Jeune femme au luth - Katharine Weber - Traduit par Moea Durieux - Les Editions du sonneur
Dans un cottage d’Irlande une femme, la quarantaine, vit seule et tient son journal. Patricia Dolan travaille à New York à la Frick Collection, elle est passionnée d’art depuis l’adolescence, on devine dans les pages du journal la perte d’un homme et peut être d’un enfant. On sent une femme fragile, vulnérable et désenchantée.
Petit à petit elle livre des bribes d’information, d’origine irlandaise son père vit à Boston et bien sûr est un policier à la retraite. Elle a une passion pour la peinture hollandaise et pour Vermeer. Elle vient de faire la connaissance d’un de ses cousins éloigné et est en train d’en tomber amoureuse.
Que fait-elle dans ce cottage isolé, vivant dans un confort très précaire, faisant de longues promenades, se liant peu avec les habitants, mais passant de longues heures à contempler un tableau. Pas n’importe quel tableau, un Vermeer, la Jeune femme au luth Le tableau est enfermé dans une pièce sans fenêtre, à l’abri des regards.
Je vous laisse le plaisir de découvrir pourquoi cette femme est en possession d’un Vermeer, le plaisir de découvrir les paysages d’Irlande que Katharine Weber décrit très joliment.
Le suspens psychologique est très prenant et l’intrigue extrêmement intelligente est brodée aux petits points, les faits sont délivrés au compte-gouttes, l’écriture est limpide et d’une réelle finesse.
Les passages consacrés à la peinture sont d’une grande sensualité. Il y a une émotion très justement rendue et on se laisse emporter par un récit diablement efficace.
Extraits
« Il y a dans tout l’art hollandais un amour pour le réel, une affection pour le vrai. L’intérieur d’une église et sa paix. Une main et son geste. Un paysage et sa profondeur. Un nuage et son mouvement. Des gens qui sont des gens. Des chiens qui sont des chiens. Des fromages qui sont des fromages. Et le ciel, le ciel qui donne à toute chose son échelle et son contexte. Mais cet art garde toujours quelque chose d’intime, l’intimité sans prétention de ce qui a été ressenti.
Il existe pour moi un lien étroit entre la passion irlandaise et la réserve hollandaise, que je ressens ici dans ce cottage, au bord de la mer, seule avec elle, dans l’éclat lumineux de sa sérénité. »
L’auteur
Née en 1955, Katharine Weber a commencé par écrire des nouvelles, Objets dans le miroir, son premier roman, a été édité en français chez Belfond.
Son deuxième roman, The Music Lesson titre original de la jeune fille au luth, a été traduit dans douze langues et a reçu de nombreuses distinctions. Katharine Weber est par ailleurs journaliste littéraire.
Littérature américaine - Page 16
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Jeune femme au luth - Katharine Weber
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Surveillance - Jonathan Raban
Surveillance - Jonathan Raban - Traduit par Antoine Cazé - Editions Christian Bourgois - 2009
Je connaissais Jonathan Raban pour ses livres de voyage dans les USA en particulier un Old Man River très sympathique. Là il a fait le choix de la fiction totale.
Seattle après le 11 septembre, le gouvernement plus bushien que Bush, a mis en place une surveillance très rapprochée des individus. Il met en scène de pseudo attentats terroristes avec figurants ensanglantés, fumées sur la ville pour sensibiliser la population et plus sûrement la maintenir dans un état de peur permanente.
Cette surveillance inquiète un peu Lucy mais la rassure également, n’est ce pas là le but rechercher ?
Lucy est journaliste, spécialiste des portraits de célébrités, après Bill Gates elle doit s’atteler à August Vanags écrivain imbuvable qui vit caché dans une île et qui semble ne pas avoir dit toute la vérité sur sa vie.
Lucy a pour voisin son meilleur ami, Tad, séropositif, qui sert de père à Alida la fille de Lucy. Tad lui est totalement parano sur le sujet, il passe son temps sur internet pour alerter la population et est persuader de vivre déjà dans un état policier et fasciste.
Alida a onze ans et adore Anne Franck et les maths, et avec ses copines fournissent force beignets à Finn l’as de l’informatique pour qu’il leur concocte des sites internet super branchés.
Enfin il y a le propriétaire de l’immeuble, monsieur Lee, immigré mais que ça ne gênerait pas de flanquer à la mer tous les SDF qui polluent le quartier.
Qui a peur de qui ? qui surveille qui ? qui dit la vérité ? qui cache quelque chose de sa vie ?
Le roman démonte les mécanismes de repli, d’agressivité, de mensonges que la peur engendre. Les uns comme Vanags pensent que tout est permis pour se défendre d’éventuels terroristes, Lucy est prête à accepter l’inacceptable pour protéger sa fille.
Mais dans la vie réelle comme dans les scènes d’attentat organisées, les faits ne sont peut être pas ce qu’ils paraissent.
Un bon roman qui sans y toucher déclenche une sensation de malaise et qui pousse à s’interroger, ce n'est pas 1984 ou Le meilleur des mondes mais c'est pas mal du toutEn le lisant j'ai pensé au film "la vie des autres" qui m'avait terrifié.
L'auteur
Critique, romancier, essayiste, Jonathan Raban a écrit de nombreux récits de voyage il est le seul écrivain-voyageur à avoir obtenu deux fois le prix Thomas Cook Travel Book. Surveillance est son 3ème roman. Il vit à Seattle. -
Un livre friandise
Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates - Mary Ann Shaffer et Annie Barrows- Traduit par Aline Azoulay-Pacvon - Nil Editions
Il y a les livres chef-d’oeuvres, les livres marquants, les livres érudits, les livres phares et puis il y a les livres friandises.
Des livres qui donnent le sourire, que l’on a envie d’offrir, si vous êtes amateur de ce genre de livre alors n’hésitez pas celui-ci est fait pour vous.
L’Angleterre en 1946, les traces des bombardements sont bien visibles, le rationnement est encore d’actualité.
L’héroïne Juliet Ashton à traversé la guerre en écrivant des chroniques pour les journaux, sa bibliothèque est perdue sous les décombres de sa maison, sa plus fidèle amie est mariée en Ecosse, et son éditeur voit d’un mauvais oeil son flirt avec un éditeur américain qui fait la une des journaux people de l’époque.
La réception d’une lettre va tout changer, elle va petit à petit, lettre après lettre, faire la connaissance des membres de l’improbable et pourtant bien réel Cercle littéraire des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de patates de Guernesey.
Créé pendant la guerre pour déjouer les lois allemandes contraignantes, le cercle a rapproché les habitants de Guernesey, a ouvert à la lecture des hommes et femmes qui n’avait plus ouvert un livre depuis l’école. La correspondance entre Juliette et les iliens se fait confidence pour certains et potins malveillants pour d’autres. Les lettres ravivent les souvenirs de la guerre, mettent au jour la solidarité et l’affection qui lient les membres du cercle, les actes de lâcheté et ceux d’héroïsme, les moments difficiles comme les joies simples.
C’est tout un petit monde qui apparaît, attachant, drôle et émouvant.Le roman épistolaire est un classique et il est ici parfaitement accordé au sujet, l’auteure est américaine mais je ne peux m’empêcher de trouver son humour très anglais, les constantes références littéraires sont excellentes et je vous laisse le plaisir de découvrir comment la littérature aide à conquérir le coeur d’une femme et adoucir la vie. Un roman frais, joyeux, tendre et drôle
Lisez et offrez ce livre il donne le sourire pour preuve les sourires de Keisha Lilly Fashion ou EmjyGuernesey aujourd'hui -
Une odyssée américaine - Jim Harrison
Une Odyssée américaine - Jim Harrison - Traduit par Brice Matthieussent - Flammarion
Perdre en quelques jours sa ferme, sa femme après 38 ans de mariage, avouez qu’il y a de quoi déprimer, Cliff la soixantaine,plus atteint par la disparition de sa chienne que par la trahison de sa femme, décide de partir dans un voyage improbable
« A l’aube, j’ai décidé d’emporter le puzzle des Etats-Unis et d’en lancer une pièce par la fenêtre de mon break chaque fois que je franchirais la frontière d’un nouvel Etat.»
et pour faire bonne mesure il décide aussi de renommer les états et les oiseaux en leur restituant des noms indiens.
Jim Harrison n’entend pas le mot déprime comme vous et moi, Cliff embarque avec lui une jeunette de 40 ans et la road movie démarre alternant les prouesses sexuelles et les pauses gastronomiques. Mais Cliff se lasse assez vite du téléphone portable de Marybelle et la restitue à sa famille au Montana.
L’odyssée se fait plus bucolique, Cliff se laisse imprégné par les paysages magnifiques de l’ouest américain. C’est Rabelais au pays des clochards célestes, gargantua atteint par la mélancolie.
Diable d’homme ce JimCliff qui dit«Ma dépendance précoce aux bouquins de Thoreau et d'Emerson m'a rendu beaucoup trop sensible à la brutalité du monde contemporain».
Un roman réjouissant, magnifique et mélancolique.
Après « Retour en terre » j’avais cru sentir la mort en maraude, cette odyssée est là pour prouver le contraire, à 72 ans Jim Harrison, l’auteur américain préféré des français, tient le cap de belle manière.Jim Harrison est l'invité de François Busnel dans la Grande libraire jeudi 26 mars sur France 5
Un article très positif d’un journal suisseJim Harrison - Photo Hachette Presse ©
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Kornwolf le démon de Blue Ball
Kornwolf le démon de Blue Ball - Tristan Egolf - Traduit par Francesca Gee - Gallimard
Si vous avez lu et aimé « Le seigneur des porcheries » vous allez aimer ce démon là. Dernier livre et livre posthume de Tristan Egolf, écrivain au parcours hors du commun.
L’histoire
Owen Brynmor, journaliste renvoyé de plusieurs rédactions, a trouvé un job dans sa ville natale, ravit de jouer un bon tour à ses concitoyens honnis, il va monter en épingle un fait divers qui annonce le retour du « démon de Blue Ball » créature fantastique et monstrueuse.
Mais qui pourrait croire un canular pareil ? Les habitants de Stepford, petite ville de Pennsylvanie où se côtoient et s’opposent protestants zélés et amish puritains le croient car le démon a ravagé le pays vingt ans plus tôt.
La ville semble très vite en proie à la folie, des vols sont perpétrés, des granges brûlent, des animaux sont massacrés.
Ephraim Bontrager marginal muet maltraité par son père un membre influent de la communauté amish est lui aussi pris de folie furieuse. Bientôt la réalité dépasse les rêves les plus fous du scribouillard de tabloïds.
Egolf nous plonge avec virtuosité dans un récit proprement apocalyptique, fable moderne où s’entend le rire de Rabelais, mêlant le pastiche et l’enquête historique, il réussit le tour de force de tenir le lecteur avec son écriture hallucinée sans jamais le laisser respirer.
On retrouve dans ce roman la truculence et la violence du « Seigneur des porcheries », Patrick Modiano qui a contribué à faire connaître T Egolf, parle de « paroxysme maîtrisé ». Son écriture est inventive, parfois très poétique et parfois totalement déjantée.
J’avais été conquise par « Le seigneur des porcheries » ce démon là m’a définitivement convaincue du talent fulgurant de Tristan Egolf
Il n’aura écrit que trois romans avant de se donner la mort, météorite littéraire, ses romans sont appelés à devenir des livres cultes.
Faites une place à ce livre dans votre bibliothèqueNote ajoutée le 7/04 : un superbe papier dans le Matricule des Anges du mois d'avril encore plus positif que le mien !
L’auteur
Découvert par la famille Modiano en 1994, l'auteur du «Seigneur des porcheries» publié en français avant d’être reconnu aux Etats-Unis, s'est suicidé en 2005 à 33 ans. Il était aussi un activiste engagé dans les mouvements pacifistes, opposant à GW Bush.
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Julius Winsome - Gerard Donovan
Julius Winsome - Gerard Donovan - Traduit par George-Michel Sarotte - Editions du Seuil
Au coeur des forêts du Maine, où la nature est rude :
« Novembre arrive dans le Maine du nord porté par un vent cinglant qui souffle du Canada. Il traverse sans entrave la forêt clairsemée, drape de neige les berges des rivières et les flancs des coteaux. Le lieu est solitaire, non seulement en automne et en hiver, mais d’un bout de l’année à l’autre. Le temps est gris et rude, les espaces sont vastes et désolés, et le vent du nord balaie tout sans pitié, vous arrachant même parfois certaines syllabes de la bouche ».
Julius vit seul dans sa cabane, s’occupant à de petits boulots l’été, il passe l’hiver dans son fauteuil, une tasse de thé à la main et entouré des 3282 livres que son père lui a légué en même temps qu’un fusil datant de la 1ère guerre mondiale et qu’une haine pour la violence et l’usage des armes à feu.
Les murs tapissés de livres l’entourent comme dans un cocon, l’isolant du monde, il vit au milieu de fantômes : son père décédé, les auteurs des livres, et même Claire la seule femme a avoir partagé sa vie mais qui l’a trahie pour retourner à la civilisation et à un autre homme.
Seul partage sa solitude : Hobbes , non pas le philosophe ! mais son chien et lorsque ce dernier est abattu par un chasseur Julius envahi par la colère et la tristesse en proie à une haine féroce, va mettre ses talents de tireur au service de sa vengeance.
« je n’attendais rien et rien n’est arrivé. Une épaisse couche de glace s’est glissée dans mon coeur. Je l’ai sentie s’installer, gripper les soupapes et apaiser le vent qui soufflait dans ma carcasse. je l’ai entendue se plaquer sur mes os, insérant du silence dans les endroits fragiles, dans tout ce qui était brisé. Mon coeur a alors connu la paix du froid ».Traquant ceux qu’il croit être responsable de la mort de son chien, obéissant à ses instincts les plus cruels, Julius glisse doucement dans la folie meurtrière.
Roman superbe, hymne à la nature et à la littérature ( ah l’utilisation du vocabulaire shakespearien, je vous laisse découvrir cela ) la prose est âpre, grave et tendue, la poésie est partout jusque dans l’horreur. La montée en tension du récit est d’une grande efficacité.
Je me suis régalée de ce court roman, signe qui ne trompe pas j’ai ralenti ma lecture au fil du récit....Critique très positive dans Lire d'avril 2009 " Roman magnifique, tendu, envoûtant."
L’auteur
Gerard Donovan est né en Irlande et a vécu en Allemagne et à New York. . Ses poèmes primés ont été largement publiés. Ill enseigne l'anglais
c’‘est son second roman le premier « Schopenhauer’s telescope » n’étant pas encore traduit en français