Julius Winsome - Gerard Donovan - Traduit par George-Michel Sarotte - Editions du Seuil
Au coeur des forêts du Maine, où la nature est rude :
« Novembre arrive dans le Maine du nord porté par un vent cinglant qui souffle du Canada. Il traverse sans entrave la forêt clairsemée, drape de neige les berges des rivières et les flancs des coteaux. Le lieu est solitaire, non seulement en automne et en hiver, mais d’un bout de l’année à l’autre. Le temps est gris et rude, les espaces sont vastes et désolés, et le vent du nord balaie tout sans pitié, vous arrachant même parfois certaines syllabes de la bouche ».
Julius vit seul dans sa cabane, s’occupant à de petits boulots l’été, il passe l’hiver dans son fauteuil, une tasse de thé à la main et entouré des 3282 livres que son père lui a légué en même temps qu’un fusil datant de la 1ère guerre mondiale et qu’une haine pour la violence et l’usage des armes à feu.
Les murs tapissés de livres l’entourent comme dans un cocon, l’isolant du monde, il vit au milieu de fantômes : son père décédé, les auteurs des livres, et même Claire la seule femme a avoir partagé sa vie mais qui l’a trahie pour retourner à la civilisation et à un autre homme.
Seul partage sa solitude : Hobbes , non pas le philosophe ! mais son chien et lorsque ce dernier est abattu par un chasseur Julius envahi par la colère et la tristesse en proie à une haine féroce, va mettre ses talents de tireur au service de sa vengeance.
« je n’attendais rien et rien n’est arrivé. Une épaisse couche de glace s’est glissée dans mon coeur. Je l’ai sentie s’installer, gripper les soupapes et apaiser le vent qui soufflait dans ma carcasse. je l’ai entendue se plaquer sur mes os, insérant du silence dans les endroits fragiles, dans tout ce qui était brisé. Mon coeur a alors connu la paix du froid ».
Traquant ceux qu’il croit être responsable de la mort de son chien, obéissant à ses instincts les plus cruels, Julius glisse doucement dans la folie meurtrière.
Roman superbe, hymne à la nature et à la littérature ( ah l’utilisation du vocabulaire shakespearien, je vous laisse découvrir cela ) la prose est âpre, grave et tendue, la poésie est partout jusque dans l’horreur. La montée en tension du récit est d’une grande efficacité.
Je me suis régalée de ce court roman, signe qui ne trompe pas j’ai ralenti ma lecture au fil du récit....
Critique très positive dans Lire d'avril 2009 " Roman magnifique, tendu, envoûtant."
L’auteur
Gerard Donovan est né en Irlande et a vécu en Allemagne et à New York. . Ses poèmes primés ont été largement publiés. Ill enseigne l'anglais
c’‘est son second roman le premier « Schopenhauer’s telescope » n’étant pas encore traduit en français
Commentaires
Ce livre aurait tout pour me plaire, à part la mort du chien qui fait étrangement penser aux romans de Jack London ... Et ça, ça me glace les sangs !
@ Pour Nanne
En fait la mort du chien compte beaucoup pour le héros mais le lecteur passe rapdiement car ensuite il s'agit de meurtre de personnes et le ton change
c'est très dur et en même temps superbe
je ne connais pas du tout cet auteur, et tu me donnes envie de le découvrir :)
@ Amanda c'est son premier roman traduit mais il y a fort à parier que son premier roman le sera prochainement car celui-ci devrait rencontrer un vrai succès, en tout cas je l'espère car la qualité est au rendez-vous
Des livres, du thé, un chien, de quoi supporter la solitude. Alors quand on vous en prive... A travers ce billet enthousiaste, l'histoire de Julius m'intéresse assurément.
Et merci de m'avoir inscrite dans les Gambades.
@ Tania Bonne lecture et bon thé !
exactement le genre de romans que j'aime ! Et qui me fait penser à un roman norvégien paru il y a environ 2 ans, qui s'appelait "Pas facile de voler des chevaux" de Per Petterson, un très beau texte. Si t'as un peu de place dans ta PAL...
@ Un petit commentaire et assortit d'une référence..que demander de plus ?
Voilà qui fait envie! Je le note!
« Si je devais en une phrase résumer ma vie jusque-là, je dirais qu’à un certain moment j’ai vécu dans un chalet durant cinquante et un ans. »
L’histoire de Julius Winsome, c’est surtout l’histoire d’un lecteur. Un solitaire qui s’isole dans un coin de nature pour vivre sa vie comme on tourne les pages d’un livre : pages après pages, jours après jours. Une bûche au feu, de l’eau bien chaude pour le thé et le voici qui se plonge dans la lecture d’un des livres de la bibliothèque de son père. Il hume le parfum du papier, l’encre qui a servi pour élaborer les fiches des livres, les sens en éveille.
Julius ne vit pas seul dans ce coin de nature : c’est la nature qui le berce et qui peuple ses journées de mile bruits, saveurs et images. Il ne fait qu’un avec la terre qui l’entoure.
Il ne faut pas tenter de voir dans cette volonté de vivre seul un choix cachant une amertume particulière contre le genre humain. C’est juste une manière de se préserver. Julius dit que son père lui a appris à être fidèle. Alors quand il hérite du chalet à la mort de celui-ci, il applique le précepte paternel. Fidèle à cette terre, il sera.
Julius se contente d’un univers peuplé de fleurs colorées qu’il cultive, d’oiseaux qu’il abreuve et nourri, de livres qu’il chérie et de son chien. Il bricole de ci de là, pour gagner de quoi subsister l’hiver venu. C’est le bonheur vu de l’intérieur. Ce n’est pas un hymne à la solitude, c’est juste qu’il vit comme ça et qu’il le fait bien, sans gêner qui que ce soit. La preuve, quand l’amour pointe son nez, il l’accueille et quand il s’en va, il le laisse partir sans rancœur. Un peu comme quand l’hiver pointe son nez emportant avec lui les vestiges des trois saisons qui ont précédé.
« L’empreinte du Nord disparaît dès que le soleil brille à nouveau, effacée des collines et des arbres du Maine par le chiffon du soleil et par le souffle chaud de l’automne sur le bois. »
Il vie donc de ce qui l’entoure, il est un humain en harmonie avec son environnement, à l’écoute de cette nature qui l’accueille en son sein. Il nourrie ses cinq sens, il philosophe, il se souvient, il entretien sa culture comme il entretient son feu, il est au diapason avec son monde, sans violence, sans heurt.
Et le coup de feu annonciateur de ce premier meurtre est la fausse note qui va perturber la partition de Julius. Son chien a été mortellement atteint d’une balle à bout portant. Assimilant ce qui vient de se passer, Julius ne va pas sombrer dans une rage destructrice. Il va rester le même, sans s’embraser, en continuant à raisonner comme il l’a toujours fait, avec calme et parcimonie. Pour rétablir ce déséquilibre, il va chasser le responsable de cet acte, même si pour cela, il doit éliminer quelques innocents… Il va tuer en étant pleinement conscient de ses actes, froid, comme son environnement, sans passion, sans folie incontrôlée.
C’est intéressant de faire le parallèle entre ce qui arrive à Julius et l’arrivée de l’hiver. Tel la morsure du froid qui va planter ses dents dans la chair des êtres qui oseront s’aventurer dans la forêt sans y être préparer, Julius va incarner ce froid implacable qui va mettre un terme à la vie de ceux qui se croyaient bien « armés » pour l’affronter.
C’est bien sûr emprunt d’une certaine naïveté mais Julius est en accord avec lui-même. Il sait très bien que pour atteindre le coupable, il va devoir atteindre d’autres personnes. Des dommages collatéraux ? Peut être mais Julius ne le fait pas par sadisme ou par cruauté. Il le fait parce que c’est ce qui lui semble la chose à faire. C’est difficile de trouver une excuse à son geste mais c’est aussi facile de comprendre qu’il n’avait pas autre chose à faire, comme si c’était irrémédiable.
Du coup, on serait curieux de voir ce donnerait une évaluation psychiatrique du personnage. Comment les influences de son grand père, de son père et son isolement pourraient tenter d’expliquer son geste. Comment sa déception amoureuse pourrait servir de déclencheur et facilement expliquer les évènements en voulant trouver une justification rationnelle. L’amertume par exemple. Alors que nous savons qu’il n’en est rien. La mort du chien l’a juste rendu triste. Un point c’est tout.
« Lorsqu’un chien lève la tête et aboie tout en vous regardant un peu de biais, cela signifie qu’il est d’humeur joueuse et sait que vous le taquinez. […] Si vous ne comprenez pas son langage, tout ça n’est que du bruit. Ces types qui rodaient dans la forêt ne comprenaient pas mon langage shakespearien, me semble-t-il, même si c’était du pur anglais et que j’articulais avec soin. J’aurais pu tout aussi bien leur aboyer après. Avec le temps on devient tous des chiens. »
Parce que le roman n’est pas une apologie du meurtre. C’est une fable de la nature. Les actes de Julius sont en fait à l’image de cet extrait. Il y a ce que l’on va se contenter de voir et ce que l’on va chercher à comprendre. C’est un peu le nœud du problème : la compréhension de l’autre. Parce que tenter de comprendre l’autre, c’est tenter de mieux se comprendre soi même. C’est aussi notre quotidien de lecteur, non ?
Frédéric Fontès
C'est tout à fait ce que j'ai ressenti. Un très beau roman et cette écriture est splendide!