Maxime Gorki croyait, ou faisait semblant de croire, à la rééducation nécessaire des prisonniers, la rédemption par le travail. Cet avis est partagé par Louis Aragon qui « applaudit sans réserve la science prodigieuse de la rééducation de l’homme »
La réalité sera très noire, ce canal déjà rêvé par Pierre le Grand, a été réalisé en 18 mois, ce sont 150.000 prisonniers qui vont travailler sur ce chantier pharaonique.
La création du chantier se confond avec l’organisation du Goulag, le nombre de prisonniers variera en fonction des besoins  le NKVD n’hésitant pas à arrêter des personnes sans motif aucun, mais possédant les compétences techniques nécessaires : menuisier, électricien. Le Goulag devient « le premier entrepreneur du pays ».

prisonnier construisant le canal.jpg

Les prisonniers koulaks ou prisonniers politiques vont mourir d’accidents, de famine, d’épuisement, de froid. Au moins 20.000 d’entre eux trouveront la mort sur Belomorkanal en particulier au début des travaux où rien n’était prêt pour les accueillir et à la fin où le travail s’accélérait pour tenir les délais imposés par Staline «Cet été là, des cadavres remontaient à la surface, ceux des cimetières engloutis sous les lacs du barrage, ceux qu’on avait pas eu le temps d’enterrer pendant le chantier. »

Anne Brunswic a sillonné la Carélie durant l’hiver 2007 car dit-elle dans une interview « pour comprendre la vérité de la Russie il faut la visiter l’hiver, la civilisation russe s’est construite pour résister à l’hiver  ».

 

Carelie Onega Da.JPG

Carélie en hiver

Ce qui rend son livre passionnant c’est qu’au delà de son enquête sur le canal, elle a choisi de séjourner chez l’habitant, elle a sillonné les villages qui bordent le canal, elle a recueilli un grand nombre de témoignages sur la  période du chantier mais aussi sur les années terribles de 1937/1938.
Ce sont souvent des femmes, bibliothécaires, médecins, institutrices, qui témoignent de l’histoire de cette région pendant la guerre, sous le stalinisme, mais aussi aujourd’hui. De nombreuses familles ont eu un membre déporté, fusillé, ou tout simplement disparu.

Elle rend hommage à deux hommes Yvan Tchoukhine et Youri Dimitriev créateurs de l’association Mémorial en Carélie, Tchoukhine auteur d’un « j’accuse » mettant ouvertement en cause Staline, car aucunes considérations ne « peuvent justifier le principe du travail forcé, qui contredit radicalement les idéaux socialistes » affirme t-il dans son brûlot et le même Tchoukhine exigeant  que « l’affaire soit portée devant le tribunal de l’histoire ». Cet appel lancé dans les années 90 est resté lettre morte et aujourd’hui Dimitriev poursuit seul un travail d’investigation sur les charniers de Carélie sans recevoir aucune aide.

J’ai aimé le mélange entre histoire avec un grand H et témoignages individuels que propose Anne Brunswic. Quelques pages de photos du chantier du canal terminent le livre.
On peut retrouver les photos du chantier et des prisonniers, les affiches de propagande sur le site de l’auteur

Commentaires

  • Il me semble avoir lu un document équivalent sur l'utilisation des prisonniers sur les chantiers, mais je ne sais plus lequel. Il y a encore beaucoup de silence autour de ces évènements là.

  • @ il y a de plus en plus de choses qui sont sorties : récits de la kolyma mais de nouveaux récits apparaissent
    je ne savais pas que la construction de ce canal avait donné lieu à un goulag en fait et tous les témoignages du livres sont effrayants et ahurissants pour nous bien confortablement installées

  • Le goulag avait démarré sous Lenine avant de connaître l'apogée sous Staline, c'est vrai, mais les bolcheviques n'avaient pas tout inventé. Cf. Tchékhov et son essai sur Sakhaline île et camp de travail. Avec le plan quinquennal, les délires de Staline ont atteint leur apogée avec ce chantier du Belomorkanal, avec aussi le fameux chemin de fer longeant l'océan Arctique. Soljenitsyne nous a familiarisé avec ces horreurs; mais le mérite de ce livre semble bien d'apporter l'expérience de l'enquête personnelle sur le terrain et auprès des familles. Il est insupportable que le pouvoir russe actuel sabote le travail de "mémorial".

  • Travaux "pharaoniques".
    Un précédent ?
    Combien d'autres avant et combien d'autres - mais cela est sûr - après!

  • Ces régions aux confins de l'Europe orientale traînent décidément un lourd passif, des pages et des pages d'une histoire douloureuse et occultée... Dans un esprit assez proche, me semble-t-il, j'avais beaucoup aimé les récits de voyage de Wolfgang Büscher et aussi un très beau roman du Polonais Marian Pankowski ("Un presbytère en Poméranie"). Et je me laisserai sans doute tenter par ces "eaux glacées".

    Merci, en tout cas, pour cette belle lecture!

  • En lisant ton billet, on se rend compte que l'Allemagne nazie n'avait rien inventé, et surtout pas la déportation et l'utilisation de main d'oeuvre dans les usines et sur les chantiers. Il est toujours intéressant de lire et de faire découvrir ces ouvrages, dans la mesure où ils sont peu médiatiques. Et celui-ci démontre que la propagande communiste valait autant que la propagande nazie. Dans tous les cas, un ouvrage à noter !

  • @ Oui Dominique ces livres sont toujours utiles pour nous sortir de notre confort béat

    @ Mapero : effectivement le goulag existait déjà, si j'ai bien compris l'auteur , c'est la première fois que l'état soviétique "rentabilisait" les arrestations et surtout les multipliait en fonction des besoins ...du chantier

    @ Oui FéeCarabine j'ai lu Wolfgang Büscher mais par contre je ne connais pas Marian Pankowski, quelque chose à découvrir donc

    @ Je crois qu'en matière de guerre, de tuerie, de dictature, de déportation, tous les peuples sont potentiellement capables du pire d'où la vigilance nécessaire et la lecture de livres comme celui là

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