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Rechercher : Marie Edith Laval

  • Roderick Hudson - Henry James

     Les débuts d'un maître

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    Roderick Hudson est le premier roman très abouti d’Henry James. Il reçut un accueil très positif aussi bien au Etats Unis qu’en Angleterre.

    Roderick est sculpteur, c'est un jeune artiste au talent prometteur. Il est remarqué par Rowland Malet qui va jouer auprès de lui le rôle de mécène et de mentor, il lui propose de l’accompagner en Europe, de découvrir avec lui les grands musées, les artistes les plus brillants et de donner ainsi une chance à son talent de s’épanouir.

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    Henry James et Hendrick Andersen sculpteur 

    Très vite les deux hommes deviennent amis, Rowland lui ouvre toutes les portes possibles, ils sont introduits dans une société brillante mais où l’argent ou plutôt le manque d’argent tient une grande place. 

    La belle aventure va tourner court lorsque Roderick Hudson rencontre Christina Light. La beauté incarnée mais hélas aussi le caractère le plus imprévisible qui soit. Sous la pression de sa mère elle est en Italie à la recherche d’un riche parti. 

    Roderick tombe sous son charme très sulfureux, terminé la sculpture, le jeune homme se laisse porter par un caractère volage et fantasque que Rowland n’avait pas décelé. Il fait fi des préjugés et se rend à Baden Baden où le jeu va compliquer la situation. 

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    L’idylle prend un tour dangereux, Roderick  échappe à son Prométhé et pousse Rowland à appeler à la rescousse Mrs Hudson mère qui redoutait les tentations du voyage et Mary Garland qu’il a rencontré aux Etats-Unis et qui apprend-t-il est fiancée à Roderick. 

    Rowland espère que la venue des deux femmes va remettre Roderick au travail, mais les liens entre Roderick et Christina sont semble-t-il trop violents.

    Comme toujours avec Henry James on entre dans le secret des ressorts humains sans pour autant leur trouver une explication ou une justification.

    J’ai aimé le personnage de Rowland, il est un rien ambigu évidement mais son côté mécène est tout à fait sincère, cela  procure un but à sa vie oisive. 

    Là où James est le meilleur c’est dans la description des rapports tortueux qui unissent Roderick et Christina, mais aussi dans l’évolution de ceux entre Roderick et Mary Garland. L’amour non partagé, le dévouement absolu, l’égoïsme poussé à son comble.

    Roderick et Rowland sont d’abord deux amis, puis deux frères complices pour finir par se trouver en opposition, beaucoup de critiques y ont vu une teinte d’homosexualité. J'y ai plus vu le reflet de la compétition permanente avec son frère Williams mais ce n'est que mon impression. 

    Le second thème du roman est bien sûr la création artistique, ses méandres, ses aléas, l’intrusion du mécène et le rôle parfois ambigu qu’il tient. La différence de traitement que James accorde à l’artiste plein de talent mais qui refuse toute discipline, tout effort, et celui qu’il accorde à un peintre d’aquarelles qui, lui, progresse par un travail acharné, un jugement tout à fait dans la morale du temps.

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    Rome apparait comme une ville magnifique mais ô combien dangereuse. Contrairement à d’autres romans où la nature est assez absente, il y a dans ce roman quelques belles descriptions de paysages et c’est d’ailleurs à travers elles que Henry James fait monter la tension dramatique de l’histoire.

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    Il semble que le roman doive beaucoup à la lecture de Balzac qu' Henry James admirait énormément,  vrai que l’on trouve la trace des Illusions perdues et de l’expérience de Lucien de Rubempré.

     

    David Lodge fervent admirateur de James dit que « La lecture de Henry James requiert patience et maturité. Suivre le flux de conscience des personnages les plus instables grâce à toutes les nuances de la plus somptueuse des proses, nécessite de tourner lentement les pages de son livre. »

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    Le livre : Roderick Hudson dans Un portrait de femme et autres romans - Henry James - Traductions de Anne Battesti - Gallimard Pléiade 2016.

  • 24 avril Anniversaire du Génocide arménien

    24 avril 1915

    Le mot "génocide" a été inventé par Richard Lemkin, un avocat juif polonais après la seconde guerre mondiale. Ce dernier a toujours parlé des 2 génocides juif et arménien.

    Mais donner un nom à un "crime sans nom" n'a pas été suffisant pour les arméniens: leur génocide a toujours été nié par les autorités turques.

    La date du 24 avril a été choisie pour célébrer le 96 eme anniversaire d'un cri désespéré de notables arméniens qui alertait le monde sur le crime qui se préparait dans leur pays et qui allait durer un peu plus d'un an. Le monde était alors resté indifférent et 1 million et demi d'arméniens dont les notables ont péri sous la folie meurtrière des turcs.  Le Post 


    joursdecendres.gifJe n’avais jamais rien lu sur le génocide arménien, ce livre m’a immédiatement attiré car il s’agit du récit autobiographique d’une femme qui a fuit la Turquie et fait sa vie en France, son fils devenu avocat,  a assuré la traduction de ce livre.

    1915 la guerre est commencée depuis un an, la Turquie est alliée de l’Allemagne et les arméniens vivant à Istanbul font l’objet d’une surveillance très insistante.
    Berdjouhi vient d’avoir un fils, son mari Sarkis Barseghian est un militant arménien brillant au visage "de prophète antique"
    Il est,comme elle, animé par une foi totale dans la cause arménienne et prêt à sacrifier sa vie. Pour lui elle a quitté une famille riche et respectée.
    Elle est inquiète " Tous les soirs j’avais le sentiment que nous nous réveillerions le lendemain en quelque désert sauvage, que plus rien des belles résidences, des jardins, des paysages merveilleux que nous avions tant admirés ne subsiterait, qu’un formidable typhon aurait tout emporté durant la nuit"

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    Istanbul en 1915


    Le 24 avril 1915 lorsque la police secrète turque arrête six cent intellectuels arméniens (écrivains, journalistes, juristes) c’est le début du génocide.
    Commencent pour Berdjouhi et les femmes arméniennes d’Istanbul ce qu’elle appelle " les jours de cendres" pendant cinq ans elle vivra seule, sans ressources, attendant en vain le retour de son mari. La ville est devenue dangereuse, elle est sans arrêt suivi lorsqu’elle se hasarde dans la rue.
    A lire ce livre on est impressionné par le courage, la volonté qui anime Berdjouhi. Elle va devoir lutter contre la peur, le désespoir, la faim parfois. Son courage elle le puise auprès d’autres femmes dans cette communauté arménienne d’Istanbul privée des chefs de famille.
    Cela nous vaut des pages émouvantes et passionnantes sur la vie de cette communauté, ses traditions, ses coutumes.

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     Jeunes survivants du génocide dans le village de Cheikh Said dans le désert Hawran
     

    L’auteur rend très vivant le rôle du hammam haut lieu d’échanges entre les femmes, les repas pris ensemble, les croyances et les superstitions, la vie du quartier de pêcheurs qui après les arrestations est " un cimetière peuplé de vieillards "
    Quatre femmes vont reprendre le combat des hommes. Les échos des massacres, des exactions, des tueries viennent jusqu’à elles " Comment appartenir à un peuple dont on éventre par jeu les femmes enceintes ? "
    genocidearmenien.jpgLeurs moyens sont limités, elles vont se consacrer à sauver des enfants arméniens enlevés à leur famille et adoptés par des dignitaires ou des policiers turcs.La situation rappelle les enlèvements d’enfants par les nazis, par la dictature en Argentine magnifiquement évoqué dans " Luz ou le temps sauvage" d'Elsa Osorio. On retrouve ici la même douleur, la même lutte.

    Ce génocide fut un moment de honte pour l’humanité, Berdjouhi dit " la langue des hommes est impuissante à exprimer l’horreur que l’homme inflige à l’homme" Après bien des péripéties, Berdjouhi fera l’expérience de l’exil et consacrera sa vie à la protection des enfants immigrés.

    J’ai beaucoup aimé ce témoignage, sobre, sincère, qui est un document fort sur cette période.
    Le génocide des arméniens en 1915 dont on attend toujours la reconnaissance par le gouvernement turc.

    Le livre : Jours de cendres à Istanbul - Berdjouhi - Traduit de l’Arménien par Armen Barseghian - Editions Parenthèses

     un article sur le site Hérodote

    Pour continuer votre approche le billet de Cathe sur une BD évoquant le même sujet

     

  • Les Ailes de la colombe - Henry James

    C’est toujours une aventure d’entrer dans un roman de Henry James. Après les Ambassadeurs Roderick Hudson et Washington Square j'ai repris contact avec le romancier des tourments du coeur, qui aime conduire son lecteur au fond des âmes mais par des tours et détours souvent longs, délicieux et mensongers

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    Portrait de James ©Michel Maire


    Pour ce roman Henry James nous gratifie d’une préface mais elle est tellement fouillée que l’éditeur très justement l’a reportée en fin de volume. 
    Si vous êtes prêt à vous embarquer pour 800 pages d’amours interdites, d’illusions perdues, d’amitiés tortueuses alors vous prendrez le chemin de Londres puis de Venise à la suite de James qui est par excellence le romancier de l’Italie.

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    Les personnages du film

    Kate Croy est amoureuse de Merton Danser un jeune journaliste sans le sou, elle n’a aucune dote et sa famille lui cause bien des tourments. Sa tante, la redoutable Mme Lowder, a cette singularité que « son visage lorsqu’elle parlait, était comme une fenêtre éclairée dans la nuit, mais sur laquelle le silence immédiatement tirait les rideaux ». Elle lui cherche un parti convenable et si possible argenté.
    Merton Densher n’entre aucunement dans les vues de tante Maud !

    Milly Theale jeune et charmante américaine, à l'inverse elle « est riche de tout (...) elle possède la liberté, la fortune, une vive intelligence, le charme personnel, le don d’intéresser et de s’attacher les êtres. ». 

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    « C’était un visage de jeune femme, merveilleusement dessiné, un buste, en robe splendide; un visage de teinte presque livide, d’une beauté triste et couronné d’une haute masse de cheveux, tirés en arrière, qui avaient dû, avant que le temps n’en atténuât la couleur, ressembler à ceux de Milly. »

    Elle  a fait connaissance avec Merton à Boston pour son journal et même si elle n’est pas prête à l’avouer, son envie d’Europe est sans doute liée à l’envie de revoir le jeune homme. 

    Elle part en Europe avec un chaperon bien intentionné Susan Stringham qui a des liens très anciens avec Mme Lowder et qui compte sur elle pour introduire Milly dans la bonne société londonienne, entendez par là la société où l’on peut trouver un possible mari. Kate et Milly deviennent amies proches. 
    Pour compléter le tableau il y a Lord Mark que l’on verrait bien fiancer avec Kate si celle ci ne s’obstinait pas à refuser ses avances.

    Jusque là rien que de très classique, amoureux transis, coureurs de dote, jeune fille à marier et familles imposant leur volonté. 
    Mais Henry James sème quelques grains de sable qui vont gripper la machine, Milly la fraiche ingénue deviendra-t-elle victime ou imposera-t-elle ses choix ?  les chassés croisés vont être multiples. L’auteur fait varier les tempos, le temps s’étire, apparaissent des sentiments  moins nobles : cynisme, férocité des ambitions, manipulations subies ou consenties.

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    A Venise

    Une lecture où il est bon de prendre son temps, de peser tous les changements, de suivre tous les méandres du récit. Ce qui couve là dessous c’est l’argent, son rôle, son pouvoir, les raffinements des complots, les démarches clandestines. James n’abat jamais ses cartes et nous laisse jusqu’au bout dans le doute.

    Si vous aimez les explorations de l’âme humaine alors plongez dans ce roman dont on ressort enchanté. 

    Ah dernier détail, le titre fait référence à un psaume, je vous met sur la piste c’est le cinquante cinq.

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    Le livre : Les ailes de la colombe - Henry James - Traduit par Marie Tadié - Editions Gallimard Folio

     

  • Les petites filles et la mort - Alexandre Papadiamantis

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    L'auteur Alexandre Papadiamantis

    Vers la Grèce 

    Au club lecture de la médiathèque j’ai la chance d’avoir fait connaissance avec une lectrice férue de littérature grecque, traductrice en plus. C’est elle qui m’a soufflé le titre de ce roman.

    Ce n’est pas du tout un livre récent, écrit en 1903 il n’a pas pris une ride. 

     

    Dans ce dix-neuvième siècle finissant en Grèce, naître fille était un grand malheur, une vie promise au travail incessant et parfois aux coups du père, du mari. Un drame pour la famille qui se devait de réunir une dot et par là sacrifier un champs, une oliveraie.

    Trouver un époux avait un prix et plus la fille était laide plus le prix atteignait des sommets. 

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                            Une société dominée par les hommes

     

    Voilà la famille de Yannou, sa fille s’est mariée à un homme dont il y aurait beaucoup à dire et elle va accoucher, deux de ses fils ont quitté le nid pour un avenir en Amérique. « A mesure que la famille s’était accrue, les amertumes s’étaient multipliées » l

    Denier problème en date, la naissance d’une petite fille dont la santé est chancelante, Yannou la veille, les heures passent et Yannou se revoit jeune femme, elle prend conscience de n’avoir jamais vécu autre chose que la servitude « domestique de ses parents. Une fois mariée, elle est devenue l’esclave de son mari ».

    Elle ne peut se résoudre à laisser cette enfant vivre la même chose, elle veut faire une bonne action, lui éviter de souffrir. 

    Elle qui sait soigner, qui connait les herbes qui font du bien, elle divague « Mon Dieu, pourquoi faut-il que celle-là soit venue au monde ? » elle s’interroge « Mon Dieu, pourquoi faut-il que celle-là soit venue au monde ? » 

    De machine à faire les enfants elle devient la force du destin

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                        L'oeuvre au théâtre  

     

    La mort de petite fille passe pour un accident mais Yannou se laisse emporter par la violence, la frustration, et les actes de mort se multiplient finissant par alerter les autorités.

    Une longue traque va commencer sur cette terre aride, la culpabilité ronge Yannou mais ne l’empêche pas d’être certaine que « Le plus grand cadeau serait d’avoir à leur donner, pardon mon Dieu ! L’herbe à rendre stérile »

    Elle apparait monstrueuse elle qui est sûre d’avoir agit par charité et qui se réjouit car la dot n’aura coûté qu’un linceul !! Elle est le bras armé de Dieu.

    Un roman à la fois moderne par l’oeil qu’il porte sur la condition féminine mais un drame antique pas sa violence et son côté inéluctable. Faire le mal par devoir est ce encore faire le mal ? Le roman flirte avec le questionnement de Dostoïevski dans les Frères Karamzov. 

    Court, dense, très réussi, c’est l’occasion de découvrir cet écrivain parfaitement ignoré en France. 

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    Le livre : Les petites filles et la mort - Alexandre Papadiamantis - Traduit par Michel Saunier - Edition Actes Sud Babel

     

  • Les Simples - Yannick Grannec

     

    Je sais que l'on vient de vivre un confinement mais partir dans une abbaye bénédictine ça vous tente ? Si je vous dis que c’est dans le sud de la France ? Tout près de Vence ? Je vous sens déjà plus tenté.

    Dans les années quinze cent quelque chose la congrégation de Notre -Dame du Loup est plutôt prospère grâce aux sirops, pommades, onguents et plantes qui ont fait sa renommée et sa richesse, même les grands utilisent le savoir des nonnes, jusqu’au roi de France et au Pape. 

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    « Notre-dame du Loup est une forteresse austère, ceinturée de façades aveugles, sans aucun des charmants agréments que le siècle a apportés »

    Entrons plus avant dans l’abbaye des Louventines.  La Mère abbesse Marie-Vérane la dirige avec poigne et justesse mais la règle de Saint Benoit n’empêche ni l’envie, ni la jalousie, et moins encore la convoitise, le tout mêlé parfois à une aspiration à la sainteté !
    Une guerre en règle est déclarée entre l’Abesse et la prieure, sœur Marie-Angèle de l’Incarnation.

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    Soeur Clémence, la doyenne est l’âme de l’abbaye, c’est elle qui connait les simples et leurs vertus.
    Savoir qu’elle tente de partager avec Gabrielle une novice instruite, intelligente.
    La recherche, la récolte et les préparations sont le secret le mieux gardé de l’abbaye.

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    Les soeurs exercent aussi leur savoir dans un dispensaire pour les nécessiteux. L’existence à cette époque est toujours menacée par les accouchements désastreux, les épidémies ravageuses et les superstitions qui balayent toute rationalité.

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    La richesse acquise par les Louventines grâce aux simples, aux plantes médicinales, est parfaite pour attiser la convoitise du clergé local. 
    Le savoir de ces femmes frise l’hérésie car il échappe au pouvoir temporel et à la férule de l’évêque, double pêché.
    L'inquisition n’est jamais loin pas plus que l’accusation de sorcellerie

    Léon de la Sine est un jeune homme très obéissant, il n’a guère le choix, dans sa famille c’est l’ainé qui héritera des terres et du titre. Il est en mission pour l’évêque de Vence Jean de Solines afin d’ inspecter cette abbaye et si possible y trouver des manquements qui permettent à l’évêque de glisser son pied dans la faille et de s'en approprier les biens.

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    Ce qu’il veut : mettre la main sur les recettes, les bénéfices, supprimer l’hôpital des indigents et surtout rapatrier  en son église les reliques de Sainte Vérane qui assure la notoriété de l’abbaye
    Le meilleur moyen c’est de jeter le discrédit sur l’abbaye et son abbesse 
    Il a le soutien du clergé et du corps médical local, tous acquis à sa cause car l’abbaye leur fait de l’ombre.

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    Léon de la Sine encore très naïf va trouver du charme à Gabrielle la novice. Victime d'un grave accident il va être soigner par les soeurs du couvent et sa mère va lancer une opération récupération qui va faire basculer tout ce beau monde cul par dessus tête.

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    Un roman plein de richesse, fouillé, dense  plein d’érudition et d'originalité, très visuel je verrai bien ce roman en mini série. C’est savoureux. J'ai aimé certains personnages et en premier lieu les simples qui deviennent les héroïnes principales.

    L’écriture s’appuie sur une belle documentation qui restitue le souffle et l’esprit , un bel éclairage d’une période que j’aime. J'avais aimé le premier roman de Yannick Grannec sur un sujet très différent. 

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    Le livre: Les Simples - Yannick Grannec - Editions Anne Carrière

     

     

  • Le Silence des vaincues - Pat Barker

    « Chante, divine muse, la colère désastreuse d’Achille…»

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    L'Iliade tout le monde connait même ceux qui ne l’ont jamais lu !
    L
    ’Iliade chante la colère d’Achille, le héros dont les décisions vont touchées les deux camps de la guerre. 
    C'est un poème sur la guerre, la lutte pour le pouvoir, la vengeance, la haine, l’envie, tout est là.

    Si vous l’avez lu vous avez certainement remarqué que les voix sont toutes masculines, rois, guerriers, vainqueurs et vaincus, combattants courageux ou lâches, père ou mari, des hommes rien que des hommes. Seule au loin la silhouette d’Andromaque qui fait ses adieux à Hector avec « un rire en pleurs »

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    Pat Barker casse le mythe et déplace le coeur du roman vers l’expérience des femmes. Elle écrit l’Illiade du point de vue des femmes capturées vivantes dans le camp grec.
    Les femmes livrées comme butin aux mains des hommes, devenues esclaves par la loi de la guerre. Pour les femmes c’est le début de l’horreur.

    Le roman est à la première personne, c’est Briséis qui s’exprime
    Elle est l’archétype de ces femmes à qui la parole n’est jamais donnée.
    Elle a déjà enduré le sac de sa ville natale par Achille, et a vu le massacre de son père et de ses sept frères et l'esclavage de sa mère. 

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    Briséis rendue à Achille  Pierre Paul Rubens

    Gagnée par Achille le vainqueur, elle est d’abord son trophée puis est finalement attribuée comme un lot de consolation à Agamemnon le roi tout puissant . On lui a enlevé Chriséis, il va réclamé réparation et s’empare de Briséis.

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    Achille et Briséis   Fresques de Pompéi

    On s’éloigne à grands pas du récit homérique. Il n’est pas question du Divin Achille « nous l’appelions « le boucher » un mixte de brutalité et de courtoisie, voilà qui est clair.

    Briséis va se trouver prise entre deux feux, le roi tout puissant Agamemnon et la juste demande d’Achille qui refuse de combattre si on ne lui rend pas son « butin » 

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    Achille réclamant son dû     Tableau d'Antoine Coypel

     

    Pat Barker fait entendre la voix des femmes réduites au silence, femmes violées et asservies, veuves ou orphelines, voyant périr père, frère époux dans des scènes déchirantes qui devraient inspirer pitié et compassion.

    Elle manie bien l’art des métaphores  « ce moment brillant, quand le vacarme de la bataille s'estompe et que votre corps est une tige reliant la terre et le ciel »
    Elle évoque très bien la vie quotidienne : la nourriture et le vin, les bruits, les cris, la douleur des plaies, le sang qui coule.

     

    Elle nous renvoie l’image du  vieux roi Priam qui se fraye un chemin, seul et non armé, à travers le camp ennemi, pour implorer Achille de lui rendre le corps mutilé d’ Hector., passage qui rappelle le magnifique roman de David Malouf : la Rançon
    Homère fait dire à Priam « Je fais ce qu'aucun homme avant moi n'a jamais fait, j'embrasse les mains de l'homme qui a tué mon fils. »

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    Priam devant Achille  Alexandre Ivanov  Galerie Tretyakov 

     

    Ce passage grandiose est battu en brèche par Briséis pour qui il n’y a que perte et chagrin. 
    Elle riposte aux paroles de Priam, comparant cette rencontre  entre hommes à la myriade d’horreurs insoupçonnées subies par les femmes pendant la guerre. 

    « Je fais ce que d'innombrables femmes avant moi ont été forcées de faire. J'ai écarté les jambes pour l'homme qui a tué mon mari et mes frères ».

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    Le roman de Pat Barker est un message féministe très clair sur la lutte des femmes pour s’extirper des récits dominés par les hommes. Elle offre des portraits de personnages nuancés et complexes 

    C'est un roman fort et poignant, un livre passionnant et qui nous impose de réfléchir à notre façon de raconter des histoires

    « Les vaincus entrent dans l'histoire et disparaissent, et leurs histoires meurent avec eux »
    L’auteur nous invite à écouter ces voix silencieuses, ces voix oubliées.

    On est loin de l’héroïsme du champ de bataille, c'est un chant intemporel où l’emporte le chagrin, la douleur, le silence des vaincues, assez loin de la légende d’Homère. 

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    Le livre : Le Silence des vaincues - Pat Barker - Traduit par Laurent Bury - Editions Charleston