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Littérature allemande - Page 3

  • Une auteure, ses voyages, ses rencontres

    Béatrice Commengé est peut-être un nom que vous ne connaissez pas. Elle est traductrice et écrivain et sa spécialité ce sont les livres d’amitié. Amitié, compagnonnage, admiration pour un auteur. 

    Je la lis depuis bientôt trente ans ! J’ai commencé avec sa Danse de Nietzsche et j’ai continué en la suivant sur les chemins d’Hölderlin, de Rilke, et tout récemment Lawrence Durrell.

    C’est une femme qui aime la littérature et les voyages.

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    J’aime son parti pris de nous faire entrer dans la vie d’un écrivain par une porte dérobée, une visite à Durrell alors qu’elle était jeune, Rilke pour ses promenades au Luxembourg, Nietzsche pour les paysages de l’Italie.

    J’aime les récits qu’elle fait comme une voyageuse qui accompagnerait l’écrivain dans ses errances, dans sa recherche de la beauté, dans ses souffrances aussi. 

    J’ai beaucoup aimé son livre sur Nietzsche qui est aujourd’hui réédité chez Verdier, Nietzsche à Portofino, je me souviens de m’être promenée sur ces sentiers là avec ce livre sous le bras et être allée du texte au paysage pour sentir le bonheur de Nietzsche devant ces mêmes couleurs.

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    Rilke je l’ai expérimenté à Paris, il est âgé de quarante cinq ans et séjourne dans un petit hôtel face au Luxembourg. Six jours pendant lesquels, anonyme et presque clandestin il retrouve le Paris qu’il a aimé, où il a écrit. Il cherche ici l’inspiration qui lui permettrait de terminer ses Elégies, entamées mais jamais terminées.

    Eternel amoureux Rilke revient sur les pas de ses amours. Il revient sur sa rencontre avec Rodin, le maître.

    Pendant ces six jours le temps est comme aboli et Béatrice Commengé explore tous les contours de l’âme du poète en même temps qu’elle explore le quartier et les traces laissées par Rilke.

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    Rilke et Paul Valéry

    Le dernier de ses livres qui m’a particulièrement touché est consacré à Lawrence Durrell, un écrivain que j’ai déjà évoqué ici. 

    Béatrice Commencé est jeune la première fois où elle le rencontre, trente ans après le souvenir est toujours vif 

    «  Lawrence Durrell m’avait ouvert la porte en me demandant : “Aimez-vous l’Indian Curry ? 
    Sans une hésitation aucune, il me proposait de partager son délice d’enfant. Mon cerveau traduisit aussitôt : Darjeeling, 1920. C’était donc là qu’il vivait quand il avait faim – en enfance. Il se promenait dans un paysage dont on l’avait arraché à onze ans et qu’il n’avait jamais revu. J’étais venue chercher la Provence, la Grèce, l’Égypte, Alexandrie, et il m’offrait l’Himalaya. L’homme de soixante-quatre ans vivait toujours au pays de Kipling. »

    J’ai beaucoup aimé retrouver Durrell à Bellapaix à Chypre,  en Egypte bien entendu et en Provence.

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    Espace Durrell à Sommière

    Ces livres sont très attachants, très vivants, ils dressent des portraits subtils, riches. C’est un grand plaisir de suivre ses balades littéraires. J’espère que vous serez nombreux à tenter la découverte et à glisser ses livres dans vos valises parfois.

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    Les livres de Béatrice Commengé

    En face du jardin six jours dans la vie de Rainer Maria Rilke - Editions Flammarion
    Et il ne pleut jamais naturellement - Gallimard (sur Hölderlin)
    Une vie de paysage - Editions Verdier
    La danse de nietzsche - Editions Verdier poche

  • le génie de la langue

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    Jardin des roses de Muzot 

    Oui, j’aime écrire en français, quoique je ne sois jamais arrivé à écrire cette langue (qui plus que toute autre oblige à la perfection, puisqu’elle la permet) sans incorrections et même sans d’insidieuses fautes. Une grande partie de ma correspondance se passe en français. J’ai pensé, de cette façon, de dégager l’autre langue de presque tout emploi qui n’est pas d’art et d’en faire la pure matière de mon travail verbal.

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    J’ai réussi pendant quelque temps, puis, tout d’un coup, cet hiver, le français commençait à empiéter sur le terrain qu’il devait protéger. Un peu malgré moi j’ai fini par remplir tout un cahier de « vers » français qui ne sont pas (vous le devinez) bien avouables.

     

    Le livre : Lettres autour d’un jardin - Rainer Maria Rilke - Editions La Délirante

  • Les Enfants Jeromine - Ernst Wiechert

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    Quelle excellent idée de rééditer ce livre, lu il y a bien des années grâce à une bibliothécaire avec qui je travaillais comme bénévole à l’époque, c’est elle qui un jour m’a parlé d’Ernest Wiechert, merci encore Thérèse ce fut un joli cadeau.

    C’est je crois le roman le plus connu de l’auteur. Il se déroule dans le village même où il passa une partie de sa vie. Sowirog village de Mazurie qui appartenait alors à la Prusse Orientale. Région qui connut bien des vicissitudes déjà évoquées dans le livre de Marion Donhoff et le roman d’Arno Surminski

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    La Mazurie d'Ernst Wiechert

    C’est l’histoire de la famille Jeromine et du village de Sowirog mais surtout le destin de Jons Ehrenreich Jeromine qui devenu médecin revient dans son village. 

    Jons a grandi avec ses six frères et soeurs. Leur père leur a inculqué le sens de valeurs familiales, des gens pauvres et simples attachés à leurs traditions et à une foi inébranlable malgré les tragédies, les souffrances et les déconvenues. Il est épris de justice et de savoir. C’est lui qui va partir au loin animé d’une curiosité énorme et d’une envie folle de rendre à son village ce qu’il en a reçu.

     

    C’est un village de paysans, de charbonniers, de forestiers. Cette micro société vit grâce à un dur labeur, le climat est hostile dans ce pays de marais aux hivers terribles. On voit au fil des pages évoluée cette société fermée sur elle-même dans laquelle les femmes paient le tribu le plus lourd, les coups ne sont pas rares, les grossesses dangereuses, le travail interminable. La foi imprègne la vie quotidienne, la Bible dicte les comportements. 

     

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    La maison d'Ernst Wiechert

    L’arrivée du nazisme va provoquer un véritable séisme dans ce petit monde clos. Les forts contre les faibles, la violence qui broie tout sur son passage.

    Un roman qui mérite une lecture lente, qui demande d’oublier la foi inébranlable de E Wiechert quand on ne la partage pas mais qui réjouit le coeur car l’écriture est belle, l’émotion affleure à chaque page, Wiechert était fils d’un forestier et l’on sent que toute son enfance est là dans ce roman. Un livre de pure communion avec la nature.

    Ce livre fut publié à la fin de la guerre, pendant celle-ci Wiechert fut interné à Buchenwald puis relâché il passa la guerre sous la surveillance de la Gestapo.

    Ses livres furent des succès.

    Du même auteur si vous ne l’avez pas lu je vous recommande Missa sine nomine.  

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    Le livre : Les Enfants Jeromine - Ernst Wiechert - Traduit par Félix Bertaux et E Lepointe - Editions Le Livre de poche 2016

     

  • Promenades d'Hermann Hesse

    Si vous voulez connaitre un peu mieux Hermann Hesse sans pour autant vous lancer dans une biographie voilà le livre qui convient.
    La vie de l’auteur est au centre mais à travers les lieux qu’il a habité, qu’il a aimé et surtout qu’il a arpenté.

    Montagnola, le lieu où il écrivit ses grands romans, c’est dans le Tessin à la limite de l’Italie 

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    Montagnola lui consacre un musée

    « Je n'ai jamais vécu dans un plus beau cadre qu'au Tessin et ne suis jamais resté autant d'années fidèle à un lieu de résidence qu'à celui où je me trouve aujourd'hui. [...] Le paysage tessinois, avec lequel j'ai véritablement fait connaissance en 1907, m'a toujours attiré à la fois comme une patrie prédestinée et comme un lieu d'asile ardemment désiré.»

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    Casa Camuzzi

    La Casa Camuzzi à Montagnola, c’est une belle maison romantique dont il fait sa terre d’élection après une grave crise familiale, le lieu qui va lui apporter en partie la paix de l’âme à permettre à son génie littéraire de voir le jour. C’est là qu’il va écrire Narcisse et Golmund, Le loup des steppes, le Jeu des perles de verre.

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    Il va aussi s’adonner à la peinture se sentant inspiré par ces paysages méditerranéens.

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    Plus tard il habitera la Casa Rossa, dans cette maison il abritera au moment de la guerre, Thomas Mann, Bertolt Brecht.

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    Il repose dans le cimetière de San Abbondio

     

    Le livre est superbement illustré avec en particulier des photos d’archives de la famille Hesse, des toiles de l’écrivain aux couleurs puissantes qui m’ont beaucoup plu.Le livre offre beaucoup d’extraits des oeuvres de HH qui viennent opportunément illustrer les photos, il a beaucoup marché dans les environs du lac du Lugano, dans le vallon de Pambio qui aujourd’hui n’a plus rien de rural, dans les ruelles de Morcote ou sur les pentes du Monte Arborea.

    Cette balade sur ses traces est un enchantement aux couleurs de l’Italie, celle des lacs, des madones et des villas splendides.

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    Le livre : Les promenades d’Hermann Hesse - Jean-Philippe de Tonnac - Editions du Chêne  Facile à trouver d’occasion

  • La décision - Britta Böhler

    Trois jours de réflexion

     

    En 1933 Thomas Mann a quitté Munich pour un voyage en Suisse, le retour se révèle risqué et quasi impossible, les nazis ont confisqués une grande partie de ses biens et sa sécurité n’est plus assuré. Adieu maison à laquelle l’écrivain est très attaché et surtout adieu à la bibliothèque de 8000 volumes même s’il garde un rien d’espoir de les récupérer.

     

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    La maison des Mann à Munich

     Le voyage se transforme en exil pour le Prix Nobel de littérature obtenu en 1929, il trouve, après bien des pérégrinations, à se loger dans une maison à Zurich au bord d’un lac. En 1936 les exactions en Allemagne prennent le tournant qu’on connait et sa femme et surtout ses enfants le pressent de prendre parti, de s’exprimer. Erika surtout est sévère avec lui elle

    « lui reprochait sa superbe, qualifiait sa retenue de marque d’arrogance, affirmait qu’il était déplacé, à pareille époque, de vouloir ainsi faire fi de la réalité. »

    Thomas Mann s’apprête à publier une lettre dans le Neue Zürcher Zeitung, l’indisponibilité de son ami l’éditeur Korodi lui donne quelques heures de répit et il hésite soudain.

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    Maison de l'exil

     

    Aucun suspense dans ce livre car on sait que la Lettre aux Allemands fut publiée mais on entre dans l’intimité d’un homme au bord de la rupture avec sa patrie, rupture qu’il pressent douloureuse. 

    Il a à la fois l’envie de combattre les nazis et le besoin d’écrire en paix, il donne raison à son frère Heinrich qui a pressenti très tôt la catastrophe, mais on perçoit à travers ses atermoiements la crainte de n’être plus lu en Allemagne, de ne plus pouvoir faire vivre sa famille. 

    C’est un homme d’ordre, de manies et l’on est partagé entre l’agacement parfois et la compassion devant l’écroulement de tout ce qu’il a défendu, aimé, célébré.

     

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    La famille Mann

    Il sait qu’une fois la lettre publiée les liens avec l’Allemagne seront définitivement rompus alors il essaie de se rassurer

    « Même s’il n’a plus le droit de vivre dans sa patrie, tant qu’il continuera d’y être lu et de pouvoir écrire pour elle, il ne sera pas tout à fait sans patrie. »

     

    J’ai aimé cette réflexion quand Thomas Mann ne peut plus se contenter de vivre dans la peur

    « Ses livres seraient interdits en Allemagne et lui inévitablement déchu de sa nationalité. »

    et le ressentiment pour ses amis d’hier et la presse dans laquelle

    « On affirmait qu’avec sa conférence sur Wagner, il avait souillé la mémoire du grand compositeur » 

    lui qui aime tant la musique de Wagner.

    Le livre est court et les fréquents retours en arrière rythment très bien le récit. 

    Entrer ainsi dans la sphère de pensée d’un des grands écrivains du XXème siècle est un très bon moment de lecture, son portrait est convaincant.

    Dans sa lettre il a dit

    « Tant que je vivrai, fût-ce même comme citoyen du Nouveau Monde, je resterai Allemand et je souffrirai du destin de l’Allemagne et de tout ce que, par la volonté de tyrans criminels, elle a infligé moralement et physiquement au monde. »

     

    Un premier roman réussi pour Britta Böhler avocate de profession mais qui a choisi la voie politique et le roman pour s’exprimer 

     

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    Le Livre : La décision - Britta Böhler - Traduit par Corinna Gepner  - Editions Stocks

     

  • Ostende 1936 - Volker Weidermann

    L'été de l'amitié

     

    Dommage que l’édition française de ce livre n’ait pas gardé le sous titre de l’édition allemande : l’été de l’amitié. Un sous-titre qui dit tout pour les protagonistes de cet été là.

    On pourrait aussi l’intituler : Portrait de groupe, car en exil dans la station belge d'Ostende on retrouve là des écrivains chassés d’Allemagne et d’Autriche par le régime nazi.

     

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    Ostende avant guerre

    Stefan Zweig bien sûr qui a espéré longtemps pouvoir être encore édité en Autriche, qui va devoir se résoudre au départ et au divorce, il faut dire qu’à Ostende ce n'est pas sa femme mais c’est Lotte Altmann qui est à ses côtés.

    Joseph Roth que les abus d’alcool n’empêchent pas d’être le plus lucide sur la situation de l’Allemagne. 

     

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    Mais dans cette station balnéaire ils ne sont pas seuls et viennent s’ajouter des noms comme celui d’Arthur Koestler qui ne va pas tarder à « virer sa cuti » communiste, et des artistes et écrivains qui sont aussi dans le collimateur nazi : Irmgard Keun, Hermann Kesten.

     

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    Arthur Koestler 

     

    C’est un petit livre tout à fait intéressant sur cette période, on y voit l’amitié mais aussi les heurts entre Zweig et Roth, l’atmosphère de déliquescence qui règne et qui présage d’une fin difficile pour certains d’entre eux. 

    C’est un récit empreint de tristesse bien sûr mais aussi d’éclat de rire, de fêtes au champagne, tant il est bon de lutter contre la mort à venir et l’extinction des voix qui furent celles d’une Europe cosmopolite et si riche. Il y est question de perte, de poésie, de politique et c’est tout à fait captivant. 

    Cette ville refuge est à la fois idyllique et terrible, la fin d’un monde s’inscrit déjà dans le sable de la plage.

     

    Eeguab vient de le lire aussi

     

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    Le livre : Ostende 1936 - Volker Wiedermann - traduit par Frédéric Joly - Editions Piranha