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L'obèle - Martine Mairal

Une fille d'Alliance

 

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Je me suis promenée chez Montaigne au début de l'été et voici un billet pour clore ma balade un livre que Rosa m'a soufflé

 

Marie de Gournay est née quelques années avant que Montaigne ne se retire de la vie publique et n’écrive les premières pages de ses Essais.

Bien que fille, elle réussit à obtenir de ses parents de faire des études, elle apprend le latin, le grec et les sciences et elle lit autant que faire se peut.

Dix sept ans est le tournant de sa vie, l’âge auquel elle découvre les écrits de Montaigne

 

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Le temps de la Saint Barthélémy

« A dix-sept ans, j'entrais en érudition comme on entre en religion; la religion d'un livre qui les contient tous : les Essais de Michel, Seigneur de Montaigne ».

Ce livre la comble totalement, il « parlait à mon esprit avec une limpidité et une force jamais éprouvées» dit-elle

 

 

Aujourd’hui les lecteurs qui veulent rencontrer leur auteur favori se rendent au salon du Livre, à l’époque rien de tel, surtout pour une fille qui est déjà en délicatesse avec sa famille ayant systématiquement refusé tous les partis qu’on veut lui faire épouser. 

Lorsqu'elle apprend que Montaigne est à Paris pour des raisons politiques, elle lui écrit une missive pour solliciter une entrevue et espère que Montaigne saura l'entendre

 

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                            Le Paris des guerres de religion

 

«  Si je provisoire échapper, fût-ce une fois dans ma vie,à la mauvaise réputation que me veut ma féminine complexion » lui écrit-elle.

 

Et le miracle se produit, l'auteur lui rend visite en sa demeure.

« Au premier regard, il pénétra l'extraordinaire de cette rencontre, sut tout de moi, me saisit d'emblée différente, me décida son égale en esprit sinon en âge ... ».  

Elle craint d'être déçue « Je tremblais d'angoisse, non de ne point lui plaire, mais bien qu'il ne me plût point.»

Mais bien vite il la reconnaît comme une âme sœur :  « Rares sont les vrais lecteurs labourant à moissonner toute l'étendue du champ de la pensée » et l'amitié littéraire est immédiate.

Cette amitié se poursuivit jusqu’à la mort de Montaigne.

 

Il la fait sa fille d'alliance, ce qui sera souvent contesté par certains des amis de Montaigne car  «  Rares sont les femmes que leur noblesse, leur richesse ou leurs alliances tiennent quittes d'obéir au sort commun qui les veut niaises à douze ans, belles à quinze, mère à dix-sept, résignées à vingt, vieilles à vingt-cinq et dévotes à trente si elles ont survécu. »

 

Marie apprenait son futur rôle d'éditrice. Il lui expliqua l'obèle :

 

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« Voyez ce signe, Marie. Trois traits  y suffisent. Une barre verticale ferrée de deux traits brefs à chaque extrémité. Tant me plaît cette petite broche que les copistes alexandrins dénommaient obélos. J'ai fait mien ce signet de leurs hésitations sur l'authenticité de tel ou tel vers d'Homère. Il saura vous parler quand je me serai tu. Suivez-le à la trace. Il indique le point de bifurcation où enchâsser mon ajout dans mon texte ».

 

Montaigne utilisait ces signes en permanence, ses Esssais se voyaient enrichir en permanence d’allongeails qu'il signalait d'un obèle.

 

Marie de Gournay a tenu salon et aurait pu être académicienne, seul l’acharnement de quelqu’uns l’en empêchèrent, elle put ainsi consacrer sa vie à l’édition des Essais «  Sans la vigile fidélité de Pierre de Brach, sans la volonté de Françoise de Montaigne de faire respecter les vœux de son époux, j'eusse été écartée de l'histoire des Essais, notre amitié niée, sa langue épurée, censurée et ses papiers détournés »

Elle fut à l’origine des éditions de 1595 et 1598 pour lesquelles elle demeura dans le manoir de Montaigne et travailla librement dans sa librairie car elle détenait la confiance de la femme et de la fille de Montaigne.

 

 

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Le titre peut éloigner des lecteurs et ce serait dommage, mais il faut bien dire que Martine Mairal s’en donne à coeur joie avec les mots disparus de la langue française, obèle est de ceux là, ces mots même que l’Académie de l’époque voulait voir supprimer du dictionnaire au grand dam de Marie de Gournay.

Martine Mairal croit à l’amitié amoureuse entre ces deux êtres « Il me fut Michel, je lui fus Marie. Le reste ne regarde que nous. » fait-elle dire à Marie de Gournay.

 

Quand on sait que pendant des années, l’Université Française a fait la fine bouche à propos de Montaigne, ne lui reconnaissant pas le titre de philosophe, on s’étonne moins que ce roman magnifique soit passé quasi inaperçu à sa sortie.

En ces temps de rentrée littéraire il est bon de se rappeler qu’il ne suffit pas d’être de paraitre à l'automne pour être un bon roman. 

 

Merci à Rosa 

 

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Le livre : L’Obèle - Martine Mairal - Editions Flammarion 

 

Commentaires

  • @ Keisha : Marie de Gournay est citée dans les bio mais souvent avec un petit soupçon d'avoir profiter de la situation

  • Ton article donne immédiatement envie de lire ce livre.... Beaucoup plus que le bandeau qui entoure l'ouvrage !

  • @ Annie : et cela se veut un argument de vente !!

  • @ Claudialucia : il est sorti en 2003 et devines ? Il est sorti fin août et ainsi passé inaperçu au milieu de la rentrée littéraire qui asphyxie des romans de ce type

  • Vous parlez bien et avec passion de ce qui touche à Montaigne et je vous comprends !
    Le pauvres filles de l'époque: vieilles à 25, dévotes à trente. On n'ose imaginer ce qu'étaient les vieilles dames ?

    Merci d'avoir attiré l'attention sur l'obèle, c'est intéressant.

  • @ Christw : un très bon roman et une jolie façon de parler d'une femme injustement oubliée

  • Quel intéressant billet! Ton enthousiasme est contagieux Dominique. C'est grâce à toi que je me suis plongée dans les Essais, il y a un temps, ce livre-ci suivra, bien sûr! J'adore les mots anciens aussi...
    Comme Annie, je m'interroge sur le bien-fondé des mots du bandeau!

  • @ Colo : ton commentaire me va droit au cœur, c'est tout le bonheur de nos échanges sur la toile

  • @ Miriam : le début d'une épidémie peut être :-)

  • Je me souviens de sa sortie, et puis je l'ai perdu de vue, voilà une histoire assez extraordinaire, qui montre une fois de plus à quel point on a cherché à occulté toute l'histoire féminine. Le passage sur ce qui attend les femmes est d'une cruauté sans nom ..

  • @ Aifelle : moi je l'avais totalement zappé, un destin occulté je suis bien d'accord

  • Très belle présentation pour ce beau lien entre Montaigne et sa fille d'alliance. Je note ce roman qui est passé totalement inaperçu. J'aime beaucoup le mot "obèle" et les explications qui l'accompagnent. J'ai été enchantée par le livre de Sarah Bakewell et je pense que celui-là ne me décevra pas !!!!

  • @ Nadejda : le livre de Backewell est effectivement un grand plaisir
    Celui la à un petit parfum de bio romancée qui le rend très sympa

  • @ : en tout cas un vrai plaisir

  • Comme tu as du prendre plaisir à cette lecture ! L'âme sœur... je crois profondément aux familles d'âmes et c'est un réel cadeau de la vie quand une rencontre de cet ordre a lieu, quel travail et quel chemin derrière tout cela, c'est magnifique ! Merci Dominique, douce journée à toi. brigitte

  • @ Plumes d'Anges : on ne sait pas si dans la réalité d'autres sentiments ont rapprochés Marie de Gournay et Montaigne, mais la confiance qu'il lui a accordé d'être l'éditeur de ses Essais montrent qu'à tout le moins ils étaient deux âmes soeurs

  • Un billet si enthousiaste qu'il serait dommage de ne pas le faire suivre d'effet !!! Je le lirai !!! Je note, je note....
    La place des femmes auprès des grands hommes, ha la la!!!!

  • @ Enitram : un tout bon de la rentrée

  • @ Dasola : oui un mot rare et très beau

  • je viens de le terminer, et en effet, ce livre est très intéressant, et le personnage qu'il révèle tout autant!

  • je le termine doucement parce que je ne veux pas quitter cette lectrice si intelligente de Montaigne et observatrice de son siècle.

  • @ miriam : un livre que j'ai vraiment beaucoup beaucoup aimé

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