Quand on a lu les principaux romans d’un auteur, il reste ses écrits plus anciens, pas forcément les meilleurs mais l’on a plaisir à découvrir l’auteur un peu balbutiant, un peu maladroit parce qu’on sait ce qu’il adviendra.
Constantin Makowski
Les Pauvres gens est le premier roman de Dostoïevski, il a obtenu un succès immédiat alors qu’il n’a que 25 ans
Le style est déjà là, ce roman épistolaire contient en germe ce que l’on retrouvera plus tard dans son œuvre.
Le roman tourne autour de deux personnages : Varvara Dobrossiolova et Makar Dévouchkine.
Lui est un petit fonctionnaire toujours sur la corde raide question finance, il est plus âgé qu’elle.
Varenka est une lointaine cousine à la santé précaire, une orpheline qui vit dans une pauvreté terrible et qui a été déshonorée par un riche propriétaire terrien.
Makar vit dans un logement collectif sans aucun confort, bien qu’en difficulté il tente d’aider Varenka. Il est touché par son courage, il dépense jusqu’à son dernier kopek pour lui faire quelques cadeaux.
Ilya Répine
Au fil de leur correspondance se dessine une affection sincère et profonde même si elle est faite de non-dits et de silences.
« l'existence est moins lourde quand on la supporte à deux. »
Ils font état de leurs craintes, de leurs difficultés, ils se livrent avec sincérité et humilité, Makar se traite d’ignorant, Varenka dit « Ah ! mon ami ! le malheur est une maladie contagieuse. » Chacun devient le confident de l’autre.
On a au fil du récit le sentiment d'avoir affaire à des personnages aux abois, et cette impression va crescendo.
Mais Varenka sait ce qu’elle veut, ce qu’elle est prête à accepter, et le dénouement final n’a rien de glorieux.
Illuminations à Saint Pétersbourg Fiodor Vasilyev
A travers leur lettres Dostoïevski dresse un tableau sordide de la vie à la russe, la lutte quotidienne pour manger, se loger, se vêtir, bref vivre.
Il décrit merveilleusement bien l’univers « des petits, des sans grade » ces êtres pitoyables qui gravitent autour des personnages principaux : un écrivain raté, un commerçant indélicat, une tante monstre d’égoïsme.
« J'ai mis chez moi un lit, une table, une commode, deux chaises, j'y ai accroché une icône.Votre fenêtre est en face, de l'autre côté de la cour, et celle-ci est exiguë ; je vous apercevrai en passant, cela égaiera ma misérable vie »
Son analyse de l’âme humaine présente déjà toutes les contradictions que l’on rencontrera dans ses grands romans. Culpabilité et péché, orgueil ou rédemption.
L’auteur exagère les émotions, l’amour de Makar est profond et intense,
« Dès que je vous ai connue, d'abord, j'ai commencé à mieux me connaître moi-même, et je vous ai aimée ; et avant vous, mon petit ange, j'étais solitaire, c'était comme si je dormais, je ne vivais pas au monde. »
Le rythme des phrases accentue l’impression de tourment qui assaille les personnages et donne cette sensation de percer l’âme humaine ce qui sera le propre de Dostoïevski.
La traduction de Markowicz rend parfaitement l'esprit torturé de l'écrivain et apporte tout ce qu’il faut au lecteur pour se laisser séduire par ce roman.
Le Livre : Les Pauvres gens - Fedor Dostoïevski - Traduction André Markowicz - Actes Sud