Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : philippe Berthier

  • Cahiers de la Kolyma - Varlam Chalamov

    « Ce que j'ai connu, un homme ne devrait pas le connaître, ni même savoir que cela existe. »

    chalamov

    Varlam Chalamov lors de son arrestation par le Guépéou 

    Varlam Chalamov c’est l’homme des Récits de la Kolyma, l’homme qui a résisté à deux condamnations, à la déportation et qui a passé 17 ans de sa vie au Goulag.

    Un livre de poésie par un rescapé des camps du Goulag c’est à peine imaginable, comme peut l’être une poésie sur les camps de concentration. Pourtant Varlam Chalamov, après avoir vécu des horreurs, avait déjà dit toute sa passion pour les livres et  la lecture, dans un livre qui m’avait profondément touchée.
    « les livres, c’est un monde qui ne nous trahit jamais »

    chalamov

    Infirmerie d'un camp du Goulag 

    Ici c’est le versant poésie qu’offre l’éditeur Maurice Nadeau dans une présentation parfaite et un livre d’une très belle qualité. 
    « Nous lisons des milliers de pages imprimées qui ne méritent pas tout ce temps perdu » c'est une peu ce que dit Montaigne. Mais il y a les autres pages, ces milliers de pages indispensables. J’ai juste ouvert son Cahier de la Kolyma et son recueil de poèmes.

    chalamov

    Vers Magadan 

    C’est un recueil magnifique qui, je n’ai pas honte de le dire, m’a fait monter les larmes aux yeux à plusieurs reprises. Mon rayon russe vient de s’agrandir d'un livre précieux. 

    Immédiatement on sent poindre une foi dans les poèmes, Chalamov est fils de prêtre orthodoxe, il ne croit pas en Dieu mais fait preuve d’une foi totale dans la vie alors qu’il travaille par des températures de moins cinquante dans une région où il y a « douze mois d'hiver, le reste, c'est l'été. »
    A cela il faut ajouter la faim, l’épuisement, la peur de la délation, la dureté du travail et la mort qui rôde en permanence.

    chalamov

    Pêche sur la glace de la Vologda

    La poésie est un recours  mais  « Les conditions du grand Nord excluent la possibilité d'écrire et de conserver des récits et des poèmes - à supposer qu'on veuille le faire. » Ce n’est que tardivement qu’il parvient à écrire ses poèmes « sur les revers et les pages de garde de pharmacopées, sur des feuilles de papier d'emballage, sur des sachets. » 

    chalamov

    Son écriture dans les récits de la Kolyma était dépouillée, sobre, précise et l’on retrouve ces qualités dans ses poèmes avec « une inclination pour le naturel et le concret » dit son traducteur.

    Il est une voix de la souffrance des hommes 

     

    « Et je gémissais sous les tenailles du froid
    Qui m'avaient arraché ongles et chair
    Je brisais mes larmes avec la main
    Non, ce n'était pas un rêve. » 

    « Je suis un petit jalon de la vie,
    Un bâton enfoncé dans la neige,
    Une voix que l'écho a égarée
    Dans les glaces de ce siècle. » 

    Chalamov évoque les hommes de la Vieille Foi, ceux qui s'opposaient aux réformes religieuses ceux que Peskov rend si vivants dans  Ermite dans la Taïga.

    chalamov

    Vieux Croyants 

    « Chaque soir dans la surprise
    de me savoir vivant,
    Je me disais des poèmes »

    Il vénère la poésie  « Tu conduis mon âme »

    « C'est ma force contre l'indifférence
    C'est, dans l'hiver
    ma forteresse bâtie. » 

     

    Il vit dans un monde de glace et dans un lieu de mort, mail il parvient à s’émerveiller devant la nature.

     

    « C'est que j'aime toujours à l'aube 
    Plus pure qu'une aquarelle,
    le reflet laiton de la lune 
    Et le trille des alouettes. » 

     

    Des poèmes de résistance avec une volonté absolue de remercier la vie.
    Il y a là la même force que dans Les Récits de la Kolyma mais avec sans doute un peu plus de douceur et d’espoir. 
    Il se raccroche à des riens au plaisir si fugace de l’instant.

    chalamov

    Monument à la mémoire de Chalamov à Moscou 

    La poésie l’a sans doute aidé à supporté la venue probable de la mort « Je vais sans peur dans les ténèbres »  et quand la vie devient trop dure il nous dit malgré tout « Il me fallait choisir entre la vie et la poésie et me prononcer (toujours !) pour la vie ». 

    chalamov

    Philippe Jaccottet disait de lui qu’il était celui qui était revenu « du dernier cercle de l’enfer »

    Chalamov est mort seul abandonné mais ses poèmes ont résisté au temps. 
    Sa voix se fera toujours entendre comme celle de Mandelstam, de Soljenitsyne,  parce ces voix sont la voix de la Russie, de la poésie et de l’amour de la liberté .

    chalamov

    Le livre : Cahiers de la Kolyma et autres poèmes - Varlam Chalamov - Traduit par Christian Mouze - Editions Maurice Nadeau 

  • Sur les étagères de ma bibliothèque

    Beau comme l’antique 

    grèce.jpg

    L’antiquité pour moi c’est : 

    Jupiter faisant retentir le tonnerre, une mère qui mange ses enfants, un homme condamné à l’exil loin de Rome, un empereur regardant Rome brûler, un vieil homme tentant d’échapper à une coulée de lave, un jeune homme poussant devant lui des éléphants, un fils assassinant son père tu quoque fili mi, un empereur guerrier et philosophe, un mur large comme l’Angleterre, un guerrier rendant les armes à Alésia, l’épouse du héros défaisant la nuit le travail de la journée, un père venant réclamer le corps de son fils, un fil qui conduit à un monstre, un poète qui nous raconte tous les mythes et leurs métamorphoses, le père de l’histoire, un poète qui aime les abeilles, une ville engloutie sous les cendres …..et bien d’autres choses encore 

    philosophies.jpg

    Je n’ai pas le prétention de tout passer en revue, ma bibliothèque a évolué au fil du temps, aujourd’hui il ne reste que l’essentiel, la substantifique moelle si l’on peut dire.

    Je n’ai pas la prétention de vous dire « c’est ce qu’il faut lire » mais plutôt voilà ce que moi j’aime, ce qui m’a enrichi, a répondu à ma curiosité, m’a fait parfois rêver ou bondir ou changer mon regard.

    littérature.png

    Certains livres sont classés en histoire et là je vous recommande Lucien Jerphagnon, un formidable passeur, avec lui vous saurez tout sur l’histoire romaine et ses empereurs qui ont fait sa gloire ou son malheur ou si vous préférez un livre plus récent choisissez Mary Beard 

    Je vous recommande Moses Finley et son formidable Monde d’Ulysse ou bien son essai On a perdu la guerre de Troie avec son érudition formidable, une admiration que partage mon amie de Bonheur du jour 

    IMG-0270.jpg

    Dans ma bibliothèque commençons par les dictionnaires, certains sont indispensables à qui aime l’antiquité.

    Il y a ainsi le dictionnaire amoureux de la Grèce de Jacques Lacarrière, vous n’êtes pas étonnés de trouver ce nom ici car c’est un auteur que je lis et relis depuis de nombreuses années.

    Plus savant si l’on peut dire, il y a le Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine de Pierre Grimal, une somme qui nous fait connaitre ces personnages humains et divins, ces lieux mythiques, ces symboles de notre humanité, ces « marionnettes éternelles » 

    Mais vous pouvez faire plus simple avec le livre d’Edith Hamilton que l’on trouve en poche et aussi en version audio que je vous recommande lu par Thierry Janssen avec brio.

    9791035400989-475x500-1.jpg

    Il y a pour les non latinistes comme moi le Dictionnaire des sentences latines et grecques de Renzo Tosi, le genre de livre que l’on ouvre et dans lequel on tombe comme dans un puit sans fond 

    IMG-0259.jpg

    Enfin il y a le dictionnaire amoureux de la Rome antique, ne vous arrêtez pas au fait que son auteur fut ministre, il faut bien pardonner les fautes non ?  C’est un petit réservoir d’histoire, d’anecdotes, de personnages, je l’ouvre toujours avec plaisir 

    romilly.jpg

    Bon maintenant attaquons le coeur du sujet 

    Il y a environ trente ans ( ah oui je suis désolée mais …) j’ai lu des grands classiques grecs grâce à Jacqueline de Romilly, j'ai lu sa biographie d'Hector ou d'Alcibiade, aujourd’hui certains la regarde comme une figure un peu ringarde mais les gens qui lui doivent des lectures hors sentiers battus sont nombreux et j’en fait partie.

    Grâce à elle j’ai lu, parfois en sautant des passages la Guerre du Péloponnèse, il faut dire que j’avais un souvenir splendide de mon année de sixième grâce à un formidable prof d’histoire qui m'a transmis sa passion de l'antiquité.

    J’ai maintenant dans ma bibliothèque grâce aux éditions numériques Arvensa tout Eschyle, Euripide et Epicure.

    IMG-0267.jpg

    J’ai lu plus tard bien entendu Xénophon et sa célèbre Anabas, rappelez vous : Thalassa Thalassa, le livre est encore dans ma bibliothèque dans un format un peu curieux mais qu’importe.  

    Retraite des Dix Mille Adrien Guignet .jpg

    Retraite des Dix Mille - Adrien Guignet - Musée du Louvre 

    Ensuite c’est ouvert à moi le Monde d’Ulysse, j’avais 15 ans et j’avais choisi au lycée une option Textes anciens, pour moi qui malheureusement n’avais pu étudier ni le grec ni le latin, ce fut le bonheur, c’est ainsi que j’ai découvert Achille et Patrocle, Nausicaa, Calypso et Pénélope et bien sûr Ulysse

    IMG-0268.jpg

    Beaucoup plus tard est venu la version de l’Odyssée traduite par Philippe Jaccottet qui est pour  moi indépassable et depuis je navigue de livre en livre en audio, d’essais sur le sujet comme ceux de Pietro Citati ou Alberto Manguel 

     

    Même si vous n'avez jamais lu Hérodote, vous avez peut être vu Le Patient anglais et donc vous savez qu’Hérodote fut un grand conteur, son livre porte plusieurs titres, celui que je préfère c’est Enquête, car même si l’auteur se laisse aller à quelques traits de son imagination, la plupart du temps il a à coeur de nous dire, ce qu’il a vu, ce qu’il a entendu, ce qu’il a compris, et pour ça tout historien aujourd’hui lui est redevable. 

    IMG-0258.jpg

    J’ai en complément le livre de J Lacarrière : En cheminant avec Hérodote, une façon d’être accompagné sur le chemin.

    Pour terminer cette chronique un livre à mi-chemin entre la mythologie et la philosophie, que j'aime beaucoup, que je feuillette souvent c'est le livre du Luc Ferry, une mine pour comprendre les mythes, leur influence, ce qui perdure d'eux aujourd'hui encore et pourquoi. 

    IMG-0271.jpg

    Une chronique déjà bien longue et je crois que je vais arrêter là mon bavardage et vous donner rendez-vous à Rome d’ici quelques jours 

    Les Livres 

    Jacques Lacarrière - En cheminant avec Hérodote - Editions Hachette pluriel 

    Luc Ferry - Mythologie et Philosophie le sens des grands mythes  grecs - Editions Plon

    Herodote - Enquête en trois tomes - Editions Paléo 

    Alberto Mangueo - L'iliade et l'Odyssée - Editions Bayard

    Pietro citati - La pensée chatoyante - Editions gallimard

    Xenophon - lAnabase - Edition ancienne mais à trouver chez Flammarion ou Classiques Garnier 

    Renzo Tosi - Dictionnaire des sentences latines et grecques - Editions Jérôme Millon

    Xavier Darcos - Dictionnaire de la Rome antique - Editions Plon

    Jacques Lacarrière - Dictionnaire amoureux de la Grèce - Editions Plon

    Pierre Grimal - Dictionnaire de la mythologie grecque et latine - Editions PUF

  • L'année sans été - Gillen d’Arcy Wood

     Vous allez retrouver ici les deux personnages de mon billet précédent : Napoléon, ou du moins la fin de l'ère Napoléonienne et Turner qui donna des couleurs à cette année (ces années devrait on dire d'ailleurs) sans été.

     

    En avril 1815, près de Java, se produisit une éruption volcanique qui entraina un bouleversement climatique pendant 5 ans et qui changea la vie des hommes sur tous les continents, entraina plusieurs millions de morts, provoqua des changements importants pour la science, pour l'art, pour la littérature.

    Sans doute la première catastrophe climatique répertoriée, l'éruption du Tambora, qui peut-être comparée à celle de Santorin 1600 ans Avant JC qui anéantit la civilisation Minoenne.

    tambora .jpg

    Cette éruption localisée entraina des cataclysmes en chaine et donne un aperçu assez effrayant de ce qui attend la planète dans les années à venir, car le changement ne fut alors que de 2 °C…

    Si vous êtes étonnés de n'avoir jamais entendu parler de ce volcan et de son éruption, pensez que 1815 en France c'est la fin des guerres napoléoniennes et les regards sont plutôt tournés vers Saint-Hélène que vers Java.

    saint hélène.jpg

     

    Je vous propose de faire un tour du monde des conséquences qui grâce aux explications très claires, aux tableaux statistiques et aux schémas du livre, sont très clairement exposées 

    Commençons au plus près de l'éruption : outre les dégâts et les morts dus à la lave et aux fumées toxiques, il y eu bien sûr un tsunami, on estime pour Java et les îles proches à environ 100 000 victimes, la cendre recouvrait les cultures et l'obscurité dura une semaine entière.

    Bien entendu le nuage ne s'arrêta pas aux frontières ! c'est toute l'Asie qui fut atteinte plongeant des régions entières dans le chaos et la famine

    yunnan .jpg

    Les rizières du Yunnan

    Au Yunnan en Chine c'est la famine qui fait des ravages, le riz est sensible aux variations climatiques et les paysans meurent de faim, on vend des enfant pour un sac de riz, ils sont prêts à tout aussi quand la survie devient impossible ils se tournent vers une autre culture qui fera à terme des ravages conséquents : la culture du pavot. En quelques décennies, l'opium fut cultivé à travers le Yunnan Le « triangle d'or » de la production internationale d'opium était né.

    « Un poète chinois Li Yuyang, a évoqué de la manière la plus émouvante qui soit le monde dévasté par la crise climatique »

    La pluie tombe sans fin, comme les larmes de sang

    d’un homme sentimental.

    Les maisons coulent et frissonnent

    comme un poisson dans les eaux qui ondulent

    Je vois mon fils aîné accroché à la chemise de sa mère.

    Le petit pleure sans qu’on l’entende. Il n’y a plus d’argent, et

    Le riz est aussi rare que les perles, nous offrons nos couvertures pour nous sauver.

    Un seul dou de riz, et rien de plus à la maison.

    Nous n’avons que quelques acres, et rien n’y pousse.

    Ma femme et mes enfants ont partagé leurs grains pour

    Toute l’année.

     

    Restons en Asie avec l'Inde et le Bengale : la poussière de l'atmosphère va entrainer des changements dans l'évaporation dans l'océan indien et entrainer des variations funestes des moussons, une alternance de sécheresse et d'inondations. 

    Plus pernicieux, la variation des températures et de l'humidité provoque la mutation du germe du choléra qui va flamber et se propager comme une trainée …de lave
    L'épidémie sera mondiale, elle atteindra Paris, Moscou, et les USA.

    choléra au québec.jpg

    le Choléra a atteint le Québec

    En Europe c'est une baisse généralisée des températures, des étés pluvieux, inondations, retard des cultures.
    « Les Allemands appellent 1817 l'année du mendiant »

    C'est surtout l’Irlande qui connaît une effroyable famine, c'est pour les Irlandais le début d'une période très sombre, le gouvernement anglais restant sourd à leurs appels et à ceux de leur poète William Carleton qui écrit un conte resté fameux sur cette famine oubliée

    En Suisse des glaciers avancent jusqu'à détruire le Val de Bagnes. A Chamonix Percy Shelley note

    « Ces glaciers avancent constamment dans la vallée, ravageant dans leur lente mais irrésistible progression les pâturages et les forêts qui les entourent. »

     

    1986 glacier des bossons-1.jpg

    Le glacier des Bossons Chamonix © ivredelivres

    Curieusement en Angleterre il y eu un côté positif aux variations climatiques. Pour comprendre il faut d'abord dire qu'il y eu un effet paradoxal à cette catastrophe, si la planète se refroidit, les pôles eux se réchauffent et cela crée l'ouverture temporaire des mers polaires. Les explorateurs britanniques vont sauter sur cette opportunité pour partir à la recherche du fameux passage du Nord-Ouest. Si ils eurent de la chance quelques saisons, la suite fut plus difficile avec la perte de la fameuse expédition Franklin.

    expédition en arctique en 1819.jpg

    Expédition arctique en 1819

    Mais finissons notre tour du monde avec les Etats-Unis qui connurent leur première vraie crise économique, les gelées et la sécheresse dans l'est du pays détruisirent les récoltes, poussèrent les agriculteurs à la ruine, on vit des chutes de neige conséquentes en plein été ! 

    L'« année 1816-où-il-a-gelé-à-en-mourir ». Le 6 juin  « comme dans un mauvais rêve, il commença à neiger. De gros flocons, humides.» 

    « Les oiseaux tombaient des arbres, raides morts, tandis que les fermiers craignaient que leurs moutons qu’ils venaient de tondre ne survivent pas »

    La famine qui suivit déclencha un déplacement de population et la première ruée vers l'ouest et un afflux d'émigrants 

    «  1817 est l’année qui a vu le plus grand nombre de migrants britanniques et européens arriver sur le sol américain.»

     

    Finissons par une note culturelle  

    « Le froid était « exceptionnel » et les villageois se plaignaient du retard du printemps.Quelques jours plus tard, une tempête de neige leur gâcha la vue de Genève et de son célèbre lac »

    des tempêtes exceptionnelles se lèvent sur le Léman, que faire lorsqu'on ne peut pas sortir ?

    les écrivains.jpg

    Percy Shelley, Mary Shelley  Lord Byron

    « on compta 130 jours de pluie entre avril et septembre » Le froid était exceptionnel. Cet été sombre a certainement contribué à l'écriture d'un célèbre roman. Mary Shelley  « écrirait ainsi sa propre histoire d’horreur évoquant un sinistre monstre qui reçoit accidentellement la vie pendant une tempête » Frankenstein était né.

     

    frankenstein.jpg

    La peinture est, elle aussi, impactée par ces changements 
    On dit que les couleurs rouge orangé du ciel dans ces années là sont celles qui ont inspiré JMW Turner 

    turner .jpg

    Les ciels de l'époque inspirèrent aussi John Constable

    la baie de Weymoth à l'approche de l'orage.jpg

    La baie de Weymouth  à l'approche de l'orage 
    John Constable - Musée du Louvre

    « En Grande-Bretagne, un pic extrême de vents venus de l’ouest soufflant en tempête et accompagnés de pelotons de nuages de pluie venus de l’Atlantique déferla mois après mois – une armée aérienne grise qui apporta la misère aux paysans de Grande-Bretagne comme dans l’ouest du continent. Dans une peinture de Constable datant d’octobre 1816, la baie de Weymouth – une jolie crique abritée sur la côte sud de l’Angleterre où l’artiste passait sa lune de miel – baigne dans une pâle lumière sous un ciel tourmenté gris-noir »

     

    Un livre passionnant, un rien effrayant quand même, ce n'est que vers les années 90 que les conséquences d'une éruption se firent jour grâce au progrès de la climatologie.
    Pourtant un homme avait fait le lien entre éruption et changement climatique « en juin 1783 l'éruption du  Laki, un volcan islandais provoqua un refroidissement brutal, des récoltes catastrophiques et, l’année suivante, la misère en Europe ; il fut aussi à l’origine de la formation de glaces menaçant la navigation transatlantique »  cet homme c'était Benjamin Franklin, un visionnaire. 

     

    Vous avez dit réchauffement climatique ? 

     

    9782707192448FS.gif

    Le livre : L’année sans été - Gillen d’Arcy Wood - Traduit par Philippe Pignarre  - Editions La Découverte

  • Mon Temps mon fauve - Ralph Dutli

    Le Mendiant magnifique

    mandelstam

    Ossip Mandelstam fut un mythe en Russie et dans le monde malgré la censure attachée à son nom et à sa poésie,  mais on ne peut le réduire à son mythe ou à sa fin tragique au Goulag. 

    Ralph Dutli connait l'oeuvre du poète sur le bout des doigts, des premiers poèmes à ceux écrits en exil à Vorojnev, des poèmes les plus connus à ceux en forme de farce sur les tramways ou les crèmes glacées.

    Les éditions Le Bruit du temps ont réalisé avec ce livre une ode magnifique au poète sous l'égide duquel elles se sont placées. 

    Si vous aimez la poésie, la Russie, et plus largement la liberté des mots je vous propose d'entrer avec moi dans cette oeuvre.

    mandelstam

    Mandelstam par Petr Miturich

     

    La biographie évoque la naissance dans une famille juive aisée et très assimilée, on retrouve ce temps dans son récit Le Bruit du temps.

     Toute sa vie la culture juive le marquera même si il est souvent en conflit avec elle et qu'il flirtera avec le christianisme.

    Ses études sont chaotiques, le numérus clausus envers les juifs lui interdit les portes de l'université, il lui faudra choisir l'étranger pour terminer sa formation. Paris, Heidelberg, l'Italie. 

    mandelstam

    Le poète en 1909

    Les oeuvres des auteurs antiques l'inspireront tout au long de sa vie, pied de nez aux examinateurs qui le firent échouer à l'épreuve de littérature latine !

    Ses premiers poèmes paraissent en 1910, très vite il fait une rencontre importante : Anna Akhmatova, mariée au poète Nikolaï Goumiliov, elle « restera jusqu'à la fin une confidente et une interlocutrice privilégiée. »Mandelstam adhère au noyau de poètes qui fondent le mouvement acméisme prenant l'adhésion à « L'ici et maintenant »

     

    mandelstam

    Mandelstam et Anna Akhmatova

    S'ouvrent des années de création, de ferveur « Mandelstam supprime les frontières, fait surgir des époques et des espaces, multiplie les mondes. »

    Mais la Révolution qu'il soutient dans ses débuts va petit à petit le plonger dans les difficultés, l'errance, le nomadisme, la pauvreté et la misère 

    Lorsque les modérés sont chassés par les Bolcheviques il écrit un poème pour dire sa colère de voir « Un joug de violence et de haine » s'abattre sur le pays.
    Sa poésie est novatrice, visionnaire, il se veut citoyen du monde « Son seul credo est la poésie  » 

    Il ne perd jamais courage malgré toutes les vicissitudes de l'existence   « Exister - Voilà la plus haute ambition de l'artiste. Il ne veut pas d'autre paradis que celui de l'existence  »  

     

    mandelstam

    Portrait du poète par Lev Aleksandrovitc

    Bientôt le régime va le traquer, il faut dire qu'il a des mots qui frappent juste, la Révolution ?  Une « victoire avec les mains coupées.» 

    Ses errances le porteront souvent en Crimée alors que la guerre y sévit encore dans les années 20 malgré cela « La Crimée restera pour lui, toute sa vie, une terre promise. »

    mandelstam

    L'armée Russe en 1917

    Il est encore temps d'émigrer mais Mandelstam refusera cette solution « Sa foi en la Russie est d'ordre intime. » il n'envisage pas de la quitter, il le dit magnifiquement 

    Russie bâtie sur la pierre et le sang,

    Fais-moi la grâce, fût-ce par la pesanteur, 

    De prendre part à ton ultime châtiment.

    Il a de plus en plus de mal à publier ses poèmes, contraint à changer de lieu de résidence sans arrêt, hébergé par des amis, nourris par ses proches, Moscou, Saint Pétersbourg, la Crimée. Refusant tous les compromis, tous les abaissements, capable d'un courage sans nom.  Ralph Dutli le décrit comme un combattant mais aussi comme un amoureux magnifique.

    C'est un autre versant du poète, Mandelstam et les femmes, Nadejda fut sa compagne tout au long de sa vie mais elle dut composer avec des météores qui passèrent dans la vie du poète.

    mandelstam

    Nadejda Mandelstam

    La plus célèbre fut Marina Tsvetaïeva qui lui offrira neuf de ses poèmes dont certains vers sonnent comme un avertissement au destin du poète

    L'air résonnera toute la nuit de tes cris !

    Ils déchireront tes ailes aux quatre vents !

     En 1921 la mort du mari d'Anna Akhmatova le touche particulière, la condamnation de  Nikolaï Goumiliov sonne le glas des espoirs de Mandelstam et de sa volonté de réconciliation avec le régime. 

    L'arrivée au pouvoir de Staline va renforcer sa mise à l'écart, il vivote de traductions, parvient très difficilement à faire imprimer ses poèmes. 
    On lui fait de mauvais procès, tout est bon pour le marginaliser.
    Nadejda et lui vivent grâce à quelques emplois bien éphémères, ils sont contraints d'accepter l'aide de leurs amis pour simplement survivre.

    Il fait un voyage en Arménie dans les années 30 qui donne lieu à un superbe récit qu'il ne parvient pas à faire imprimer.

    Ils ont vécu d’aides amicales, de mendicité ou d’emplois éphémères souvent humiliants.

    Les poètes même proches du régime le respecte sans le dire trop haut, Essénine, Maïakovski. Pasternak qui l'admire reste prudent mais lui avoue   « J’envie votre liberté » il aurait pu ajouter votre courage ! 

    mandelstam

    Pasternak le prudent

    Déportations, assassinats deviennent le mode de gouvernement, la souffrance et la famine imposée par la Dékoulakisation vont pousser le poète à s'exprimer, d'abord sous le manteau et puis de plus en plus ouvertement jusqu'à la catastrophe.

    En 1934 un poème particulièrement virulent envers Staline va sans doute précipiter les choses, il faut dire que Mandelstam n'a pas fait dans la demi-mesure parlant de Staline comme du « Montagnard du Kremlin » mais aussi de « l’équarisseur des paysans »

    mandelstam

    Arrestation, condamnation, c'est l'exil à Vorojnev. Il a toujours aimé le poète Ovide exilé à Tomes au bord de la mer noire, il se sent proche de lui plus que jamais.

    Contre toute attente il va profité de l'exil pour offrir ses plus beaux poèmes. Il dicte sans relâche à Nadejda qui écrit inlassablement et apprend par coeur tous les poèmes. 

    mandelstam

    Mandelstam à Vorojnev

    Arrêté à nouveau en 1938, condamné aux travaux forcés, Mandelstam meurt au Goulag.  « Ossip Mandelstam n'était qu'une victime de plus parmi les centaines de milliers de morts du goulag stalinien, et son corps fut jeté nu, avec un numéro matricule attaché au pied, dans une fosse » 

    Les derniers chapitres du livre sont consacrés au combat de Nadejda gardienne et mémoire de son oeuvre qu'elle avait appris par coeur pour la protéger et la faire connaitre. Un chapitre est consacré à la réception de l'oeuvre en France, enfin un chapitre est fait des éloges d'autres poètes, Philippe Jaccottet, Paul Celan ou le Prix Nobel Joseph Brodski, ce que Ralph Dutli appelle joliment  le « triomphe de la poésie »

    La biographie est complétée par des photos dont certaines très émouvantes.
    Tous les titres des chapitres sont emprunté à l'oeuvre du poète, comme le titre lui-même.

    mandelstam

    Le Goulag

    Russe jusqu'au bout des ongles, Mandelstam était à la fois un européen, un passionné de culture grecque, un admirateur et amoureux de Dante au point d'apprendre l'italien. Un chantre lyrique et généreux qui a refusé de plier. 
    Un grand amoureux de la vie, des femmes dont il a chanté la beauté, « un gardien des mots »

    mandelstam

    C'est une biographie que j'ai lu deux fois, une première il y a déjà plusieurs mois et dernièrement pour écrire ce billet. L'émotion était présente même à la seconde lecture. On voudrait que la fin soit différente mais l’on est étreint par le bonheur de lire ces vers que Ralf Dutli nous livre généreusement.

    Une biographie que je vais avoir du mal à ranger, doit elle trouver sa place aux côtés d'autres poètes ou plutôt à côté des Récit de la Kolyma de Chalamov, du livre de Julius Margolin, d'un Monde à part d'Herling  ou de l'oeuvre de Soljenitsyne ? 

     

    Le Livre : Mon temps, mon fauve - Ralph Dutli - Traduit par Marion Graf - Editions Le Bruit du temps