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A sauts et à gambades - Page 82

  • Bribes de Victor Hugo

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    Lettre de Victor Hugo à sa femme, Bruxelles, 18 août 1837. BNF, Manuscrits
    © Bibliothèque nationale de France / Gallica

    « Un livre est un engrenage. Prenez garde à ces lignes noires sur du papier blanc ; ce sont des forces ; elles se combinent, se composent, se décomposent, entrent l'une dans l'autre, pivotent l'une sur l'autre, se dévident, se nouent, s'accouplent, travaillent.»

     

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    Le livre : L'Aquarium de la nuit - Victor Hugo - Editions Interférences

  • Daniel Deronda - George Eliot

    Il y a quelques mois j'ai fait connaissance avec George Eliot, j'ai aimé son style, son art de dresser de beaux portraits psychologiques.
    Il était temps de la retrouver dans son roman sans doute le plus abouti mais aussi celui qui souleva le plus de polémiques.

    Middlemarch nous avait emporté dans une ville de province, ici c'est l'Europe qui est le terrain de jeux de George Eliot. On voyage de l'Angleterre aux villes d'eaux allemandes, de Gênes à New-York.

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    La romancière de plus joue avec la chronologie classique de façon un peu déroutante au début du roman et elle y intègre les grands événements de l'époque : la guerre de Sécession et les péripéties de l'indépendance italienne.

     

    Mais venons en au coeur du roman.

    Le personnage central, comme le titre l'indique, est Daniel Deronda, un beau jeune homme, c'est le héros type, jeune aristocrate un brin idéaliste, bon, chevaleresque avec les dames, intelligent. 
    Mais l'auteur aime les détours aussi le personnage qui apparait en premier c'est Gwendolen Harleth.

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    Gwendolen Harleth

    Dans une station balnéaire en Allemagne Gwendolen perd son argent à la roulette et dans le même temps apprend que sa famille est ruinée et que seul un mariage pourrait lui permettre de sortir de cette impasse. La jeune fille belle et pleine d'esprit est ainsi poussée dans les bras d'un homme riche, Mr de Grandcourt, qui va lui mener une vie impossible, un mari que l'on qualifierait aujourd'hui de manipulateur pervers !

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    Et voilà le méchant mari, vous l'avez reconnu ?

    C'est ainsi qu'elle fait la connaissance de Daniel Deronda qui va tenté de soutenir la jeune femme enferrée dans un mariage désastreux.
    Si D Deronda est brillant, il est aussi inquiet car il redoute d'apprendre la vérité sur sa naissance. Il aime et respect son tuteur, Hugo Mallinger, mais soupçonne qu'il est son fils illégitime, un bâtard, ce qui dans la société de l'époque est pire que tout.

    En preux chevalier il a sauvé la vie à une jeune fille, Mirah, qui tentait de mettre fin à ses jours. Il la confie à une famille amie et petit à petit apprend son histoire. Il fait ainsi connaissance avec un milieu bien différent du sien, Mirah est juive et artiste.
    Il va peu à peu être fasciné par le judaïsme, ses pratiques religieuses, sa culture et sa littérature. Il devient ami avec Mordecaï le frère de Mirah.

     

    L'intrigue romanesque est agréable à suivre mais ce qui fait l'intérêt de ce roman c'est surtout le rôle de passeur de Daniel Deronda, passeur entre deux cultures, entre deux traditions religieuses. 

    En Italie quelques années auparavant Giuseppe Verdi a créé Nabucco et son célèbre choeur des Hébreux inspiré du Psaume 137.

     

             

    Le sujet était osé pour l'époque et a dérouté bien des lecteurs de George Eliot. 
    Ce roman est une belle et grande fresque qui s'aventure en terrain inexploré. C'est un volet de l’histoire des juifs anglais plutôt nouveau dans la littérature de l’époque, même si Benjamin Disraéli a été nommé premier ministre,  les juifs étaient toujours victimes des préjugés les plus habituels.

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    Caricature de Benjamin Disraeli 

    Ainsi le rêve de Mordécaï d' « une nouvelle Judée, située entre l'Est et l'Ouest - une alliance de réconciliation - un lieu d'arrêt des inimitiés, un terrain neutre » reflète l'intérêt de l'auteur pour ce sujet et son absence de préjugé, elle publia un essai contre l'antisémitisme ce qui n'était pas franchement dans l'air du temps.

    Quelques années plus tard Théodore Herzl va écrire et militer pour la création d'un état juif et plus tard encore  le gouvernement anglais par la voix de Lord Balfour 

    « va envisager favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif et emploiera tous efforts pour faciliter la réalisation de ce projet, étant bien entendu qu’il ne sera rien fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux des communautés non juives existant en Palestine et aux droits et au statut politique dont jouissent les juifs dans tout autre pays. » 

     

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    L'adaptation de la BBC

      

    Roman ambitieux et profond. George Eliot n'a pas sa pareille pour la profondeur des analyses psychologiques de ses personnages.
    Ici elle élargit considérablement son éventail en se tournant vers des catégories sociales jamais mises en avant sauf parfois pour les caricaturer.
    Si vous ajoutez à cela qu'elle fait d'un bâtard le héros du livre et qu'elle dépeint le mariage comme un enfer pour la femme ! Il y a là tous les ingrédients d'un livre scandaleux.

    J'ai vraiment beaucoup d'admiration pour George Eliot, non seulement pour son talent d'écrivain mais aussi pour sa curiosité et son courage.

    La BBC a fait une adaptation du roman mais hélas il n'y a pas de version sous-titrée en français.

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    Le livre : Daniel Deronda - George Eliot - Traduit par Alain Jumeau - Gallimard folio 2 tomes

  • Bribes d'Hermann Hesse

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    « Habituez-vous à contempler l’azur chaque matin pendant un instant ; vous sentirez tout à coup l’air autour de vous, la fraîcheur légère dont la nature vous fait grâce entre le repos et le travail. Vous aurez alors l’impression que chaque journée possède une physionomie spécifique, un éclat particulier, à l’instar de chaque pignon de maison.

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    Brueghel lui donne le nom de paresse

    Accordez-y un peu d’attention, et vous conserverez en vous jusqu’au soir les restes d’une sensation de plaisir, une petite part de complicité avec la nature. Progressivement, l’œil apprend à devenir l’intermédiaire qui nous révèle bien des détails charmants de notre environnement ; il s’habitue tout seul et sans difficulté à observer la nature et les rues, à saisir la drôlerie inépuisable des petites choses de la vie.
     »

     

    Le livre : L’art de l’oisiveté - Hermann Hesse - Editions Calmann-Levy ou Livre de poche

  • Adieu - Honoré de Balzac

    Après la Grande Bretèche et l'Auberge rouge voilà encore une superbe nouvelle, moi qui ne suis pas fan du genre en temps normal, je dois dire que j’apprécie celles de Balzac qui réservent de belles surprises.

    Je vais tenter d’en dire suffisamment pour vous faire précipiter sur cette nouvelle et cependant ne pas vous gâcher la lecture.

    C’est la Restauration, le baron Philippe de Sucy revenu de Sibérie après la défaite de Napoléon, fait une partie de chasse avec son ami le marquis d’Albon. Ils s’égarent et arrivent à un prieuré, celui des Bons-Hommes. Les bâtiments et dépendances sont à l’abandon, le parc est retourné à l’état sauvage. 

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    Peut être le prieuré qui a inspiré Balzac

    « Les fenêtres vermoulues étaient usées par la pluie, creusées par le temps ; les balcons étaient brisés, les terrasses démolies. Quelques persiennes ne tenaient plus que par un de leurs gonds. Les portes disjointes paraissaient ne pas devoir résister à un assaillant. Chargées des touffes luisantes du gui, les branches des arbres fruitiers négligés s’étendaient au loin sans donner de récolte. De hautes herbes croissaient dans les allées. Ces débris jetaient dans le tableau des effets d’une poésie ravissante, et des idées rêveuses dans l’âme du spectateur. »

    Ils aperçoivent une femme :

    « Les deux chasseurs étonnés la virent sauter sur une branche de pommier et s’y attacher avec la légèreté d’un oiseau. Elle y saisit des fruits, les mangea, puis se laissa tomber à terre avec la gracieuse mollesse qu’on admire chez les écureuils. Ses membres possédaient une élasticité qui ôtait à ses moindres mouvements jusqu’à l’apparence de la gêne ou de l’effort. Elle joua sur le gazon, s’y roula comme aurait pu le faire un enfant ; puis, tout à coup, elle jeta ses pieds et ses mains en avant, et resta étendue sur l’herbe avec l’abandon, la grâce, le naturel d’une jeune chatte endormie au soleil »

    Philippe de Sucy la reconnait. C’est Stéphanie de Vandières, son amie et amour, elle ne semble plus avoir toute sa raison et murmure sans interruption : Adieu.

    La rencontre provoque un tel bouleversement chez Philippe qu’il perd connaissance. Son ami cherche à comprendre. C’est l’oncle de Stéphanie qui va les éclairer.

    La trame est simple et même banale, mais voilà c’est Balzac et je vous assure qu’il n’y a pas un mot de trop dans ce récit. 

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    L’évocation du désastre de la Bérézina est particulièrement réussi, cela vaut tous les livres d’histoire par la justesse, la précision et l’ampleur du récit.

    « L’apathie de ces pauvres soldats ne peut être comprise que par ceux qui se souviennent d’avoir traversé ces vastes déserts de neige, sans autre boisson que la neige, sans autre lit que la neige, sans autre perspective qu’un horizon de neige, sans autre aliment que la neige ou quelques betteraves gelées, quelques poignées de farine ou de la chair de cheval »

    Mais il y a plus dans cette nouvelle, la folie dont est atteinte Stéphanie de Vandières est très bien décrite et l’on sent que Balzac c’est intéressé de près à la psychiatrie balbutiante à l’époque.

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    Le Dr Pinel psychiatre lyonnais - Tony Robert-Fleury 

    J’ai aimé le personnage de Stéphanie dont Balzac fait une belle héroïne victime d’une période tragique. Il y a beaucoup de violence dans le récit de la déroute, le tableau est ample, les personnages sous l’emprise de la peur ou du courage sont très bien campés et l’on comprend bien que les rescapés ne reviennent pas indemnes. On retrouvera ce thème dans le Colonel Chabert.

    C’est une belle réflexion sur la capacité de l’homme à supporter l’adversité ou à tenter de l’oublier. 

     

    Le livre : Adieu - Honoré de Balzac - Editions numériques Arvensa

  • Carnet de lecture


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    « J’achève à l’instant Guerre et Paix. Commencé le premier jour de voyage ; terminé le dernier. Jamais je crois, je n’ai tant vécu dans le livre. »

     

    «  Les Mémoires de Retz. Voilà longtemps que je n’avais goûté pareille joie. Etrange style, qui semble tout en substantifs et en verbes, et qui marche sur les talons. »

     

    « Matinée au Louvre ; matinée délicieuse. J’avais un petit Montaigne avec moi, mais n’en lisais que par instants, en marchant et juste ce qu’il faut pour entretenir l’exaltation joyeuse de ma pensée. »

     

    «  Je retrouve chaque été les volumes de Jean Henri Fabre que je laisse à regret chaque automne. J’étais « naturaliste » avant d’être littérateur et les aventures naturelles m’ont toujours plus instruit que celles des romans » 

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    «  J’avance dans Robinson Crusoé, pas à pas, avec l’admiration la plus vive. »

     

    « Ce soir j’achève ma relecture des Possédés. Accablante admiration. »

     

    «  Le Rouge et le Noir m’a paru magistral. Chaque phrase est tendue comme une corde d’arc ; mais la flèche vole toujours dans le même sens, et vers un but toujours visible - ce qui permet d’autant mieux de voir qu’elle l’atteint. »

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    Maison de Gide à Cuverville

     

    Le livre : Journal une anthologie 1889-1949 - André Gide - Gallimard Folio

  • Luther - Matthieu Arnold

    J'aime les anniversaires qui sont l'occasion d'éditions nouvelles, de belles biographies, de faire sortir de l'ombre des personnages célèbres mais parfois mal connus ou oubliés. C'est aussi l'occasion de concerts ou d'expositions.

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    Le 31 octobre 2017 sonneront les cinq cents ans d'un événement qui secoua l'Europe et ébranla le monde chrétien. 

    Ce jour là Martin Luther placarda sur les portes de l'église et du château de Wittemberg ses 95 thèses sur les indulgences.  

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    2017 célèbre les débuts de la Réforme protestante et c'est la bonne occasion de comprendre le destin de ce « génie religieux » qui a « repensé tout le christianisme ».

    Il y avait le choix entre plusieurs biographies j'ai choisi Matthieu Arnold qui est un fin connaisseur de Luther et qui a participé à l'édition des écrits et lettres de ce fougueux moine en pléiade.

     

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    Statue de Luther à Eisleben

    Ressortez vos livres d'histoire, rassemblez vous souvenirs. 

    On est au temps du Saint Empire romain germanique, le moment où l'empereur est élu par les princes grands électeurs, où 350 micro-états se partagent le territoire.

    On est au temps où la ferveur religieuse est grande et où le purgatoire (heureuse invention !) faisait tellement peur que les fidèles étaient prêts à y échapper moyennant une partie de leur fortune

    Un temps où le clergé et les moines donnaient parfois une image peu reluisante de la foi bien loin de la simplicité d'un Saint François d'Assise.

    La Bible commence a être traduite et les humanistes tentent un retour au source vers le grec et l'hébreu à l'instar d'Erasme.

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    Une impression de la Genèse 

    Issue d'un milieu paysan à l'origine, la famille de Luther s'est embourgeoisée avec le travail du cuivre et l'exploitation de mines et forges. Luther est entré jeune au couvent après des études universitaires à Erfurt, il avait alors une bonne connaissance des auteurs latins, il sait le grec et étudiera l'hébreu.

    Au couvent sa vocation éclate et elle est portée par une crainte irrépressible de la mort et du diableAssez vite il enseigne.

    « Il a juré ma mort, je le sens bien, et il n’a de cesse de m’avoir dévoré. Eh bien, s’il me dévore »  

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    Film Luther avec Joseph Fiennes

    Il fait un voyage à Rome vers 1511, la ville est en chantier, la Basilique Saint Pierre est en construction, « la piété mercantile qui s'étalait sur les places et dans les églises ne pouvait lui échapper. »

    Il devient enseignant et prédicateur à l'université de Wittenberg. Il donne des cours très suivis sur les Psaumes et les Epitres de Paul. 

    « Il se fait l'interprète de cette Ecriture sainte dans laquelle il croyait reconnaître l’expression directe de la parole même de Dieu. » 

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    En octobre 1517 il invita à débattre de vive voix ou par écrit et « par amour de la vérité » les thèses et la critique des indulgences.  

    Le marché des indulgences, car c'était bien un marché, je donne de l'argent et je m'évite quelques années de purgatoire, enrichissait l'Eglise au-delà de ce que l'on peut imaginer, que ce soit à Rome ou dans les différents diocèses. Le pape Léon X finançait la basilique Saint-Pierre avec cette manne.

    Quand Luther affirmera que « c'est la foi et uniquement la foi qui sauve » et non les indulgences, imaginez le manque à gagner ! 

    La sanction tombe rapidement : excommunié par Rome, banni par Charles Quint, Luther dût à quelques amis et soutiens de rester en vie et de continuer à publier. Plusieurs princes allemands dont Frédéric de Saxe, le soutinrent et lui permirent de propager ses idées.

    Pour Luther l'autorité ne reposait pas dans les mains du Pape ou des cardinaux mais bien dans les écritures, dans la Bible dont la connaissance et la lecture étaient les bases même de la foi.

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    Luther brûlant la bulle d'excommunication 

    L'imprimerie va lui permettre de propager ses idées, ses écrits, la réforme qu'il prône qui se fonde sur la lecture des Ecritures va se répandre comme une trainée de poudre et ébranler Rome et toute la chrétienté.

    L'homme a une face sombre qui apparait lorsqu'il n'hésite pas à prôner la violence pour réprimer les Anabaptistes qu'il jugeait séditieux, ou à approuver la guerre contre les paysans révoltés ou lorsque un antisémitisme violent et effrayant se fait jour dans ses écrits alors que quelques années auparavant il avait appeler  « à traiter amicalement les juifs ».

    Heureusement le réformateur a aussi une face nettement plus solaire, lorsqu'il prône l'instruction des filles, il est laïc avant l'heure lorsqu'il contribue à ce que le pouvoir politique s'émancipe de la tutelle de l'Eglise.  

    Matthieu Arnold dit qu'il est l'inventeur de la langue allemande, avec sa traduction pour rendre accessible la Bible à tous.

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    La Bible de Luther  

     

    Cette biographie s'étend aussi sur les différentes crises traversées par Luther, sur son mariage et sa vie familiale.

     Ce n'est pas une biographie légère, il est parfois difficile de suivre les tours et détours de la pensée de Luther, c'est très dense, très riche, Matthieu Arnold n'hésite pas à briser quelques idées reçues mais ne fait pas l'impasse sur les aspects gênants de la personnalité de Luther. 

    Une bonne façon de comprendre un peu mieux, à travers son inspirateur, la réforme protestante. 

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    Le livre : Luther - Matthieu Arnold - Editions Fayard