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Hard Times - Studs Terkel

hardtimes.gifHard Times Histoires orales de la Grande Dépression - Studs Terkel - Traduit par Christophe Jaquet - Editions Amsterdam
Avez-vous vu le film  On achève bien les chevaux non ? Alors peut-être avez vous lu Les Raisins de la colère parce qu’alors vous avez eu un bref aperçu de la Grande Dépression, le nom donné à cette période qui aux Etats-Unis (et ailleurs) celle au cours de laquelle des petits fermiers furent ruinés, des ouvriers se retrouvèrent au chômage, des directeurs de banque se jetèrent par la fenêtre pour échapper à la faillite.....
C’est cela dont il est question dans ce livre mais ici pas de statistiques pas de thèse de sociologue, ce que l’auteur a souhaité c’est  comprendre l’expérience des gens ordinaires, écouter les témoins, les survivants ou leurs enfants.

L’auteur Studs Terkel a interviewé, fait parlé, écouté, des dizaines d’américains à travers tous les états sur la période la plus noire de son pays après la guerre de Sécession. IL a regroupé ces témoignages en quelques chapitres évocateurs comme : Faire du fric,  le voyage à la dure, le fermier c’est l’homme, Expulsions et humiliations par exemple.
C’est la parole libre de ces gens ordinaires qui rend toute la complexité du phénomène et dessine une vaste fresque où se lisent les retentissements de cette crise sur les individus, la société de l’époque et des années qui ont suivi.

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©Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art

Tous n’ont pas été affecté de la même façon par la crise, certains même en ont tiré profit, mais pour la plupart les cicatrices sont encore visibles au moment où Terkel les rencontre.
Dans ce kaléidoscope certaines images sont plus fortes, plus marquantes que les autres. Comme lors de toutes les périodes troubles le pire côtoie le meilleur, les gestes de solidarité voisinent avec la répression brutale des marches contre la faim, la fraternité contre les coups des milices privées.
Studs Terkel donne la parole à tous en un vaste panorama de l’Amérique de l’époque.

Fermiers jetés sur les routes  "Je me souviens que plusieurs familles avaient dû partir dans des fourgons, pour la Californie, je crois" Travailleurs sociaux comme John Beecher qui au lieu de continuer sa thèse sur la misère au temps de Dickens a décidé de savoir ce qui se passait réellement et qui devient travailleur social puis administrateur du New Deal.

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Les Raisins de la colère

Chômeur comme Slim Collier " En 1939, je suis devenu saisonnier itinérant. j’ai trouvé un boulot de coupeur d’asperges, à 15cents d’ l’heure, il fallait faire aussi vite que tu pouvais. Je me souviens que le dos me faisait mal parce qu’on travaillait accroupi, et que le patron gueulait Vous voyez ces types là-bas ? ils attendent que l’un de vous se fasse virer."

Mineurs qui se voie brutalement privé d’emploi « Les mines ont fermé, les gens n’avaient plus rien pour vivre. Les enfants à l’école, s’évanouissaient de faim. Bien avant l’effondrement de la Bourse. »
Pour certain la crise a été brutale, pour d’autre elle couvait " Dans cette ville ensoleillée, la Dépression est venue imperceptiblement. J’en ai pris conscience quand tante Lila a dit qu’il n’y avait plu rien à manger dans la maison."

Ceux qui cherchent à survivre un jour de plus, trouver de quoi nourrir ses enfants même si c’est à coup de tartines de moutarde, un médecin raconte " Dans les rues et dans les tramways, les gens crevaient de faim. (...) Chaque jour quelqu’un s’évanouissait dans un tramway.(...) C’était toujours la même chose, on savait ce qu’il avait. C’était la faim." Ceux qui se lancent dans des marathons de la danse pour gagner quelques sous

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On achève bien les chevaux - Sidney Pollack - Jane Fonda

Ceux qui souffrent depuis toujours  " Les Nègres, ils n’ont jamais rien connu d’autre que la crise. Ça ne veut pas dire grand-chose pour nous, la Grande Dépression américaine, comme vous dites. Ça n’a jamais existé. Le mieux qu’un Nègre pouvait espérer, c’est d’être portier, cireur de chaussures, gardien. La crise est devenue officielle seulement quand elle touché les Blancs." mais pour qui la crise va servir de révélateur " Je pensais que c’était normal qu’un nègre se fasse taper dessus et qu’on n’avait qu’à accepter tout ce que faisaient les Blancs. Je ne savais pas qu’un Nègre avait le droit d’être libre comme tout le monde. "

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Photo Dorotea Lange - Archives de la Farm Security Administration

Tout le monde est touché des étudiants sont empêchés d’étudier " J’ai fait l’erreur de dire au contremaître que je m’étais inscrit aux cours du soir (...) Il a dit M Ford ne paie pas les gens pour qu’ils aillent à la fac, vous êtes viré. »
Les gens se retrouve à la rue " J’ai vu non pas des centaines mais des milliers d’hommes emmitouflés dans leurs pardessus, couchés à même le trottoir."
Pour trouver du travail tout est bon, les hommes voyagent cachés dans des wagons, il faut mettre sa fierté dans la poche et prendre la soupe de l’Armée du Salut, échapper aux milices ferroviaires, tenir la grève un jour de plus " La grève de 1931 a porté sur les lectures à l’usine. Les ouvriers payaient de 25 à 50 cents la semaine pour qu’un gars leur fasse la lecture pendant le travail.(...) Ainsi de nombreux ouvriers, qui étaient illettrés, connaissaient les romans de Zola, de Dickens, de Cervantès et de Tolstoï.(...) La grève a été perdue. Les lecteurs ne sont jamais revenus."

La solidarité joue parfois  "C’était l’époque où la saisie des fermes arrivait chez nous. (...) Il prenaient la propriété d’un fermier, la mettait aux enchères, tout le voisinage venait. Ils se disaient qu’ils achèteraient bien un cheval 25 cents. Ils payaient 10 cents pour une charrue. Et quand tout était fini, ils rendaient tout au fermier." mais pas toujours car la faim, la misère font accepter l’inacceptable " On travaillait seize heures par jour, dix sept. Le patron disait de nettoyer. Si on ne nettoyait pas, le lendemain il y avait un autre gars dans la mine pour nettoyer." l’homme est ravalé au rang de bête " Ils lui ont dit qu’une mule valait plus qu’un homme. Ils devaient payer 50 dollars pour une mule, alors qu’ils pouvaient avoir un homme pour rien."

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Photo Dorothea Lange - Archives de la Farm Security Administration

Quelques uns tireront partie de cette crise, des malins, des chanceux " J’ai inventé ce truc qui est devenu casse-pieds pour beaucoup de gens. Je prenais des photos des gens à la mode et je les envoyais aux journaux." Dans certains secteurs la crise était même une bénédiction, la dépression dans les milieux du cinéma "On appelle ça l’Age d’or".
Des personnalités se font jour , certaines contestées et parfois contestables : Huey Long par exemple dont le fils chante les mérites mais qui fut un politicien très peu scrupuleux. Roosevelt est porté aux nues par certains et promis à l’enfer pour d’autres.

On voudrait tout citer. Ces entretiens faits par Studs Terkel sont bouleversants, à la fois crus et pudiques et d’une grande sincérité. Un travail passionnant et extraordinaire par son ampleur. Un cahier de photographies de Dorothea Lange vient compléter les textes.


Faites une place à ce livre dans votre bibliothèque, dans la mienne il sera à côté de « Histoire populaire des Etats Unis » d’Howard Zinn.

Interview d’André Schiffrin éditeur et ami de Studs Terkel

L’auteur
terkel-studs-01.jpgLouis « Studs » Terkel (1912-2008) s’est rendu célèbre aux États-Unis comme journaliste de radio et comme auteur de nombreux recueils d’entretiens, tous publiés par l’éditeur André Schiffrin, qui constituent autant d’histoires orales des États-Unis. C’est l’une des grandes figures de la gauche radicale américaine au XXe siècle. Trois de ses ouvrages ont été traduits en français : Working. Histoires orales du travail aux États-Unis ; « La Bonne Guerre ». Histoires orales de la seconde guerre mondiale: Prix Pulitzer 1984 (Source l’éditeur )


Commentaires

  • Je crois que c'est le livre dont j'ai entendu parler il y a quelques mois et dont j'ai noté le titre je ne sais plus où :/

    Je trouve la démarche, le point de vue très intéressant... je pense le feuilleter dans un premier temps dès que possible!

  • @ Sabbio : Effectivement la démarche est vraiment particulière, donner la parole aux témoins, Terkel l'a fait pour d'autres sujets et j'ai hâte de lire celui sur la guerre

  • J'ai vu "on achève bien les chevaux" et j'ai lu "les raisins de la colère". J'ai repéré le livre dont tu parles aujourd'hui, je le surligne. Je crois que l'on a du mal à s'imaginer ce qui s'est passé à cette époque là pour tant de gens et c'est toujours bon de s'en souvenir.

  • @ Aifelle : Tous les témoignages n'ont pas la même force, mais ceux qui sont plus bénins donnent aussi une preuve que la crise n'a pas touché tous les américains de façon identique , c'est un livre exigeant car c'est au lecteur finalement de tirer ses conclusions mais quelle diversité et quelle richesse

  • Un très beau billet avec de magnifiques illustrations! Ayant fait des études d'économie, j'ai étudié cette crise en long et en large mais je serais curieuse de connaitre le côté humain, vécu, laissé de côté durant mes cours. En plus, s'il y a un cahier de photos de Dorothea Lange, je ne vais pas pouvoir résister.

  • @ Zarline : je suppose qu'il existe de nombreux livres sur le sujet d'économistes histoiriens sociologues et je trouve ici un complément magnifiquement humain

  • J'ai de suite reconnu la photo! (la 1ère...)
    Et cela m'a renvoyée à James Agee...
    En 1936, accompagné du photographe Walker Evans justement, ce jeune journaliste poète partagera l'existence de plusieurs familles de métayers en Alabama, après la Grande Dépression. Il racontera cette expérience, dans des conditions de pauvreté extrême, dans un ouvrage (qu'on n'oublie pas! ainsi que les photos... la preuve!) :
    "Louons maintenant les grands hommes"
    En écho à ce "Hard times"... ;-)

  • @ Macile : heureuse que vous parliez de James Agee trop peu connu en france, c'est à cause de lui que le livre de Terkel m'a interpellé et les fameuses photos de Evans ne peuvent jamais s'oublier
    je me souviens le coup de poing reçu à la lecture de "louons maintenant les grands hommes" mon exemplaire est tout ratatiné et tout décollé mais je le garde précieusement

  • Mazet, quel billet ! Et quelle émotion ! Les photos sont vraiment bouleversantes, surtout celle de cette femme et de ses deux enfants. L'homme est considéré comme du bétail...
    Un livre à noter et à lire.

  • @ L'or des chambres : bien entendu tous les témoignages ne sont pas de la même veine , mais ils sont tous intéressants et finissent par réaliser une fresque immense

  • J'ai un petit "Photopoche" intitulé "Amérique les années noires" contenant des photos de cette période, dont celles de Dorothea Lange... De très belles photos pour une période très sombre...

  • @ Kathel : les photos du livre de Terkel sont de Dorothea Lange mais j'ai mis aussi des photos de Walker Evans qui sont elles aussi très fortes

  • Merci pour ce beau billet un livre parmi tant d'autres très intéressant ! Ce livre je le note moi qui ai vu "on achève bien les chevaux" et a lu "les raisins de la colère". Enfin tout m'intéresse ainsi que les photos.

  • Magnifique et émouvant billet Dominique. Quel immense - et si utile travail réalisé par Terkel. Cette façon de voir l'Histoire, à travers les témoignages des gens, devrait être bien plus répandue...ce serait tellement intéressant.

  • @ Colo : oui une expérience très originale et riche et il parait d'après les critiques que le même travail sur la guerre est remarquable

  • Magnifique livre, que j'avais feuilleté à la bibli, pas trop de temps. mais ça vaut le coup bien sûr, de le découvrir!
    Même Maya Angelou évoquait cette période dans son premier volume de souvenirs je crois?

  • @ Keisha : un lien un peu obligé pour les américains, nous avons le Front populaire ou la révolution et eux la grande dépression

  • Ce livre m'intéresse fortement! J'ai lu "On achève bien les chevaux", "Les raisins de la colère" m'attends...
    Cette période de l'histoire américaine m'intéresse beaucoup...
    Merci de cette belle découverte!

  • Ton blog donne vraiment envie de lire les livres je vais garder cette référence dans un coin de ma mémoire. mais en ce moment je fuis les livres tristes. Il y a des moments comme ça
    Luocine

  • Comment ai-je fait pour passer à côté de ce document sur une des périodes qui me passionne le plus aux États-Unis ?! Surtout que je ne l'ai même pas vu dans les librairies que je fréquente ... Avec un tel sujet, je l'aurais volé immédiatement, surtout agrémenté des photos de Dorothea Lange ! Je note la référence, parce que - celui-là - il me le faut absolument. C'est un livre témoignage d'une grande importance pour qui veut comprendre la suite des événements. Cette période a bouleversé l'ordre des choses et précipité certains événements dans le monde !

  • @ Nanne : un document irremplaçable en effet, si j'ai bien compris Terkel a collecté les témoignages pendant plusieurs années, c'est le reflet fidèle d'une époque et du vécu des gens , je n'ai plus qu'une envie c'est lire celui sur la guerre

  • Ton billet est magnifique et me donne vraiment envie de trouver ce livre d'abord pour m'y plonger ensuite! Mais où trouver le temps?

  • @ Mango : Oui je sais beaucoup de tentations et pas assez de temps

  • J'ai vérifié, c'est en effet le livre que j'avais repéré dans "Télérama" l'an dernier...

  • Toujours pas lu Les raisins de la colère... la honte ! Je l'ai mis à l'honneur cette année pour le challenge Yes we can...

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