Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Roman - Vladimir Sorokine

roman.gifRoman - Vladimir Sorokine - Traduit du Russe par Anne Coldefy-Faucard - Editions Verdier
Est-ce que j’ai aimé ce livre ? Aimé n’est pas le bon mot.
Est-ce que je le garderai en mémoire ? Absolument il me sera impossible de l’oublier et pourtant j’ai beaucoup de mal à en faire un résumé tellement ce livre m’a laissé ahurie, hébétée, ayant de la peine à croire ce que je lisais, étant encore aujourd’hui, plusieurs jours après avoir terminé ma lecture, terrifiée par ce texte.

Tout d’abord il faut vous dire que Roman est le nom du héros, Roman Alexeïevitch pour être précis. Le choix du patronyme est le premier gravillon dans la chaussure glissé par Sorokine mais au début on ne se méfie pas.
Vous voilà à la fin du XIX ème siècle, dans la Sainte Russie, la Russie éternelle, celle de Tchékhov, de Tolstoï, de Tourgueniev.
Tout le roman russe défile pendant 500 pages, avec maestria Sorokine convoque tous les grands écrivains, toute " l’âme Russe " et il le fait avec une habileté diabolique. On est pris, on s’attache aux personnages, on lit avec bonheur des pages de description d’une nature magnifique.

Roman, est un jeune aristocrate qui lassé d’être avocat revient dans la propriété où il a passé son enfance. Un retour aux sources, il revient vers la superbe Zoïa dont il est amoureux fou mais qui peut être ne l’a pas attendu.
Il a décidé de consacré sa vie à la peinture. Toute la famille est heureuse de le voir, les oncles, les tantes, les cousins, le vieil instituteur, le docteur, le père Agathon, les voisins, les domestiques, tout le monde lui fait fête.
On baigne dans une atmosphère plus Russe que Russe, c’est éblouissant, tout est en place, le samovar fume, le héros retrouve le goût des nourritures de son enfance " Esturgeon et saumon, caviar pressé et jambon fumé, sandre en aspic et brochet farci, tomates au sel, lactaires délicieux, bolets, pommes macérées, chou aigre aux airelles, tout s’entassait sur des assiettes et des plats à touche-touche, formant un fantastique paysage, au milieu duquel pointaient, ici ou là, les tours de cristal multicolore des carafons de vodka, de vins, de liqueures en tous genres"
Après les gourmandises c’est le retour à la nature qui va combler Roman " le jardin était obscur et frais. C’était une douce nuit de printemps, au ciel bas, dans les tons de violet foncé, effleuré ça et là par des étincelles d’étoiles que l’on distinguait à peine" La passion de la chasse lui revient " il marchait, scrutant ces lieux si familiers et si chers que son coeur cessait de battre dans sa poitrine et que des larmes lui montaient aux yeux."

levitanlesclochesdusoir.jpg

Félix Levitan - Les Cloches du soir

C’est romanesque à souhait non ? Bien sûr Zoïa l’ingrate l’a oubliée, deuxième petit gravier semé par Sorokine,  mais elle est vite oubliée au profit de Tatiana, la magnifique Tatiana, qui bien que de condition modeste comble toutes les attentes, foin de la différence de milieu et de fortune.
Voilà vous avez lu plus de 400 pages, et vous commencez à trouver qu’il y a quelque chose d’étrange dans ce récit, l’auteur serait-il en train de vous piéger ? Mais non, soulagement tout s’accélère soudain, un accident de chasse, la préparation d’un mariage, vite, vite, tout doit se faire rapidement , tellement rapidement que vous ne voyez pas la fêlure, du moins vous ne la comprenez pas vraiment, et c’est fini pour vous, vous êtes livré à Sorokine pieds et poings liés.
Il vous reste 100 pages à lire, le récit devient apocalyptique, sidérant, l’écriture se fragmente, les mots volent en éclats, vous continuez de lire un peu hypnotisé mais stupéfait, effaré, jusqu’au dénouement.

A lire les critiques, Sorokine est présenté comme un auteur qui dérange, comme l’enfant terrible des lettres russes, c’est vraiment peu dire ! Il dit de son roman " C’est un livre sur la mort, et le crépuscule d’une civilisation, celle de l’ancienne Russie", je dirais que l’auteur fait exploser cette image à coup de mots avec une puissance extraordinaire.
La quatrième de couverture évoque une maestria éblouissante, un dénouement stupéfiant laissant le lecteur effaré, et bien pour une fois c’est  en dessous de la vérité.
Un roman fou, halluciné, un roman choquant, inquiétant mais en même temps remarquable et inoubliable. Ames sensibles s’abstenir !

Une longue interview dans le dernier numéro du Matricule des Anges il dit " J'ai essayé de dégager les relations existant entre notre conscience russe saturée de références littéraires et la vie rurale désespérée, primitive, de la province"

250px-Vladimir_sorokin_20060313.jpgL'auteur
Connu dans les milieux non-conformistes depuis la fin des années soixante-dix, Vladimir Sorokine, né en 1955, devient un écrivain russe majeur après l’effondrement de l’Union soviétique.
Ses romans, nouvelles, récits et pièces de théâtre sont de véritables événements, suscitant louanges, critiques acerbes, contestations, indignation. Écrit dans les années 1985-1989, Roman est un des chefs-d’œuvre de l’auteur. (source l'éditeur)

 

Commentaires

  • Ton billet est très intrigant. Tu commences par bien nous appâter, tout est séduisant, on a déjà le stylo à la main ... et puis après on ne sait plus ! Ames sensibles s'abstenir .. tu nous laisses supposer des horreurs insoupçonnables. Je vais réfléchir, ou en est la sensibilité de mon âme ?

  • Et j'ai vérifié : ce roman est à la bibliothèque... Si je sors de Guerre et paix, sans doute penserai-je à ce "roman", espérant qu'il n'y a pas trop trop d'âme russe quand même... ^_^

  • @ Keisha : rassures toi ce n'est pas un roman classique bien que Sorokine soit bien sûr un adepte de Tolstoi et de Gogol ses deux écrivains préférés

  • Passionnant!! je ne connaissais pas du tout...
    Le problème avec toi, Dominique, c'est ce que je me retrouve toujours avec l'envie, après la lecture de ton billet, de me procurer le livre... et je ne pense pas être la seule ;-))
    Très jolie peinture avec ce reflet crépusculaire dans l'eau...

  • @ Macile : j'ai sûrement raté une vocation de libraire, j'aurais été la seule libraire à faire fortune :-)

  • @ Aifelle : je le dis nettement ce roman choque, il ne faut pas s'attendre à un roman un peu sombre ou un peu violent, les 100 dernières pages passent l'imagination, mais j'ai acheté ce livre car l'auteur m'intriguait qu'il y avait eu de bonnes critiques sur un précédent roman et que j'aime bien les surprises
    Question surprise on est servi, je n'oublierai pas ce roman là mais je ne sais pas si je lirais une seconde fois la fin du livre
    C'est difficile d'en dire suffisamment et pas trop .... Si tu veux plus il y a une interview de lui sur un site du web et dans le matricule des anges

  • Je suis dans le même état d'esprit qu'Aifelle, très tentée mais craignant pour ma sensibilité... Quel dilemme !

  • @ Kathel : le conseil c'est bien sûr la bibliothèque, mais malgré la dureté de ce livre je ne regrette pas son achat car j'ai eu l'impression au delà du côté sidérant, j'ai eu l'impression de lire une oeuvre, une vraie

  • Billet qui me donne envie, mais qui en même temps me fait un peu peur. Cette fin choquante dont tu parles me fait hésiter. C'est d'autant plus intrigant que tu décris un livre qui semble par ailleurs bien calme. Comment la fin peut-elle être si terrible? Très efficace comme chronique en tout cas!

  • @ Ddiouchka : il y a vraiment une rupture dans le livre, une première partie sous le sceau de la Russie traditionnelle et une fin diabolique et sanglante
    Pour se décider il faut lire d'autres critiques mais elles font toutes mention de cette fin choquante

  • Si Aifelle dit aux âmes sensibles de s'abstenir...
    Merci Dominique pour tes visites et pour tes gentils commentaires.
    Très belle soirée et bon week-end

  • Je vais m'abstenir :-)
    J'aime la description de la table et du jardin nocturne qui font penser à deux tableaux !

  • Un jour ou l'autre il est nécessaire de rompre avec le passé. C'est sans doute ce que l'auteur veut dire? et d'une façon violente, si ce n'est pas possible autrement.

    ça semble être une œuvre forte en tout cas. On a envie de se laisser tenter vu la façon dont tu le présentes...

  • @ Dominique : oui la rupture peut être violente mais ici c'est plus violent que violent si je peux m'exprimer ainsi, l'auteur prend le parti délibéré de nous heurter

  • Effectivement, ton billet est à la fois intrigant et séduisant.
    Comme j'aime bien être dérangé, bousculé et frappé par mes lectures, je vais me laisser tenter. Pas dans l'immédiat parce que les livres en retard s'accumulent, mais si je mets la main dessus, il est pour moi :)

  • @ In cold blog : je crois que ce livre restera comme important , ce n'est pas le succès du moment, c'est une oeuvre que l'on peut lire n'importe quand et qui marque

  • Tu as l'art de mettre l'eau à la bouche ! Un roman choc, on ne peut que se laisser tenter !

  • @ Pikkendorff : je pense qu'il s'agit d'une erreur de blog car je n'ai fait aucun article pour BOB mais ce n'est pas grave

  • Bonsoir
    Je passais par ici pour voir une autre critique et je tombe sur celle-ci, très intrigante, j'ai lu "La glace" du même auteur, si la fin est du même style côté violence j'hésite un peu...

    En tout cas merci pour la découverte des éditions Interférences.

  • @ Moustafette : je ne peux pas cacher que la deuxième partie du livre est terriblement violente, c'est ce qui donne à ce livre son originalité et sa force mais c'est effectivement pour cette raison très rude à lire

Écrire un commentaire

Optionnel