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Biographie Correspondance journaux - Page 22

  • Érasme - Stefan Zweig

    Le Prince des humanistes

     

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                    Erasme par Quentin Massys 1517

     

    Quand on a un peu lu Stefan Zweig on n’est nullement étonné qu’il ait consacré une de ses biographies à Érasme.

    On retrouve dans ce livre les préoccupations qui étaient déjà celles de Zweig quand il écrivait  Conscience contre violence  quand il traçait déjà son opposition au fanatisme C’est ici le « legs spirituel » de l’humaniste qu’il souhaite transmettre, un idéal de tolérance politique et religieuse.

     

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    Albrecht Dürer  - Portrait d'Erasme de Rotterdam

              1526 Musée départemental de Nantes 

     

    On dit Érasme né vers 1469 à Rotterdam, né européen en somme car cette région à l’époque n’est pas encore les Pays-bas, plus tout à fait le Duché de Bourgogne et pas vraiment l’Espagne. 

    Né vraisemblablement bâtard et sans doute fils de prêtre !! Difficile début dans l’existance. Cela n’empêche pas qu’il soit ordonné par l’évêque d’Utrecht en 1492, mais il abandonne vite la prêtrise pour la vagabondage dans toute l’Europe, pour la vie de l’esprit.

    L’Angleterre des Tudors, Anvers, Louvain, Paris où il vit très pauvrement « comme un escargot ». Enfin c’est l’Italie, Pise, Bologne, Venise où il est l’hôte du grand imprimeur Alde Manuce, Rome où s’ouvrent pour lui les portes de la Bibliothèque Vaticane.

     

    Vagabond et écrivain. Un amoureux de la langue, des mots, de la poésie, un écrivain prolifique à côté de qui Hugo ferait pâle figure ! Il s’exprime le plus souvent en latin, le latin des humanistes.

    C’est un « fervent des livres », la culture, la vie intellectuelle, voilà ce qui lui importe et qui tout au long de sa vie le feront développer des amitiés avec des hommes de savoir. 

    Il lit jusqu’à plus soif, les auteurs de l’antiquité, la Bible, son apprentissage du grec va lui ouvrir les portes des auteurs qu’ils appréciera toute sa vie : Euripide, Lucien l’insolent.

     

    Les Adages lui apportèrent la célébrité.

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     « Errant à l’aventure dans les jardins si divers des auteurs, j’ai cueilli les adages les plus anciens et les plus remarquables comme de jolies fleurs de toute espèce et j’en ai composé une guirlande harmonieuse. »
     

    Les multiples éditions s’enrichiront jusqu’à rassembler plus de 4000 adages. Érasme mobilise tout son savoir pour comprendre d’où vient l’expression, il cherche dans les vieux traités de science, de médecine, parmi les contes populaires, dans la mythologie. Il ajoute, il retranche, il corrige.

     

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    Erasme par Hans Holbein - Musée du Louvre

     

    « Les adages sont une forme ouverte : on peut ajouter ce que l’on veut, là où on le veut. Ce sera la même chose plus tard dans les Essais de Montaigne. »

     

    Du plus court à celui qui est un véritable essai philosophiques les adages « ne sont rien sans les commentaires qui leur donnent  sens et prennent parfois l’allure d’un petit traité »

    « La meilleure lecture sera buissonnière comme fut buissonnière leur composition » dit Daniel Ménager un biographe d’Érasme

    C’est chez Thomas Moore qu’il compose l’Eloge de la folie, satire qui va lui attirer les faveurs du public mais la vindicte de l’Eglise et qui reste pour le lecteur d’aujourd’hui son livre le plus lu.

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    Erasme par Quentin Massys - Galerie Nationale Rome

    Traités, dialogues, essais philosophiques, essais pédagogiques pour l’apprentissage du latin, les Colloques teintés d’ironie, d’humour parfois, dans lesquels s’expriment sa pensée sous la forme de dialogues.

    Enfin une traduction du Nouveau Testament du grec au latin, afin de débarrasser le texte de tous les ajouts inutiles . Avec un certain culot l’auteur dédie sa traduction au Pape Léon X alors que manifestement il est là bien plus proche de Luther dans la recherche de la simplicité, il souhaite même que le texte soit traduit en langue vulgaire pour que « puisse le paysan au manche de sa charrue en chanter des passages, le tisserand à ses lisses en moduler quelque air, où le voyageur alléger la fatigue de sa route avec ses récits. »

     

    La faiblesse d’un tel homme ? Elle réside dans son indécision au moment de la Réforme mais « L’excès en toute chose demeurait étranger à sa nature  » incapable de soutenir ou de condamner Luther il tente de tenir une position médiane.

    Entre les deux hommes les relations vont devenir très difficiles : incompréhension, vindicte, diatribe, polémique : ils ne parviendront jamais à se comprendre.

    La fureur d’un Luther est trop grande, l’indécision d’Érasme trop difficile à surmonter, c’est l’affrontement de deux hommes de piété. 

    L’un plonge dans la bataille, l’autre se veut au-dessus de la mêlée. 

    D'Érasme Zweig nous dit « Il ne marche pas aux côtés de la Réforme, il ne marche pas aux côtés de l’Eglise »

    C’est la rupture entre l’humanisme et la Réforme allemande, Luther le voue aux gémonies et l’Eglise met ses livres à l’index.

     

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                                Anderlecht - La Maison d'Erasme

     

    Érasme grand voyageur fut aussi un grand épistolier une correspondance extraordinaire de diversité : Thomas Moore dont il est l’ami, Luther si proche et si éloigné, François Ier, trois papes, Charles Quint

    C’est un grand européen avant l’heure, portraituré par les grands peintres de l’époque.
     
    Lui que l’on a appelé le précepteur de l’Europe fut toute sa vie l’ami des grands, mais vécut toujours assez simplement dans un souci d’indépendance, exerça de petits métiers pour survivre mais fut un homme des plus courtisé « les princes se le disputeront, les papes et les réformateurs l’imploreront, les imprimeurs viendront l’assaillir, il fera aux riches l’honneur d’accepter leurs présents. »

     

    Zweig fait un tableau de cette époque où « Un siècle finit, des temps nouveaux commencent : pendant un court instant , l’Europe n’a plus qu’un coeur, un désir, une volonté » Hélas hélas ce temps de l’humanisme sera aussi celui du fanatisme religieux. 

     

    Le Livre :
    Érasme - Stefan Zweig - Editions Grasset 

     

     

  • La croisée des errances - Lionel Bourg

    Jean-Jacques le nomade

     

    " Je dispose en maître de la nature entière ; mon coeur, errant d'objet en objet, s'unifie, s'identifie à ceux qui le flattent, s'entoure d'images charmantes , s'enivre de sentiments délicieux."

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    Les débuts de Jean-Jacques Rousseau furent des débuts nomades. 

    Il circula, erra, pris la fuite, et cela pendant pas mal d’années. Beaucoup de ses tribulations eurent pour cadre la région Rhône Alpes, un livre aujourd’hui permet de suivre Rousseau au gré de ses errances, s’appuyant sur les textes de l’écrivain et associant ces écrits aux paysages que Rousseau traversa.                                    

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                                              Les Charmettes 

     

    Ce livre nous ouvre les perspectives des pérégrinations du philosophes, ses marches parfois difficiles, marches qui s’étagent au fil des années et des lieux.

    Lionel Bourg nous permet de suivre le Rousseau jeune vagabond amoureux des montagnes « Il me faut des torrents, des rochers, des sapins, des bois noirs, des montagnes, des chemins raboteux à monter et à descendre, des précipices à mes côtés qui me fassent bien peur » et aussi le Rousseau trouvant asile aux Charmettes chez Mme de Warens et en proie aux émotions du jeune homme faisant connaissance avec l’amour et la volupté.

     

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                                              Les Charmettes le jardin

     

     

    Mais Lionel Bourg suit les traces de l’écrivain à Lyon, à Valence, à Grenoble hors des sentiers battus.

     

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                                           Grenoble : Beauregard

     

    " Cheminant rive droit du Drac : les bois de Fontaine ou de Seyssins, Beauregard, n'eurent bientôt plus de secrets pour l'infatigable randonneur "

     

    Il est bon de découvrir le Rousseau musicien, le futur auteur des Confessions et des Rêveries d’un promeneur solitaire. Lionel Bourg à travers ses propres souvenirs nous invite à herboriser et vagabonder aux côtés de Rousseau en s’invitant dans ses écrits, en les lisant ou relisant tout en suivant son parcours de Genève à Paris.

     

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     " Des parcs, des jardins, des maisons de retraite, des villas s'y disputent toujours avec la même indolence le monopole d'une vue imprenable sur la saône

     

    Le portrait tracé du « proscrit, indésirable à Genève » et qui devient le philosophe inspirateur des Lumières. Mettant ses pas dans ceux de Jean-Jacques, Lionel Bourg nous invite à le connaître mieux, à redécouvrir l’impertinent qui aujourd’hui encore intrigue par son amour de la solitude tempéré par son envie de reconnaissance, son amour de la langue et de la liberté,.

     

    Un petit livre écrit par un admirateur qui ne peut s’empêcher de dire « J’aime Rousseau », suivez le par les monts et par les champs derrière Jean-Jacques le genevoix, d’auberge en cascade, de l’adolescence à l’âge adulte, au long des chemins, c’est un joli parcours plein de sensibilité.

    J’ai aimé ce petit livre qui fait la part belle aux errances du philosophe et de l’auteur, publié chez un éditeur de la région comme il se doit.

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    Le livre : La Croisée des errances - Lionel Bourg - Editions La Fosse aux ours - 2012

  • La Reine du désert - Janet Wallach

    Cap au sud 

     

    Portrait d’une femme d’exception 

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                 Tableau d'Edmund Berninger  The desert carvan

     

    Aventureuse, excentrique, têtue, érudite, faiseuse de rois, amie de Lawrence d’Arabie............pas moins !!

    Une femme qui joua un rôle déterminant dans la politique anglaise au Moyen Orient puisqu’elle en a dessiné les frontières ce qui n’est pas à priori le rôle d’une femme née sous Victoria !

    Gertrude Bell surnommée La reine du désert ou la Khatun par les arabes fut peut être la femme la plus puissante de l’Empire britannique à son époque. 

    Je vous sens déjà bien attentif alors en route.

     

    Gertrude Bell est née dans la bonne aristocratie victorienne de la fin du XIX ème siècle, elle se fait remarquer assez vite par sa volonté de suivre des études à Oxford, rappelez-vous les écrits de Virginia Woolf sur le sujet, c’est extrêmement difficile pour une femme, et voila Gertrude qui non seulement arrache le consentement de sa famille mais en plus sort première femme diplômée d’histoire !!

    Cette jeune femme va très vite se faire remarquer par son érudition, sa soif d’apprendre, traductrice du Persan, archéologue à ses heures, elle est aussi une femme intrépide qui fait l’escalade des Drus et de bien d’autres sommets. 

     

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                          Elle fut la première femme à explorer ces sites fameux 

     

    Ce qui va changer sa vie c’est qu’elle tombe amoureuse de la mauvaise personne et que alors qu’elle est capable de faire fi de bien des préjugés, en matière de mariage elle se laisse influencer et renonce à l’homme qu’elle aime pour obéir aux codes de son milieu.

     

    Cet échec va décider de sa vie car comme la tradition le veut elle va partir, voyager pour oublier. Elle sillonne l’Europe mais très vite c’est l’Orient qui va l’attirer, elle va s’acharner à apprendre l’arabe, puis les dialectes des contrées où elle vit.

    Elle  tombe amoureuse du désert, des arabes, de leur mode de vie. Anglaise jusqu’au bout des ongles elle sait faire preuve de témérité mais reste attachée à ses habitudes et si elle voyage à dos de chameau, elle emporte aussi sa baignoire pliante et son service à thé en porcelaine de Chine.

     

     

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    Orient en peinture 

     

    Petit à petit elle crée des liens avec les cheiks locaux, les chefs bédouins, les chefs de tribus, elle partage leur nourriture, les derniers potins locaux, s’informe, flatte, elle est traitée en dignitaire par ces notables. Elle transformera ses expériences en livres qui eurent un énorme succès et contribuèrent à lui assurer une certaine indépendance.

    Son rôle et ses connaissances vont s’avérer déterminantes lors de la Première Guerre mondiale, rappelez-vous que l’Empire Ottoman est à ce moment là l’allié des allemands et que les anglais ont besoin de la loyauté envers eux des différentes tribus arabes en guerre contre les Turcs.

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                                  Ses interlocuteurs lors de ses voyages 

     

    Gertrude Bell  fait un vrai travail d’espionnage et de renseignement pour le gouvernement britannique et à cette occasion va créer des liens avec T.E Lawrence, le fameux Lawrence d’Arabie.

    A la fin de la guerre va se poser le problème des territoires perdus par les Turcs et le partage de la région par les vainqueurs français et anglais. C’est l’émergence du problème du pétrole. Les anglais ont besoin de toutes les personnes qui puissent les éclairer sur la situation, Gertrude Bell va être cette personne.

    Elle va soutenir le désir des arabes de voir se créer de nouveaux pays, Syrie, Irak. On a pu dire qu’elle a dessinée la carte de la région , elle adoube les futurs chefs de ces états et en particulier le future roi Fayçal d’Arabie.

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    Elle est une des rares à avoir une idée claire des antagonismes entre Chiites et Sunnites ( déjà !!) entre arabes et kurdes ( déjà !) et lorsque elle participe à une conférence au Caire, on peut dire qu’elle est la femme la plus puissante de l’Empire. Elle va être très critique par rapport à certaines décisions qui s’avérerons désastreuses, la « poudrière » du Moyen-Orient est née 

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    La Conférence du Caire 1921, G Bell sur un chameau devant les pyramides aux côtés de Winston Churchill qui vient juste de remonter sur son chameau après une chute mémorable

     

    Quelle vie riche, quelle force de caractère ! Certes sa vie personnelle et amoureuse s’en ressentit car elle est toujours victime du carcan de la bonne société, étonnante femme qui crée le Musée de Bagdad mais est incapable de vivre sa vie de femme !

    Ecartée de la politique à la fin de sa vie, elle meurt épuisée d’une overdose médicamenteuse peut-être volontaire. 

     

    Un livre passionnant qui se lit comme un roman tant l’esprit d’aventure souffle. Ecrit par une spécialiste du Moyen Orient il m’a permis de connaître mieux cette femme courageuse, endurante, à la fois corsetée par les conventions et éprise d’aventures, passionnée par l’Arabie et ses peubles. A travers sa vie on comprend un peu mieux les soubresauts de cette région qui se font sentir aujourd’hui encore. 

     

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    Le livre : La Reine du désert - Janet Wallach - Bayard Editions 1997  

    A chercher chez les bouquinistes et dans les bibliothèques

     

  • La disparition de Majorana - Leonardo Sciascia

    Pour terminer cette incursion dans le domaine des sciences je vous propose une petite énigme scientifique.

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    Le monde de la physique quantique, celui de la théorie des neutrinos, sont des mondes qui fascinent à défaut de les comprendre vraiment.

    Soyez tranquille le livre que je vous propose n’est pas destiné aux as de la physique sinon je ne serai pas allée au bout. Ill y est question de physique quantique de principe d’incertitude et d’un homme, une sorte de savant fou.

    Que penseriez-vous d’un homme d’exception qui du jour au lendemain disparaît sans laisser la moindre trace ?  d’un génie de la physique qui refuse de publier ses travaux ?  d’un homme envié de toute la communauté scientifique mais qui ne souhaite que rester discret pour ne pas dire secret ? 

     

     

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                                          Ettore Majorana 1906-1938

     

    Nous sommes en Italie dans les années vingt et trente, années où la physique a chaussé des bottes de sept lieues. 

    Ettore Majorana après des études d’ingénieur intègre l’équipe du physicien Enrico Fermi.

     

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    Enrico Fermi  

     

    Majorana surprend tout le monde par son génie fulgurant, il se joue des difficultés mais refuse obstinément de publier ses travaux, « distant, renfermé dans ses pensées » il se lie très difficilement mais apprécie la « direction savante et stimulante » de Fermi. Sa famille est mis à mal par un procès long et injuste durant ces années là.

    Il travaille sur ce qui deviendra une nouvelle théorie de la physique : la mécanique quantique. Il passe une année à Leipzig en 1933 pour travailler auprès d’Heisenberg le père du Principe d’incertitude, il semble que ce temps fut une période heureuse et fructueuse. Il apprécie Werner Heisenberg qu’il décrit comme « une personne extraordinairement courtoise et sympathique  » 

    En 1937 il occupe un poste d’enseignant à Naples, se réfugie souvent dans la lecture, aime parler d’autres choses que de ses recherches.

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    Werner Heisenberg

     

    Brutalement en mars 1938 il disparaît. Il monte sur un bateau et se volatilise, il disparaît sans laisser la moindre trace.

    Enlèvement, fuite à l’étranger, meurtre, retrait dans un monastère : toutes les raisons possibles de cette disparition ont été étudiées mais bien peu sont crédibles. 

    C’est à cette énigme que le livre tente de répondre, cet homme, le « Rimbaud de la physique », cet homme dont Enrico Fermi dit « Majorana est celui qui m’a le plus frappé par la profondeur de son intelligence », cet homme a-t-il choisi délibérément de disparaître ?

    On a tout dit de Majorana, qu’il était en avance de plusieurs dizaines d’années sur les découvertes du moment mais qu’ il était aussi  un homme qui avançait  sur le fil du rasoir.

    Le monde des quantas, le principe d’incertitude qui veut que l’on peut connaître la position d’une particule ou sa trajectoire mais jamais les deux à la fois ! et ce fichu chat de schrödinger qui est et qui n’est pas !! 

     

     

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    Il faut avouer que c’est un monde qui a pu mettre à mal l’équilibre d’un homme.

    « La science comme la poésie, se trouve, on le sait, à un pas de la folie. » dit Sciascia. 

    Il le décrit comme en proie à  « sentiment de désarroi, d’impatience, de fureur » et Sciascia émet une hypothèse : Majorana a-t-il anticipé sur les dangers potentiels des découvertes en cours et vu « l’épouvante dans une poignée d’atomes » ?  

     

    J’ai entendu pour la première fois le nom de Majorana dans une émission de radio avec Etienne Klein comme invité, avec son talent de conteur il évoquait la personnalité de ce génial physicien. 

    L’ enquête menée est passionnante et brillante, Sciascia voit sa disparition comme « une architecture minutieusement calculée et risquée » et défend une thèse tout à fait convaincante.

     

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    ce livre fut publié pour la première fois en 1975 et il est réédité aujourd’hui chez Allia. 

  • le Rêve du Celte - Mario Vargas Llosa

    Au coeur de l'Afrique : du roman au réquisitoire  

    Episode 2 Le réquisitoire 

     

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    Mon intérêt pour Roger Casement remonte à bien des années, au détour d’une émission de radio j’ai entendu parler de cet homme, de sa lutte au Congo contre les abus de la colonisation mais je n’avais jamais rien lu à son propos.

     

    A la parution du roman biographique de Mario Vargas Llosa c’était pour moi une évidence et un désir fort de lire ce livre, de retrouver la personne de Roger Casement et son destin tout à fait extraordinaire.

    Cette biographie romancée commence dans les geôles anglaises à l’heure ou Roger Casement attend son recours en grâce après une condamnation à mort pour trahison.

     

    Enfant de Dublin, il est marqué par la religion et l’aventure, protestant par l’éducation mais catholique par sa mère, il écoute avec passion les récits de son père qui a passé plusieurs années à combattre en Inde et en Afghanistan.

    Il rêve  enfant « l’Afrique, un continent dont la seule mention emplissait sa tête de forêts, de fauves, d’aventures et d’hommes intrépides ». Ses héros sont Stanley et Livingstone. 

    A vingt ans il s’embarque avec un âme de croisé, il va participer « à l’émancipation des africains et en finir avec leur retard, leurs maladies et leur ignorance » et quand il est retenu pour participer à une expédition au Congo avec Henry Morton Stanley, il touche au paradis...Il est aisé de comprendre pourquoi il deviendra ami avec Joseph Conrad.

     

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      Une sanction : la main coupée

     

    Très vite il a des doutes sur la colonisation, il a du mal a accepter ce qu’il voit, le mépris, les droits bafoués, son héros est un coquin dénué de scrupules, on pille, on fusille, chicotte (fouet en peau d’hippopotame) dans une main l’évangile dans l’autre !  

    Les africains esclaves construisent des routes pour acheminer la sève d’hévéa, l’or noir.  La situation va s’aggraver quand le roi Léopold II devient « propriétaire » du Congo et construit une fortune colossale en pillant le pays et décimant la population.

     

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     l'esclavage

    Le chemin est long entre le jeune idéaliste de 20 ans et le Consul de sa majesté envoyé au Congo en 1903 pour faire un rapport qui portera son nom. Le gouvernement britannique s’inquiète des dénonciations faites par des associations, des missions, des églises quant aux conditions d’extraction du caoutchouc. C’est en homme intègre et déchiré qui va établir son rapport, il note tout, interroge tout le monde, promet protection aux africains qui acceptent de témoigner. Le constat est effrayant « Des bourgs décimés, des chefs de tribu décapités, leurs femmes et leurs enfants fusillés. » Les raids sur les villages pour trouver de la main d’oeuvre, les corps mutilés par la chicotte, les mains coupées, les viols.

    Son rapport au Foreign Office eu un retentissement important « La presse, les églises, les secteurs les plus avancés de la société anglaise » sont  horrifiés par les révélations du rapport et le roi Léopold sera contraint de « faire don » du Congo à son pays.

     

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     les indiens du Putumayo

    C’est son intransigeance, son intégrité qui vont le mener sur un deuxième terrain d’observation au chez les indiens du Putumayo, cet épisode est nettement moins connu que son action en Afrique, là les intérêts et la responsabilité de la Grande-Bretagne sont patents, la Peruvian Amazon Company appartient à un Péruvien mais elle est côtée à la Bourse de Londres et de nombreux hommes d’affaire britanniques y ont des intérêts.  Cruauté,exactions, esclavage des indiens, le tableau est identique, l’Amazonie présente un tableau similaire et Roger Casement parfois au péril de sa vie, va accomplir ici aussi son devoir : dénoncer et combattre cette barbarie au service des intérêts financiers de son pays.

     

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    Comment un homme de cette envergure, reconnu, admiré, devenu Sir Casement, peut finir dans une prison anglaise ? Je vous laisse découvrir la dernière partie de la vie de Roger Casement, son combat pour une Irlande libre qui va le porter vers des solutions extrêmes. Va être portée à la connaissance du public son penchant pour les jeunes garçons et livrer ainsi à l’opprobre et à l’oubli ce défenseur des droits de l’homme.

     

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    C’est un livre magnifique que je vous invite à ajouter à votre bibliothèque, le style ample de Mario Vargas Llosa est à la hauteur du personnage. Le talent de conteur sert magnifiquement le combat de Roger Casement  sans cacher ses faiblesses.  La construction est certes classique mais le style est flamboyant, l’Afrique et l’Amazonie sont restituées de très belle façon grâce au souffle romanesque de Vargas Llosa.

     

    Le livre : Le Rêve du Celte - Mario Vargas Llosa - traduit de l'espagnol par Albert Bensoussan et Anne- Marie Casès.  Editions Gallimard. 

     

  • La Colombe poignardée - Pietro Citati

    A la recherche de Proust  Episode 2

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    Vous n’avez jamais lu La Recherche, vous avez été tenté mais ... vous avez commencé et vous êtes enfui à toutes jambes ....Voilà un livre fait pour vous.
    Après le témoignage de Céleste, une analyse subtile qui déclenche l’envie de lire Proust ou apporte un plaisir renouvelé à sa lecture.

    Essai d’un érudit, d’ un esthète, d’un admirateur intransigeant, d’un écrivain d’un rare talent. Je vous assure que je n’exagère pas du tout.

    Le livre se divise en deux temps distincts, les premiers chapitres ont la forme de la biographie, mais une bio sautillante car le respect de la chronologie n’est pas le fort de Pietro Citati.
    Ce qui l’intéresse et qui du coup intéresse son lecteur ce sont les à côtés, les moments clé de la vie de Proust, ceux qui ensuite vont se retrouver dans son oeuvre et servir de trame à la Recherche.
    Pietro Citati nous invite à découvrir un homme pour qui le bonheur est le centre, l’essence même de son écriture.
    Je vous vois tressauter derrière votre écran ! quoi Proust amateur de bonheur ! lui qui dissèque pendant des pages sa quasi agonie lorsque sa mère ne lui donne pas le baiser du soir ?  

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    Oui ce Proust là, dont Pietro Citati nous dit que son envie de bonheur était tellement intense qu’elle en était douloureuse. D’une façon inattendue il rapproche Proust de Tolstoï dans cette course effrénée vers la vie et le bonheur.
    A travers des anecdotes, des épisodes de la vie de Marcel Proust il donne à voir cette réalité. Les relations avec sa mère, qui refusait tout ce que son fils était « l’emphase, l’exagération, la tragédie, le dévoilement de soi » les relations avec les autres qui toutes étaient blessure car « la douleur est l’arme véritable pour pénétrer dans le coeur des autres. »
    On voit Proust au travail, Proust en pleine crise d’asthme, Proust devant les tableaux de Chardin ou de Vermeer, Proust se gorgeant de musique.
    Pietro Citati nous invite dans son intimité avec ses amis, ses amants : Reynaldo Hahn, Antoine Bibesco, Anna de Noailles.

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    La seconde partie  Autour de la recherche  est une analyse de l’oeuvre, une recherche sur la Recherche, en découvrir les mécanismes, en comprendre les rouages. Voir se construire cette cathédrale somptueuse :
    « La Recherche est une oeuvre unique. Si nous lisons Wilhelm Meister, Crime et Châtiments, Anna Karénine, les Démons ou L’homme sans qualités, nous découvrons que l’oeuvre grandit d’abord comme un arbre ou un taillis, sans posséder encore une architecture, ou une théorie sur elle-même. »
    Pour la Recherche il en va autrement « Toute l’énorme masse narrative s’y dissimule, comme un germe qui deviendra arbre, forêt, continent. »

    Proust voulait écrire un roman avec des « essences »  des « gouttes de lumière » et son oeuvre « tente de réunir en elle toutes les traditions la littérature. »
    Effort prodigieux de Marcel Proust car nous dit Pietro Citati
    « Pour écrire un livre aussi démesuré, Proust avait l’impression de devoir se multiplier. Il lui fallait faire appel à tous ses sens : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher »

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    Proust l’écrivain du temps « Nous connaissons tous le temps, tous nous vivons immergés en lui, et nous entendons le lent bruissement qui l’accompagne et nous enveloppe tandis que nous pénétrons en lui »  mais quelle différence avec d’autres écrivains du temps « Stevenson reproduit sa légèreté rapide, Flaubert sa continuité monotone, Hardy sa laborieuse épaisseur, Proust la mélodie des événements. »
    Ce livre est un monument d’admiration pour un auteur, le Proust portraitiste, le Proust maître du dialogue, le Proust ironiste mais aussi le ténébreux et presque frère de Dostoïevski.
    Je vous laisse en compagnie de Citati qui je l’espère finira de vous convaincre de glisser ce livre dans votre bibliothèque.

    « Nous sommes parvenus ici, vers la fin du temps retrouvé; nous avons lu des milliers de pages, sans comprendre les signes, les indices, les avertissements, les révélations inachevées, les clartés dans l’ombre; des épisodes entiers reçoivent maintenant leur signification : nous n’avions même pas compris les premières pages ; il nous faut maintenant revenir en arrière, déchiffrer Longtemps je me suis couché de bonne heure , puis relire tout le livre, tandis que Marcel commence à écrire le sien. »

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    Le livre : La Colombe poignardée - Pietro Citati - Editions Gallimard 1997 également en Folio