Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Littérature néerlandaise

  • Quand tu écouteras cette chanson - Lola Lafon

    holocauste.jpg

    De Lola Lafon j’avais lu La petite communiste, cela m’avait intéressé mais sans plus.
    Avec ce nouveau livre elle fait carton plein.
    Quand tu écouteras cette chanson est un récit très personnel, le livre s’inscrit dans une collection : Une nuit au musée, mais ici cette nuit prend une coloration toute spéciale puisqu’elle choisit de passer cette nuit dans la Maison d'Anne Franck à Amsterdam, le 18 août 2021, entre 21 heures et 7 heures du matin.

    « C'est elle. Une silhouette, à la fenêtre, surgie de l'ombre, une gamine.(…) Elle a 12 ans. Il lui en reste quatre à vivre. (…) Sept secondes de vie, à peine une éclipse »

    A 12 ans le Journal d’Anne Frank a été le premier livre de poche que j'ai acheté et il n’a cessé de m’accompagner, lu et relu en particulier quand mes trois filles ont été en âge de le lire, ce livre est important pour moi car il a été le premier qui m’a fait prendre conscience de ce que fut la vie en temps guerre pour les juifs et les horreurs de la Shoah.
    Plus tard à 15 ans et à deux autres reprises j’ai eu l’occasion de visiter la maison d’Anne Frank, dite l’Annexe, Annexe où vécue la famille Frank avant la rafle et la déportation à Bergen Belsen.
    Je dois préciser que les trois fois j’ai été angoissée pendant la visite de cette maison si particulière.

    maison .jpg

    Maison dite l'Annexe


    Une nuit dans un musée qui n'en est pas vraiment un, ici pas d'oeuvres à admirer, à découvrir, non ici c’est l’absence et l’absente qui s’imposent.

    Parmi les raisons qui l’ont menée à choisir ce lieu, il y a son refus d’accepter la figue d’Anne Frank uniquement comme une victime.
    Elle souhaite que nous la voyions comme une écrivaine. En effet Anne Frank souhaitait devenir écrivain et le travail de réécriture de son journal qu’elle avait entamé est là pour le prouver.
    Elle « a été drôle, futile, adolescente en dépit du reste. Ce reste qu'elle n'a pas pu nous écrire ».

    Lola Lafon dresse un constat effarant des différentes adaptations du Journal faites en particulier aux Etats Unis où le seul objectif était, pardon de le dire comme ça, de faire pleurer le public.
    Le pathos a évincé totalement la personnalité d’Anne Frank et son talent d’écrivaine.
    Son journal a été manipulé, censuré, mal lu. Le père d’Anne a été accusé d’avoir dénaturé le journal, les différentes adaptations ont parfois éludé toute allusion à la judéité, au nazisme ce qui est un comble 

    Sa nuit au musée est largement évoquée mais aussi les rencontres qui l’ont précédé en particulier deux visages de femmes : Laureen Nussbaum qui connu Margot et Anne et qui fut la première à considérer le Journal comme une oeuvre littéraire, et Miete Gip qui fut l’une des protectrice de la famille Frank.

    Le récit devient plus intimiste et Lola Lafon évoque sa famille dont l’histoire est tourmentée, victime de la Shoah mais aussi du régime de Ceausescu avant son arrivée en France.
    Cela explique la difficulté qu’elle ressent dans cette annexe et que ressentent les visiteurs attentifs : deux années de vie clandestine !! rappelons nous nos difficultés à vivre le confinement !!!  Une famille à la merci du moindre bruit, du signe d’une présence, d’une dénonciation.

    amsterdam_casa_anna_frank_01_visita_jpg_1200_630_cover_85.jpg

    Lola Lafon parle très bien de cet héritage traumatisant pour les descendants de déportés, celui que l’on retrouve dans Les Disparus ou dans La Carte Postale, cette difficulté à survivre après….
    Pendant cette nuit se mêlent des souvenirs d’enfance et le fantôme d’Anne Frank.
    Tout du long le récit est riche, sobre, sincère, sans ostentation, il y a à la fois une part d’universalité dans le récit et une part tout à fait intime, l’alliance des deux est parfaitement réussie.

    anne-frank.jpg

    Lola Lafon reçue de sa grand mère juive, Ida Goldman, survivante de la Shoah, une médaille frappée à l’effigie d’Anne Frank, et la grand mère lui souffla ces mots « N’oublie pas »
    Je crois que ce sont les mêmes mots qu’elle nous souffle avec ce livre.

    Livre lu dans le cadre des lectures sur l'holocauste proposées par Patrice et Passage à l'Est

    M02234092477-large.jpg

    Le Livre : Quand tu écouteras cette chanson - Lola Lafon - Editions Stock 

  • bribes de vie d'un livre

    Mort et résurrection d’un livre

    « Chez nous, en Hollande, nous appelons ce dictionnaire le “Gros Van Dale”, il conserve le trésor de notre langue. Mon exemplaire était doté d’une reliure entoilée verte, l’air humide l’a attaqué, le sel apporté par le vent de mer a fait son œuvre destructrice, le livre a commencé à se déliter, la couverture à lâcher prise, chaque fois que je soulevais le livre il réagissait avec aigreur, il laissait tomber des feuillets que je devais glisser à la fin sans pouvoir les recoller »

    nooteboom

    « Alors a commencé la lente révolte, une sorte de guerre de vingt ans que j’ai menée pour ma part armé de ruban adhésif et de colle, de glu, d’aiguille et de fil, jusqu’au moment où le Van Dale a baissé les bras et menacé de se suicider. »

    nooteboom

    suicide de dictionnaire

    « C’est à ce moment précis que quelqu’un m’a parlé d’une relieuse qui, selon lui, habitait l’île. Je lui ai apporté en petits morceaux le Van Dale moribond. Elle m’a demandé deux mois, en m’assurant que je le retrouverais vivant. En prenant congé, j’avais l’impression qu’on portait en terre le cercueil de ma langue. »

    nooteboom

    Redonner vie à un livre

    « Mon Van Dale est de retour, il est posé ici à côté de moi. La relieuse lui a confectionné une jolie boîte, de couleur verte comme la toile usée de sa couverture. »

     

    Le livre : 533 Le livre des jours - Cees Nooteboom - Traduit par Philippe Noble - Editions Actes Sud

  • Le Maitre de la Tour du Pin - Jan Laurens Siesling

    Retable d'Anvers Eglise saint Mare de Lübeck.jpg

    Retable d'Anvers  nom du peintre ?

    J’ai toujours été intrigué dans les musées par ces peintres anonymes qu’on a affublé plus ou moins du nom d’un de leur tableau ou de la ville où ils peignaient. 
    Musées et églises sont riches de tableaux réalisés en des siècles où la propriété d’une oeuvre d’art n’avait rien à voir avec aujourd’hui.

    Maastricht_maitre_1518_retable triptyque.jpg

    Nom du peintre ?

    C’est un de ces peintres anonymes dont il est question dans ce roman. Mille cinq cent et quelque chose, un peintre est sur la route du retour, il revient d’Italie.
    Il est accompagné de Madeleine, sa bonne âme, son modèle.
    L’hiver est terrible et le peintre est stoppé net dans son voyage par la maladie, il est soigné à L’Hôtel-Dieu de La Tour du Pin. Les religieuses prennent soin de lui. Une fois guéri il est prêt à remercier.

    hotel-dieu.jpg

    « Le désir de peindre me démangeait. Les peintres d’Italie m’avaient fait brûler d’envie de me mesurer avec des dimensions importantes, grandeur nature, grandeur d’homme. »

    L’abbesse lui commande un triptyque pour la salle des malades, l’évêque donne son accord mais le prélat méfiant et morale chrétienne oblige, lui demande d’écrire ce que fut sa vie, son enfance, sa formation.

    Cette vie est le centre du livre et l’on suit le peintre du Brabant où il passe son enfance et entre en apprentissage puis c’est Bruges, Gand. Il apprend son métier, rencontre des peintres, découvre l'oeuvre de Van Eyck.

    maisons-médiévales-bruges-7.jpg

    « De la beauté, assurément, il y en avait en abondance à Bruges.(…) J’ai grimpé les marches du Beffroi, j’ai baillé d’admiration devant les statues peintes par Jan Van Eyck sur la façade de l’Hôtel de ville »
    Ce n’est que tard qu’il trouve un mécène pour financer le voyage  d’Italie.

    Après sa guérison il se lance dans la réalisation du triptyque, heureux de retrouver ses pinceaux et de rendre les bienfaits qu’on lui a prodigués.
    « Un soir j’ai observé le retable et j’ai constaté qu’il y avait une manière propre. C’était ma manière, personne d’autre. C’était ma main. »
    Saura-t-on jamais pourquoi le peintre ne signa pas son oeuvre ?

    triptyque-la-tour-du-pin.jpg

    Le Retable de la Tour du Pin

    « Un peintre du Nord, revenant sur la route des Alpes, ayant reçu des soins à l’hospice de la Tour-du-Pin il fit, reconnaissant, un retable avec le Christ mort »

    J’ai aimé le récit de cette vie simple, traversée de difficultés, de renoncements, de belles découvertes comme l’oeuvre de Van Eyck. 
    On entre dans l’atelier de l’artiste, on épouse ses craintes, ses rêves, ses joies ou sa peine lorsque sa compagne est malade à son tour. L’atmosphère est parfaitement rendue avec l’importance des guildes qui dictaient leur loi, l’église omniprésente, une période où art et religion étaient solidement imbriqués.

    guilde.jpg

    Les Guildes

    L’auteur est historien d’art ce qui rend le récit totalement crédible et parfaitement documenté.
    L’écriture est sobrement belle et donne un vrai plaisir de lecture. 

    Mes remerciements à Brigitte qui a su me donner envie d’en savoir plus et de lire ce livre.

    9782868530639-200x303-1.jpg

    Le livre : le Maître de la Tour du Pin - Jan Laurens Siesling - Editions Le Temps qu’il fait

     

  • Lettres à Théo - Vincent Van Gogh

     

    Portret van Theo van Gogh1887.jpg

         

    Ma dernière visite au musée Van Gogh d’Amsterdam remonte à une quinzaine d’année. 

    Depuis longtemps je voulais lire une biographie du peintre en parallèle avec sa correspondance.

    C’est chose faite et j’en suis ressortie plus amoureuse que jamais de cette peinture et de ce peintre.

     

     

    vangogh.jpg

                              © Luuk Kramer/Van Gogh Museum

     

    Jusqu’ici j’avais picoré ces Lettres à Théo mais cette fois en parallèle de la biographie j’ai fait une lecture suivie et cela s’est révélé passionnant.

     

    Dès les premières lettres on est accroché, une famille qui n’est pas riche mais vit dans une certaine aisance, un père pasteur qui va à la fois servir de modèle permanent et d’objet de haine à la façon d’un Kafka. Vincent pourrait comme Kafka écrire sa lettre au père.

     

    Des études pas vraiment glorieuses et pas vraiment terminées, et un début de la vie d’adulte difficile.

    Un départ pour l’Angleterre où il va connaitre ses premières amours et se révéler doué pour les langues, plus tard il ajoutera le français à la panoplie au point d’écrire une partie des ses lettres en français.

    800px-Van_Gogh_-_Strand_von_Scheveningen_bei_stürmischen_Wetter.jpg

                    Les premières oeuvres  1882 

     

    D’échec en échec le voilà quasi missionnaire auprès des mineurs du Borinage, c’est pour lui une période mystique pendant laquelle il découvre le travail sordide, la faim, ses dessins en portent la trace, ils ont la noirceur de la mine et la dureté du travail. Plus tard lisant Zola il se reconnaitra dans Germinal.

     

    potatoes.jpg

                  Les mangeurs de pommes de terre 1885

     

    Les lettres sont pleines de ses doutes, de ses souffrances mais aussi de ses lectures, c’est un lecteur passionné et attentif. ll admire Hugo, Balzac et par dessus tout Zola. Rien à voir avec les lettres d’un fou, même si de temps à autre le ton change, l’exaltation le tient, que ce soit pour une femme, pour la Bible ou pour la peinture.

     

    vangogh.the-pink-orchard-16.jpg

                          Arles 1888 

     

    Nous n’avons pas les réponses de son frère mais l’on sent très bien son rôle modérateur, complice.

    Le départ pour Arles apparait comme une chance mais très vite les démons reviennent. Alcool, hallucinations, la misère matérielle détruit sa santé, son corps le lâche et son esprit va suivre ce qui le conduit vers l’hôpital psychiatrique où il trouve un certain repos.

     

    Van_Gogh_-_Starry_Night_-_Google_Art_Project.jpg

                  A Saint Rémy de Provence  la nuit étoilée 1889

     

    Théo a essayé de le faire connaitre, d’organiser des expositions de ses oeuvres mais Vincent s’y oppose le plus souvent. On le suit à travers ses lettres jusqu’à la cassure finale.

     

     

    l-oise-auvers-sur-oise-1890.jpg

                      A Auvers sur Oise 1890

     

    Ces lettres sont profondément touchantes et désespérantes car on le voit s’enfoncer dans la folie tout en essayant de tenir la tête hors de l’eau grâce à la peinture. ll cultive les ruptures, régulièrement avec Théo quand celui ci renâcle à le soutenir, ruptures avec des femmes, rupture avec Gauguin

    Pourtant c’est à Théo qu’il envoie tout, ses dessins, ses premiers tableaux, les toiles qu’il peint frénétiquement à Arles, cette frénésie se poursuit lorsqu’il est interné à Saint Rémy de Provence : imaginez il peint en un temps très court 200 toiles et parmi elles ses toiles les plus célèbres.

     

     

    Cloitre de Saint Paul de Mausole mai 2006.jpg

                Hôpital Saint Paul de Mausole © Ivredelivres

     

    J’ai vraiment été accroché par ces lettres, Van Gogh y apparait dans toute sa nudité et sa faiblesse mais aussi dans toute sa passion pour la peinture, exutoire à la folie qu’il sent poindre. 

     

    Vous pouvez aussi écouter ces lettres lues par Denis Lavant.

    Un site existe mais en VO

     

    La biographie permet de replacer ces lettres dans leur contexte.

    Mon seul regret c’est de n’avoir pas en parallèle les oeuvres pour en suivre l’évolution.

    Une édition existe aujourd’hui chez Actes Sud en six volumes qui permet cela mais son prix est carrément prohibitif (380€)

     

    van gogh.jpg

     

    Les livres : 

    Lettres à Théo - Vincent Van Gogh - Editions Gallimard

    Van Gogh - David Haziot - Editions Gallimard Folio

     

  • Marcel - Erwin Mortier

    Taire ou dénoncer 

     

    taireounon.jpg

    On sait tous que la réaction devant des événements exceptionnels peut être très différente d’un homme à l’autre, d’un pays à l’autre. Il y a toujours ceux qui se taisent, collaborent et ceux qui dénoncent, se battent.

    Je vous propose un roman qui pourrait porter en sous-titre : Quand on choisit le silence...........

     

    La Flandre, un pays qui dans les années 70 vit encore sous le poids d’une histoire que beaucoup voudraient oublier.

    Une ville flamande comme les autres, une maison qui « ressemblait à toutes les autres de la rue : plus très d’aplomb après deux siècles d’occupations, de tempêtes et de guerres ».
    Une famille flamande presque comme les autres.

    campagne flamande.jpg

    Le narrateur vit chez sa grand-mère, une maîtresse femme qui « a rarement tord », elle connaît tout le monde dans la ville, Andréa, elle occupe toute la place dans ce roman.

    La vie s’écoule doucement « personne ne se déplaçait librement dans la maison. Chacun suivait le chemin de son habitude »
     

    Dans une petite ville les langues vont bon train, quand Mademoiselle Veegaete, l’institutrice, vient pour renouveler sa garde robe, c’est l’effervescence car c’est une cliente privilégiée, on sort le service à liséré d’or, les magazines de mode. Ces jours là le narrateur voudrait « être une petite souris qui voit tout et n’oublie rien ».

     

    Parfois on fait des visites « la grand-mère nous avait empaquetés, le grand-père et moi comme une cargaison vivante », l’occasion de découvrir de nouvelles photos : « Une multitude de visages d’hommes (...) Au dessus des têtes, une houle de bras levés »

    Ce jour là le narrateur découvre qu’il ressemble à Marcel

     

    Le même Marcel qui trône dans la vitrine où la grand-mère aligne les photos de tous les morts de la famille. « Dans leurs cadres chic, pareils à de précieux carrosses ils paraissaient faire la queue à la douane ».

    Une kyrielle de tantes, d’oncles, tous disparus. Chaque photo raconte une histoire. Andréa époussette les cadres avec soin, elle va entretenir leurs tombes au cimetière. Elle raconte sans se lasser l’histoire de chacun. Sauf pour Marcel, parce que,Marcel, si il y a bien sa photo dans la vitrine, il n’y a aucune tombe à fleurir au cimetière et personne ne connaît la date de sa mort.

    L’enfant aime le grenier et tout ce qu’il y trouve, c’est sa curiosité qui va déclencher la tempête, quand pour un travail scolaire il se sert d’une lettre ornée d’un aigle magnifique...

    manifestationnationalistes.jpg

    Les héritiers !

    Un roman court, sobre et habile pour restituer cette part de l’histoire longtemps cachée.  Le monde de l’enfance est décrit avec virtuosité et est empreint de trendresse mais le passé que l’auteur explore à travers ce récit est marqué de sentiment de culpabilité.  

    Voici ce que dit l’auteur dans une interview :

    «  Marcel  était pour moi l'occasion de m'exprimer en tant qu'arrière-petit-neveu d'un collaborateur mort en Russie, sur le front de l'Est. Âgés de vingt ans, mes grands-parents ont sympathisé avec les Allemands. Ce passé a marqué mon enfance, même si je suis né vingt ans après la fin de la guerre.» © La Libre Belgique 2003

     

    La langue est superbe et la traduction a value à Marie Hooghe un prix bien mérité.

     

    Si le sujet vous intéresse retrouvez chez JEA plusieurs articles ici et là 

     

    Le livre : Marcel - Erwin Mortier - Traduit du néerlandais (Flandres) par Marie Hooghe - Editions Fayard 

     

    L'auteur

    erwin.jpgNé en 1965, en Belgique (Flandre), Erwin Mortier est écrivain, journaliste et historien d'art. Il est l'auteur deMarcel (Fayard, 2003, prix de traduction Amédée Pichot 2003), Ma deuxième peau (Fayard, 2004), Temps de pose(Fayard, 2005) et Les Dix Doigts des jours (Fayard, 2007), tous traduits du néerlandais par Marie Hooghe.

     

  • En la forêt de longue attente - Hella Haasse

    En remontant les siècles : an 1394...

    foret.jpg

    Après un concile vengeur, une reine au pied trop grand, voici le prince poète.
    Comme pour la troisième fois je vous embarque dans un roman historique il est juste que je vous donne un coup de pouce. Je vais jouer le Petit Mourre

    La méchante Isabeau de Bavière qui livre la France aux anglais, les Armagnacs et les Bourguigons, Azincourt et Henry V et bien entendu la Pucelle d’Orléans...Vous y êtes ? mais si ...cent ans...la fameuse guerre ....Ah je vois votre oeil s’éclairer, suivez moi.

    Isabeau_de_Baviere1.jpg

                                             Isabeau entrant dans Paris parJean Fouquet

    1394 le XV ème siècle va s’ouvrir. c’est la date de naissance de Charles d’Orléans prince des poètes et roi de la mélancolie. Vous me direz que vient-il faire ici ? Et bien sa vie est totalement liée à cette fameuse guerre de cent ans.

    Par son père d’abord Louis d’Orléans, poète lui même, grand séducteur devant l’éternel et soucieux du bon état du royaume de France qui est hélas aux mains de son frère Charles VI atteint de démence, c’est de fait sa femme qui gouverne la fameuse Isabeau dont Louis fera sa maîtresse pour le bien du royaume bien entendu.

    Vous l’avez compris ce n’est pas l’enfance de tout le monde. Heureusement pour Charles d’Orléans sa mère Valentine Visconti, l’aime et le soutient, avec elle il explore le monde de la musique, des livres et des poètes.

    Cette mère toute d’amour est pourtant accusée de vouloir la mort du roi et est donc renvoyée sur ses terres loin de la cour. Lorsqu’elle meurt Charles a douze ans et le voilà propulsé à la tête de la famille d’Orléans.

    dunois_portrait.jpg

    Il partage ses jeux avec son demi frère Dunois, un rien bâtard mais promis à un bel avenir comme compagnon d’armes de Jeanne d’Arc !
    On lui trouve une épouse, elle a déjà un long parcours puisque mariée au roi d’Angleterre, Isabelle est aujourd’hui une toute jeune veuve et mourra très jeune en donnant à Charles une fille.


    Une époque difficile toute de combats perdus, de serments non tenus, de traîtrise. Les temps où la noblesse française ne luttait pas pour le bien du royaume mais pour augmenter ses possessions, enrichir ses domaines !
    Que peut faire dans ce milieu un jeune homme épris de poésie, de douceur et de calme ? Qui rêve de troubadours et de trouvères et qui doit prendre les armes contre son gré ?
    Il erre dans cette « Forêt de longue attente » qu’en son temps son père déjà avait arpentée. Un lieu imaginaire qui le tient à l’abri de la violence, des guerres civiles et de la mort.
    Mais l’histoire le rattrape et lors de la bataille d’Azincourt il est fait prisonnier. Prisonnier il le restera 25 ans ! otage attendant le paiement d’un rançon que personne n’est pressé de payer.

    henry-v.jpg

    Henry V à Azincourt (Lawrence Olivier)

    Pendant toutes ces années la poésie sera sa fidèle compagne. « En regardant vers le pays de France »  une poésie qui porte le souvenir de ce prince jusqu’à aujourd’hui, une oeuvre véritable née dans les geôles anglaises.

    Charles d'Orléans ; Tour de Londres.JPG

    La tour de Londres - British Muséum

    Si vous voulez cheminer aux côtés de ce prince poète suivez Hella Haasse, elle restitue à merveille la dureté de l’époque. Elle retrace avec un talent fou la vie de ce prince né à Amboise et mort à Blois qui dut se dépouiller de tous ses biens pour retrouver la liberté.
    Qui fut toujours du côté des plus humbles, qui croisa François Villon et ses « frères humains » et qui arpente encore cette forêt de longue attente.

    Un grand roman historique, magnifiquement écrit et traduit, un roman riche et ample qui prendra place dans votre bibliothèque.

    L'avis de ClaudiaLucia et son billet où vous trouverez une galerie de portraits

    Le livre :  En la forêt de longue attente - Hella S. Haasse - Traduit du néerlandais par Anne Marie de Both -Diez -  Editions du Seuil 1991 ou Points Seuil
    Les poèmes de Charles d’Orléans Gallimard Poésie


    Quelques poèmes de Charles d’Orléans

    En la forêt de Longue Attente
    Chevauchant par divers sentiers
    M'en vais, cette année présente,
    Au voyage de Desiriers.
    Devant sont allés mes fourriers
    Pour appareiller mon logis
    En la cité de Destinée ;
    Et pour mon coeur et moi ont pris
    L'hôtellerie de Pensée.

    hiver.jpg

    Les très riches heures du Duc de Berry



        Le temps a laissé son manteau
        De vent, de froidure et de pluie
        Et s'est vêtu de broderie,
        De soleil luisant, clair et beau.

        Il n'y a bête ni oiseau,
        Qu'en son jargon ne chante ou crie:
        "Le temps a laissé son manteau!"
        De vent, de froidure et de pluie

        Rivière, fontaine et ruisseau
        Portent en livrée jolie,
        Gouttes d'argent, d'orfèvrerie,
        Chacun s'habille de nouveau
        Le temps a laissé son manteau.