Une mort esthétique - P.D James - Traduit par Odile Demange - Editions Fayard Noir
Adam Dalgliesh malgré des années passées au service de PD James, est toujours fringant et plus jeune que jamais, sans doute un avantage de la littérature !
Ce nouvel opus de la plus british des auteurs de polar est de bonne facture même si ce n’est pas la meilleure de ses enquêtes.
Rhoda Gradwyn, journaliste d’investigation qui s’est fait de nombreux ennemis en raison d’une plume trempée dans le vitriol, est dans la salle d’attente d’un chirurgien plasticien célèbre pour faire disparaître de son visage une vilaine cicatrice.
Le docteur Chandler-Powell lui propose de l’opérer dans son château transformé en clinique haut de gamme. Intervention délicate certes mais des soins prévenants sont promis et un séjour dans l’un des plus beau manoir du Dorset.
Pourtant lorsqu’elle est retrouvée étranglée dans son lit, alors que l’opération a été un succès, chacun devine que ce sont des suites opératoires tout à fait anormales.
Voilà Adam Dalgliesh et ses deux fidèles lieutenants, Kate Miskin et Francis Benton, à l’oeuvre. Tout les membres de l’équipe médicale seront suspectés, mais d’autres personnes pouvaient souhaiter la disparition de Rhoda.
Les péripéties ne manquent pas mais ce qui fait la marque de PD James c’est son habileté à peindre des personnages, à créer une atmosphère.
Elle détient l’art de nous faire interroger sur les destins de ses personnages et sur les limites parfois subtiles entre innocence et culpabilité.
Retrouver PD James est toujours un plaisir, son style est élégant, elle a l’art de vous mettre en condition, et même si je plaisante sur l’âge de Dalgliesh je suis toujours ravie de le retrouver. Elle aime les lieux pittoresques et celui de Cheverell Manor et ses pierres hantées par une sorcière de déroge pas à la règle. Préparez vous une bonne tasse de thé, quelques sandwiches aux anchois et en avant.
Pour vous mettre en appétit et sans trahir le suspens, le premier paragraphe de livre :
« Le 21 novembre, jour de ses quarante-sept ans, trois semaines et deux jours avant son assassinat, Rhoda Gradwyn se rendit à son premier rendez-vous avec son spécialiste de chirurgie esthétique. Ce fut là, dans un cabinet médical de Harley Street destiné, semblait-il, à inspirer confiance et à dissiper toute appréhension, qu’elle prit la décision qui allait inexorablement conduire à sa mort. »
A sauts et à gambades - Page 248
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Une mort esthétique
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Uruguay - Jules Supervielle
Uruguay - Jules Supervielle - Editions des Equateurs
Un petit livre qui nous raconte les souvenirs d’enfance du poète et son amour pour son pays d’origine.
J’ignorais avant cette lecture que Jules Supervielle était né en Amérique du Sud et que sa vie durant il fit l’aller retour entre la France et l’Uruguay. Son premier séjour en France est marqué par la mort de ses deux parents, il a quelques mois et sera élevé par un oncle fondateur d’une banque en Uruguay. Il fera ses études en France mais se mariera en Uruguay et y passera le temps de la guerre ne revenant en France qu’en 1946.Ces souvenirs sont chargés d’émotion et de poésie « Une phrase, une journée, toute la vie, n’est-ce pas la même chose pour qui est né sous les signes jumeaux du voyage et de la mort »
Il évoque la douceur du climat « Le ciel pur ! Sentez-vous cette caresse sans vent sur vos visages ? Ce doit être l’automne uruguayen » le Montevideo de son enfance « Montevideo est belle et luisante. Les maisons peintes de couleurs claires, rose tendre, bleu tendre, vert tendre. Et le soleil monte sur les trottoirs » il n’a pas oublié la mer si présente « Dès qu’on lève la tête, elle vous entre dans les yeux »Montevideo
La vie dans l’estancia, les chevauchées sur les pistes de la pampa « C’est dans la campagne Uruguayenne que j’eus pour la première fois l’impression de toucher les choses du monde, et de courir derrière elles ! »
Le Rio de la PlataIls se souvient de tous les animaux qui peuplaient la campagnes, ibis, tatou, iguane « Les bêtes vivaient et mouraient devant nous » Il se souvient d’une nuée de sauterelle une année de sécheresse, des gauchos farouches et rudes au travail.
Mais « Uruguay, je sais bien que tu n’es pas seulement ce que je viens de dire, et toujours cum grano amoris »
La préface de Marie Laure de Folin, sa petite fille trace un portrait touchant du poète devenu grand-père que ses petits enfants appellent Julio
En savoir plus sur le site de Jean Michel Maulpoix -
Instants de guerre - Laurie Lee
Instants de guerre (1937 - 1938) - Laurie Lee - Traduit par Laurent Langlade - Editions Phébus Libretto
Ce livre est le dernier d’une trilogie qui commence avec « Rosie ou le goût du cidre » des souvenirs d’enfance, se poursuit sur les routes d’Espagne « Un beau matin d’été » et se termine avec ces souvenirs de la guerre d’Espagne d’un jeune anglais de vingt ans.
Laurie Lee « gribouilleur de poésie », c’est lui qui le dit, reprend en 1937 la route de l’Espagne, la guerre civile tonne et le jeune anglais idéaliste veux payer une dette contractée sur les chemins ibériques quand jeune et sans le sou, il trouva toujours le vivre, le couvert et la chaleur humaine auprès des habitants.
C’est en « décembre 1937, que je traversai les Pyrénées, depuis la France : deux jours à pied, à affronter les tempêtes de neige. Je ne sais pourquoi je choisis le mois dd décembre ; ce n’est qu’une des nombreuses absurdité que je commis à l’époque. »
Là il faut placer le petit couplet admiratif : quel courage que ce garçon qui vient se battre aux côtés des républicains !
Seulement voilà, les républicains en question ne l’entendent pas de cette oreille et un anglais qui voyage avec un violon, instrument qui l'avait accompagné sur les routes, en plein mois de décembre, cela sent l’espion à plein nez.« Les miliciens nous escortèrent jusqu’à la place, devant la mairie délabrée, où pendait le drapeau républicain. J’allais enfin recevoir un accueil convenable pensai-je.(..) on vous a amené l’espion dirent les frères en me poussant en avant »
Par chance il n’est pas immédiatement exécuté mais est sous haute surveillance, durant tout son séjour en Espagne la suspicion ne cessera jamais.
On le fait rejoindre un groupe des Brigades Internationales, écossais, polonais, hollandais, toute l’Europe est là. Sans armes, sans munitions, mangeant au gré des trouvailles et bizarrement sans combattre mais invités à entendre le discours du chef du parti communiste britannique « Nous avions aussi chaque jour une faim de loup, aiguisée par le froid de l’hiver et l’oisiveté » « dans l’oisiveté froide de nos vies, tous accroupis dans nos ponchos, occuper à nettoyer sans fin nos fusils, nous songions aux cent mille hommes qui livraient bataille dans ces montagnes en nous interrogeant sur la véritable utilité de notre camp d’entrainement »Laurie Lee va suivre les troupes républicaines au gré des combats, Albacete où il occupera à nouveau une cellule de condamné à mort, Tarazona, Madrid où on l’envoie pour participer à des émissions de radio à destination des USA, il y vivra ses premiers bombardements par l’aviation franquiste « le sentiment de vivre une expérience irréelle disparut quand débuta le bombardement.On perçut d’abord un grondement métallique lointain, affûté par l’atmosphère glaciale, un silence, comme un souffle retenu, puis un gémissement qui grandit soudain et le rugissement bref d’un bâtiment qui explose »
Sa guerre d’Espagne va se terminer à Teruel, la ville prise par les républicains, est bombardée sans merci par les franquistes « je ne sus que plus tard que cette accélération impressionnante du bombardement marquait la fin de la bataille de Teruel. Renforcés par les blindés et les avions italiens, les troupes de Franco lançaient une contre-attaque sur la cité forteresse. »
C’est l’heure de la retraite, les républicains avaient espérés que la prise de Teruel serait décisive pour l’issue de la guerre civile « elle y apposa, au contraire, le sceau de la défaite »Laurie Lee dans une confrontation violente et un corps à corps, se défend « chacun pour soi, à bout de souffle(...) j’avais tué un homme et ne pouvais pas oublier son regard attéré, débordant de colère »
C’est la fin, les Brigades Internationales dissoutes, Laurie Lee est renvoyé à Londres « Vous nous seriez plus utile là-bas. Après tout, vous ne servez pas à grand-chose ici. Vous pourriez écrire sur nous, composer des discours, peindre des affiches ou des choses comme ça... »
Tout au long du récit Laurie Lee a une parole libre, sa plume est sensible et parfois déchirante, il rend très fort la sensation de chaos, de folie, et dénonce les horreurs, les désolations et les absurdités de la guerre.Vous pouvez le retrouver sur les chemins d'Espagne chez D'un livre l'autre
Les livres de Laurie Lee sont tous chez Phébus
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Journal 1973-1982 - Joyce Carol Oates
Journal 1973 - 1982 - Joyce Carol Oates - Traduit par Claude Seban - Editions Philippe Rey
Très attirée par les journaux et correspondances j’ai eu très envie de lire celui-ci alors que je ne goûte que très peu les romans de Joyce Carol Oates, le billet très admiratif de Frédéric Ferney a fini de me convaincre.
A l’origine un journal de 4000 pages, l’éditeur a fait une sélection et chaque année est introduite par un résumé des événements marquant pour JC Oates : changement d’université, changement d’éditeur, succès littéraires.
Toutes les pages sont centrées sur l’écriture, son travail d’enseignante, les relations amicales et la vie quotidienne.
On y voit une femme écrivain au travail, le plus souvent totalement absorbée par l’avancée de ses romans.
Ecrivain prolifique, les romans s’enchaînent de façon vertigineuse et il est parfois question d’un « embouteillage de manuscrits »
Elle a une capacité de travail énorme car entre les romans ou en même temps qu’elle y travaille, elle ajoute des nouvelles, des essais littéraires : Dostoievski, Kafka. Elle dit d’elle même « Je me sens assiéger par les mots »
On découvre dans le journal un écrivain assez insensible aux critiques bonnes ou mauvaises mais lorsque les critiques deviennent très bonnes pour Bellefleur elle avoue « Une critique positive dans le Times est analogue à ...quoi ? Se voir annoncer qu’on n’a pas le cancer. »
De nombreuses pages sont consacrées à ses lectures qui sont très éclectiques et dont elle parle sans langue de bois « Je soupçonne Rilke d’être largement surestimé » et sait défendre ce qu’elle aime « on perd fort peu de chose en ne lisant pas une critique de Whitman..on perd la moitié de la terre en ne lisant pas Whitman »
Ses lectures sont souvent dictées par son travail d’enseignante qui lui donne l’occasion de relire avec plaisir « lisons nous jamais deux fois le même livre ? lisons nous le même livre que celui que lisent les autres ? »
Au gré des pages on rencontre Virginia Woolf dont elle se sent proche, James, Joyce, Wilde, les soeurs Brontë. Elle parvient encore à assister à des soirées consacrées à écouter ou à lire de la poésie en public.
C’est un bain littéraire permanent ! Tous les gestes de la vie quotidienne sont l’occasion de méditer sur une nouvelle, sur un roman ou sur une lecture. Boulimique ? sans doute et cette boulimie fait pendant à son anorexie « une forme maîtrisée et prolongée du suicide » dont elle parle avec une grande pudeur.
J’ai été passionnée par les pages qu’elle consacre à sa vie d’enseignante. Son intérêt, je dirais son amour des étudiants transparaît, elle aime enseigner et préparer ses cours, corriger les travaux de ses étudiants Une grande partie de mon inspiration me vient quand j’enseigne. J’aime l’interaction entre l’esprit des étudiants et le mien ».
La vie sociale prend une grande place et le journal est traversé par quelques unes des plus grandes figures de la vie littéraire américaine, il n’y a jamais une once de méchanceté dans ses écrits, même pour les auteurs qu’elle apprécie peu. Au gré des pages on rencontre Bernard Malamud « un homme complexe, intelligent qui parle avec douceur et bien » John Updike, Philip Roth « Séduisant, drôle, chaleureux, courtois : quelqu’un de parfaitement aimable » ou Susan Sontag.
La musique occupe une grande place dans la vie de Joyce Carol Oates, elle passe des heures (où prend-elle se temps ?) à apprendre les sonates et préludes de Chopin, elle met la même énergie au piano que sur sa machine à écrire. Elle est excessive en tout, en musique comme dans l’écriture. « J’écoute les Préludes presque tous les jours depuis un bon moment, et je me verrais bien consacrer les vingt prochaines années à ces vingt quatre oeuvres »
Elle garde beaucoup de discrétion sur sa vie de couple et est horrifiée par le dévoilement de la vie intime d’un écrivain, à propos d’Emily Dickinson et de ses lettres elle dit « l’exhumation systématique, impitoyable, de tous les secrets par les universitaires, les critiques et les voyeurs est épouvantable »
Aucunes confidences intimes mais quelques jolies pages sur son amour indéfectible pour son mari «Intelligence. Bonté. Patience. » son admiration pour lui et son travail. Ses amis importent beaucoup et des pages émouvantes sont consacrés à certains d’entre eux,
J’ai été touchée par la simplicité et la sincérité de ce journal, j'ai lu ces pages avec un grand intérêt mais surprise de l’absence totale de pages sur le monde et les événements politiques ou sociaux durant ces années.
Cette absence accentue l’impression d’immersion totale dans la littérature et l’écriture.
C’est l’autoportrait vivant et attachant d’un écrivain nobélisable. -
L'appel des morts - Ian Rankin
L’appel des morts - Ian Rankin - Traduit de l’anglais par - Editions du masque
Retrouver Edimbourg et John Rébus pour cette treizième aventure c’est replonger dans une ambiance rock, bière et whisky avec cette fois une dimension mondiale puisque le G8 va se tenir en Ecosse mettant en ébullition la police locale car les manifestations anti-modialisation se succèdent et risquent de gâcher la « fête ».
Une affaire de tueur en série est au centre de préoccupations de Rébus, un tueur qui débarrasse Edimbourg de violeurs condamnés et récemment sortis de prison, tueur qui laisse sur les lieux du crime des indices pour le moins bizarres.
Rébus désabusé, prend de plus en plus de distance par rapport à son travail, et comme d’habitude supporte mal les injonctions de sa hiérarchie de tout mettre en stand by pour faire la chasse aux contestataires.
Siobhan, son adjointe est préoccupée par ses parents qui font partie des manifestants.
Et pour ajouter une cerise sur le gâteau, lors d’un dîner officiel au château un député tombe, ou plus vraisemblablement, est poussé en bas des remparts. Avouez que ça fait tâche dans le paysage. Rébus est sommé de ne pas gratter trop fort ni trop profond pour expliquer ce lamentable accident.Comme toujours avec Ian Rankin, on suit le parcours de Rébus avec grand plaisir, c’est rondement mené, énergique, politique et suspens se mêlent avec efficacité et réalisme et les portraits sont criant de vérité.
Bref n’hésitez pas à vous embarquer pour Edimbourg dans la Saab de Rébus, certes elle est un peu déglinguée mais le fond sonore est toujours de bonne qualité chez ce fan de rock.Allez voir le billet de Kathel après sa lecture en VO
Dans la revue Lire de ce mois consacrée aux polars vous trouverez un article complet sur Ian Rankin
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A l'immortelle bien-aimée - Virginie Reisz
A l’immortelle bien-aimée - Virginie Reisz - Editions Le temps qu’il fait
Un homme seul vit ses derniers jours, il écrit dans son journal une lettre interminable à la femme adorée, son éternelle bien-aimée.
Il souffre, son corps le lâche, les douleurs sont anciennes, les médecins sont impuissants à tirer de son corps une eau envahissante, depuis trente ans il n’entend plus, il revoit les moments heureux de sa vie, les souffrances de l’enfance, les silhouettes de celles qui sont passées dans sa vie.
Il rêve d’une dixième symphonie.
Les souvenirs l’envahissent comme l’eau qui le tue, il revoit son père spirituel « Papa Haydn », il souffre encore de l’indifférence de Goethe qui n’a jamais répondu à aucune de ses lettres, il revoit ses promenades dans une nature qui apaise.
La musique seule « m’a consolé du manque d’amour, alors et toujours depuis, elle m’a réconforté, elle m’a guidé » La musique baume sur les plaies à vif.
Trois mois terribles, trois mois d’agonie pendant lesquels le visage de l’aimée ne le quitte pas, elle dont le nom n’est jamais prononcé « De me rappeler ton sourire, tes yeux, ta peau que je connaissais avant de la toucher, m'emporte, mon ange, hors de ma chambre, hors de mes barreaux, hors de ma douleur »
Lira t-elle ces lignes « Qu’adviendra-t-il de cette confession, rangée dans mon tiroir secret ? La liras-tu ? J’abandonne la suite au Destin avec lequel je tente enfin d’être en paix, et ce sera bien comme ce sera, mon amour. »
Ludwig van Beethoven meurt le 26 mars 1827 « Jusqu’à la tombe, il garda un coeur humain envers tous les hommes »
Virginie Reisz écrit en écoutant la musique de Beethoven, avec bonheur et infiniment de grâce elle prête ses mots au génie , elle l’écoute et le comprend, elle voudrait lui donner ce qui lui a manqué, elle sait faire partager son admiration et son amour.
Un roman délicat que je vous propose d’ajouter à votre bibliothèque