Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : la petite lumière

  • Camus et la Kabylie

    Quand la période pour moi n’est pas propice à des lectures récentes, à des lectures un rien trop légères pour me satisfaire, je me tourne vers les livres de ma bibliothèque ou pour le dire comme Marie vers un  livre-chevalier. Et souvent je fais bonne pioche.

    kabylie.JPG

    « Des villages groupés autour de points naturels et vivant chacun de sa vie propre. Des hommes vêtus d’étoffes blanches et longues, dont les gestes précis et simples se détachent sur le ciel toujours bleu. Les petits chemins bordés de figuiers de Barbarie, d’oliviers, de caroubiers et de jujubiers. On y croise des hommes avec des ânes chargés d’olives. Les visages sont bruns et les yeux clairs. (…) La Grèce ? non, la Kabylie» (1)

    enfants.jpg

    « Par un petit matin, j’ai vu à Tizi-Ouzou des enfants en loques disputer à des chiens kabyles le contenu d’une poubelle. » (2)

    misère.jpg

    « Là nous regardions la nuit tombée. Et à cette heure où l’ombre qui descend des montagnes sur cette terre splendide apporte une détente au cœur de l’homme le plus endurci, je savais pourtant qu’il n’y avait pas de paix pour ceux qui, de l’autre côté de la vallée, se réunissaient autour d’une galette de mauvaise orge.
    Je savais aussi qu’il y aurait eu de la douceur à s’abandonner à ce soir si surprenant et si grandiose, mais que cette misère dont les feux rougeoyaient en face de nous mettait comme un interdit sur la beauté du monde 
    » (2)

    Albert-Camus.jpg

    Les livres :
    Carnets I – Albert Camus – Editions Folio Gallimard (1)
    Œuvres -Albert Camus – Gallimard Quarto (2)

  • Un Tableau un livre Monsieur Courbet

    « Je retrouvais un pays »

    Vue-d’Ornans.jpg

    Vue d’Ornans

     

    « En s’approchant on distingue un chemin de campagne ombragé par quelques arbres fruitiers, peut-être des cerisiers, ainsi que deux femmes, deux demoiselles de village, deux petites silhouettes sous leurs ombrelles jaunes et rouges, qui marchent sur ce chemin. »

    Gustave_Courbet-_ Paysage_à_Ornans .jpg

    Paysage à Ornans

    « Je connais ce chemin je l’ai déjà emprunté : d’Ornans, il mène à ce vallon reculé ; peut-être suffit-il d’une demi-heure à peine pour arriver jusque là ; l’ombre, la fraîcheur de l’ombre sous les cerisiers, je l’ai déjà respiré comme la chaleur – son bruit sourd – de cette après-midi d’été. »

    courbet.jpg

    « Je me souviens d’une sensation verte, formidablement verte. L’étendue verte d’un champ qui scintille au soleil. »

    « Mais, ce vert je le comprends aujourd’hui, possède encore la valeur d’un Petit pan de mur jaune.
    C’est ainsi que je devrais écrire (…) C’est ainsi toujours que le ciel devrait éclairer la terre, la vie, l’écriture. »

     

    Le Tableau : Paysage à Ornans-Musées royaux des Beaux-arts de Bruxelles.
    Le Livre : Bonjour Monsieur Courbet – Jean-Pierre Ferrini – Éditions L’un et l’autre Gallimard

  • En Etrange pays - Karel Schoeman

    Le roman de Karel Schoeman se situe à la fin du XIXème siècle en Afrique du Sud. J'ai eu envie de relire ce roman en apprenant la mort de l'auteur

    Versluis, un bourgeois hollandais arrive à Bloemfontein après un voyage harassant, il vient soigner une tuberculose déjà bien avancée.

    Les débuts sont difficiles, épuisé par le voyage et la chaleur, il retrouve un peu d’allant et prend pension chez Mme Van der Vliet, une femme dévouée, efficace mais intrusive.

    schoeman

    Tout une société gravite autour de lui, outre sa logeuse, la famille Hirsch qui respire la vitalité mais à la présence un brin insistante et le pasteur Scheffler.

    Petit à petit Versluis va élargir sa vision, il découvre la petite ville 

    « quelques rues autour d’une place de marché, avec la tour blanche du bâtiment du gouvernement et les cheminées et les toits, couleur argent des maisons parmi les eucalyptus, les saules et les arbres fruitiers. »

    Pour lui commence une vie sans heurts, une vie tranquille, comme amortie

    « Versluis pensait qu’il avait trouvé en Afrique le même genre de vie que celle qu’il avait abandonné en Europe. C’en était en tout cas une assez bonne imitation aux confins de la terre. »

    schoeman

    On sait peu de chose de Versluis et K Schoeman semble le tenir à distance, nous ne saurons jamais son prénom par exemple. 

    Il se mêle à la vie locale tout en gardant une certaine réserve, il est invité aux mariages, aux pique-niques et aux soirées poétiques où il doit payer de sa personne en lisant quelques poèmes. 

    C’est avec le pasteur et sa soeur infirme qu’il a les discussions les plus satisfaisantes. Versluis le libre penseur et impressionne le pasteur par sa connaissance du latin 
    « j’ai toujours trouvé que Virgile était une grande consolation (...) Mon Virgile et mon Montaigne ne me quittent jamais, pour que je puisse les lire en voyage ou la nuit quand je ne dors pas. » 

    Le pasteur lui aussi aime les livres et a une bibliothèque qui exigea des efforts 

    « cette petite malle avec Goethe et Schiller et Shakespeare que j’ai transportée pendant tout le voyage en bateau et en chariot à boeufs »

    schoeman

    Il doute et se sent seul, il exprime des regrets car il ne lui est plus possible 

    « d’avoir des amis parmi les Noirs, ce pays avait déjà commencé à s’interposer entre nous avec ses décrets arbitraires »

    C’est l’ultime étape pour Verluis, il le sait, bientôt il sera temps de

    « ne plus faire qu'un avec soi, dans l'obscurité parmi les pierres, les racines et le gravier »

    Contre toute attente il tente d’apporter de l’aide à un compatriote, Mr Gelmers, venu terminer sa vie en Afrique. 

    L’auteur livre sa réflexion sur la mort

    « accepter l'idée qu'on va mourir, cela implique une lutte, parfois même une lutte qui dure toute la vie »

    Un rythme du récit rendu lent par l’accablement provoqué par la chaleur intense. On devine à travers beaucoup de petites touches le devenir dramatique de ce pays. 

    La quête de Versluis est celle de tout être humain, quête de dépouillement illustrée par le veld infini

    schoeman

    « une étendue vide qui attendait que quelque chose arrive » et « dont le vide contenait une immense promesse, et dont l’obscurité était chargée de mystère. »  quête de paix et de sérénité.

    L’écriture est somptueuse, délicate, et trouve nécessairement un écho chez le lecteur

    Je vous renvoie aux avis tout aussi enthousiastes que le mien d’Eeguab et Keisha sur le site Lecture/Ecriture  

    schoeman

    Le livre : En étrange pays - Karel Schoeman - Traduit par Jean Guiloineau - Editions Phébus ou Libretto

  • Liberté dans la montagne - Marc Graciano

    Le temps de l'imaginaire

     

    9782714310989FS.gif

     

    Comment parler d’un livre que l’on a énormément aimé au point d’avoir envie de le garder pour soi ? 

    la-belle-albarine.jpg

    « Depuis bien des jours le vieux cheminait avec la petite le long de la rivière. »

     

    Le livre débute comme un récit initiatique, vous ne saurez jamais où se passe le récit, ni le nom des deux personnages, ni d’où ils viennent, ni où ils vont.  

    Le vieux et la petite vont cheminer ensemble tout au long du roman, le vieux protégeant la petite, l’éveillant à ce qui l’entoure, la portant quand elle est fatiguée, la réchauffant quand elle a froid, la nourrissant avec amour. 

    Ce que l’on devine c’est que le récit fait retour vers un monde médiéval, un monde ancien. L’homme et l’enfant vont affronter ensemble des épreuves. 

    Un moyen-âge imaginaire se déploie, le village et ses remparts, un tournoi avec des chevaliers en cotte de mailles et des dames portant hennin, le travail des artisans le long de la rivière. 

     

    Scene-Tournoi.jpg

    Ils vont croiser la route d’une série de personnages, bienveillants ou dangereux, comme les figures d’un ancien jeu de cartes, l’auteur les nomme : il y a le géant, l’abbé, le veneur. Les lieux traversés sont nommés avec le même laconisme : le marais, la ville….

    Le vieux se fait éducateur :

     

    « Il lui dit qu’ils possédaient le ciel et il lui dit qu’ils possédaient la forêt et il lui dit qu’ils possédaient les poissons dedans la rivière et aussi les animaux de la forêt. Il lui dit qu’ils possédaient les plantes et il lui redit qu’ils possédaient le ciel et aussi les oiseaux dedans le ciel »

     

    Le-daguet-repousse-BC4_6069_1400-1200-scale--95-924e8.jpg

    « De grands et nobles animaux enfantés par la nuit des forêts et le vieux lui parla de leur vie de bêtes traquées. Il lui parla de leur vie de proies fugitives et lui parla de leurs moeurs. Il lui parla des rudes combats entre mâles et  lui parla des femelles faonnant dans les chambres de feuillage. »

     

    Il lui nomme le monde, lui montre ses beautés et ses pièges

    « Chaque fois qu’il le pouvait, le vieux enseignait la petite sur les êtres et sur les choses qu’ils rencontraient. Le vieux nommait à la petite toutes les choses qu’elle découvrait et, quand il le connaissait, il lui en décrivait l’usage. »

     

    Chasse_chasse10.jpg

     

    Il l’avertie de la folie des hommes lorsqu’ils assistent à un exécution 

    gibet.jpg

    « le vieux dit à la petite qu’il n’existait pas de mot pour le décrire et il se tut en poursuivant sa marche puis, après un moment encore, le vieux reprit la parole et il dit à la petite fille que, de surcroît, il n’aurait servi à rien de l’inventer. »

     

    camp6.jpg

     

    Avec lui elle découvre le monde, sa violence, ses lois, sa beauté.

    Le chemin sera long et semé d’embûches, de belles rencontres, de dangers évités pour atteindre le but du voyage.

     

    Le récit se déploie et l’auteur utilise un mode d’écriture basé sur la répétition, ces répétitions transforment les phrases en litanies, donnent au récit un rythme lent et procure une sensation un peu hypnotique.

    C’est une écriture qui envoûte mais qui aussi se mérite, l’auteur vous fait parcourir des lieux escarpés et sa langue est elle-même une épreuve initiatique.

    Pour le lecteur aussi il s’agit d’apprentissage, les mots du travail, des outils, de la chasse, de la pêches, les mots des joutes et des tournois. Ils sont autant de pièges et de détours qu’il vous faudra passer. 

     

    J’ai noté au fur et à mesure tout un vocabulaire inconnu, inusité, rare, et j’ai béni mon Littré et mon Dictionnaire historique de la langue française. 

                       brousser   cabarer    eubage    

                    cosnil    camail  archiatre  faonner 

                         muid  brassin  abeausir 

                   toue   achevaler  ablais   dosse 

                         ébarouir    adamantin

              

    Pour apprécier ce livre il faut accepter de se laisser surprendre, ensuite on est envoûté et on pénètre dans les terres secrètes de Marc Graciano.

    Ce livre est beaucoup plus qu’une bonne surprise, c’est un récit splendide auquel il faut faire une place dans votre bibliothèque.

     

    Le Livre : Liberté dans la montagne - Marc Graciano - Editions José Corti

     

    L’auteur : C’est le premier roman de Marc Graciano qui est infirmier en psychiatrie et vit près du plateau du retord dont les paysages ont sans doute inspiré plusieurs pages de ce roman

    800px-Plateau_de_Retord-1.jpg

     

     

  • En Sibérie - Colin Thubron

    ensiberie.gifEn Sibérie - Colin Thubron - Traduit de l'anglais par Katia Holmes - Editions Hoëbeke
    La Sibérie: « Une austère beauté, une peur indélibile » Voilà les premiers mots de de récit de voyage qui conduit Colin Thubron d’ Iekaterinbourg, où furent exécutés les derniers Romanov dans la maison Ipatiev, aux confins de la Kolyma où périrent des millions d’hommes.
    « Mon voyage va courir après cette étendue qui couvre sept fuseaux horaires et un tiers de l’hémisphère Nord »
    C’est ce gigantisme qui l’attire, les étendues blanches et glacées, les fleuves parmi les plus grands du monde, un pays « ayant toujours servi de poubelle pour les criminels »
    En pérégrin expérimenté il utilise tous les moyens de transport, du Transibérien aux avions brinquebalants, et lorsque l’essence manque il paie de sa personne et erre à pieds sac au dos et profite de la liberté offerte par la chute du communisme (on est en 1999) « C’était la première fois dans l’histoire de la Russie qu’un étranger pouvait se balader en Sibérie à son gré. »
    Quelques noms égrenés au fil du voyage :  Omsk« Un siècle après Dostoïevski, Soljenitsyne était passé » , Novosibirsk sur la route qui relie l’Oural au Pacifique où « Il plut nuit et jour quand Tchekhov fit le long voyage de Sakhaline »
    Akademgorod qui fut un temps la capitale des cerveaux scientifiques de l’Union Soviétique et d’autres lieux où Colin Thubron nous invite grâce à sa connaissance de l’histoire de la Russie : la vallée de Pazyryk dans l’Altaï, haut lieu de la civilisation Scythes, ce mystérieux peuple chanté par Hérodote.

    Scythe_Pazyri.jpg

    Feutre provenant d'une tombe de Pazyryk


    Kyzyl où s’élève un obélisque marquant le coeur de l’Asie, Krasnoïarsk la cité admirée par Tchekhov que traverse l’Ienisseï et de là tout droit vers Doudinka et l’Arctique à bord d’un vapeur «  Nous entrons dans un vide doré. Je me dis : voilà la Sibérie originelle — insaisissable, infinie — celle qui s’attarda au fond des yeux des premiers voyageurs, tel un inconscient géographique. Son apparente vacuité était une page blanche offerte à l’écriture »
    Au gré de ses rencontres il pénètre dans la taïga avec un chasseur de bernaches et de rennes « De jour j’avais trouvé la taïga silencieuse, baignant dans une lumière verdâtre et une paix de cathédrale. Mais ce vide n’était qu’une absence d’humains. La forêt bruissait de toute la vie inquiète qui la peuplait : des lynx, des cerfs, des renards. »
    Le Baïkal aux allures d’océan, Irkoustk où l’on suit la trace de  Iekaterina Troubetskaïa et Maria Volkonskaïa,  princesses qui choisirent de suivre leurs maris exilés par le Tsar.
    S’enfonçant toujours plus profondément, Colin Thubron atteint le Pacifique, la frontière avec la Chine, le fleuve Amour et Iakoutsk pour terminer à Magadan, confins géographiques et humains de la Kolyma terre de désespoir où le froid est tel que « votre haleine gèle aussitôt, elle forme des cristaux qui tintent en touchant le sol avec un léger bruit surnommé  le murmure des étoiles »
    Là s’achève le voyage de Colin Thubron, une terre de douleur pour des millions d’hommes et dont il dit magnifiquement «  Comment supporter ne serait-ce que la pensée des plaintes qui pourraient s’élever de cette terre »

    vieux croyantsNovgorod.jpg
    Une assemblée de Vieux croyants

    C’est un voyage extraordinaire, mais tout l’art de Thubron est de savoir, non seulement nous décrire cette démesure, ces paysages splendides dans un style d’une très grande élégance, mais surtout de savoir à merveille parler de ses rencontres, des personnages qui traversent ce livre : Un descendant de Raspoutine, le gardien d’un musée totalement vide, des fonctionnaires attendant un salaire qui ne vient pas, un archéologue oublié de tous, des vieux croyants Ermites dans la Taïga, les derniers juifs d’une communauté installée par le Stalinisme et aujourd’hui disparue.
    Ses interviews très vivants, parfois très émouvants sont le fruit d’une culture immense, d’une chaude empathie qui lui permettent de nous porter à la rencontre de ces hommes et femmes, héros ou victimes tous en attente d’un avenir très incertain.

     

    ensibérie.jpg

    L'itinéraire de Colin Thubron

    C’est mon troisième voyage organisé par Colin Thubron, j’avais il y a des années exploré la Chine avec lui et son récit  Derrière la Grande Muraille montrait un don pour l’interview, pour les rencontres et l’observation qui m’avait séduite.
    Ce voyage en Sibérie tient toutes ses promesses.
    Si vous aimez les récits de voyage, si  L’usage du monde ou  Le temps des offrandes font partie de votre bibliothèque, alors ajoutez y ce livre qui a obtenu le Prix Nicolas Bouvier 2010


    colin thubron.jpgL’auteur
    Sa biographie sur le site Etonnants voyageurs
    Derrière la Grande Muraille a reçu le Thomas Cook Travel Book Award que vous pourez trouver en bibliothèque car il n'est plus disponible chez l'éditeur

  • Le journal des cinq saisons - Rick Bass

    La vallée du bout du monde au confins du Montana

    9782267021554FS.gif

     

    L’oeuvre de Rick Bass est déja riche de nombreux livres, des nouvelles, un long roman ( là où était la mer) et deux essais sur sa vallée, son territoire (le livre de Yaak et Winter) mais aujourd’hui il franchit une frontière avec ce livre.

    Journal météorologique et poétique, au fil des mois et des saisons Rick Bass nous livre ses observations sur sa vallée et son marais, la vie dans cette contrée grandiose, dangereuse, qui porte le sceau encore visible de l’ouest sauvage.
    Ses observations portent parfois la marque du scientifique, du géologue, mais le plus souvent celle du poète, du militant écologiste, du père qui s’interroge sur l’avenir qu’il peut promettre à ses filles.

    yaak1.jpg

    Tout commence rituellement en janvier « le mois où le cerveau ralentit », un mois magnifique et difficile, l’isolement pendant parfois plusieurs jours, il faut pelleter la neige, sa cabane d’écriture est inutilisable. Des mois propices au travail lent et régulier « aux besognes rudimentaires » car l’hiver c’est l’ensevelissement sous un neige « si douce, si lourde, si apaisante »
    Février est le mois du froid « le marais est encore une vaste plaque marbrée de glace et de neige » et pourtant déjà quelques oiseaux sont de retour et le premier papillon « le théâtre de l’univers avec ses divers groupes et tous ses comédiens, est en train de ressusciter »

    Le printemps occupe un maximum de pages pour répondre à  la splendeur et la folle fécondité, la saison où le marais reprend vie, marais que Rick Bass appelle son « réservoir de couleurs et de parfums ». Avril est le mois où l’on entend à nouveau « le babil apaisé » des oies qui remontent du sud.
    C’est la saison où les ours noirs et les grizzlys sortent la tête de leurs tanières et « se mettent à arpenter les pentes inondées de soleil  » attirés par les lys avalanche vifs et jaunes, l’auteur les admire faire de folles glissades et se gaver de lys odorants et sucrés  « il arrive que des tâches jaunes s’accrochent à leur fourrure dorée et au museau de ces grands ours » améliorant ainsi naturellement la pollinisation.

    ours-brun-105.jpg


    la profusion de l’été, les randonnées en famille, les clairières baignées de soleil, les caches des fraises des bois, la cueillette de myrtilles. C’est aussi la période de retour à la civilisation, voyages, concert, rencontres. Mais comme rien n’est jamais parfait c’est aussi le temps des mauvaises herbes, sus à l’épervière d’une belle couleur mais par trop envahissante.
    La saison aussi des incendies, utiles parfois, dangereux toujours, qui mettent parfois en péril la maison et la vallée et oblige à dormir d’un seul oeil.

    Yaak_Sell-out.jpg

    Vallée du Yaak

    Et c’est l’éclatement de l’automne, le retour de la pluie qui annonce déjà le long hiver, l’automne et ses impondérables comme cet accident de camion qui a tout d’un film d’horreur projeté au ralenti.
    Septembre c’est la lumière automnale « si intense maintenant qu’elle en est presque palpable, pareille au froissement d’un parchemin »
    Octobre sent le bois coupé. Les bois résonnent des tirs des chasseurs, tétras, faisans, antilope, cerfs et wapiti, pour profiter des cadeaux de la nature.

    wapiti.jpg

     L'imposant wapiti

    Rick Bass a toujours plaidé pour la protection de l’environnement, il veut pour ses filles un monde où le mot sauvage aura encore un sens, où la main de l’homme n’aura pas tout détruit, où elle pourront continuer d’aller à l’école en pleine forêt, avec des pommiers dans la cours et « des cerfs broutant paisiblement la pelouse »
    Il aime cette vallée « majestueusement reculée, nichée  » à la frontière du Canada et du Montana et il défend sa cause.
    Je vous laisse découvrir ce qu’il appelle la cinquième saison, intermédiaire pour lui entre l’hiver et le printemps.

    C’est un guide envoûtant, avec ce livre Rick Bass prend place dans la longue lignée des écrivains de la nature car derrière le botaniste et le géologue se cache l’écrivain et le poète.
    J’ai aimé cette relation physique avec la nature, les combats perdus d’avance contre les mauvaises herbes, les solstices qui rythment la vie de la maisonnée.
    J’ai aimé ses propos car il n’est pas donneur de leçons,  son militantisme, bien réel, reste discret, il cherche à convaincre plus par la beauté que par l’injonction. Rick Bass n’est pas un ayatollah de la cause environnementale, il a trop la fibre libertaire et souvent la mélancolie l’emporte sur le combat.

    Faites un place à ce livre dans votre bibliothèque

    Le livre : Le Journal des cinq saisons - Rick Bass - Traduit de l'américain par Marc Amfreville - Editions Christian Bourgois 2011

    rickbass-500x500.jpgL’auteur
    Rick Bass est un écrivain et écologiste américain, est né le 17 mars 1958 à Fort Worth dans l'état du Texas. Il a étudié la géologie à l'Université d'Etat de l'Utah. Émule de Jim Harrison, il a commencé à écrire de courtes histoires alors qu'il travaillait comme géologue pétrolier à Jackson, au Mississippi... En 1987, il s'installe avec sa femme, l'artiste Elizabeth Hughes, à Yaak Valley, à l’extrême nord-ouest du Montana, près de Troy, où il œuvre à la protection de sa région d'adoption. Rick Bass siège au conseil d'administration du Conseil Yaak Valley Forest and Round River Conservation Studies. (Ulike)