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Rechercher : la petite lumière

  • La fin de l'homme rouge - Svetlana Alexievitch

    Quand vient le désenchantement

     

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    Lorsque les dictatures tombent dans les mois qui suivent se pose inévitablement le problème des responsabilités, parfois des poursuites judiciaires sont engagées, on recherche les bourreaux, on fait parler les victimes. Au Chili, en Argentine, en Afrique du Sud, le traitement de l’après fut différent mais partout il y eu une interrogation, une réflexion collective. 

    En Russie, après la chute du communisme et l’éclatement de l’URSS rien de tel. 

    Une journaliste Svetlana Alexievitch s’est penchée sur le ressenti des Russes (au sens large en incluant les pays de la CEI). Pour comprendre, pour en savoir plus elle a enquêté, elle a recueilli les mots, les témoignages, les questions de ses compatriotes. Elle a écouté leur colère, leurs regrets, leur honte, leur désarroi, leur angoisse. 

    Il a fallu les faire parler, les accoucher de leurs souvenirs. Ces récits  sont ahurissants, drôles, émouvants, incroyables, horribles et toujours d’une grande simplicité.

    Il lui a fallu faire le montage comme avec les séquences d’un film en cours de tournage, il a fallu choisir, mettre en perspective, balayer tous les genres, et surtout surtout ne pas trahir.

    Je me souviens de mon impression très forte à la lecture de deux livres, celui de Colin Thubron sur la Sibérie et celui de Terkel Studs  avec Hard Time extraordinaire livre sur la crise de 29. Dans les deux un travail d’interview et d’écoute avait eu lieu. 

    On est ici dans la même veine et c’est un livre passionnant et remarquable que signe Svetlana Alexeivitch. Elle devrait prochainement recevoir le Prix de la Paix des libraires allemands.

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    L'auteur

    Les récits balayent la période stalinienne, la guerre, l’après guerre, la Perestroïka et bien sûr aujourd’hui. Elle a interrogé des instituteurs, une musicienne, une architecte, un maréchal, un milicien, des hommes qui ont combattus en afghanistan.

     

    Le livre se compose de deux grandes séries de témoignages, chaque personne qui témoigne va au bout de sa pensée, l’auteur lui laisse le temps de trouver ses mots, de laisser remonter les souvenirs

    Ces gens lui ont accordé leur confiance, elle ne les a pas trahis, ils sont tous là : jeunes et vieux, bourreaux et victimes, Ukrainiens ou Russes, Tchétchènes ou Arméniens, pauvres ou nouveaux riches.

    L’auteur appelle cela un « romans de voix ». Romans oui car les événements de ces vies sont parfois difficiles à croire, on entend aussi bien des enfants de Koulaks, des enfants de déportés à la Kolyma, des communistes purs, durs et fiers de l’être, des hommes qui vivent encore les affres de la seconde guerre. Des victimes de Tchernobyl, des nouveaux riches ….

     

     

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                                 Tchernobyl

     

    Tout est passionnant mais il y a des moments très forts comme cette femme racontant comment son père revenu du Goulag garde toute sa foi dans le communisme, il était de ceux « qui avaient totalement adhéré à l’idéal, qui l’avaient si bien intégré qu’il était impossible de le leur arracher ».

    Ces femmes découvrant qui les a dénoncé, qui a envoyé leur père, leur mère, leur soeur au Goulag. Une femme se découvre dénoncée par celle à qui elle a confié sa fille pendant toutes ses années de camps, et cette femme fut une véritable mère pour l’enfant…..Comment sonder l’âme

    humaine ?

     

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    un symbole

    L’angoisse touche ses hommes et ses femmes devant une liberté toute neuve dont ils ne savent pas vraiment quoi faire. Ils en arrivent à souhaiter un homme fort «  On ne peut pas bâtir une grande Russie sans un grand Staline ! » Des regrets pour ce temps où un chef était là pour dicter la voie à suivre.

     

    C’est la vie quotidienne du peuple russe qui se dessine à travers tous ces récits, les plus anciens qui ont adulé Staline et qui lui voue  « un culte de Staline dans  un pays où Staline a exterminé au moins autant de gens que Hitler !! »

    La guerre et les camps sont encore très présents :

    « Ma génération a grandi avec des pères qui revenaient soit des camps, soit de la guerre. La seule chose dont ils pouvaient nous parler, c’était de la violence. »

    Pourtant aucun appel à la vengeance car « Pour juger Staline, il faut juger les gens de sa propre famille, des gens que l’on connaît. Ceux qui nous sont les plus proches. »

     

    L’époque était effrayante 

    « Une époque féroce. On bâtissait un pays fort. Et on l’a bâti. Et on a vaincu Hitler ! C’est ce que disait papa… » 

     

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    On comprend mieux en lisant ces témoignages que ce peuple ai résisté au delà de l’humain à Stalingrad.

     

    Pour quelques uns seulement il s’agit d’ « aller jusqu’au bout, obtenir un procès de Nuremberg pour le Parti communiste. »

     

    Le mécontentement, le désarroi est prégnant dans les récits mais aussi l’amour inconditionnel pour la Russie malgré tout « Aujourd’hui encore, cela me fait plaisir d’écrire “URSS”. C’était mon pays. », il y a toujours eu de l’espoir « Toute notre vie, on a cru qu’un jour, ça allait s’arranger. »

     

    Les livres qui ont pendant des années représenté une certaine résistance, car il fut un temps où « Les livres remplaçaient la vie… », les livres n’ont plus le même parfum « Le pays s’est couvert de banques » mais par contre « Les bibliothèques et les théâtres se sont vidés… Ils étaient remplacés par des bazars et des magasins » 

     

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    « L’iniquité de l’argent est inextirpable de l’âme russe”, a écrit Tsvétaïeva »

     

    La plus jeune génération regarde la course au profit et tente d’y prendre part sans illusions

    « Quand on allume la télé, tout le monde parle la langue des truands : les hommes politiques, les hommes d’affaires, et… le président. Graisser la patte, verser des pots-de-vin, des bakchichs… »

    Certes la vie a changé « Je vais à l’église maintenant, et je porte une petite croix » et on peut éprouver une certaine fierté « La peur du KGB avait disparu, et surtout, on avait mis un terme à la folie atomique… Et le monde nous en était reconnaissant. »

     

    Mais des voix discordantes se sont entendre « Je hais les Tchétchènes !» ou encore « La Russie aux Russes » et aussi « Moi, je leur casserais la gueule, à tous ces fumiers de démocrates ! On leur en a pas assez fait voir »

    La vie est plus libre mais aussi beaucoup plus précaire qu’autrefois.

    La vie est très difficile aujourd’hui, l’état n’est plus protecteur, les retraités ont des pensions de misère, les logements sont vétustes

     

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    Le Prince Albert II de Monaco et le nouveau président de l'AS Monaco, le Russe Dmitriy Rybolovlev,
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    et la télévision montre les nouveaux riches qui se paient des clubs de football. 

     

    Ce livre pourrait être d’une tristesse effroyable

    « Nous avons connu les camps, nous avons couvert la terre de nos cadavres pendant la guerre, nous avons ramassé du combustible atomique à mains nues à Tchernobyl. Et maintenant nous nous ­retrouvons sur les décombres du socialisme. Comme après la guerre... »

    Et bien non, certes il surprend, parfois on a un mouvement de recul, mais ce qui domine c’est un courage rare, une envie de vivre énorme, on sent vraiment battre le coeur de la Russie, pulser la vie, sans doute « La mystérieuse âme russe... »

     

    Un très grand livre à mettre dans votre bibliothèque si vous êtes amoureux de la Russie.

     

    Anne Brunswic dont j’ai beaucoup aimé le livre

  • L'obèle - Martine Mairal

    Une fille d'Alliance

     

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    Je me suis promenée chez Montaigne au début de l'été et voici un billet pour clore ma balade un livre que Rosa m'a soufflé

     

    Marie de Gournay est née quelques années avant que Montaigne ne se retire de la vie publique et n’écrive les premières pages de ses Essais.

    Bien que fille, elle réussit à obtenir de ses parents de faire des études, elle apprend le latin, le grec et les sciences et elle lit autant que faire se peut.

    Dix sept ans est le tournant de sa vie, l’âge auquel elle découvre les écrits de Montaigne

     

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    Le temps de la Saint Barthélémy

    « A dix-sept ans, j'entrais en érudition comme on entre en religion; la religion d'un livre qui les contient tous : les Essais de Michel, Seigneur de Montaigne ».

    Ce livre la comble totalement, il « parlait à mon esprit avec une limpidité et une force jamais éprouvées» dit-elle

     

     

    Aujourd’hui les lecteurs qui veulent rencontrer leur auteur favori se rendent au salon du Livre, à l’époque rien de tel, surtout pour une fille qui est déjà en délicatesse avec sa famille ayant systématiquement refusé tous les partis qu’on veut lui faire épouser. 

    Lorsqu'elle apprend que Montaigne est à Paris pour des raisons politiques, elle lui écrit une missive pour solliciter une entrevue et espère que Montaigne saura l'entendre

     

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                                Le Paris des guerres de religion

     

    «  Si je provisoire échapper, fût-ce une fois dans ma vie,à la mauvaise réputation que me veut ma féminine complexion » lui écrit-elle.

     

    Et le miracle se produit, l'auteur lui rend visite en sa demeure.

    « Au premier regard, il pénétra l'extraordinaire de cette rencontre, sut tout de moi, me saisit d'emblée différente, me décida son égale en esprit sinon en âge ... ».  

    Elle craint d'être déçue « Je tremblais d'angoisse, non de ne point lui plaire, mais bien qu'il ne me plût point.»

    Mais bien vite il la reconnaît comme une âme sœur :  « Rares sont les vrais lecteurs labourant à moissonner toute l'étendue du champ de la pensée » et l'amitié littéraire est immédiate.

    Cette amitié se poursuivit jusqu’à la mort de Montaigne.

     

    Il la fait sa fille d'alliance, ce qui sera souvent contesté par certains des amis de Montaigne car  «  Rares sont les femmes que leur noblesse, leur richesse ou leurs alliances tiennent quittes d'obéir au sort commun qui les veut niaises à douze ans, belles à quinze, mère à dix-sept, résignées à vingt, vieilles à vingt-cinq et dévotes à trente si elles ont survécu. »

     

    Marie apprenait son futur rôle d'éditrice. Il lui expliqua l'obèle :

     

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    « Voyez ce signe, Marie. Trois traits  y suffisent. Une barre verticale ferrée de deux traits brefs à chaque extrémité. Tant me plaît cette petite broche que les copistes alexandrins dénommaient obélos. J'ai fait mien ce signet de leurs hésitations sur l'authenticité de tel ou tel vers d'Homère. Il saura vous parler quand je me serai tu. Suivez-le à la trace. Il indique le point de bifurcation où enchâsser mon ajout dans mon texte ».

     

    Montaigne utilisait ces signes en permanence, ses Esssais se voyaient enrichir en permanence d’allongeails qu'il signalait d'un obèle.

     

    Marie de Gournay a tenu salon et aurait pu être académicienne, seul l’acharnement de quelqu’uns l’en empêchèrent, elle put ainsi consacrer sa vie à l’édition des Essais «  Sans la vigile fidélité de Pierre de Brach, sans la volonté de Françoise de Montaigne de faire respecter les vœux de son époux, j'eusse été écartée de l'histoire des Essais, notre amitié niée, sa langue épurée, censurée et ses papiers détournés »

    Elle fut à l’origine des éditions de 1595 et 1598 pour lesquelles elle demeura dans le manoir de Montaigne et travailla librement dans sa librairie car elle détenait la confiance de la femme et de la fille de Montaigne.

     

     

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    Le titre peut éloigner des lecteurs et ce serait dommage, mais il faut bien dire que Martine Mairal s’en donne à coeur joie avec les mots disparus de la langue française, obèle est de ceux là, ces mots même que l’Académie de l’époque voulait voir supprimer du dictionnaire au grand dam de Marie de Gournay.

    Martine Mairal croit à l’amitié amoureuse entre ces deux êtres « Il me fut Michel, je lui fus Marie. Le reste ne regarde que nous. » fait-elle dire à Marie de Gournay.

     

    Quand on sait que pendant des années, l’Université Française a fait la fine bouche à propos de Montaigne, ne lui reconnaissant pas le titre de philosophe, on s’étonne moins que ce roman magnifique soit passé quasi inaperçu à sa sortie.

    En ces temps de rentrée littéraire il est bon de se rappeler qu’il ne suffit pas d’être de paraitre à l'automne pour être un bon roman. 

     

    Merci à Rosa 

     

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    Le livre : L’Obèle - Martine Mairal - Editions Flammarion 

     

  • Les Chemins de Sata - Alan Booth

    Soleil levant du Cap Soya au Cap Sata


    Il y a plusieurs Japon, celui de Fukushima, celui de Hokusaï, celui de Shei Shonagon, celui des usines Sony, celui des geishas….

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                                                   ou celui d'Hiroshige

     

    Partir cinq mois à la découverte de ce pays c’est ce qu’a fait Alan Booth dans les années 80. Marié à une japonaise il veut en savoir plus sur ce pays, et maîtrisant bien la langue le voilà sac au dos, étirant un voyage du nord au sud du Cap Soya au Cap Sata

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    Accompagnons le sur les chemins d’un Japon méconnu et insolite d dans son parcours à travers les paysages, la littérature, les villes et les villages. 

    Voyageant du Nord au sud il part en juin 

     

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                                     Le point de départ


    « quand a saison des pluies battait son plein. Mais Hokkaido, la plus septentrionale des quatre grandes îles japonaises, étouffait sous une vague de chaleur... C'est sans le moindre enthousiasme que les habitants du cap Soya s'aventuraient sous le soleil brûlant...  »


    Mais très vite la pluie va lui tenir compagnie, pluie chaude de l’été, pluie d’automne parfois glaciale lui faisant bénir les abris bus qu’il rencontre. 

    En bon anglais Alan Booth ajoute des notes humoristiques aux incidents et rencontres quotidiennes ainsi les réveils tonitruants offerts dans les villages 

     

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    « les communautés rurales japonaises ont des moyens efficaces pour vous signaler que vous avez suffisamment dormi. Ce sont des sirènes dont le vacarme vous tire de votre fut on dès la pointe du jour »

     

    La mise en jambe est difficile et  les haltes de midi au noodle shop sont bienvenues et l’occasion de siroter une bière, boisson magique qui incite aux échanges avec les voisins de table.

     

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                                  La halte de midi 


    Comme dans toutes les randonnées l’itinéraire est le souci de chaque minute, l’auteur nous apporte quelques éclairages sur les contrées traversées

    « l’île d’Hokkaido n’a été rattachée au continent japonais que relativement récemment.(…) Encore aujourd’hui elle est considérée comme atypique, de par son climat, ses bancs de glace, la rareté de ses cerisiers »  mais aussi sur les inévitables détours et contours 

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    « Le sentier le long du lac que je m’apprêtais à suivre devait être une invention des cartographes. Au moins deux personnes que j’interrogeai jurèrent qu’il n’avait jamais existé. »

     

    Là ou Booth se révèle excellent c’est sur l’oeil mi-sérieux mi-amusé qu’il porte sur les japonais rencontrés. Les rencontres donnent lieu à des échanges ahurissants entre un anglais qui maîtrise le japonais et un japonais qui s’acharne à lui répondre en anglais car il est impossible qu’un gaijin  parle sa langue ! 

    Des écolières au paysan, du pêcheur aux vieillards, du lutteur de Sumo au calligraphe lettré, c’est un monde qui se dévoile au long des 3000 km parcourus d’île en île : Hokkaïdo, Honshu, Shikoku, Kyushu.


    Etrange pays où les séismes donnent lieu à des proverbes

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    «  Selon un vieux proverbes japonais il y a quatre chose vraiment terrifiantes au monde : les tremblements de terre, le tonnerre, les incendies et les papas  »


    mais aussi aux sources thermales bienfaisantes

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     « Un jour j’écrirai un ouvrage sur les sources thermales. Avec la bière et les têtes dans l’océan, elles me procurèrent les seules grands plaisirs corporels de cette folle équipée »

    La nourriture et les haltes du soir rythment les journées, la recherche d’un ryokan (auberge) ou d’un minshuku (chambre d’hôte) réserve bien des surprises, ryokan fermés, hôteliers bougons

     

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                          un ryokan au bout de la journée


    mais aussi accueil sans pareil avec le bain du soir

     

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    « Un bain japonais n’est pas fait pour se laver. On se lave avant d’entrer dans le bain, de manière à être dégagé de toute obligation autre que le plaisir de s’immerger, se sentir revivre, bavarder avec les voisins, somnoler, fredonner, ou écouter tomber la pluie du soir »


    Le bain rituel est l’occasion d’entrevoir un Japon surprenant « c'était un vrai plaisir d'observer ces vieilles dames dont la poitrine tombait jusqu'à la ceinture frotter le dos de leurs maris en gloussant comme des écolières »

    Ajoutez une bière, un saké et c’est le repos du guerrier chaussé de geta et enroulé dans un yukata le kimono que l’on vous offre au sortir du bain. Adieu fatigue, froid, découragement !

    Mais le matin venu retour aux choses plus difficiles « tofu, riz gluant et prune séchée  » en guise de petit déjeuner.

     

    Ces cinq mois de voyage passent en un clin d’oeil. Le récit est très vivant, souvent drôle, parfois surprenant et d’une grande émotion lorsque à Hiroshima il est pris à parti par un homme le prenant pour un américain.

     

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     « J’ai observé le soleil automnal embraser les feuilles des arbres d’Hiroshima. C’est dans ce même ciel sans nuage que la bombe a été larguée - plus aveuglante encore que mille soleils, disent les gens qui l’ont vue.(…) L’humanité n’avait jamais connu au cours de son histoire pareille pluie ni pareils soleils. »

     

    Voici le bout du voyage et la pointe du Cap Sata


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    Je ne peux m’empêcher de vous livrer une des dernières anecdotes du livre car elle résume la sensation éprouvé par notre marcheur tout au long du périple.


    «  Je m'étais mis à discuter avec un vieil homme. Lorsqu'il me demanda où je vivais, je lui répondis que j'habitais Tokyo.

    - Tokyo, ce n'est pas le Japon, me dit-il. On ne peut pas comprendre le Japon lorsqu'on habite Tokyo.

    - Non, acquiesçai-je, c'est pourquoi je désire voir comment on vit ailleurs.

    - On ne peut pas comprendre le Japon d'un simple coup d'oeil.

    - Non, il ne s'agit pas seulement d'observer, comme un touriste pourrait le faire depuis la vitre d'un bus, mais de traverser le Japon à pied.

    - On ne peut pas comprendre le Japon en le traversant à pied.

    - Pas seulement ça, mais aussi parler à tous les gens que je rencontrerai.

    - On ne peut pas comprendre le Japon en parlant aux gens.

    - Alors comment voulez-vous que je comprenne le japon ?

    - On ne

  • Le Refuge - Terry Tempest Williams

     Emotions et sentiments 

     

    Douleur et beauté de la vie car « Tout ce que nous avons, c’est l’instant présent »

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      Bruant des neiges

    Les oiseaux ont « le pouvoir de dénouer les fils de mon chagrin. »

     

    J'ai choisi ce livre d’abord pour les oiseaux. L’auteur est une femme passionnée d’ornithologie qui passe ses journées à observer, cataloguer, photographier, surveiller les oiseaux d’une réserve d’un des lacs les plus extraordinaire de la planète : le Grand Lac salé

     

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                                                              Le Grand Lac salé 
     

    « Marcher le long de la ligne d’algues du Grand Lac salé après une tempête n’a rien à voir avec une promenade au bord de la mer. Il n’y a pas de coquillages, pas de varech qui craque sous les pas, ni de crabes. Ce qui reste c’est une histoire délavée de plumes, d’os, d’oiseaux encroûtés de sel. »

     

    Elle scrute jour après jour le niveau du lac car le bel équilibre de la réserve menace d’être à jamais détruit par la montée des eaux. Les oiseaux risquent de fuir ou de disparaître faute de trouver de quoi se nourrir et de se reproduire.Si leur habitat est détruit, ils vont être les victimes de cette montée des eaux.

    nous sommes dans l’Utah en 1983.

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                                                            Une avocette 

     

    Terry Tempest Williams tient une sorte de journal ornithologique et météorologique. Elle nous fait admirer toutes les espèces qui peuplent la réserve, pluviers, avocette, courlis, bruants des neiges, phalarope de Wilson, fuligule à tête rouge.

    Au fil des chapitres qui porte chacun le nom d’une espèce, et dans le même temps elle annonce la hauteur des eaux, leur montée inéluctable.

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                      Refuge de Bear River © By Steve Shames

     

    Son travail et les oiseaux l’aide à  apaiser son inquiétude « C’est peut-être l’étendue du ciel en haut et l’étendue d’eau en bas qui apaisent mon âme. » car la vie professionnelle ne nous définit pas entièrement et Terry Tempest Williams qui lutte pour la survie d’un écosystème, se bat aussi aux côtés de sa mère atteinte pour la seconde fois d’un cancer. 

    La mère de Terry est le neuvième membre de la famille à être atteint, les essais nucléaires du Nevada qui ont été poursuivis jusqu’en 1992 font des dégâts longtemps après leur arrêt. 

    Diane est atteinte d’un cancer des ovaires, elle se bat depuis 15 ans contre une maladie apportée par le vent qui souffle au dessus des déserts. 

    La famille appartient à la communauté mormonne, attachée aux valeurs et traditions familiales sans être corsetée par elles. 

    Les rapports mère fille sont chaleureux même si l’une défend la gente ailée alors que l’autre la déteste ! La mère de Terry fut traumatisée par Tippi Hedren et le méchant Alfred. 

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      Un lieu en danger 

     

    Ce double combat est douloureux, difficile, la scientifique comme la fille, se sentent pleines de rage. Militante énergique et en colère car dit-elle en cent ans « La Californie a perdu 95 % de ses marécages. L’Utah vient d’en perdre 80 % en deux ans. »  

    Elle suit la progression de la maladie chez sa mère, sans pour autant renoncer aux petits plaisirs du quotidien, ceux qui aident au combat pour la vie et donne à ce récit une lumineuse beauté. 

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    Un bon et beau récit, plein de douleur, d’amour, de compassion mais aussi d’impuissance devant la colère de la nature, devant la maladie. Un livre plein de larmes qui peuvent être un soulagement à une condition dit la grand-mère de Terry « Seulement quand on sait que ces larmes ont une fin » 

    Un livre à double entrée, un auteur qui est un guide que l’on a envie de suivre sur les chemins de Bear River. N’oubliez pas vos jumelles 

     

    L'avis de Wallace Stegner  

    Ce qui est extraordinaire dans Refuge, c’est que Terry Tempest Williams est trop pleine de vitalité elle-même, trop fascinée par toutes les manifestations de la vie pour écrire un livre sombre. Il n’est pas une page dans Refuge qui ne bruisse de battements d’ailes

     

    Le livre : Refuge - Terry Tempest Williams - Editions Gallmeister -2012

     

    L'auteurTerry Tempest Williams est née en 1955 dans le Nevada et a grandi dans l’Utah. Naturaliste et activiste engagée dans la défense des

    TerryTempest_418w.jpgdroits des femmes, son combat pour la préservation de l’environnement l’amène à témoigner devant le Congrès à plusieurs reprises. Elle y dénonce les effets des essais nucléaires réalisés dans le désert du Nevada et qui sont alors minorés par le gouvernement. Auteur de nombreux récits, essais et poèmes, elle est aujourd’hui une voix incontournable de l’Ouest américain.(source l'éditeur)

     

     

  • Citrons acides - Lawrence Durrell

    Les Amoureux de la Grèce : Lawrence Durrell

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     www.martin-liebermann.de

    "Les ruines du monastère de Bellapaix comptaient parmi les vestiges gothiques les plus remarquables du Levant "

     

    C’est une année anniversaire pour Lawrence Durrell né en 1912. Ce diplomate romancier m’a toujours plu, découvert en lien avec la lecture d’Henry Miller avec qui il fut ami, c’est son amour pour la Grèce, Chypre et Alexandrie qui fait de lui l’écrivain de la Méditerranée, des îles, du soleil. 

    Occupant des emplois variés, attaché de presse à Athènes, employé par le Foreign Office, les années cinquante le trouve à Chypre, il tirera de son séjour Citrons Acides  

     

    Un peu d’histoire pour comprendre 

    Chypre après beaucoup d’autres envahisseurs, était « occupée » par les anglais depuis 1878 ! 

    Le Royaume-Uni avait promis le rattachement de Chypre à la Grèce si celle-ci combattait aux côtés des alliés lors de la Première Guerre, les grecs refusent et en 1953 Chypre est toujours sous domination britannique.

    Un mouvement nationaliste naît et l’île sera après des mois de tergiversations des anglais, plongée dans le chaos et la violence.

    Au lieu du rattachement prévu à la Grèce, c’est l’indépendance qui sera proclamée en 1960 avec un très fragile équilibre entre les communautés turques et grecques, puis la partition et pour finir l’entrée dans la Communauté Européenne.

    Citrons acides est donc un livre présentant deux facettes de Chypre, une ensoleillée et idyllique et une seconde plus sombre et entâchée par la violence.

     

    Commençons par le versant ensoleillé. 

    Lawrence Durrell à son arrivée à Chypre cherche à se loger, il fait très vite connaissance avec l’instituteur, l’épicier, les pêcheurs avec qui il passe nombre de soirée, vidant des gobelets de vin parfumé.

    Il a l’intention d’accueillir sa famille et ses amis et il se met en quête d’une maison à un prix raisonnable et pas trop loin de Nicosie où il doit travailler comme prof d’anglais.

    Et le bonheur du lecteur commence, cette chronique au quotidien de la vie de l'île, la magnificence de la nature, la beauté des paysages millénaires, la chaleur amicale des habitants, tout est superbe.

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    « Dehors, le soleil de printemps brillait sur les arbres gonflés de mandarines ; un petit vent frais chargé du parfum des neiges du Taurus agitait doucement la cime des palmiers »

     

    Je vous laisse la joie de la découverte des tractations immobilières avec un turc madré et une propriétaire qui se cabre, à elles seules elles valent la lecture de ce livre. 

    Durrell choisit de vivre dans le village de Bellapais par lui baptisé dans le livre Bellapaix pour exorciser la violence.

    « L’atmosphère du village était absolument ensorcelante (...) Partout des roses, et les pâles nuages de fleurs d’amandier et de pêcher »

    La visite de la maison lui ôte toute raison :

     

     

    « Le jardin avait quelques mètres carrés, mais il était planté d’arbres (...) six mandariniers, quatre citronniers, deux grenadiers, deux mûriers et un grand noyer au tronc penché  »

    La période des travaux venue gare à celui qui s’assoit sous l’arbre de la paresse

    « Ce fut bientôt la lente procession des mules montant leurs charges de briques et de sacs de ciment par les ruelles tortueuses du village »

     

    Enfin la maison est prête à recevoir son frère, l’étonnant naturaliste Gerald Durrell qu’il a tenté de faire mourir à la bataille des Thermopyles (je vous laisse le plaisir de l’anecdote savoureuse) mais qu’il sait ressusciter fort à propos

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    les amis :  Freya Stark et surtout Paddy le magnifique.

    « Le voilà un bras sur l’épaule de Michaelis qui lui a indiqué le chemin » Patrick Leigh Fermor connaisseur hors pair des chants grecs envoûtants qu'il entonne pour la joie de tout le village

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    Patrick Leigh Fermor © Ulf Andersen/Getty Images

     

     « Je vois qu’un attroupement s’est formé devant la maison, ils sont quinze ou vingt qui écoutent dans la nuit et dans le plus parfait silence »

     

    Je ne sais pas ce qui l’emporte du comique des situations, de l’évocation des lieux chargés d’histoire, de la description des paysages qui vibrent sous le soleil ou des personnages si hauts en couleur.

     

    Si l’on vient au versant sombre, sès son arrivée il est frappé par les inscriptions « Enosis seulement » et assez vite les habitants lui confient « Nous ne voulons pas chasser les Anglais, nous voulons qu’ils restent mais en amis et non en maîtres »

     

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    Les troupes anglaises à Chypre en 1958

     

    Lawrence Durrell n’approuve pas la violence et ne se range pas aux côtés des Chypriotes mais condamne les tergiversations anglaises qui ne font qu’attiser la situation. Un lent processus de rancune et d’exaspération dit-il qui finira par lui faire quitter Chypre. 

     

    Une belle façon de faire connaissance avec cet écrivain.

     

    Pour connaitre mieux Chypre rendez vous chez Miriam 

     

     

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     Le livre : Citrons Acides - Lawrence Durrell - Editions Buchet Chastel  1994 ou  Phébus libretto 2012

  • En la forêt de longue attente - Hella Haasse

    En remontant les siècles : an 1394...

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    Après un concile vengeur, une reine au pied trop grand, voici le prince poète.
    Comme pour la troisième fois je vous embarque dans un roman historique il est juste que je vous donne un coup de pouce. Je vais jouer le Petit Mourre

    La méchante Isabeau de Bavière qui livre la France aux anglais, les Armagnacs et les Bourguigons, Azincourt et Henry V et bien entendu la Pucelle d’Orléans...Vous y êtes ? mais si ...cent ans...la fameuse guerre ....Ah je vois votre oeil s’éclairer, suivez moi.

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                                             Isabeau entrant dans Paris parJean Fouquet

    1394 le XV ème siècle va s’ouvrir. c’est la date de naissance de Charles d’Orléans prince des poètes et roi de la mélancolie. Vous me direz que vient-il faire ici ? Et bien sa vie est totalement liée à cette fameuse guerre de cent ans.

    Par son père d’abord Louis d’Orléans, poète lui même, grand séducteur devant l’éternel et soucieux du bon état du royaume de France qui est hélas aux mains de son frère Charles VI atteint de démence, c’est de fait sa femme qui gouverne la fameuse Isabeau dont Louis fera sa maîtresse pour le bien du royaume bien entendu.

    Vous l’avez compris ce n’est pas l’enfance de tout le monde. Heureusement pour Charles d’Orléans sa mère Valentine Visconti, l’aime et le soutient, avec elle il explore le monde de la musique, des livres et des poètes.

    Cette mère toute d’amour est pourtant accusée de vouloir la mort du roi et est donc renvoyée sur ses terres loin de la cour. Lorsqu’elle meurt Charles a douze ans et le voilà propulsé à la tête de la famille d’Orléans.

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    Il partage ses jeux avec son demi frère Dunois, un rien bâtard mais promis à un bel avenir comme compagnon d’armes de Jeanne d’Arc !
    On lui trouve une épouse, elle a déjà un long parcours puisque mariée au roi d’Angleterre, Isabelle est aujourd’hui une toute jeune veuve et mourra très jeune en donnant à Charles une fille.


    Une époque difficile toute de combats perdus, de serments non tenus, de traîtrise. Les temps où la noblesse française ne luttait pas pour le bien du royaume mais pour augmenter ses possessions, enrichir ses domaines !
    Que peut faire dans ce milieu un jeune homme épris de poésie, de douceur et de calme ? Qui rêve de troubadours et de trouvères et qui doit prendre les armes contre son gré ?
    Il erre dans cette « Forêt de longue attente » qu’en son temps son père déjà avait arpentée. Un lieu imaginaire qui le tient à l’abri de la violence, des guerres civiles et de la mort.
    Mais l’histoire le rattrape et lors de la bataille d’Azincourt il est fait prisonnier. Prisonnier il le restera 25 ans ! otage attendant le paiement d’un rançon que personne n’est pressé de payer.

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    Henry V à Azincourt (Lawrence Olivier)

    Pendant toutes ces années la poésie sera sa fidèle compagne. « En regardant vers le pays de France »  une poésie qui porte le souvenir de ce prince jusqu’à aujourd’hui, une oeuvre véritable née dans les geôles anglaises.

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    La tour de Londres - British Muséum

    Si vous voulez cheminer aux côtés de ce prince poète suivez Hella Haasse, elle restitue à merveille la dureté de l’époque. Elle retrace avec un talent fou la vie de ce prince né à Amboise et mort à Blois qui dut se dépouiller de tous ses biens pour retrouver la liberté.
    Qui fut toujours du côté des plus humbles, qui croisa François Villon et ses « frères humains » et qui arpente encore cette forêt de longue attente.

    Un grand roman historique, magnifiquement écrit et traduit, un roman riche et ample qui prendra place dans votre bibliothèque.

    L'avis de ClaudiaLucia et son billet où vous trouverez une galerie de portraits

    Le livre :  En la forêt de longue attente - Hella S. Haasse - Traduit du néerlandais par Anne Marie de Both -Diez -  Editions du Seuil 1991 ou Points Seuil
    Les poèmes de Charles d’Orléans Gallimard Poésie


    Quelques poèmes de Charles d’Orléans

    En la forêt de Longue Attente
    Chevauchant par divers sentiers
    M'en vais, cette année présente,
    Au voyage de Desiriers.
    Devant sont allés mes fourriers
    Pour appareiller mon logis
    En la cité de Destinée ;
    Et pour mon coeur et moi ont pris
    L'hôtellerie de Pensée.

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    Les très riches heures du Duc de Berry



        Le temps a laissé son manteau
        De vent, de froidure et de pluie
        Et s'est vêtu de broderie,
        De soleil luisant, clair et beau.

        Il n'y a bête ni oiseau,
        Qu'en son jargon ne chante ou crie:
        "Le temps a laissé son manteau!"
        De vent, de froidure et de pluie

        Rivière, fontaine et ruisseau
        Portent en livrée jolie,
        Gouttes d'argent, d'orfèvrerie,
        Chacun s'habille de nouveau
        Le temps a laissé son manteau.