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Littérature française et francophone - Page 41

  • La Grande peur dans la montagne - C-F Ramuz

    Quand la montagne se fait danger

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    Le Valais Suisse

     

    Ramuz était en bonne place dans mes intentions de lecture aussi quand Christian a fait un billet sur un des ses livres j’ai dressé l’oreille, ou l’oeil si vous préférez, et je me suis laissée tentée par la version numérique d’un de ces romans.

     

    A quoi comparer La grande peur dans la montagne ? dans un style d’écriture totalement différent je rapprocherai ce roman de Collines de Giono mais aussi du Vampire de Ropraz de Chessex 

    Terreur, bluff, manipulation, méchanceté, haine et superstition…..voici les thèmes de ce roman. 

     

    Tout là haut dans le Valais Suisse un alpage porte malheur, tout le monde le sait dans la commune de Sasseneire, tout le monde en est certain au point de laisser perdre cette bonne herbe qui enrichirait facilement le village et nourrirait ses troupeaux. 

    La malédiction date de 20 ans et ils sont nombreux à en avoir été témoins.

    Maurice Prâlong, Président du Conseil général, finit par emporter la décision de remonter sur l’alpage maudit. Les arguments financiers ont eu raison de la peur.  

     

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                                            les personnages

     

    Pas facile de trouver des volontaires pour passer les 3 mois d’été, bon gré malgré on finit par constituer un groupe d’hommes.

    Il y a là Pierre Crittin lamodiateur et son neveu, Ernest dit le boûbe le simplet du village, Romain le jeunot et Barthélémy qui se prémunit du mal avec un talisman, Joseph qui veut pouvoir marier sa promise et voit là l’occasion de se faire un petit pécule. Enfin il y a Clou, le mauvais, le tordu, le fourbe prêt à pactiser avec le diable.

     


    La Grande Peur dans la Montagne par AVWorld

     

    L’alpage est magnifique « On a trouvé que le pâturage avait une riche apparence » gage de profits. Mais rien de plus contagieux que la peur, un rien peut la réveiller : le bruit d’une sonnaille, un nuage à la forme bizarre, l’eau qui devient sournoise, un vent agaçant « une couleur méchante »

    Des tensions naissent, tout le monde observe le ciel, les pâturages, les bêtes. Un soir Barthélémy raconte ce qui s’est passé autrefois, chacun écoute et gamberge. 

     

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                                               ©Enzo Photographie

     

    Et le malheur se produit, les vaches sont victimes d’une fièvre mystérieuse,  personne ne sait plus réfléchir, le moindre signe est interprété, les hommes se méfient les uns des autres, des objets disparaissent, c’est le règne de la peur, de l’irrationnel.

    L’alerte est donnée au village mais les hommes sont condamnés à rester sur l’alpage jusqu’à la fin de l’épidémie pendant que le village sombre un peu dans le chaos quand la fatalité s’en mêle.

     

    Vous conviendrez que la trame de ce roman est mince et pourtant par la grâce d’une écriture très personnelle et savoureuse, par un art consommé pour créer une atmosphère inquiétante, par une habile manipulation du lecteur, on se laisse prendre à ce récit. 

    Rien de folklorique dans ce roman, la Suisse de Ramuz pourrait être ailleurs tant les sentiments et les émotions sont de tous les pays.

    Je vous invite à venir faire un tour sur ce pâturage maudit.

     

    Le site de la fondation Ramuz

     

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                                                                              version numérique

      

    Le livre : La grande peur dans la montagne - Charles-Ferdinand Ramuz - Editions Grasset numérique        

               

  • Le monde des mots - Anne Cuneo

    La passion d'une langue

     

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    John Florio ce nom vous dit quelque chose ? Je dois avouer qu’avant de lire ce livre j’étais comme vous.

    Pourtant voilà un européen humaniste du temps de la Renaissance que l’amour des mots commande de connaître.

     

    1553 L’Angleterre de la reine Marie la sanglante, après les turpitudes d’Henry VIII elle a repris le pays en main et s’acharne à supprimer les protestants. 

    Pauvre Michelangelo Florio, prédicateur qui croyait avoir trouvé asile en Angleterre pour fuir les prisons de l’inquisition italienne. Il doit fuir à nouveau avec sa famille. 

    Le fils John va suivre des études à Tübingen où on espère le voir suivre les traces de son père. Il a une connaissance parfaite de l’italien, normal avec un père italien, il parle anglais normal sa mère est anglaise, ajouter suffisamment de français pour se donner bel air et voilà le parfait homme de son époque.

     

    Là où le destin va être malicieux c’est qu’il va transformer pour John Florio l’amour des langues en outil de travail et en gagne pain.

    Il va devenir l’homme d’une langue : l’italien qu’il va essaimer dans toute l’aristocratie anglaise, des familles lui confient leurs enfants, des pères mettent leurs fils sous sa garde. Pour eux il va collecter des mots, des phrases, des proverbes, de petits récits jusqu’à en faire pour la première fois un outil pédagogique. Tout y est, la vie quotidienne, les métiers, les expressions usuelles, tout pour que l’apprentissage soit aisé. Il est convaincu que la langue parlée vaut toutes les grammaires.

     

     

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                                          Le Globe 

     

    C’est la réussite, le bouche à oreille fonctionne et bientôt John Florio est reconnu, sollicité par les plus grands il peut avec ses cours faire vivre sa famille. 

    Pour être parfaitement à l’aise partout il lui faut parfaire son anglais et où mieux qu’au théâtre ? Il prend des leçons du meilleur, Will Shakespeare et fréquente le fameux théâtre de John Burdage et il a « un pied sur chaque rive » il devient «  un intermédiaire entre l’Italie et l’Angleterre, qui est vite devenue ma vraie patrie ».

    Il va côtoyer tout ce que l’Angleterre compte d’écrivains, de médecins, de philosophes, de savants. Certains sentent le soufre comme Giordano Bruno d’autres deviendront des amis sûrs dans ces temps d’effervescence culturelle.

     

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                          Florio et ....Shakespeare (enfin presque)

     

    Son don des langues s’étendant au-delà de l’italien il va progressivement être solliciter par les grands du royaume, le genre de proposition que l’on ne peut pas refuser, et il va petit en petit traduire des lettres, des libelles, des documents secrets…bref être un peu espion

    L’imprimerie se développe à grands pas et John Florio va en profiter, il édite un manuel d’italien qui porte le joli nom de  Premiers fruits  puis plus tard grâce à l’aide de mécènes généreux il va publier le premier dictionnaire Italien- Anglais qu’il baptise  Le monde des mots  et qui comporte déjà 75.000 entrées !!!

     

     

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                             photo du site d'Anne Cuneo

     

    Il lui reste à franchir une étape de plus en devenant traducteur. Il assure la traduction du Décaméron de Boccace et il est le premier traducteur des Essais de Montaigne car dit-il :

    « Par rapport à l’original, un texte  traduit n’est rien sinon ce que le dessin est à la nature, le portrait à l’original, l’ombre à la substance » 

     

     

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    Comme dans ses autres romans Anne Cuneo, grâce à son érudition, rend le récit très vivant, très riche tout en respectant la vérité historique. 

    Quelle aventure que ce livre, je l’ai ouvert et je dois dire que mes rendez-vous avec John Florio se sont accélérés. J’ai ressenti un énorme plaisir à entrer ainsi dans cette époque tourmentée et j’ai suivi la trajectoire de John Florio avec grand intérêt,  un homme que j’aurais aimé, comme disait Mme de La Fayette, "avoir pour voisin".

     

    Un mot de l’auteur

     

    Le livre : Un monde de mot - Anne Cuneo - Editions Bernard Campiche 2011

  • Le Trajet d'une rivière - Anne Cuneo

    L’amour de la musique

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    Un roman à la gloire de Francis Tregian qui compila le Fitzwilliam Virginal Book recueil des plus belles musiques pour le clavecin de son époque. 

    Il n’était pas compositeur mais amoureux fou de musique, il lui consacra sa vie entière. 

    Enfourchons la machine à remonter le temps et arrêtons là un peu après 1600 en Suisse à Echallens, Francis a trouvé refuge dans ce village après une vie de dangers, de tumulte, et de musique. Il va raconter sa vie.

     

    La Renaissance n’est pas seulement le temps du renouveau intellectuel, c’est aussi celui des conflits religieux. Francis Tregian est contraint de quitter l’Angleterre son père catholique intransigeant refusant de faire allégeance à la Reine protestante. 

    La famille va devoir trouver refuge hors du pays pendant que le père va croupir des années en prison. La famille a encore des appuis et Francis va recevoir une excellent éducation, une éducation classique de l’époque où l’on apprend le maniement de l’épée aussi bien que le latin. 

    C’est vite un musicien confirmé au grand dam de sa famille qui l’aurait bien vu ecclésiastique , il ne compose pas mais joue à la perfection et va au gré de ses pérégrinations en Europe rencontrer les plus grands musiciens de l’époque.

     

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                                   Le temps des concerts champètres

     

    Pour vivre il occupe divers emplois, secrétaire à Rome, drapier en Hollande et parcourt les routes en tous sens. Anne Cuneo lui prête une vie amoureuse et aventureuse qui lui permet de nous livrer une jolie fresque de l’époque. 

    Ses aventures sont nombreuses dans cette Europe en proie aux guerres religieuses mais aussi à la peste où nul n’est à l’abri de la prison, de l’inquisition, un temps où il est difficile de rester un homme de tolérance. 

    Francis Tregian est un humaniste qui lit les Essais de Montaigne, qui est reçu à la cour d’Elizabeth, qui croise Henri de Navarre sur le champ de bataille et fréquente les théâtres où l’on joue Shakespeare. 

     

     

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                                    le temps des divertissements

     

    L’amour de la musique est vraiment le fil rouge de ce roman flamboyant.

     

     

    Anne Cuneo est habile à mêler le vrai et l’imaginaire. Tous les personnages sont attachants, le roman est fourmillant de vie, on ne s’ennuie pas une seule seconde et on prend en passant un bain d’histoire de la Renaissance tout à fait réjouissant. 

    J’ai beaucoup aimé ce roman que j’ai lu grâce à Claudialucia grand amateur de Shakespeare et avec qui je partage une passion pour Montaigne

     

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    Le livre : Le Trajet d’une rivière - Anne Cuneo - Editions Gallimard Folio

     

     

     

  • Dans l'ombre de la lumière - Claude-Pujade Renaud

    L'amour dans l'ombre

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           Les ruines de Carthage © JEAN-PAUL GARCIN / PHOTONONSTOP

    J’ai déjà par deux fois chroniqué des livres de Claude Pujade-Renaud. Pour les deux ce fut un grand plaisir de lecture et tout naturellement j’ai acheté celui à qui vient de sortir.

    Fidèle à ses romans précédents l’auteur nous transporte ailleurs et loin dans le temps.

     

    Carthage aux alentours de l’an 400 après JC. Le monde romain vit ses dernières années, le monde chrétien s’est rapidement étendu, le monde païen se métamorphose, les croyances ont évoluées, de nouvelles sectes ont vu le jour, les chrétiens s’opposent entre eux. Le peuple hésite entre ses habitudes, ses certitudes et les promesses de la nouvelle religion.

    C’est une femme qui va prendre la parole, Elissa, une femme instruite, intelligente, encore belle. Elle vit près de Mégara (faubourg de Carthage ….vous vous rappelez ?) où elle pétrit l’argile pour gagner sa vie. Une rumeur va la ramener loin dans le temps, un évêque doit arriver d’Hippo Regius, un homme « tout feu tout flamme » et qui parait-il prêche bien.

     

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                   Saint Augustin - Palais du Latran

    Elissa le connait bien cet Augustinus, elle fut sa concubine pendant plus de quinze ans, elle fut la mère de son enfant. Tous deux appartenaient à la secte des manichéens.

    Liés par un amour fou, combien elle l’a aimé et admiré cet Augustinus qui « pouvait réciter à la suite plusieurs chants de l’Enéide ou un traité de Cicéron »

    Il l’a répudié pour un riche mariage, puis il s’est converti à la religion chrétienne sous la pression de Monnica sa mère, une mère aimante et inflexible et manipulatrice.

     

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                       La conversion de Saint Augustin - Fra Angelico

    C’est le portrait d’Elissa que nous dresse Claude-Pujade Renaud, une femme qui ne s’est jamais consolé de la perte d’Augustinus, qui a toujours suivi de loin son ambitieux compagnon, le début de sa célébrité, et aujourd’hui elle peut même le lire, chez Silvanus le scribe qui copie les discours, les sermons et lui permet d’entendre à nouveau la voix d’Augustinus à travers ses Confessions.

     

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             Benozzo Gozzoli. Chapelle Saint-Augustin. San Gimigniano.

     

    Un livre tout de passion. On passe du réel à l’imaginaire sans effort aucun, le tableau de cette période est très réussi, ce moment où comme le disait Paul Veyne « notre monde est devenu chrétien ».

     

    L’auteur a su parfaitement joué de l’absence totale de traces de la concubine d’Augustinus et elle en fait un portrait sensuel et vibrant mélangeant l’Histoire et leur histoire d’une belle écriture.

     

    Annie a également aimé ce livre.

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    Le livre : Dans l’ombre de la lumière - Claude Pujade-Renaud - Editions Actes Sud 

  • Liberté dans la montagne - Marc Graciano

    Le temps de l'imaginaire

     

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    Comment parler d’un livre que l’on a énormément aimé au point d’avoir envie de le garder pour soi ? 

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    « Depuis bien des jours le vieux cheminait avec la petite le long de la rivière. »

     

    Le livre débute comme un récit initiatique, vous ne saurez jamais où se passe le récit, ni le nom des deux personnages, ni d’où ils viennent, ni où ils vont.  

    Le vieux et la petite vont cheminer ensemble tout au long du roman, le vieux protégeant la petite, l’éveillant à ce qui l’entoure, la portant quand elle est fatiguée, la réchauffant quand elle a froid, la nourrissant avec amour. 

    Ce que l’on devine c’est que le récit fait retour vers un monde médiéval, un monde ancien. L’homme et l’enfant vont affronter ensemble des épreuves. 

    Un moyen-âge imaginaire se déploie, le village et ses remparts, un tournoi avec des chevaliers en cotte de mailles et des dames portant hennin, le travail des artisans le long de la rivière. 

     

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    Ils vont croiser la route d’une série de personnages, bienveillants ou dangereux, comme les figures d’un ancien jeu de cartes, l’auteur les nomme : il y a le géant, l’abbé, le veneur. Les lieux traversés sont nommés avec le même laconisme : le marais, la ville….

    Le vieux se fait éducateur :

     

    « Il lui dit qu’ils possédaient le ciel et il lui dit qu’ils possédaient la forêt et il lui dit qu’ils possédaient les poissons dedans la rivière et aussi les animaux de la forêt. Il lui dit qu’ils possédaient les plantes et il lui redit qu’ils possédaient le ciel et aussi les oiseaux dedans le ciel »

     

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    « De grands et nobles animaux enfantés par la nuit des forêts et le vieux lui parla de leur vie de bêtes traquées. Il lui parla de leur vie de proies fugitives et lui parla de leurs moeurs. Il lui parla des rudes combats entre mâles et  lui parla des femelles faonnant dans les chambres de feuillage. »

     

    Il lui nomme le monde, lui montre ses beautés et ses pièges

    « Chaque fois qu’il le pouvait, le vieux enseignait la petite sur les êtres et sur les choses qu’ils rencontraient. Le vieux nommait à la petite toutes les choses qu’elle découvrait et, quand il le connaissait, il lui en décrivait l’usage. »

     

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    Il l’avertie de la folie des hommes lorsqu’ils assistent à un exécution 

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    « le vieux dit à la petite qu’il n’existait pas de mot pour le décrire et il se tut en poursuivant sa marche puis, après un moment encore, le vieux reprit la parole et il dit à la petite fille que, de surcroît, il n’aurait servi à rien de l’inventer. »

     

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    Avec lui elle découvre le monde, sa violence, ses lois, sa beauté.

    Le chemin sera long et semé d’embûches, de belles rencontres, de dangers évités pour atteindre le but du voyage.

     

    Le récit se déploie et l’auteur utilise un mode d’écriture basé sur la répétition, ces répétitions transforment les phrases en litanies, donnent au récit un rythme lent et procure une sensation un peu hypnotique.

    C’est une écriture qui envoûte mais qui aussi se mérite, l’auteur vous fait parcourir des lieux escarpés et sa langue est elle-même une épreuve initiatique.

    Pour le lecteur aussi il s’agit d’apprentissage, les mots du travail, des outils, de la chasse, de la pêches, les mots des joutes et des tournois. Ils sont autant de pièges et de détours qu’il vous faudra passer. 

     

    J’ai noté au fur et à mesure tout un vocabulaire inconnu, inusité, rare, et j’ai béni mon Littré et mon Dictionnaire historique de la langue française. 

                       brousser   cabarer    eubage    

                    cosnil    camail  archiatre  faonner 

                         muid  brassin  abeausir 

                   toue   achevaler  ablais   dosse 

                         ébarouir    adamantin

              

    Pour apprécier ce livre il faut accepter de se laisser surprendre, ensuite on est envoûté et on pénètre dans les terres secrètes de Marc Graciano.

    Ce livre est beaucoup plus qu’une bonne surprise, c’est un récit splendide auquel il faut faire une place dans votre bibliothèque.

     

    Le Livre : Liberté dans la montagne - Marc Graciano - Editions José Corti

     

    L’auteur : C’est le premier roman de Marc Graciano qui est infirmier en psychiatrie et vit près du plateau du retord dont les paysages ont sans doute inspiré plusieurs pages de ce roman

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  • Esquisse d'un pendu - Michel Jullien

    L'atelier du copiste

     

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    " Ses doigts doivent contraindre le calame à pression égale, lui imprimer la même force afin que l'écoulement sorti de la tuyère reste homogène"

     

    Partons à Paris vers 1375 pour faire connaissance de Raoulet.

    Raoulet d’Orléans est copiste, son atelier, composé de laïcs, travaille pour le roi Charles V, il fait partie de ces artisans relieurs, enlumineurs, libraires, qui travaillent par privilège royal

    Raoulet n’est pas un patron très sage, non c’est plutôt un joyeux luron au gosier en pente et aimant la bonne chair, un de ses passe-temps favori est de courir les tripots de la ville, bouges, ribaudes n’ont pas de secrets pour lui, parfois curieux il assiste au spectacle donné à Montfaucon.

     

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    Le gibet de Montfaucon  " La machine domine les guinguettes : elle agit comme un théâtre de faubourg, un Grand Guignol avant l'heure"

     

    Le roi lui passe commande de deux livres peu ordinaires, finit les Bibles à répétition, le voilà charger de codex prestigieux un texte d’Aristote traduit pour la première fois en français, et Les Grandes Chroniques de France. 

    Deux livres très différents, un reflet de la pensée grecque, une oeuvre universelle et de l’autre, un livre de commande destiné à servir la gloire du roi et de ses prédécesseurs, moins noble, mais qui peut assurer la richesse du copiste.

    Le travail sera long surtout que par sécurité Raoulet fait faire une seconde copie à son atelier, une sécurité, une assurance sur l’avenir. 

    Un travail long, après le travail des copistes le livre passe en atelier d’enluminure, une faute, une tâche, une coquille et toute une page est à refaire, la commande peut prendre du retard.

     

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      " Une assemblée extraordinaire n'attendant plus que lui"

     

     

    Le maître d’oeuvre est attentif à tout faux pas, c’est lui qui apposera sa marque, le « congé de l’écrivain » dans un « cul de lampe » à la dernière feuille. Pas question que cette signature soit entachée d’erreur ou pire d’irrégularité. Il en fait parfois des cauchemars surtout lorsqu’un soupçon de contrefaçon lui vient. Plagiaires et faussaires font leur apparition au mépris du risque encouru : une place sur le gibet de Montfaucon !!

    Raoulet mène l’enquête, ne pensez pas pour autant être dans un polar, non rien à voir, Michel Jullien préfère plutôt la parabole.

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                                              Cul de lampe

     

    Il met en scène un métier qui est sur le point de disparaître, tout près se profile la presse de Gutenberg qui va à jamais ruiner les ateliers de copistes

    Raoulet est un peu inquiet mais cache cela derrière une jovialité moqueuse, quoique dangereux ce papier cet « attrape-nigaud » ne saurait perdurer n’est-ce pas ?

     

    Le vocabulaire est d’une grande richesse et d’une grande précision, souvent on devine le sens des mots, d’autres exigent le recours au dictionnaire et de temps à autre les mots du moyen-âge viennent se frotter aux mots d’aujourd’hui avec un anachronisme réjouissant.

    Le roman interroge l’époque actuelle : le moyen-âge connut le passage du  livre réservé aux puissants à ce qui deviendra le livre pour tous. L’imprimerie a chassé les copistes, le numérique chassera-t-il le papier ?

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                                               Demain ? 

     

     

    Petite mise en garde : le premier chapitre peut rebuter et même vous faire fermer le livre. La solution ? passez directement au second chapitre vous reviendrez ici en temps voulu.

    Un livre un peu exigeant mais qui procure un grand plaisir et qui pose une vraie question.

     

    L’avis d’ Yspaddaden 

     

    Le Livre : Esquisse d’un pendu - Michel Jullien - Editions Verdier