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A sauts et à gambades - Page 62

  • L'autre George, à la rencontre de George Eliot - Mona Ozouf

    « C’est curieux que dans tous les genres les plus différents, de George Eliot à Hardy, de Stevenson à Emerson, il n’y a pas de littérature qui ait sur moi un pouvoir comparable à la littérature anglaise et américaine.(…) deux pages du « Moulin sur la Floss » me font pleurer. » 

    Lettre de M Proust à R Billy

    george eliot

     Il y a dans les écrivains d’aujourd’hui, des auteurs pour qui j’ai une réelle admiration, Mona Ozouf en fait partie. J’ai lu ses articles littéraires et surtout son essai sur Henry James. Quand j’ai vu qu’elle proposait une promenade dans la forêt des romans de George Eliot je n’ai pas pu résister.

    george eliot

    Mona Ozouf lit Le Moulin sur la Floss  vers 15 ans sur les conseils de son professeur de français, elle n’a jamais cessé depuis.

    Elle s’étonne qu’en France, George Eliot ne soit que très peu lue, est-ce la taille de ses romans souvent touffus, est-ce l’étude psychologique des personnages toujours détaillée, toujours riche ou tout simplement est-ce par méconnaissance de l’oeuvre ?

    Son livre qui se compose de deux grandes parties, tout d’abord l’analyse fine et complète de trois des grands romans de George Eliot, Le Moulin sur la Floss, Middlemarch, Daniel Deronda. 

    george eliot

    l'adaptation BBC de Daniel Deronda

    Puis une série de chapitres pour découvrir l’auteure, ses prises de position, son féminisme avant l’heure, sa vie d’une femme extrêmement intelligente, courageuse et qui fut victime d’un ostracisme social très très victorien.
    Mary Ann Evans, qui se souvenait que lorsqu'on avait appris que Jane Eyre était l'oeuvre d'une Charlotte, le ton de la critique avait subitement changé, pris un pseudonyme.

    Son premier ouvrage, Les Scènes de la vie cléricale rencontre un certain succès puis Adam Bede parait en 1854  recueille une bonne critique. Le reste suivra jusqu’à Daniel Deronda

    george eliot

    Scènes de la vie cléricale 

    Mona Ozouf nous fait entrer dans les réflexions de cette femme en but au puritanisme de l’époque en raison de sa vie privée, elle vit avec un homme marié et ayant perdu la foi elle ne met plus les pieds à l’église.

    Une petite idée du puritanisme ambiant ?
    Dans Le Moulin sur la Floss, Maggie l’héroine est couverte de baisers….sur l’avant-bras par son amoureux, la critique y vit une scène révoltante, très choquante of course.

    george eliot

    George Eliot by John Letts,
    1986, Newdegate Square, Nuneaton © LH Images/Alamy

    Pourtant cette femme est portée par une morale, Mona Ozouf nous fait entrer dans la confidence de cette morale sans Dieu, d’une morale qui ne nie pas la femme, qui revendique même l’égalité. 
    Comble de l’horreur George Eliot considère que la maternité ne définit pas les femmes ni ne doit les enfermer. Ici, la modernité d'Eliot est éclatante et c’est elle sur laquelle insiste Mona Ozouf.

    Mona Ozouf manie l’oxymore à son propos : « Sédentaire voyageuse, athée religieuse, conservatrice de progrès, rationaliste éprise de mystère… »
    George Eliot est dotée d'une formation religieuse très imprégnée d'évangélisme, sensée convertir des impies elle se retrouve à leurs côtés.
    C’est une darwiniste convaincue qui  croit au développement et au progrès, et met son espoir dans la science, voir le beau personnage du médecin dans Middlemarch. 
    Elle se révèle aussi visionnaire lorsqu'elle évoque dans Daniel Deronda l'idée d'un Etat juif en Palestine... en 1876, vingt ans avant Theodor Herzl.

    george eliot

    Pour les amateurs de George Sand, tout un chapitre est consacré à la comparaison entre la vie et l’oeuvre des deux George les plus célèbres du monde de la littérature.

    Etant déjà lectrice de George Eliot, ce livre m’a conforté dans mon admiration pour la femme qu’elle fut.
    J’ai commencé mon parcours avec les plus grands romans Middlemarch et Daniel Deronda et je suis en bonne compagnie, Léon Tolstoï, Henry James, Marcel Proust, Virginia Woolf, D. H. Lawrence connaissaient bien son œuvre… Certains, comme James et Woolf, lui ont même consacré d’importants articles.
    Pour Virginia Woolf lire Eliot constituait une expérience « frappante » et « magnifique »

    george eliot

    Mona Ozouf et George Eliot : deux féministes

    Mona Ozouf dit dans une interview :
    « Oui, il y a des choses que je relis constamment. Probablement parce que, même tragiques, elles me consolent. »
    Dans ce livre elle rend  un hommage appuyé à la littérature dans un style simple mais avec une telle conviction que je vous défie de ne pas faire de l’oeuvre d’Eliot votre prochaine lecture.

    Pour les anglophones vous pouvez lire :  My Life in Middlemarch paru en 2014 de Rebecca Mead, 

    george eliot

    Le Livre : L’autre George : à la rencontre de George Eliot - Mona Ozouf - Editions Gallimard 

     

  • Le Pinceau de Constable

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    «  C’est mon propre pays que je peindrais le mieux ; pour moi peindre n’est qu’un autre mot synonyme de sentir, et j’associe tout se qui existe sur les bords de la Stour ; ce paysage a fait de moi un peintre. »

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                               Malvern Hall  John Constable  ça vous fait pas penser à ....

    « On m’a dit que le tableau ne représentait qu’une maison et qu’on aurait du le mettre dans la section architecture. J’ai répondu qu’il représentait une matinée d’été, comprenant une maison. »

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    Le tableau date de 1816 l’année sans été 

        La baie de Weymouth Musée du Louvre    

                                         

    « Weymouth bay saisie sous l’orage, sur le vif, esquisse faite dans l’urgence de ce bouleversement climatique »  

    Le livre : Constable Entre ciel et terre - Pierre Wat - Editions Herscher

  • Sagesse de l'herbe - Anne Lemaître

    Il y a quelques semaines je vous ai donné un avant goût de ce livre, il est temps de vous donner envie de le lire, de l’offrir.

    C’est à pied qu’Anne Le Maître découvre son environnement.

    Voyages lointains, rando ou simple promenade, tout est l’occasion pour elle de partir nez au vent, de marquer le pas pour observer, s’évader, trouver un refuge, répondre à son besoin de calme, de silence. 

    Lemaitre

    Elle part avec de la poésie et de la philosophie dans ses bagages et dans sa tête. La Fontaine et Pascal l’accompagnent mais aussi Rûmi le poète persan

    «  Je suis la lueur de l’aube. Je suis l’haleine du soir. 
    Je suis le murmure du bocage, la masse ondoyante de la mer…
    Je suis la chaîne des êtres, je suis l’anneau des mondes.
    Echelle de la création, l’ascension et la chute…
    Je suis l’âme de tout. »

    Lemaitre

    Elle aime contempler, méditer en compagnie des poètes mais aussi des savants quand, comme Ptolémée surtout, ils savent mettre le monde en mots
    « Moi qui passe et qui meurs, je vous contemple étoiles !…Debout tout près des cieux dans la nuit aux cent voiles, je m’associe infirme à cette immensité :  je goûte, en vous voyant, ma part d’éternité. »

    On la suit de la forêt amazonienne aux gravillons de sa cour.

    « Tous ces chemins, donc, tous ces jardins et ces vergers, ces marécages et ces bois, ces friches et ces alpages, ces landes et ces déserts…Dans l’infini vertigineux j’avance pas à pas, allant d’un battement de coeur à l’autre »

    Lemaitre

    Anne Lemaître marche nous dit-elle «  au péril de l’herbe et du vent. » Pour tenter de renouer avec la sagesse de l’herbe. Déchiffrer un paysage, se pencher sur une fleur. 

    Si vous la suivez vous apprendrez que «  Nos mots sont nos lunettes, le filtre que la pensée pose devant le réel. » C’est ainsi que j’ai appris que les néerlandais ont un mot pour dire « marcher par mauvais temps pour le plaisir : uitwaaien »

    Lemaitre

    Livre précieux et délicieux, tout bruissant d’anecdotes, de rencontres, de lectures aussi.
    Vous verrez défiler les saisons, éclore les premières primevères, vous dénicherez avec elle un crocus, vous prendrez le temps de flâner, de vagabonder.
    Une très belle photo en couverture qui s’accorde parfaitement avec le propos du livre

    A lire sur le bord d’un chemin, quand l’envie de ralentir vous prend, à glisser dans votre sac à dos ou simplement comme moi à lire pour explorer avec elle les chemins.  

    Lemaitre

    Le livre : Sagesse de l’herbe - Anne Le Maître - Editions Transboréal

     

  • Bribes du jardin des simples

    « Dans le jardin des gouttes d’eau scintillent sur les crosses des fougères » 

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    «  Des arbres se déploient et montent vers le ciel, ou prennent place au long des pelouses, comme l’armée des figurants sur la scène d’un théâtre. »

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    «  Un jardin où venir s’illusionner et méditer »

    Le livre : Florentiana - Thierry Laget - Editions Gallimard L’un et l’autre

  • Sartoris - William Faulkner

    C’est le premier roman des oeuvres complètes de Faulkner en pléiade. 
    Il n’a pas encore fait le grand saut vers l’écriture qui sera la sienne pour les années à venir.

    Ce roman là est de conception classique avec comme revers qu’il n’emporte pas le lecteur comme le feront les romans suivants. Pourtant pas question de faire la fine bouche, même classique ça reste du Faulkner.

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    Il restitue dans ce roman toute l’atmosphère déliquescente d’une propriété dans un comté du Mississippi et d’une famille : les Sartoris, lignée sur le déclin. 
    Attention on peut parfois se prendre les pieds dans l’arbre généalogique car il n’y a pas moins de trois John et autant de Bayard, allez vous y retrouver. 

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    Aucun des ancêtres Sartoris n’est mort tranquillement dans son lit, les uns ont tué à la guerre, les autre en duel. Comme le dit un des personnages  « Quand on se met à tuer des gens, on ne sait plus où ça s'arrête. Et quand on s'y met on est comme qui dirait déjà mort soi-même »

    Le dernier John est mort aux commandes de son avion du côté des champs de bataille français et son frère, Bayard le fils, rivalise avec lui par delà la mort au volant de sa voiture en s’enivrant de vitesse ou en tentant de stopper un cheval au galop.

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    Il reste aussi Bayard le vieux, sans oublier Miss Jenny dont l’âge est indécidable. Et bien sûr il y a toute la maisonnée noire, faite de serviteurs sans âge, roublards et dévoués à l’image du vieux Simon.

    N’est-il pas temps de redonner vie à cette lignée ? Est-ce encore possible où le pire est-il déjà là ? 

    Faulkner ne raconte pas vraiment une histoire dans Sartoris, il suggère, laisse entendre. Les personnages sont en fuite, le destin leur joue des tours et Miss Jenny est là pour faire de sombres prédictions telle Cassandre.
    La violence les tient et plus encore l’orgueil, orgueil du nom, de la lignée. Ils aiment fanfaronner, narguer la mort et faire un pied de nez au destin qui s’annonce tragique.

    Faulkner s’est inspiré de sa famille et de son comté 
    « Je n’ai fait que me servir de l’instrument le plus près, à portée de ma main. Je me suis servi de ce que je connaissais le mieux, c’est-à-dire le pays où je suis né et où j’ai passé la plus grande partie de ma vie [...] J’ai essayé de peindre des êtres, en me servant du seul instrument que je connaissais, c’est-à-dire le pays que je connaissais.»

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    C’est le tableau de la fin d’une époque, le roman du déclin et une bonne façon d’entrer dans le monde de Faulkner, les descriptions champêtres sont belles, il y a quelques scènes burlesques dont une très drôle qui oppose médecin et rebouteux. 

    Il faut un été très chaud pour bien lire Faulkner et l'été dernier était parfait pour cela mais je crois que je n'attendrai pas l'été prochain pour poursuivre ma lecture.

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    Le livre : Sartoris dans Oeuvres Tome 1 - William Faulkner - traduit par RN Raimbaud et H Delgrove- Gallimard pléiade 

  • Bribes de musique céleste

    Un pasteur américain, en 1860, a noté les sons que les gouttes de la pluie faisaient retentir sur l’herbe et les petits sentiers de graviers du jardin de la cure.

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    Il transcrit des mois durant, des saisons durant, des années durant, tous les chants des oiseaux qui viennent y nicher, se percher dans les branches, se dissimuler sous les feuilles des arbres.

     

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    Il s’appelait Simeon Pease Cheney.
    Le révérend Cheney vivait exactement au temps où le pasteur Brontë finissait ses jours, alors que ses trois filles et son fils étaient morts.

     

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    Une odeur de champignon délicieuse s’élève quand on marche dehors et qu’on rentre en direction de la maison en soulevant un peu de terre à chaque pas.
    C’est un parfum de mousse, de feuilles détrempées, de fougères rousses, de limace, de bière.
    Accroché au muret du jardin, au moindre rayon fragile de soleil, le lierre sent le miel.
    Seuls les oiseaux nocturnes, la nuit, expriment, sans beaucoup les varier, leurs pépiages si bas, si beaux, si pauvres, si étranglés, si brefs.
    Fragments sonores qui sont comme écourtés, arrêtés sur place devant l’hiver qui vient.

     

    Le livre : Dans ce jardin qu’on aimait - Pascal Quignard - Editions Grasset