Il était temps de renouveler un peu ma bibliothèque russe, constituée par des livres de poche essentiellement et un rien de pléiade. Les poches tombaient en loques alors...
J’ai choisi pour Dostoïevski les thésaurus publiés par Actes Sud, il manque encore un ou deux volumes à l’appel mais on a déjà le principal.
Un inconvénient ? oui oui : gros et lourds et mous ....on ne peut pas tout avoir, j’ai privilégié la qualité de la traduction.
Cela a été l’occasion de lire des nouvelles publiées par Dostoïevki dans les journaux et qui ont été ajoutées à ses grands romans.
D’habitude les nouvelles m’agacent mais je dois dire que j’ai pris à ces deux là un grand plaisir
Le Garçon à la menotte a été publiée dans le « journal d’un écrivain » et André Markowicz a fait le choix de l’ajouter aux romans publiés entre 1875 et 1880.
l’expression « à la menotte » signifie qui tend la main, qui mendie.
Voilà une version noire de « la petite marchande d’alumettes », une histoire qui, même si l’on sait que Dostoïevski avait un penchant pour les larmes, nous touche au plus profond.
Un enfant de 5 ou 6 ans contraint de faire la manche, il est maigre, il est à peine vêtu alors que l’hiver est là, il voit des lumières, des dorures, il entend de la musique, aperçoit même de la nourriture, c'est noël....mais rêve ou réalité ? Ses doigts ne peuvent plus guère remuer tant le froid est intense, il se recroqueville tel un tas de chiffon et entend près de lui la voix de sa mère.
Dostoïevski le dit, c’est une histoire inventée par un écrivain mais tellement réelle et franchement l'on est fortement ému par le récit.
La seconde nouvelle piochée dans ce thésaurus c’est l’histoire du Moujik Mareï. Parue de la même façon que la nouvelle précédente dans « Le journal d’un écrivain » et publiée en 1876.
C’est un jeu de poupées russes cette nouvelle. l'auteur se souvient du bagne et du souvenir qui au bagne l’a assailli un jour de Pâques, au milieu d’hommes frustres, violents, assassins pour certains.
C’est un souvenir d’enfance qui relate la rencontre de l'écrivain avec un moujik.
« L’été touchait à sa fin » bientôt il faudrait repartir à Moscou et retourner au collège, Fédor profite des derniers jours de liberté en pleine nature. Il observe les insectes, ramasse des hannetons. Lorsqu’il croit entendre « au loup » il est pris de peur et dit « je courus tout droit jusqu’au paysan qui labourait.»
C’est le moujik Mareï « un homme de quelque cinquante ans, solidement bâti, d’assez haute taille, à la barbe en éventail châtain foncé déjà fortement grisonnante. »
Celui-ci parvient à calmer la peur de l’enfant par quelques mots simples.
L’écrivain revoit le bon visage de Mareï, son sourire bienveillant, ses signes de croix pour éloigner le mal, sa voix pleine de sollicitude.
« Brusquement à présent, vingt ans plus tard en Sibérie, je me souviens de toute cette rencontre »
Ce n’était qu’un serf et subitement Dostoïevski, par la grâce du souvenir voit autrement sa chambrée, ses compagnons de bagne « j’ai brusquement senti que je pouvais poser sur ces malheureux un regard différent. » sans doute ce qui lui permit ensuite de faire le récit de ces années là.
Deux nouvelles loin des grands romans mais qui possèdent une force et un charme indéniables
Le livre - Fedor Dostoïevski Oeuvres Romanesques 1875-1880 - Traduction André Markowicz - Editions Actes Sud Thesaurus 2014