Impossible de me souvenir qui m’a poussé à lire Maryanne Wolf.
Ce fut une lecture importante, qui m’a éclairé sur ma façon de lire mais aussi sur les difficultés que rencontrent certains enfants et aussi des moins jeunes.
Le livre est composé de neuf lettres au lecteur, neuf chapitres où M Wolf neuroscientifique de son état, nous explique comme la lecture modifie notre cerveau.
Elle nous rappelle que la lecture n’est pas innée, elle s’apprend et nous façonne.
Comment ? C’est la lecture qui nous apprend le raisonnement critique, qui développe à notre insu une réflexion personnelle.
Elle nous offre quelque chose de très important : une capacité à se mettre à la place de l’autre, l‘empathie.
Ces capacités sont celles qui ont permis à la démocratie de voir le jour.
L’auteur multiplie les exemples mais pas besoin de réfléchir beaucoup, souvenez-vous de vos lectures d’enfant, la douleur ressentie pour Rémi dans Sans famille, votre empathie pour Jane Eyre abandonnée au pied de l’autel, la maison d’Anne Franck et son journal…
On sait aujourd’hui que nous lisons moins, que nous lisons différemment.
Découvrez à travers l’exemple que donne Maryanne Wolf comme on lit aujourd’hui : la lecture en diagonale devient la norme, or « Plus vous lisez en diagonale, plus votre cerveau réclame de la rapidité »
Nombre d’entre nous assurent avoir des difficultés à lire « comme avant »
Cela m’a touché car j’éprouve depuis quelques mois des difficultés à lire, c’est relativement récent mais continu, je l’avais mis sur le compte de l’âge, et bien pas du tout, j’ai découvert le pourquoi grâce à Maryanne Wolf
J’ai fait le test qu’elle propose et c’est très parlant.
L’auteure nous explique pourquoi nous avons cette difficulté, accaparés par les écrans notre capacité d’attention, de concentration, de mémorisation est diminuée.
Ce qu’elle appelle la « lecture profonde » est menacée.
La présence toujours plus prégnante des écrans menace ce que la lecture nous apportait jusque-là, au-delà du plaisir de lecture. Pour elle nos nouvelles habitudes digitales menacent le développement de l’analyse critique et de l’empathie.
« La façon dont les êtres humains traitent l’information se répercute sur leur développement »
Et elle tire la sonnette d’alarme « Si l’espèce humaine commence à être de moins en moins empathique et analytique, nous serons gouvernés par des démagogues »
L’empathie ce n’est pas seulement pleurer sur le sort d’un héros, il s’agit de comprendre une théorie formulée par un autre esprit et cela réclame une capacité cognitive que la lecture papier procure.
Le lecteur est vulnérable devant une masse d’informations et tend à réduire le nombre de sources qu’il consulte.
Selon le temps dont il dispose, il va éventuellement ne consulter qu’une seule source, et n’aura pas lu le point de vue d’autres personnes.
La lecture en diagonale nous conduit à « écrémer » les textes sans s’attarder et, plus grave, à croire ce que l’on vient de lire sans beaucoup s’interroger.
Maryanne Wolf n’oppose pas l’écrit et le digital, elle met en garde.
Pour elle les deux supports sont indispensables, pas question de les opposer ou de n’en choisir qu’un, mais attire notre attention sur comment les rendre complémentaires.
« Quel est l’objet de votre lecture ? S’il s’agit juste de vous débarrasser de vos e-mails, je vous en prie, lisez en diagonale. Mais si c’est pour comprendre quelque chose en profondeur c’est autre chose. »
Elle nous dit « L’accent doit être mis sur la préservation et le développement des capacités que nous propose chaque médium. »
Elle met l’accent sur les ressources qu’apportent le digital en particulier en cas de dyslexie par exemple.
Attention il y a un chapitre un peu difficile, un rien technique, mais ne vous laissez pas rebuter car il permet de bien comprendre la suite.
Elle compare les nombreux éléments que la lecture met en mouvement - la vision, le langage, la cognition ; c’est la partie qui peut un peu rebuter mais qui pourtant nous permet de comprendre l’ensemble du processus.
Alors que la neuroplasticité a permis aux humains de développer notre « circuit de lecture profonde », le prix à payer dit-elle est que cela nous rend vulnérable au flux permanent d’entrées procurées par le numérique et du coup « nous habitons un monde de distraction »
Elle recommande que l'éducation préscolaire continue de mettre l'accent sur les documents imprimés, avec des appareils numériques et des enseignements ajoutés au fil du temps.
Elle nous alerte sur la diminution de notre « patience cognitive », celle nécessaire pour identifier les fausses nouvelles.
Cela rend plus vulnérable aux fake news, aux suprématistes blancs, aux pirates russes et autres démagogues toxiques.
Je ne peux que vous recommander ce livre, et si vous aussi vous commencez à faire un peu la grimace devant certains textes, posez-vous les bonnes questions.
Et bonnes lectures à tous et toutes
Le livre : Lecteur reste avec nous – Maryanne Wolf – Traduit par Nicolas Véron – Éditions Rosie & Wolfe.