« Chante, divine muse, la colère désastreuse d’Achille…»
L'Iliade tout le monde connait même ceux qui ne l’ont jamais lu !
L’Iliade chante la colère d’Achille, le héros dont les décisions vont touchées les deux camps de la guerre.
C'est un poème sur la guerre, la lutte pour le pouvoir, la vengeance, la haine, l’envie, tout est là.
Si vous l’avez lu vous avez certainement remarqué que les voix sont toutes masculines, rois, guerriers, vainqueurs et vaincus, combattants courageux ou lâches, père ou mari, des hommes rien que des hommes. Seule au loin la silhouette d’Andromaque qui fait ses adieux à Hector avec « un rire en pleurs »
Pat Barker casse le mythe et déplace le coeur du roman vers l’expérience des femmes. Elle écrit l’Illiade du point de vue des femmes capturées vivantes dans le camp grec.
Les femmes livrées comme butin aux mains des hommes, devenues esclaves par la loi de la guerre. Pour les femmes c’est le début de l’horreur.
Le roman est à la première personne, c’est Briséis qui s’exprime
Elle est l’archétype de ces femmes à qui la parole n’est jamais donnée.
Elle a déjà enduré le sac de sa ville natale par Achille, et a vu le massacre de son père et de ses sept frères et l'esclavage de sa mère.
Briséis rendue à Achille Pierre Paul Rubens
Gagnée par Achille le vainqueur, elle est d’abord son trophée puis est finalement attribuée comme un lot de consolation à Agamemnon le roi tout puissant . On lui a enlevé Chriséis, il va réclamé réparation et s’empare de Briséis.
Achille et Briséis Fresques de Pompéi
On s’éloigne à grands pas du récit homérique. Il n’est pas question du Divin Achille « nous l’appelions « le boucher » un mixte de brutalité et de courtoisie, voilà qui est clair.
Briséis va se trouver prise entre deux feux, le roi tout puissant Agamemnon et la juste demande d’Achille qui refuse de combattre si on ne lui rend pas son « butin »
Achille réclamant son dû Tableau d'Antoine Coypel
Pat Barker fait entendre la voix des femmes réduites au silence, femmes violées et asservies, veuves ou orphelines, voyant périr père, frère époux dans des scènes déchirantes qui devraient inspirer pitié et compassion.
Elle manie bien l’art des métaphores « ce moment brillant, quand le vacarme de la bataille s'estompe et que votre corps est une tige reliant la terre et le ciel »
Elle évoque très bien la vie quotidienne : la nourriture et le vin, les bruits, les cris, la douleur des plaies, le sang qui coule.
Elle nous renvoie l’image du vieux roi Priam qui se fraye un chemin, seul et non armé, à travers le camp ennemi, pour implorer Achille de lui rendre le corps mutilé d’ Hector., passage qui rappelle le magnifique roman de David Malouf : la Rançon
Homère fait dire à Priam « Je fais ce qu'aucun homme avant moi n'a jamais fait, j'embrasse les mains de l'homme qui a tué mon fils. »
Priam devant Achille Alexandre Ivanov Galerie Tretyakov
Ce passage grandiose est battu en brèche par Briséis pour qui il n’y a que perte et chagrin.
Elle riposte aux paroles de Priam, comparant cette rencontre entre hommes à la myriade d’horreurs insoupçonnées subies par les femmes pendant la guerre.
« Je fais ce que d'innombrables femmes avant moi ont été forcées de faire. J'ai écarté les jambes pour l'homme qui a tué mon mari et mes frères ».
Le roman de Pat Barker est un message féministe très clair sur la lutte des femmes pour s’extirper des récits dominés par les hommes. Elle offre des portraits de personnages nuancés et complexes
C'est un roman fort et poignant, un livre passionnant et qui nous impose de réfléchir à notre façon de raconter des histoires
« Les vaincus entrent dans l'histoire et disparaissent, et leurs histoires meurent avec eux »
L’auteur nous invite à écouter ces voix silencieuses, ces voix oubliées.
On est loin de l’héroïsme du champ de bataille, c'est un chant intemporel où l’emporte le chagrin, la douleur, le silence des vaincues, assez loin de la légende d’Homère.
Le livre : Le Silence des vaincues - Pat Barker - Traduit par Laurent Bury - Editions Charleston