Après un essai de lecture désastreux j’ai retrouvé dans cette version le plaisir de la lecture, celle que l’on savoure doucement en prenant son temps.
L’appareil critique est parfait comme toujours en Pléiade.
L’histoire m’était connue, un rien parasitée par les adaptations de la BBC, c’est une petite frustration mais aussi l’occasion de se centrer sur l’écriture, les ressorts du récit sans s’inquiéter des péripéties ou du dénouement, finalement j’ai apprécié cette liberté totale.
Je dois dire que la richesse du roman est sans commune mesure avec les adaptations aussi soignées soient-elles.
1815 dans la petite ville anglaise d’Highbury, Emma Woodhouse jeune, riche et belle jeune fille occupe son temps à jouer les entremetteuses entre ses amis et relations.
Elle estime avoir habilement manoeuvré pour faire épouser sa gouvernante par un très bon parti alors pourquoi ne pas tenter d’autres mélanges ?
C’est un peu mince pour un roman et pourtant Jane Austen sous une apparente légèreté livre un roman subtil et riche.
Dès le début du roman les pointes acerbes ou moqueuses fusent, le père d’Emma Mr Woodhouse est présenté comme « très porté sur les remarques banales et les bavardages inoffensifs ».
L’auteur nous parle t-elle de l’éducation des jeunes filles qu’elle s'empresse d' ajouter :
« L’on prétend en longues phrases ronflantes et creuses combiner une éducation libérale et une morale de bon ton » Dieu que ces choses là sont dites avec aisance et ironie.
Collection Getty - Dans le ton de l'époque
Emma évolue dans un microcosme composé de deux catégories de personnes, les petits nobliaux et les autres, convenables certes mais ne faisant pas partie de la gentry.
Prenez Miss Smith qu’Emma a pris sous son aile pour la marier et bien
« elle montre une déférence si convenable, si seyante et une reconnaissance si agréable » que c’est un plaisir de la manipuler.
Le Pique nique
L’histoire est racontée en grande partie par Emma, elle mène la danse avec parfois des maladresses évidentes dont elle s’excuse à peine tant est grande son assurance, Mr Knightley l’ami de toujours dit d’elle avec une certaine sévérité
« Elle ne s’imposera jamais rien qui exige du travail et de la patience et qui soumette l’imagination à la règle du jugement » autant dire qu’elle est un brin écervelée, égoïste et vaniteuse.
Prenez son attitude avec Jane Fairfax qui va être contrainte faute de fortune de se faire gouvernante, voyez ses paroles vexantes avec la pauvre Mme Bates dont le bavardage incessant l’insupporte.
Ses manigances ne vont pas avoir les résultats escomptés avec Mr Elton le pasteur, Miss Smith ou le fringant Frank Churchill, qui vont tour à tour lui causer bien des tourments.
Le lecteur est mis dans la confidence des erreurs d’Emma, il peut choisir de s’en agacer, de s’en attrister ou tout simplement en rire comme je l’ai fait.
Quel tableau superbe de cette micro société, Jane Austen alterne entre ironie, humour, analyse sévère, ses remarques sont parfois le reflet de sa pensée et à d’autres moments des coups d’épingle comme par exemple cette description d’un dîner
« Il se tint quelques propos intelligents, d’autres tout à fait stupides, la plupart n’étant ni l’un ni l’autre. Au pire des remarques banales, des répétitions fastidieuses, des nouvelles rebattues et de lourdes plaisanteries » et toc ...
Cueillette des fraises
C’est un roman brillant avec un petit vernis moralisateur. Le récit avance lentement puis s’accélère par à coups.
Les portraits multiples tiennent de l’art de la miniature, tous les personnages et tous les paysages passent par le filtre d’Emma, elle qui ne connait ni Londres ni Bath et qui n’a même jamais vu la mer.
C’est une jolie comédie des erreurs, un marivaudage involontaire parfois, et l’auteur se fait tout à tour grinçante ou moqueuse, sage ou clairvoyante par la bouche de Mr Knightley.
J’ai des passages préférés : la cueillette des fraises par exemple ou le pique nique à Box Hill.
J’ai vraiment pris un grand plaisir à cette lecture et sa notoriété n'est pas surfaite.
Le livre : Emma - Jane Austen - Traduit par - Editions Gallimard Pléiade