J'aime qu’une lecture me dérange, m’interroge sur mes certitudes, remette en cause des idées trop figées.
Malgré la lecture de quatre biographies de mon auteur fétiche j’ai été incapable de résister à une nouvelle parution.
Au gré des écrits sur Montaigne on l’imagine parcourant sa librairie, feuilletant, annotant, chevauchant de temps à autre mais revenant méditer dans sa tour.
La librairie virtuelle de Montaigne
Que nenni nous dit Jean-Christophe Bardyn « Au fil des siècles, les repeints se sont accumulés au point de défigurer l’original. » et c’est bien un Montaigne rajeuni, à la verdeur manifeste qui apparait une fois gratté le vernis des siècles.
« Il faut rendre à Montaigne sa démesure, y compris dans la modération, ses passions violentes et ses colères sanguines, son goût à la fois puissant et raffiné, et pour finir, quand il le faut, son âme partisane »
Voilà on est prévenu d’emblée et JC Bardyn a épluché moults documents mais a cherché aussi à lire entre les lignes quand sciemment Montaigne nous y a laissé des indices.
Le portrait s’enrichit de mille anecdotes, de croisement d’informations qui donnent sens à des détails parsemés ça et là dans les Essais.
La question principale est celle de sa naissance après ...11 mois de grossesse, on sourit, sauf qu’à l’époque lorsqu’une femme déclarait accoucher après 11 mois c’était le plus souvent pour masquer une grossesse illégitime !
Alors Montaigne enfant illégitime ? Je dois dire que les arguments de JC Bardyn sont tout à fait convaincants quand on les met bout à bout, une mère absente des Essais, un frère en procès avec lui quant à la succession du père, une tentative de mise sous tutelle de l’héritage au profit de la mère.
Non content de nous surprendre JC Bardyn dépoussière aussi la légende, l’apprentissage du latin ne lui fut pas réservé mais il le suivit en compagnie de son frère Thomas, il fit vraisemblablement des études à Paris sous l'égide de Turnèbe penseur et pédagogue de l'époque.
Le choix par son père de la magistrature pour ce fils ainé appuie la thèse de la bâtardise alors que tout naturellement à l’époque c’était le métier des armes qui était préféré pour l’héritier.
La princesse de Montpensier
On découvre Montaigne et La Boétie compagnons d’infortune, l’un en raison d’une enfance perturbée l’autre par sa probable bâtardise, le sage n’étant pas celui qu’on croit.
La Boétie étant l’élément modérateur d’un Montaigne très porté vers les femmes mariées ce qui à l’époque représentait le danger véritable de finir une épée en travers du corps.
Montaigne n’a pas tout dit de sa vie, la période ne s’y prêtait pas, quand on élucubre pour savoir si Montaigne était stoïcien, sceptique, épicurien, en fait notre homme était avant tout hédoniste et libertin « Montaigne fut un très grand séducteur. »
Diane d'Andouins future maitresse d'Henri de Navarre
A travers ses Essais Montaigne a énuméré de façon plus ou moins explicite la liste de ses maitresses, Diane de Foix-Candale à qui il laissa peut être un héritier, Madame de Duras, Diane d’Andouins et qui deviendra la maitresse d’Henri de Navarre ! Madame d’Estissac et peut être aussi Marguerite de Valois. Montaigne a cultivé les relations et pas seulement intellectuelles.
Marguerite de valois par Clouet
J’ai aimé le portrait de Montaigne en maire de Bordeaux cherchant avant tout à temporiser entre les différentes factions, à négocier chaque fois que c’est possible, à mettre les magistrats devant leur responsabilité quant à la misère qui sévit dans leur ville.
Cet homme n’est pas banal, un jour il reçoit le roi dans son château, un autre jour il fait connaissance avec les cellules de la Bastille dont il sort grâce à Catherine de Médicis. Il est même un jour obligé de fuir en roulotte avec sa maisonnée pendant plusieurs semaines !!
« L’époque des guerres civiles a façonné sa pensée et son style au point qu’ils entreront toujours en résonance avec les périodes troublées, inventives et inquiètes.»
Ecrivit-il un pamphlet sur elle ?
Peut être y eut-il un Montaigne pamphlétaire, le Discours merveilleux, libelle contre Catherine de Médicis qui courait dans les salons et châteaux de l’époque est peut être de sa main.
Je le dit tout net j’ai aimé cette biographie, elle s’appuie sur quantité de documents et surtout sur le croisements de bons nombres d’écrits que l’auteur fait parler en les confrontant. C’est un livre passionné et qui va sans doute remuer le Landerneau universitaire.
Voilà un auteur qui par la magie de sa biographie pleine de gourmandise m’est rendu encore plus proche.
Si vous êtes curieux de cette époque, si vous aimez que vos convictions soient un peu ébranlées alors lisez ce livre
Laissons le mot de la fin au biographe :
« Montaigne a toujours fait, autant qu’il le pouvait, ce qu’il voulait, sans se préoccuper à l’excès des jugements moraux, sociaux ou religieux. L’absence de repentir qu’il revendique hautement signifie qu’il assume tous les aspects de sa vie, parce qu’il les a tous voulus, pour autant que cela dépendait de lui »
Le livre : Montaigne La splendeur de la liberté - Jean-Christophe Bardyn - Editions Flammarions Les grandes biographies
Les biographies lues : Jean Lacouture, Madeleine Lazard, Donald Frame Hugo Friedrich et Jean-Michel Delacomptée.