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Littérature française et francophone - Page 53

  • Une inquiétante et diabolique étrangeté - Edouard Dor

    Une inquiétante étrangeté - Edouard Dor - Editions Sens & Tonka
    Le plaisir du diable - Jacques Gelat - Editions José Corti

    inquietante.gifAu mois de février je vous avais proposé un billet sur un livre d’Edouard Dor, aujourd’hui je récidive car sur un thème différent il nous livre encore une fois sa réflexion d’observateur attentif.
    À quoi tient qu'un tableau nous trouble plus qu'un autre ?
    Pour nous parler de « cette inquiétante étrangeté » Edouard Dor nous installe devant trois oeuvres de Véronèse traitant d’un même sujet, les amours de Mars et Vénus. Dans un des trois tableaux la présence d’un escalier qui va on ne sait où et surtout et ajouté à ce « décor ambigu » au beau milieu d’une scène voluptueuse, une tête de cheval en haut de l’escalier.
    « Véronèse cherche à nous surprendre, à nous déstabiliser »

    Je vous laisse juger par vous-même.

     

     

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    Le deuxième exemple pris par Edouard Dor est le portrait fameux « Olympia » par E Manet . il se livre à une étude passionnante dudit portrait, en particulier de son éclairage frontal, sur la présence d’un chat aux yeux jaunes, sur la fascination et le malaise que nous pouvons éprouvé devant la toile.
    Son dernier exemple est une étude d’une oeuvre peu connue de Matisse : « Porte fenêtre à Collioure ».

     

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    J’ai aimé à l’égal du premier ce petit livre, simple et fouillé il invite à lire autrement une toile, à observer en nous laissant pénétrer par cette « inquiétante étrangeté » qui naît de nos fantasmes et qui peut aller jusqu’à l’épouvante absolue nous dit S Freud dans l' essai dont s'est inspiré Edouard Dor.


    plaisir du diable.gifIl arrive que nos lectures s’ordonnent d’une façon particulière et que sans le vouloir deux ouvrages viennent se rencontrent ou se répondent. Le roman de Jacques Gelat a pris place juste après ma lecture d’Edouard Dor.

    J’ai retrouvé le monde de la peinture dans ce roman insolite et précieux. Sonia l’héroïne travaille dans une galerie à Paris, le propriétaire de celle-ci lui confie la mise en vente d’un tableau hollandais d’Emmanuel de Witte représentant deux musiciennes.
    Sonia tombe aussitôt sous le charme et son intérêt va jusqu’à la  fascination, mais un soupçon l’assaille, elle ressent une  « inquiétante étrangeté » à l’observation de la toile, des détails incongrus, des anomalies la font douter de l’authenticité du tableau.
    « Alors, bien avant le dessin, les couleurs ou la composition, la toile lui envoya sa lumière.
    Sonia la sentit doucement irradier vers elle, un peu comme un soleil du soir après une journée de chaleur. Une lumière tiède, lente. Sans doute était-ce le sentiment des couleurs principales, les robes des femmes, orangé sombre pour la première, rouge bordeaux avec des reflets bruns pour la seconde. Puis le bois des guitares sur les genoux, vieil or avec des reflets ambrés. »


    Nous sommes littéralement emportés nous aussi, la description du tableau que vous ne tarderez pas à « voir » , l’obsession amoureuse de Sonia pour celui-ci, sa quête de la vérité, le monde de l’art, du faux et de l’illusion, tout est fascinant dans ce roman. Le style est impeccable et la construction diabolique. Une fin inoubliable.
    Il faut préciser que ce roman avait déjà été publié il y a vingt ans par les éditions Denoël sous le titre « le tableau », il est réédité aujourd’hui pour notre plus grand plaisir.


  • Vie du lettré - William Marx

    Vie du lettré - William Marx - Editions de Minuit
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    « Qu'est-ce qu'un lettré ? Quelqu'un dont l'existence physique et intellectuelle s'ordonne autour des textes et des livres : vivant parmi eux, vivant d'eux, employant sa propre vie à les faire vivre et, en particulier, à les lire. »


    Vous voici au coeur du sujet de cet essai passionnant et non dénué d’humour. En vingt quatre courts chapitres, accompagnés comme il se doit pour le livre d’un lettré, d’une bibliographie et de notes savantes, ce livre se lit d’une traite avec le sourire et crayon en main.

    William Marx vous invite à mieux connaître « Le Lettré » , de sa nourriture à son jardin, de sa sexualité à sa religion et de sa naissance à sa mort, en passant par les couronnes de laurier qu’il peut recevoir, par les querelles dont il peut parfois se délecter.
    Dans chaque chapitre un invité, de Kant à Quintilien, de Freud à Pétrarque ou Marie de Gournay.
    L’auteur alterne citations et anecdotes, ironie (auto-dérision ?) et admiration manifeste.
    « Le miroir ici proposé se veut plus fidèle. Tu y trouveras, lecteur, diverses figures de lettrés à travers les âges, les lieux et les cultures, et pourras même t'y reconnaître.»


    Nul besoin d’être universitaire pour lire et apprécier cet essai, privilège de l’érudition l’auteur parvient à vous rendre le temps d’une lecture plus cultivé et plus intelligent.

    C’est un essai brillant qui trouvera place dans votre bibliothèque.


    L'auteur

    w marx.jpgWilliam Marx, né à Villeneuve-lès-Avignon en 1966, a enseigné la littérature aux États-Unis, au Japon et dans plusieurs universités françaises, notamment à Vincennes - Saint-Denis (Paris-VIII) et à la Sorbonne (Paris-IV). Ancien élève de l'École normale supérieure, il est actuellement professeur de littérature française et comparée à l'université d'Orléans et membre de l'Institut universitaire de France. Sa réflexion porte essentiellement sur l'histoire des discours critiques et des théories esthétiques. (source Editions de Minuit) Photo © Hélène Bamberger

     

  • Pour saluer Giono

    Un de Baumugnes - Jean Giono - Lu par Jacques Bonnafé - Editions Thélème

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    Jacques Bonnafé restitue le parler rugueux et simple des héros , les pages de Giono prennent une ampleur nouvelle, vous entendez l'amour d'Albin pour Angèle la fille aperçue un soir, son harmonica vous parle  dans la nuit, vous êtes à la Douloire et vous accompagnez Amédée dans sa recherche d'Angèle.

     

    Colline - Jean Giono - Lu par Jean Chevrier - Editions Fremeaux et associés

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    « En faisant Colline, j'ai voulu faire un roman, et je n'ai pas fait un roman: j'ai fait un poème ! »
    Une lecture superbe de Jean Chevrier qui fait vivre la Provence et ses personnages, la diction est parfaite et la voix magnifie le texte. La tension, la peur qui s’empare de Gondran, de Jaume sont superbement restituées par Jean Chevrier, l’air vibre, la Colline tremble et vous voyez filer le chat noir annonciateur de malheur.

     

    Regain - Jean Giono - Lu par Henri Tisot - Editions Auvidis

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    Inoubliables les personnages du roman, la belle lecture d’Henri Tisot porte l’humanité de Panturle, de Gaubert et d’Arsule. Il dit bien le lent déclin, le départ de Gaubert, la mort annoncée d'Aubignane. Il sait superbement nous communiquer le tressaillement de la vie qui reprend, le premier labour, le premier blé et l'enfant qui s'annonce.

     

    Cette écoute des trois romans de Giono m’a apporté beaucoup de plaisir et je souhaitais partager ce plaisir avec vous. Elle permet de redécouvrir des textes lus il y a longtemps, et puis comme on ne se refait pas, après l’écoute il est plus que tentant d’aller feuilleter à nouveau les bouquins.

     

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    Plutôt qu’un énième résumé des trois romans je vous renvoie au Dossier Giono chez Pascale Arguedas (Calou).
    Pour poursuivre : le centre Giono à Manosque

  • L'origine de la violence - Fabrice Humbert

    L’origine de la violence - Fabrice Humbert - Editions Le Passage

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    De passage à Paris je suis entrée dans une librairie, jusque là rien d’extraordinaire, souhaitant un renseignement j’attendais patiemment mon tour pour interroger un vendeur, celui-ci vantait de façon très convaincante les mérites d’un roman français j’ai tendu l’oreille...et j’ai très bien fait.

    Un jeune professeur de français,  accompagnant ses élèves en voyage scolaire, visite le camp de Buchenwald. Accroché sur un mur du musée une photo attire son attention. Sur la photo un détenu et cet homme est le sosie de son père, or il est impossible que l’homme de la photo soit son père, celui-ci est bien vivant, il n’a jamais été prisonnier, personne dans la famille n’a été déporté,  alors ?
    Ici commence une enquête qui plonge le narrateur dans l’horreur des camps, dans les archives de Buchenwald. Il cherche les documents, les témoins qui pourront l’éclairer.

    « Dans le calme de l’Ettersberg, le souvenir des cinquante-trois mille morts faisait se lever une armée d’ombres silencieuses. Je m’avançait dans le brouillard avec une légère angoisse. Aux aguets comme si j’étais en attente. »

    Il apprend l’identité de l’homme de la photo : David Wagner, mais  rien en apparence ne relie cet homme à sa famille. Il part sur ses traces et sur celles des autres personnages de la photo, tous nazis notoires.
    Enquêteur tenace, ses recherches vont le mener à Göttingen, à Berlin, mais surtout dans sa propre famille. C’est une quête des origines, une réflexion sur le sens du mot « filiation ».

    On retrouve dans ce roman le thème central de « Un juif pour l’exemple » la violence, le mal absolu.
    Le narrateur est obsédé par la violence, y compris la sienne
    « Depuis toujours, la peur et la violence m’ont hanté. J’ai vécu dans ces ténèbres. j’ai toujours craint qu’on m’entraîne, m’attache, m’écorche, comme un animal nuisible. »


    Fabrice Humbert fait entendre les voix de Primo Levi et Jorge Semprun, il fait preuve d'un talent impressionnant et  réussit le tour de force d’écrire un roman profondément humain, très bien documenté, historiquement et psychologiquement juste et qui se lit avec avec un sentiment d’urgence très fort.

    Faites une place à ce livre dans votre bibliothèque

    Un autre avis dans le quotidien La Croix


    L’auteur

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    Fabrice Humbert a déjà deux romans à son actif : Autoportraits en noir et blanc (Plon) et Biographie d’un inconnu (Le Passage) Vous pouvez  le retrouver sur son site

  • L'attente du soir - Tatiana Arfel

    L’attente du soir - Tatiana Arfel - Editions José Corti

    l'attente.gifLes Editions Corti découvreurs de talents, nous propose Tatiana Arfel après Julie Mazzieri
    Un récit à trois voix, à trois personnages. Chaque personnage détient sa propre voix, évolue dans son monde et lit sa partition.
    Il y a Giacomo, directeur du cirque du même nom, clown blanc qui dresse des caniches et fait naître des symphonies parfumées.
    Né dans une roulotte, sa vie c’est le chapiteau et ses couleurs. « ..mon premier souvenir, celui du monde clos, se prolongeait à l’infini dans cette communauté d’hommes et de femmes qui, chaque jour, tendaient à redonner un peu de couleurs à notre monde si fade et si hurlant à la fois. »
    Giacomo est fataliste, il sait que Le Sort le rattrapera, Le Sort qui apporte le malheur «...le sort rejoindrait toujours nos caravanes pourtant mobiles et capricieuses pour se servir en chair fraîche et en larmes qu’il affectionne beaucoup. »

    Il y a Melle B.  Jamais le regard de sa mère ne l’a caressée, jamais les bras d’un père ne se sont fermés sur elle. Elle avance dans la vie invisible, transparente, absente « Mon corps (...) était sans nerf, mes yeux sans regard et mon coeur sans émoi. »
    La folie rôde « Je me couchai, en proie à des fusées d’idées qui rendaient la peau de mon crâne de plus en plus transparente »
    Elle récite des tables de multiplication lorsqu’elle est en proie à l’angoisse. Et puis elle a « un trou dans la poitrine » quelque chose lui manque qui lui a été enlevé.

    Et il y a le Môme. Enfant abandonné à lui-même, il découvre le monde par le brillant du soleil et le froid de la boue du terrain vague où il vit. Il découvre les goûts par  « le jus blanc » de l’herbe dévorée, le piquant et l’âcre des aliments trouvés dans les poubelles, les odeurs des flaques d’eau et de la terre gelée.
    La seule chaleur reçue est celle d’un chien qui devient son lien avec le monde, mais ce lien va se rompre et il connait la douleur
    « Il y a de l’étranger dans son coeur. Ça fait mal, mais pas de froid ou de faim. Ça brûle et ça pique mais on ne peut pas l’arrêter en mangeant ou en dormant. Ça vient du dedans, il n’y a rien a faire ».
    Mais le monde va venir au môme par les couleurs,  va s’éclairer et s’élargir par les couleurs, le bleu des sacs poubelle, le rouge d’un vieux tapis, « le jaune et l’espoir ». Les couleurs remplacent les mots et deviennent langage.

    Trois univers que tissent Tatiana Arfel, la parole est donnée à ceux qui ne peuvent parler en mots ou dont les paroles ne sont jamais entendues. De son travail en psychiatrie elle a rapportée la connaissance de l’autre et de sa souffrance, des possibilités infinies de l’être humain, de l’importance des mots mais aussi d’autres langages.
    La première partie du roman s’intitule « Un plus un plus un », puis dans une seconde partie se révèle la possiblité de compter pour quelqu’un
    «  deux plus un » de n’être plus seul ou de l’être moins.
    Le récit est ponctué par les étapes du cirque, par le temps qui passe pour les trois personnages qui marchent les uns vers les autres pour être enfin « quelqu’un pour quelqu’un.»

    C’est un roman foisonnant d’une imagination très riche, pleine d’odeurs et de couleurs.
    J’ai été prise par ce texte d’une grande force et d’une très grande humanité.

    Un premier roman pour lequel je vous invite à faire une place dans votre bibliothèque



    L’auteur
    « Je suis née en 1979 à Paris. J’ai toujours écrit, depuis petite, des histoires, des poèmes, des contes. Le passage dans les classes littéraires d’un lycée parisien élitiste m’a fait perdre tout goût d’écrire. Je me suis orientée vers des études de psychologie clinique et psychopathologie (DESS). Pendant mes stages en hôpital psychiatrique j’ai imaginé mettre en place des ateliers d’écriture pour valoriser la créativité tout en permettant la décharge par l’écrit du trop-plein de souffrance. Je me suis inscrite d’abord à des ateliers d’écriture, puis des formations à l’animation, et me suis remise à écrire. J’ai alors écrit des contes, nouvelles, poèmes, puis mon premier roman, en 2006. Ensuite j’ai repris mes études et passé un DEA de littérature.
    Depuis mes vingt ans j’ai exercé toutes sortes de travaux alimentaires : employée en restauration rapide, serveuse, agent hospitalier, secrétaire, distributrice de prospectus, chargée d’assistance-rapatriement, secrétaire... Mon travail alimentaire compte peu, il me sert à subsister et doit surtout me laisser du temps pour écrire.

    Aujourd’hui, j’effectue de temps en temps des missions de psychologue en entreprise. J’anime des ateliers d’écriture, notamment dans une association de femmes atteintes de cancer. Je travaille sur un projet d’ateliers d’écriture sur la souffrance au travail, que j’ai longuement côtoyée lors de mes petits boulots (violence de la productivité, absence de reconnaissance, bureaux en open space, harcèlement moral, troubles physiques et psychiques). Je veille par-dessus tout à garder du temps et de l’énergie pour écrire. J’ai deux romans en projet, l’un justement portant sur la souffrance au travail et l’autre racontant l’autobiographie d’un homme souffrant d’une absence totale de présence au monde. »
    Source : l’éditeur

  • Le Discours sur la tombe de l'idiot - Julie Mazzieri

    Le Discours sur la tombe de l’idiot - Julie Mazzieri - Edtions José Corti

    le discours.gif« En plein jour. Ils l’ont jeté dans un puits de l’autre côté du village. Ils l’ont pris par les jambes et l’ont fait basculer comme une poche de blé. En comptant un, deux, trois. Le maire et son adjoint. »

    Ce sont les premières lignes de ce premier roman. Ils étaient deux, deux pour débarrasser le village de l’idiot. Celui qui pissait sur la porte de la mairie, qui bavait et crachait, qui se couchait sur son ombre et qui n’avait pas de nombril.
    Chronique de village, chronique de la bêtise et de la haine ordinaire, de la peur de ce que l’on ne comprend pas.
    Un meurtre a été commis mais la vie continue mais pour l’un des coupables la culpabilité arrive, tenace et envahissante.

    Le village s’interroge, les bruits se répandent, la rumeur comme un cancer va envahir le village, l’idiot a disparu juste quand arrive dans la ferme des Fouquet un nouvel ouvrier agricole, justement... Et puis il y a ce corps que l’on trouve au fond d’un fossé, c’est l’ouvrier, c’est sûr...qui d’autre ? Ce bouc émissaire fait l’affaire du Maire.

    Je vous laisse découvrir la suite de l’histoire, Julie Mazzieri sait dire la violence impulsive, la peur de l’étranger ou tout simplement de l’inconnu, elle s’abstient de tout jugement moral.
    Un vrai régal en cinq parties, avec des phrases courtes, sans aucun pathos, sans émotion apparente.
    Son écriture a le coupant de la faux, la dureté de la pierre Un récit  concentré, très maîtrisé. J’ai pensé à Giono à plusieurs moments de ma lecture et bien sûr à Raskolnikov pour le remord et la culpabilité. Une jeune femme qui promet.
    Une réussite.

    Faite une place à ce livre dans votre bibliothèque.


    L’auteur

    mazzieri.jpgJulie Mazzieri est née au Québec en 1975.
    Docteur ès lettres, elle compte parmi ses publications, divers articles portant notamment sur l’écriture de la fin et la rhétorique de l’idiot dans les œuvres de Faulkner, Bernanos, Dostoïevski et Denis de Rougemont.
    Elle a enseigné la traduction à l’Université McGill (Canada) et travaille actuellement à la traduction française d’un inédit de Jane Bowles. Elle vit aujourd’hui en Corse.