Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : la petite lumière

  • La Reine du désert - Janet Wallach

    Cap au sud 

     

    Portrait d’une femme d’exception 

    painting1.jpg

                 Tableau d'Edmund Berninger  The desert carvan

     

    Aventureuse, excentrique, têtue, érudite, faiseuse de rois, amie de Lawrence d’Arabie............pas moins !!

    Une femme qui joua un rôle déterminant dans la politique anglaise au Moyen Orient puisqu’elle en a dessiné les frontières ce qui n’est pas à priori le rôle d’une femme née sous Victoria !

    Gertrude Bell surnommée La reine du désert ou la Khatun par les arabes fut peut être la femme la plus puissante de l’Empire britannique à son époque. 

    Je vous sens déjà bien attentif alors en route.

     

    Gertrude Bell est née dans la bonne aristocratie victorienne de la fin du XIX ème siècle, elle se fait remarquer assez vite par sa volonté de suivre des études à Oxford, rappelez-vous les écrits de Virginia Woolf sur le sujet, c’est extrêmement difficile pour une femme, et voila Gertrude qui non seulement arrache le consentement de sa famille mais en plus sort première femme diplômée d’histoire !!

    Cette jeune femme va très vite se faire remarquer par son érudition, sa soif d’apprendre, traductrice du Persan, archéologue à ses heures, elle est aussi une femme intrépide qui fait l’escalade des Drus et de bien d’autres sommets. 

     

    jordanie.jpg

                          Elle fut la première femme à explorer ces sites fameux 

     

    Ce qui va changer sa vie c’est qu’elle tombe amoureuse de la mauvaise personne et que alors qu’elle est capable de faire fi de bien des préjugés, en matière de mariage elle se laisse influencer et renonce à l’homme qu’elle aime pour obéir aux codes de son milieu.

     

    Cet échec va décider de sa vie car comme la tradition le veut elle va partir, voyager pour oublier. Elle sillonne l’Europe mais très vite c’est l’Orient qui va l’attirer, elle va s’acharner à apprendre l’arabe, puis les dialectes des contrées où elle vit.

    Elle  tombe amoureuse du désert, des arabes, de leur mode de vie. Anglaise jusqu’au bout des ongles elle sait faire preuve de témérité mais reste attachée à ses habitudes et si elle voyage à dos de chameau, elle emporte aussi sa baignoire pliante et son service à thé en porcelaine de Chine.

     

     

    orient en peinture.jpg

    Orient en peinture 

     

    Petit à petit elle crée des liens avec les cheiks locaux, les chefs bédouins, les chefs de tribus, elle partage leur nourriture, les derniers potins locaux, s’informe, flatte, elle est traitée en dignitaire par ces notables. Elle transformera ses expériences en livres qui eurent un énorme succès et contribuèrent à lui assurer une certaine indépendance.

    Son rôle et ses connaissances vont s’avérer déterminantes lors de la Première Guerre mondiale, rappelez-vous que l’Empire Ottoman est à ce moment là l’allié des allemands et que les anglais ont besoin de la loyauté envers eux des différentes tribus arabes en guerre contre les Turcs.

    Y_313.jpg

                                  Ses interlocuteurs lors de ses voyages 

     

    Gertrude Bell  fait un vrai travail d’espionnage et de renseignement pour le gouvernement britannique et à cette occasion va créer des liens avec T.E Lawrence, le fameux Lawrence d’Arabie.

    A la fin de la guerre va se poser le problème des territoires perdus par les Turcs et le partage de la région par les vainqueurs français et anglais. C’est l’émergence du problème du pétrole. Les anglais ont besoin de toutes les personnes qui puissent les éclairer sur la situation, Gertrude Bell va être cette personne.

    Elle va soutenir le désir des arabes de voir se créer de nouveaux pays, Syrie, Irak. On a pu dire qu’elle a dessinée la carte de la région , elle adoube les futurs chefs de ces états et en particulier le future roi Fayçal d’Arabie.

    Arabie.jpg

    Elle est une des rares à avoir une idée claire des antagonismes entre Chiites et Sunnites ( déjà !!) entre arabes et kurdes ( déjà !) et lorsque elle participe à une conférence au Caire, on peut dire qu’elle est la femme la plus puissante de l’Empire. Elle va être très critique par rapport à certaines décisions qui s’avérerons désastreuses, la « poudrière » du Moyen-Orient est née 

     Cairo1921.jpg

    La Conférence du Caire 1921, G Bell sur un chameau devant les pyramides aux côtés de Winston Churchill qui vient juste de remonter sur son chameau après une chute mémorable

     

    Quelle vie riche, quelle force de caractère ! Certes sa vie personnelle et amoureuse s’en ressentit car elle est toujours victime du carcan de la bonne société, étonnante femme qui crée le Musée de Bagdad mais est incapable de vivre sa vie de femme !

    Ecartée de la politique à la fin de sa vie, elle meurt épuisée d’une overdose médicamenteuse peut-être volontaire. 

     

    Un livre passionnant qui se lit comme un roman tant l’esprit d’aventure souffle. Ecrit par une spécialiste du Moyen Orient il m’a permis de connaître mieux cette femme courageuse, endurante, à la fois corsetée par les conventions et éprise d’aventures, passionnée par l’Arabie et ses peubles. A travers sa vie on comprend un peu mieux les soubresauts de cette région qui se font sentir aujourd’hui encore. 

     

    poster_44262.jpg

     

    Le livre : La Reine du désert - Janet Wallach - Bayard Editions 1997  

    A chercher chez les bouquinistes et dans les bibliothèques

     

  • Érasme - Stefan Zweig

    Le Prince des humanistes

     

    portrait_d_Erasme quentin massys 1517.jpg

                    Erasme par Quentin Massys 1517

     

    Quand on a un peu lu Stefan Zweig on n’est nullement étonné qu’il ait consacré une de ses biographies à Érasme.

    On retrouve dans ce livre les préoccupations qui étaient déjà celles de Zweig quand il écrivait  Conscience contre violence  quand il traçait déjà son opposition au fanatisme C’est ici le « legs spirituel » de l’humaniste qu’il souhaite transmettre, un idéal de tolérance politique et religieuse.

     

    durerportrait_erasme.jpg

    Albrecht Dürer  - Portrait d'Erasme de Rotterdam

              1526 Musée départemental de Nantes 

     

    On dit Érasme né vers 1469 à Rotterdam, né européen en somme car cette région à l’époque n’est pas encore les Pays-bas, plus tout à fait le Duché de Bourgogne et pas vraiment l’Espagne. 

    Né vraisemblablement bâtard et sans doute fils de prêtre !! Difficile début dans l’existance. Cela n’empêche pas qu’il soit ordonné par l’évêque d’Utrecht en 1492, mais il abandonne vite la prêtrise pour la vagabondage dans toute l’Europe, pour la vie de l’esprit.

    L’Angleterre des Tudors, Anvers, Louvain, Paris où il vit très pauvrement « comme un escargot ». Enfin c’est l’Italie, Pise, Bologne, Venise où il est l’hôte du grand imprimeur Alde Manuce, Rome où s’ouvrent pour lui les portes de la Bibliothèque Vaticane.

     

    Vagabond et écrivain. Un amoureux de la langue, des mots, de la poésie, un écrivain prolifique à côté de qui Hugo ferait pâle figure ! Il s’exprime le plus souvent en latin, le latin des humanistes.

    C’est un « fervent des livres », la culture, la vie intellectuelle, voilà ce qui lui importe et qui tout au long de sa vie le feront développer des amitiés avec des hommes de savoir. 

    Il lit jusqu’à plus soif, les auteurs de l’antiquité, la Bible, son apprentissage du grec va lui ouvrir les portes des auteurs qu’ils appréciera toute sa vie : Euripide, Lucien l’insolent.

     

    Les Adages lui apportèrent la célébrité.

    adages.jpg

     « Errant à l’aventure dans les jardins si divers des auteurs, j’ai cueilli les adages les plus anciens et les plus remarquables comme de jolies fleurs de toute espèce et j’en ai composé une guirlande harmonieuse. »
     

    Les multiples éditions s’enrichiront jusqu’à rassembler plus de 4000 adages. Érasme mobilise tout son savoir pour comprendre d’où vient l’expression, il cherche dans les vieux traités de science, de médecine, parmi les contes populaires, dans la mythologie. Il ajoute, il retranche, il corrige.

     

    Hans_Holbein_d._J._046.jpg

    Erasme par Hans Holbein - Musée du Louvre

     

    « Les adages sont une forme ouverte : on peut ajouter ce que l’on veut, là où on le veut. Ce sera la même chose plus tard dans les Essais de Montaigne. »

     

    Du plus court à celui qui est un véritable essai philosophiques les adages « ne sont rien sans les commentaires qui leur donnent  sens et prennent parfois l’allure d’un petit traité »

    « La meilleure lecture sera buissonnière comme fut buissonnière leur composition » dit Daniel Ménager un biographe d’Érasme

    C’est chez Thomas Moore qu’il compose l’Eloge de la folie, satire qui va lui attirer les faveurs du public mais la vindicte de l’Eglise et qui reste pour le lecteur d’aujourd’hui son livre le plus lu.

    Quentin_Massys-_Erasmus_of_Rotterdam.jpg

    Erasme par Quentin Massys - Galerie Nationale Rome

    Traités, dialogues, essais philosophiques, essais pédagogiques pour l’apprentissage du latin, les Colloques teintés d’ironie, d’humour parfois, dans lesquels s’expriment sa pensée sous la forme de dialogues.

    Enfin une traduction du Nouveau Testament du grec au latin, afin de débarrasser le texte de tous les ajouts inutiles . Avec un certain culot l’auteur dédie sa traduction au Pape Léon X alors que manifestement il est là bien plus proche de Luther dans la recherche de la simplicité, il souhaite même que le texte soit traduit en langue vulgaire pour que « puisse le paysan au manche de sa charrue en chanter des passages, le tisserand à ses lisses en moduler quelque air, où le voyageur alléger la fatigue de sa route avec ses récits. »

     

    La faiblesse d’un tel homme ? Elle réside dans son indécision au moment de la Réforme mais « L’excès en toute chose demeurait étranger à sa nature  » incapable de soutenir ou de condamner Luther il tente de tenir une position médiane.

    Entre les deux hommes les relations vont devenir très difficiles : incompréhension, vindicte, diatribe, polémique : ils ne parviendront jamais à se comprendre.

    La fureur d’un Luther est trop grande, l’indécision d’Érasme trop difficile à surmonter, c’est l’affrontement de deux hommes de piété. 

    L’un plonge dans la bataille, l’autre se veut au-dessus de la mêlée. 

    D'Érasme Zweig nous dit « Il ne marche pas aux côtés de la Réforme, il ne marche pas aux côtés de l’Eglise »

    C’est la rupture entre l’humanisme et la Réforme allemande, Luther le voue aux gémonies et l’Eglise met ses livres à l’index.

     

    anderlecht-maison-d-erasme-jardin-08-4ah-cpf-147.jpg

                                Anderlecht - La Maison d'Erasme

     

    Érasme grand voyageur fut aussi un grand épistolier une correspondance extraordinaire de diversité : Thomas Moore dont il est l’ami, Luther si proche et si éloigné, François Ier, trois papes, Charles Quint

    C’est un grand européen avant l’heure, portraituré par les grands peintres de l’époque.
     
    Lui que l’on a appelé le précepteur de l’Europe fut toute sa vie l’ami des grands, mais vécut toujours assez simplement dans un souci d’indépendance, exerça de petits métiers pour survivre mais fut un homme des plus courtisé « les princes se le disputeront, les papes et les réformateurs l’imploreront, les imprimeurs viendront l’assaillir, il fera aux riches l’honneur d’accepter leurs présents. »

     

    Zweig fait un tableau de cette époque où « Un siècle finit, des temps nouveaux commencent : pendant un court instant , l’Europe n’a plus qu’un coeur, un désir, une volonté » Hélas hélas ce temps de l’humanisme sera aussi celui du fanatisme religieux. 

     

    Le Livre :
    Érasme - Stefan Zweig - Editions Grasset 

     

     

  • La Femme d'un génie

    Depuis plusieurs mois je vagabonde ene Russie, l’écoute de Maître et serviteur, le témoignage de Tatiana Tolstoï ou l’hommage appuyé de Dominique Fernandez, il me restait à lire Sofia Tolstoï, qui mieux qu’elle pouvait restituer cette époque, le domaine Iasnaïa Poliana, la vie du créateur d’Anna Karénine ?

    9782845451582FS.gif

    Le personnage très contreversé de Sofia Tolstoï m’attirait, était-elle une femme hystérique, jalouse et frustrée, ou bien la victime d’un homme violent, impatient, en proie aux tourments de l’âme ?
    Pour le savoir j’ai entamé un de mes pavés de l’été,  je vous propose de partager cette lecture avec moi.
    Pour une jeune fille de l’aristocratie russe, fille d’un des médecins du Tsar, se retrouver à 18 ans avec la charge d’un domaine, le choc est rude, mais Sofia Tolstoï est capable d’y faire face.

    07-Sofia-la-jeune-mère-en-1866-avec-Tatiana-et-Sergueï..jpg

    Sofia en 1866 avec Tatiana et Sergueï


    Quand en même temps elle découvre les exigences sexuelles de son mari et doit vivre continuellement soit enceinte soit en train d’allaiter, la réalité est alors brutale pour une jeune fille élevée bien loin de ces réalités.
    En vingt ans Sofia Tolstoï mettra au monde 13 enfants et en verra mourir 4, durant toutes ces années le soin des enfants, la surveillance de leur santé, le souci de leur éducation lui reviendront entièrement et sa vie sera rythmée par les grossesses, les accouchements, le sevrage et fausses couches.

    10-La-maison-Tolstoï-en-hiver.-Musée-du-domaine-Tolstoï-dIasnaïa-poliana..jpg

    Iasnaïa Poliana en hiver


    Léon Tolstoï aime son domaine d’Iasnaïa Poliana mais en laisse la gestion à sa femme. C’est une toute jeune femme, cultivée,  qui parle parfaitement le français et qui a lu « toute la littérature russe et (..) toute la littérature étrangère traduite en russe. »
    Elle va devoir mettre de côté ses rêves et se colleter avec la vie quotidienne.
    Pendant des années, jusqu’à ce que les études des enfants nécessitent de vivre à Moscou, Sofia Tolstoï va mener une vie frustrante 
    « Parfois, l'idée d'être irrémédiablement enfermée dans cette vie campagnarde dont je n'avais pas l'habitude m'oppressait terriblement. J'avais envie de bouger, de m'amuser, de trouver à quoi employer mes jeunes forces. ».


    Sa vie tourne totalement autour de son époux, elle l’admire, l’assiste, recopie indéfiniment ses manuscrits, sept fois le manuscrit de Guerre et Paix !! et à l’instar de Anna  Dostoïevskaïa, elle s’occupera de l’édition de ses oeuvres.
    Les années de création sont les années ou totalement dévouée et heureuse de participer à la naissance des grands romans de l’écrivain, Sofia Tolstoï est heureuse. Elle suit les conseils de lecture du grand homme, fait la lecture à haute voix à ses enfants, lit les classiques et les philosophes.

    Elle est bien entendu l’hôtesse accueillante mais ce rôle là finira par peser quand se fera interminable le défilé des admirateurs.
    Elle trouve peu de compréhension auprès de son mari et surtout aucune reconnaissance :

    « Comme je l'aimais, toute ma vie je fus mue par ce désir ardent de lui être utile, de lui plaire en tout. Oui, toute ma vie fut subordonnée à ce désir. Comment y répondait-il ? Eh bien, il devenait de plus en plus exigeant sans jamais m'encourager par son affection ni sa gratitude pour ce que je lui donnais. Je sentis toujours sa sévérité ».
    D’épouse craintive et soumise, elle va petit à petit se transformer en femme frustrée et les dernières années de la vie du couple seront totalement empreintes de mésentente et de déchirements.

    14-Sofia-Tolstoï-écrit-dans-son-journal.-Musée-dEtat-Léon-Tolstoï-Moscou-Editions-des-Syrtes..jpg
    Elle copia 7 fois le manuscrit de Guerre et Paix

    Sofia Tolstoï écrivain sait raconter la vie quotidienne avec une belle vivacité, on voit vivre la maisonnée, grandir les enfants, on découvre sa famille, les amis, les divertissements. Elle peint avec beaucoup de bonheur la nature, le domaine, les bois, les rivières, les étangs gelés, la cueillette des baies, les courses de charrettes. Elle aime la compagnie de certains visiteurs, elle rencontra à plusieurs reprises Tourgueniev. A Moscou près de sa famille la vie est plus conforme à ses attentes

    32-La-maison-Tolstoï-à-Moscou-en-printemps..jpg

    La maison des Tolstoï à Moscou


    Tout au long de cette autobiographie on entend la sincérité dans la voix de Sofia Tolstoï, elle brosse le portrait d’un homme de génie mais humainement en proie aux tourments, perpétuellement exigeant, prônant l’abstinence mais d’une sexualité débridée, jamais satisfait, en proie à des tocades passagères (l’apiculture, les cures de lait de jument, les échecs, la cordonnerie, la chasse) dont tout son entourage fait les frais.

    25-Tolstoï-le-paysan-en-1908..gif

    « Lorsque ses entreprises se soldaient par un échec, ce qui arrivait assez souvent, Lev Nikolaïevitch sombrait dans le désespoire et affichait une humeur maussade. »
    Lorsqu’il veut, au nom de ses convictions, abandonner ses droits d’auteur, c’est sans se soucier des besoins de sa famille.

    18-Le-couple-Tolstoï-au-bord-de-la-mer-en-1901.-Musée-dEtat-Léon-Tolstoï-Moscou-Editions-des-Syrtes..jpg


    Une fois ce livre fermé, mon admiration pour l’écrivain Tolstoï n’a pas changé mais l’homme ne sort pas grandi de ces pages.
    Pourtant en écho tout au long l’amour et l’admiration de Sofia Tolstoï s’y répand, envers et contre tout.
    Si vous aimez la Russie, la littérature russe, si vous aimez Tolstoï, faites une place à ce livre dans votre bibliothèque.


    La chronique d'Un livre l'autre

    Les illustrations du billet proviennent de Tolstoï Salon

    Le livre : Ma vie - Sofia Tolstoï - Traduit et préfacé par Luba Jurgenson - Editions des Syrtes 2010



  • Elisée Reclus Etonnant géographe - Joël Cornuault

    Eliséereclus.gif

    Elisée Reclus étonnant géographe - Joël Cornuault - Editions Fanlac
    Qu’est-ce qui fait que l’on part à la recherche d’un écrivain ?  le plus souvent pour moi c’est parce que je lis ici ou là un article, un passage de livre le concernant. Et de temps en temps c’est autre chose. Pour Elisée Reclus je connaissais son nom, de façon très vague et associé à la géographie mais c’est tout.
    C’est l’interview de Kenneth White dans une émission de radio qui m’a titillé, il parlait de Reclus avec une telle admiration, mettant en avant les écrits mais aussi l’homme et son engagement personnel. Du coup j’ai voulu satisfaire ma curiosité et je vous propose de faire connaissance avec ce savant, cet humaniste, cet anarchiste « père de la géographie » un peu comme Hérodote est le père de l’histoire.

    Vient de paraitre une biographie très complète et qui vient d'obtenir le Prix Fémina de l'essai, mais elle est réservée aux  vraiment curieux, pour les autres je propose une balade plus légère avec le spécialiste  de Reclus : Joël Cornuault qui anime les Cahiers d’Elisée Reclus et qui a traduit également les livres de John Burroughs.
    En ouverture de ce petit livre de 150 pages l’auteur nous dit : « Elisée Reclus fut un homme de conviction ardente : loyal, opiniâtre, désintéressé, bienveillant, capable de vivre jusqu’au bout les opinions qu’il professait (...) car il croyait, rare parmi les hommes de plume, en ce qu’il disait ou écrivait  » Joli début non ? et qui donne envie de mieux connaître l’homme.

    EliseeReclusNadar.jpgQuelques éléments biographiques indispensables :
    Né en 1830 dans le sud ouest, issu d’une famille protestante, son père pasteur éleva 14 enfants, programmé pour être pasteur il renonce à la théologie et étudie les langues (il en parle 5) la géographie, perd la foi et devient anarchiste.

    Homme de convictions il est obligé de fuir après le coup d’état de Napoléon III, il va en profiter pour visiter les Etats Unis, découvre et s’insurge contre l’esclavage. De retour en France il commence sa vrai carrière de géographe en voyageant dans toute l'Europe et le plus souvent à pieds pour les éditions Hachette.
    Ses convictions anarchistes le lient à Bakounine et il participe à la Commune, condamné au bagne il est sauvé par son renom d’homme de sciences car de nombreux savants intercédèrent pour lui dont Darwin, il est condamné au bannissement, il va désormais vivre à l’étranger, en Suisse, en Belgique. Il devient l’ami de Pierre Kropotkine , amitié qui se poursuivra pendant de longues années. 

    Il va écrire ses livres les plus célèbres : Histoire d’un ruisseau et surtout une « Géographie universelle » en 19 volumes et « La terre » en 6 volumes, titulaire d’une chaire à l’université de Bruxelles, il fonde l’Institut Géographique, il voyage énormément et meurt en 1905, il est inhumé au cimetière d’Ixelles

    Le grand intérêt du livre de Cornuault c’est de ne pas respecter la chronologie mais plutôt de nous introduire dans la pensée de Reclus en quelques chapitres évocateurs : Du sentiment de la beauté, Paysages sonores et rythmes du monde, Elisée et les joies de l’espace.
    On découvre dans ces chapitres « l’homme d’abord, le géographe ensuite » comme Reclus se décrivait lui-même
    elisee-reclus-1879.jpgCe fut, dit Cornuault « un semeur de sciences » et à travers son oeuvre et la qualité de ses écrits « un semeur de beauté »
    Le grand projet de Reclus était de mettre les sciences à la portée de tous. Toute son oeuvre est parcourue par une émotion forte, par son admiration de la nature, lui qui combattait l’illusion, le mystère mais qui avait une « chaleur admirative pour les formes de la terre » Il se qualifiait de « Géographe prolétarien » joli nom pour ce socialiste convaincu. Géologue perspicace il eut l’intuition de la dérive des continents.
    Dans ce petit livre on découvre aussi son entourage, Camille Pissaro avec qui il a été en relation et qu’un critique de l’époque appellait « anartiste » ce qui était fait pour plaire à Reclus.
    Toutes ses oeuvres sont bien sûr illustrées de cartes mais aussi de vignettes dessinées par Frantz Kupka qui deviendra ensuite un peintre abstrait très connu.

    reclusmort.jpg

    « J’ai parcouru le monde en homme libre... »
    (article publié lors de sa mort )

    L’auteur ne s’attarde pas sur l’engagement anarchiste de Reclus car dit-il « C’est par les chemins buissonniers qu’emprunte le lecteur sans affiliation que je vins à Elisée Reclus. »
    J’ai beaucoup aimé ce livre du genre de ceux qui emportent vers d’autres livres

    Poursuivre votre lecture


    Histoire d’un ruisseau - Elisée Reclus - Editions Infolio


    Elisée Reclus Géorgraphe anarchiste, écologiste - Jean Didier Vincent - Robert Laffont
    Une biographie très complète mais que j'ai trouvé moins vivante que le livre de Cornuault par contre elle s'attache a montré la vie et l'engagement anarchiste de Reclus, ses liens avec Bakounine et Kropotkine et assez longuement sa vie en exil.



  • Jours de travail Les Journaux des Raisins de la colère - John Steinbeck

    Ce livre s’adresse aux lecteurs de Steinbeck, aux admirateurs de son roman le plus célèbre : Grape of wrath, les Raisins de la colère.

    steinbeck

    C’est un roman que j’ai découvert très tôt, trop sans doute mais si je n’ai pas lors de ma première lecture apprécié l’ensemble à sa juste valeur, j’ai néanmoins ressenti fortement cette volonté forte, déterminée, de prendre fait et cause pour les démunis, les traine-savates, les exclus. 

    Quand Steinbeck commence l’écriture des Raisins de la colère il vient de connaitre le succès, succès de ses deux derniers livres : En un combat douteux et surtout Des souris et des hommes. 

    steinbeck

    Adaptation théâtrale, Hollywood lui fait les yeux doux, il est harcelé par les médias pour des émissions, interviews, réceptions et il se sent piégé et incapable de mener à bien en même temps l’écriture d’un roman ambitieux.

    Le journal qu’il tient pendant ces quelques mois d’écriture traduit fidèlement ses difficultés, ses emballements, ses doutes. Steinbeck est pressé par le temps, il s’impose des délais intenables, écrire 2000 mots chaque jour, il se fixe des objectifs pour les oublier le lendemain.
    « Un livre a-t-il jamais été écrit dans des conditions plus difficiles ? »

    Il tente de lutter contre le délitement de son temps d’écriture et de sa concentration, les bruits intolérables, les coups de téléphone, les amis qui s’invitent et surtout le projet d’achat d’une propriété qui lui tient à coeur mais qui traine en longueur et vient perturber son écriture.

    steinbeck

    Chaplin est parmi les visiteurs

    L’écrivain travaille à son domicile et pour son entourage il n’est pas vraiment au travail, il est là, disponible. « ils m’observent et ne sont plus naturels. »
    Il se fait aussi des reproches, il a une tendance à la paresse, au découragement 
    Plus grave encore on le sent préoccupé par l’évolution vers la guerre, les accords de Munich, sa vision de plus en plus forte d’une guerre imminente. 

    steinbeck

                                                                        Munich 1938 

    « Ce livre est ma seule responsabilité et je dois m’y coller, et rien d’autre. Ce livre est ma vie à présent ou doit l’être. Quand il sera terminé, viendra le temps d’une autre vie. Mais pas avant qu’il ne soit achevé. Et les autres vies ont commencé à faire irruption. Cela ne fait aucun doute. C’est pourquoi je prends autant de temps à écrire ce journal ce matin. Pour me calmer

     Sa principale préoccupation est de bien traduire dans son écriture le combat des pauvres cueilleurs, fermiers qui ont tout perdu, métayers d’Oklahoma fuyant la misère et la poussière; la vie effroyable dans les camps de migrants.

    steinbeck

    Camp  Photo de Dorothea Lange 

    On sent dans le journal cette volonté d’être à la hauteur, c’est un corps à corps avec les difficultés, les personnages, on les voit naitre sous sa plume 
    Son épouse tape frénétiquement au fur et à mesure de l’écriture. 

    On voit le roman avancé et je me suis reportée au fur et à mesure aux chapitres du roman correspondants, on voit le déroulé, le plan des différentes étapes du roman. On voit les personnages prendre de l’épaisseur. En même temps Steinbeck est bouleversé par la famine et la détresse des cinq mille familles de saisonniers venus en surnombre pour la cueillette des petits pois, son nom va servir de caution, ajoutant ainsi à la pression qu’il ressent.

    steinbeck

                                                  © Dorothea Lange 

    On apprend par son journal que c’est sa femme qui a trouvé le titre splendide issu d’un chant patriotique américain. « un titre merveilleux, le livre existe enfin »

    steinbeck

    Il se sent totalement responsable  « C’est la partie importante du livre. Je dois la réussir. Cette petite grève. Je dois la gagner. Il faut que ce soit plein de mouvement et qu’il y ait la combativité de la grève. Et il faut la gagner »

    Le livre est un énorme succès dès sa sortie mais Steinbeck est poursuivi par la vindicte des grands propriétaires ou des banquiers montrés du doigt dans le roman. Son livre est interdit de vente dans certaines villes de Californie.

    steinbeck

    En 1940 Steinbeck reçoit le prix Pulitzer Pour Les Raisins de la colère

    Je suis une inconditionnelle de Steinbeck alors évidement je suis partiale, mais si comme moi vous aimez ses romans alors lisez ce livre qui fait pénétrer dans l’intimité de la création, ses joies et ses affres.

    Chaque entrée du journal est repris en notes par Pierre Gugliemina ce qui éclaire le lecteur et apporte une saveur supplémentaire au journal. Il dit que Steinbeck a pleinement conscience d'écrire un roman révolutionnaire.
    Il est évident que l’on a une seule envie, celle de relire le roman dont les premiers mots sont restés dans la mémoire de beaucoup de lecteurs :

    steinbeck

    « Sur les terres rouges et sur une partie des terres grises de l’Oklahoma, les dernières pluies tombèrent doucement et n’entamèrent point la terre crevassée. » 

    steinbeck

    Le livre : Jours de travail -Les journaux des Raisins de la colère -John Steinbeck - Traduit par Pierre Guglielmina - Editions Seghers

  • Une Odyssée Un père, un fils, une épopée - Daniel Mendelsohn

    J'ai commencé l'été avec Homère et je le termine avec lui.
    Les lectures sont parfois faites de coïncidences, de croisements, de rebondissements.

     

    homère

    Après avoir écouté tout l'été les chroniques de Sylvain Tesson j'avais ressorti l'Odyssée dans la traduction de Philippe Jacottet, celle que je préfère et de loin. Du coup je n'ai eu qu'un petit geste à faire pour la rouvrir lorsque j'ai entamé le dernier livre de Daniel Mendelsohn

     

    homère

    C'est toujours un peu inquiétant d'ouvrir le livre d'un auteur dont on a admiré, lu et relu l'opus précédent. Lorsqu'on a été emporté par un récit, que l'on a parlé du livre autour de soi pour le faire lire. 

    Et si ce titre qui vient de paraitre était une déception ?  Il vous faut quelques pages, mais quelques pages seulement pour savoir que non, vous ne serez pas déçu. Non le livre va tout naturellement trouver sa place dans votre bibliothèque, le plus difficile sera de décider où le glisser, comment le classer ……

    homère

    Vous avez pu lire dans mon billet précédent les premières lignes de ce livre, c'est un petit clin d'oeil à la littérature grecque, ce type d'introduction porte le nom de proème nous apprend Daniel Mendelsohn, en quelques lignes l'auteur nous place au coeur du récit.

    homère

    L'histoire du voyage d'Ulysse et de son retour vers Ithaque, l'histoire de Jay Mendelsohn âgé de 81 ans, qui a été ingénieur en aéronautique et  enseignant en informatique et qui va comme tous les étudiants du séminaire mené par son fils, s'immerger dans l'oeuvre du barde mythique.

    Quand je dis "comme tous les étudiants", ce n'est pas tout à fait vrai car malgré la promesse faite à son fils de rester silencieux, Jay Mendelsohn va mettre son grain de sel dans l'affaire.

    Surtout parce qu'il n'aime pas Ulysse, il lui dénie l'appellation de héros. Jay Mendelsohn est un adversaire résolu du mensonge ce qui le rend hostile à Ulysse le menteur divin.

    homère

    Ses positions trouveront parfois un appui auprès des étudiants, parfois seront en opposition frontale à celles de son fils au point de perturber quelque peu les cours.

    Les étudiants s'amusent mais aussi profitent des échanges et les interruptions du vieil homme finissent par faire naitre discussion et réflexion.

    La lecture du poème homérique devient très concrète, plus riche, l'interprétation du fils est remise en cause, discutée à travers des souvenirs partagés entre le père et le fils.

    Après le séminaire, père et fils vont s'embarquer pour une croisière en Méditérrannée pendant dix jours sur les traces d'Ulysse. Il y a des scènes étonnantes et jubilatoires pendant cette croisière qui va mettre au jour des liens entre père et fils, l'occasion pour l'un et l'autre d'exprimer amour, exaspération, surprise ou colère.

    homère

    Daniel Mendelsohn est un professeur compétent, sérieux mais pour notre plus grand plaisir il joue avec sa spécialité, avec la langue grecque.

    Mimétisme est un mot grec, normal alors que la composition du livre soit l'occasion pour Mendelsohn de s'amuser à suivre les "circonvolutions dans le temps et dans l'espace " comme dans la littérature grecque. Parce qu'il s'amuse avec le lecteur, imbriquant pour notre plus grand plaisir, analyse littéraire, aperçu de ce qu'est un séminaire, et l'histoire familiale, l'histoire de ce père si proche et si lointain. Créant chez le lecteur cette sensation de circularité.

    homère

    Pénélope par Bernard Buffet

    Le mélange entre analyse de l'oeuvre et souvenirs familiaux est parfaitement réussi, le tissage est serré, des thèmes comme celui du lit nuptial qu'Ulysse a construit, qui lui permettra de se faire reconnaitre de Pénélope, trouve un bel écho avec ce lit construit des mains de Jay et sur lequel il va encore coucher lors de sa venue chez son fils à l'occasion du séminaire.
    Un lien indéfectible entre père et fils comme il est lien dans l'épopée entre Ulysse et Pénélope.

     

    homère

    Ulysse et les prétendants

    Il y a beaucoup d'émotion dans ce livre, quelques mois après le séminaire Jay Mendelsohn a fait une chute qui a entrainera son décès. 

    Ce livre est comme le Kaddish que le fils prononcerait sur la dépouille de son père, le séminaire et la croisière furent l'occasion de faire la paix. 

    Une Odyssée est un livre où l'on apprend beaucoup sur Homère et son oeuvre mais plus encore sur les liens qui unissent parents et enfants.

    On retrouve dans ce livre toute la tendresse dont est capable Mendelsohn, l'érudition qui est la sienne qu'il cache parfaitement bien pour ne pas gêner le lecteur. 

    homère

    Les Mendelsohn Père et fils

    Ce récit très personnel est totalement intemporel et peut parler à tous. 

    Un livre à offrir à vos parents ou à vos enfants comme le trait d'union d'une génération à l'autre.

     

    homère

    Le Livre : Une Odyssée, un père, un fils, une épopée - Daniel Mendelsohn - Traduit par Clotilde Meyer et Isabelle Taudière - Editions Flammarion