Marc Graciano est très présent sur ce blog. J’ai lu trois de ses romans c'est le quatrième que je lis et dans tous j’ai trouvé la même force, la même imagination, la même richesse.
Ce nouveau roman tient toutes ses promesses.
Hiver 1429, Johanne va aller de de Vaucouleurs à Chinon afin de rencontrer le Dauphin et lui livrer un message de la part de Dieu, message dont il a fait révélation à Johanne.
Elle part avec ses compagnons d’armes et doit éviter les lieux dangereux tenus par les Bourguignons alliés des anglais.
Cinq cents kilomètres et douze chapitres pour rapporter ce voyage. C’est un inconnu qui prend la parole, il est le page de Johanne et est un « ancien écolier de l’Université de Paris »
On va avec lui au pas du cheval.
Le premier chapitre intitulé « l’Enfance » ne raconte pas le voyage mais est un prologue où l’on voit la famille rassemblée autour d’un colporteur, ancien chambellan des ducs de Lorraine, qui ressemble à un mage détenant des secrets.
« C’était l’hiver et il gelait à pierre fendre, et le monde était couvert d’une épaisse et blanche couche de givre, comme s’il avait neigé une première neige, une neige noëlle, et, en songeant à la froide obscurité du dehors, Johannette se sentait bien au chaud et en sécurité entre les quatre murs blancs de la salle éclairés par la lumière de la lampe posée au centre de la mense, et par celle de la flambée qui crépitait dans l’âtre, et elle était assise en bout de mense sur une haute chaise paillée, afin d’être à hauteur de table, et c’était comme une petite reine installée sur son modeste trône et régnant par tendresse et un peu par caprice sur tous les gens de la maisonnée, qui avaient réputation d’un peu trop la chérir et la choyer, peut-être jusqu’à la gâter, à ce qu’il se disait dans tout le village, et Isabelle, la mère, était assise devant la cheminée et surveillait sa poêlée, et Jacques, le père, rempaillait une chaise devant la croisée, quoiqu’il fît nuit et qu’aucune lumière n’en vînt, mais c’était par habitude, et les deux frères jouaient aux osselets, »
L’homme raconte des faits merveilleux, des horreurs, des contes fantastiques, il mêle légendes, superstitions et fariboles.
Il nomme et décrit les oiseaux, les animaux, les saints.
Il exhibe des médailles comme autant de documents, La Légende dorée est là pour servir à l’appui de ses dires.
L’homme séduit toute la famille et offre en toute fin une médaille de Saint Michel à Johanne.
Le voyage s’effectue de nuit, l’ambiance est sombre et froide.
Le lecteur avance au rythme de la chevauchée, ressent la peur qui tient la petite troupe devant les risques d’ennemis, de rencontres fâcheuses avec des bandes de voleurs, des passages de gué dangereux.
Un Lépreux
Des rencontres parfois favorable comme cette vieille charbonnière, ce lépreux ou cette jeune saltimbanque qui rappelle un roman précédent de Marc Graciano.
Plus surprenant encore le prieur d’une abbaye qui affirme que « c’étaient donc les hommes qui avaient créé Dieu et non l’inverse ».
Le récit n’épargne pas le lecteur, les horreurs de la guerre sont là qui parfois interrogent Johanne découvrant le lieu d’un massacre, mais le récit nous enchante par son rappel de la nature.
Ce sont de somptueux tableaux à la Breughel, de ceux qui montrent les paysages d’hiver avec son froid mordant, les granges incendiées, la glace qui fige les étangs.
Les Chasseurs dans la neige
Maintenant il est temps de parler de la langue de Marc Graciano.
Tout d’abord ce qui surprend, chacun des douze chapitres est une longue phrase.
Pas de dialogues, pas de points, pas de paragraphes.
Je vous vois déjà faire la grimace, et bien non cette langue nous charme, et ne nuit pas au récit.
Bien sûr il y a ici ou là quelques longues incises qui déstabilisent un peu mais bon, on revient un peu en arrière et hop on repart.
Dans un article autour de ce roman, le journaliste compare le travail de Marc Graciano à la volonté des musiciens baroques d’utiliser les instruments d’époque. Ici l’auteur utilise une langue qui contient moults termes inconnus du commun des lecteurs et jamais de mot n’existant pas au XV ème siècle !
Cette langue est riche et saturée de terme qui exige le recours au dictionnaire.
Des noms deviennent adjectifs, les adverbes sont parfois surprenants, et comme toujours des termes inconnus. (De livre en livre mon lexique s’enrichit) et bien entendu quelques subjonctifs imparfait.
Il y a un souffle romanesque rare, c’est foisonnant, le lecteur est transporté dans un temps à la sonorité magnifique.
Cela peut demander un rien d’effort mais l’on est largement payé de retour. Je me suis attachée à cette langue singulière avec son premier roman et j’y revient avec bonheur.
C’est une Jeanne d’Arc assez inattendue que livre l’auteur.
Vous pouvez retrouver ce livre dans l’émission Histoire de Patrick Boucheron sur France Inter.
Le Livre : Johanne - Marc Graciano - Editions du Tripode