Un pays à l’aube - Dennis Lehane - Editions Rivages
C’est toujours un grand plaisir de voir un écrivain changer de catégorie, c’est ce qui arrive à Dennis Lehane, auteur de polars à succès toujours passionnants, il gagne avec ce livre ses galons d’écrivain. Il livre ici un roman ambitieux qui balaye une période sombre de l’Amérique.
Dennis Lehane a placé son roman dans les années 1918 et 1919, à Boston, Massachusetts. La fin de la 1ère guerre mondiale s’accompagne de l’épidémie de grippe espagnole qui va particulièrement toucher les forces de police, le chômage et l'inflation prennent des allures de catastrophe, le retour à la vie civile des soldats rentrés d’Europe va aggraver la situation en accroissant le chômage.
C’est l’époque où un peu partout les luttes syndicales se radicalisent, les mouvements anarchistes éclosent et la grande peur du bolchevisme s’empare de l’Amérique pour longtemps. Les manifestations et les tentatives de grève doivent être réprimées, pour cela il faut infiltrer les organisations syndicales, politiques, il faut créer la peur dans la population, il faut monter les unes contre les autres les communautés d’immigrés : les irlandais, les italiens. c’est une recette connue et d’une redoutable efficacité. Tout contestataire devient un terroriste en puissance et doit être pourchassé.
Le décor est campé, maintenant les personnages :
Danny Conghlin, jeune flic prometteur, courageux vient d’être blessé lors d’un attentat anarchiste et tout naturellement accepte d’infiltrer ces milieux ce qui lui permettrait de prendre du galon, son père est un des chefs les plus respectés du département de la police de Boston. Son frère Connor est adjoint du procureur et doit bientôt épouser Nora dont Danny est lui aussi amoureux.
Petit à petit Danny va devenir sensible aux difficultés de ses collègues, les semaines de 70 heures et le salaire de misère. Contre sa famille il va s’engager dans le combat syndical et mettre son idéal et son sens du devoir à leur service.
Luther Lawrence est le deuxième héros de cette épopée, jeune noir contraint après avoir commis un meurtre de quitter sa femme et sa ville, il trouve refuge à Boston et est engagé par les Conghlin comme domestique. Passionné de base-ball, victime de la brutalité, de l’injustice, du racisme, il parvient dans le chaos a gardé courage, humanité et droiture. Il va contre son gré se trouver mêlé à tous les événements. Très habilement
Dennis Lehane va tisser sa toile, faisant s’entrecroiser les destinées, mêlant les héros de fiction aux personnages historiques, ainsi croise-t-on John Hoover futur patron du FBI, Coolidge gouverneur de l’état, mêlant destins individuels et histoire collective. Lehane est tout aussi efficace dans les scènes de rue que dans les moments intimistes, il nous donne un beau portrait de femme et l’on sent tout son attachement pour les personnes faibles et vulnérables.
Certaines scènes sont bouleversantes sans jamais tomber dans le mélodrame. Ses héros sont vrais et terriblement humains jusque dans leurs faiblesses. Un seul bémol, les passages sur le base-ball et son joueur vedette Babe Ruth n’ajoutent rien au récit et parfois même rompent la tension de celui-ci.
C’est un roman puissant, ample, plein d’émotions, le lecteur est happé jusqu’aux scènes finales. Une belle évocation d’une Amérique en train d’écrire son histoire.
L’auteur
Dennis Lehane est né en 1966 à Dorchester (Massachusetts) et vit dans la région de Boston.
Il exerce d'abord de petits jobs et de multiples métiers. Puis il se consacre à l'écriture et devient l'un des auteurs de polars les plus connus des États-Unis. Il a publié une cinquantaine d'ouvrages, notamment les best-sellers Un Dernier Verre avant la Guerre, Gone, Baby, Gone, Mystic River (dont Clint Eastwood fera un film), Shutter Island.
Il a obtenu de nombreux prix.
Pour poursuivre votre lecture
Il y a quelques années est paru un livre d’histoire excellent « Une histoire populaire des Etats-Unis » par Howard Zinn, je me souviens de ma surprise en découvrant ces années d’émeutes, de grèves, de bras de fer entre les ouvriers et le pouvoir en place dans son chapitre intitulé « De l’entraide par gros temps »
Voici ce que dit l’éditeur « Cette histoire des États-Unis présente le point de vue de ceux dont les manuels d’histoire parlent habituellement peu. L’auteur confronte avec minutie la version officielle et héroïque (de Christophe Colomb à George Walker Bush) aux témoignages des acteurs les plus modestes. Les Indiens, les esclaves en fuite, les soldats déserteurs, les jeunes ouvrières du textile, les syndicalistes, les GI du Vietnam, les activistes des années 1980-1990, tous, jusqu’aux victimes contemporaines de la politique intérieure et étrangère américaine, viennent ainsi battre en brèche la conception unanimiste de l’histoire officielle. »
Toujours passionnant ce livre a donné lieu à des empoignades sévères entre historiens, il manque parfois d’objectivité mais nous fait découvrir des pans de l’histoire américaine très peu connus des non spécialistes.