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Littérature japonaise - Page 2

  • Certaines n'avaient jamais vu la mer - Julie Otsuka

    Soleil levant : En route vers l'exil

     

     

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    Un roman magnifique beau comme un choeur antique, un roman pluriel où s’entend la voix de centaines de femmes oubliées.

     

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    « Certaines venaient de la ville et portaient d'élégants vêtements,mais la plupart d'entre nous venaient de la campagne » 

     

    Début du siècle, sur un bateau des femmes quittent tout, leur pays le Japon, leur famille pour rejoindre San Francisco et épouser un mari japonais dont elles ignorent tout sauf le visage sur une photo qu’elles ne peuvent s’empêcher de regarder encore et encore « C'étaient de beaux jeunes gens aux yeux sombres, à la chevelure touffue, à la peau lisse et sans défaut. »

     

    Toutes espèrent, toutes rêvent et l’arrivée qui devrait être le début d’une aventure, est avant tout une cruelle désillusion. Les maris ne sont ni de riches hommes d’affaires, ni des commerçants prospères mais des paysans pauvres, des journaliers employés sur les plantations de Californie.

     

    C’est une lente descente aux enfers : la violence de l’homme, la rupture avec une culture  « Nous savions coudre et cuisiner. Servir le thé, disposer des fleurs et rester assises sans bouger »

    La langue inconnue, le rejet de la population locale, les humiliations des maîtres,  tout est souffrance.

    Elles sont les invisibles et anonymes « Nous portions toutes une étiquette blanche avec un numéro d’identification attachée à notre col ou  au revers de notre veste »

    Broyées, utilisées, maltraitées, chaque chapitre du livre nous rend un peu de la vie de ces femmes : nuit de noce, accouchement, éducation des enfants…

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    « Nous repliions nos kimonos pour les ranger dans nos malles, et ne plus les ressortir pendant de longues années» 

     

    Récit déroutant dans ses premières lignes, puis envoûtant. Le ton utilisé et surtout l’utilisation rare en littérature du nous transforme ce récit en une sombre incantation. C’est la cohorte de ces femmes qui parle, qui crie, les voix portent toute la douleur de ces destins massacrés en toute légitimité, en toute impunité.

    C’est déchirant et tendre, brutal et révoltant. Il y a de l’admiration pour ces femmes de la part de l’auteur, de la révolte aussi bien entendu. 

    Il n’y a aucun personnage dans ce roman, des prénoms simplement, car chaque femme les représente toutes.

    Le début de la guerre avec le Japon va à jamais briser la vie de ces femmes envoyant les familles dans des camps d'internement.

     

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    « Les japonais nous ont quitté et nous ignorons où ils sont  » 

    Le plus saisissant des romans de cette rentrée. Il est court et d’une densité qui donne envie de le lire à voix haute pour s’en imprégner mieux.

    Magnifique roman, meilleur encore que le premier texte de l'auteur qui m'avait beaucoup plu  Quand l’empereur était un dieu qui montre l’enferment des familles d’origine japonaise aux Etats-Unis lors de la seconde guerre mondiale il est aujourd’hui en poche chez 10/18 

     

    L'avis de Kathel qui a aussi beaucoup aimé 

     

    Le Livre : Certaines n’avaient jamais vu la mer - Julie Otsuka - Traduit par Carine Chichereau - Editions Phébus 2012

     

    otsuka ULF Andersen :epicureans.jpgL’auteur : Julie Otsuka est née en 1962 en Californie. Diplômée en art, elle abandonne une carrière de peintre pour l'écriture. Elle publie son premier roman en 2002, Quand l'empereur était un dieu (Phébus, 2004 ; 10/18, 2008) largement inspiré de la vie de ses grands-parents. Son deuxième roman, Certaines n'avaient jamais vu la mer (Phébus, 2012) a été considéré aux États-Unis, dès sa sortie, comme un chef-d'oeuvre.  (source l’éditeur)

     
  • Sarinagara - Philippe Forest

    Soleil levant : le sens des mots 

     

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    Je savais ce monde

    Ephémère comme rosée

    Et pourtant pourtant

     

    Un livre superbe que Philippe Forest baptise roman mais qui apparaît comme un objet littéraire qui tient tout autant de l’essai, de la biographie ou du journal.

    Dans un roman précédent L’enfant éternel l’auteur a raconté comment Pauline leur fut enlevée à l’âge de 4 ans après des mois de souffrance.

    Après ce deuil « Le Japon nous est apparu naturellement comme le lieu vers où aller au lendemain de la mort de notre fille  ».

    Ce voyage et ce séjour au Japon va servir de fil rouge à ce livre, fil rouge qui va réunir un poète, un romancier et un photographe japonais.

     

    Trois hommes, trois vies qui sont elles aussi ébranlées par la perte de proches, d’enfant, ou par la position de témoin

    Le premier le poète Kobayashi Issa le maître du haïku qui vit dans un Japon « qui a fermé ses frontières » dont la « vie est une longue errance, les voyages à travers le pays, la poésie, des poèmes par centaines et à côté d’eux, tout juste le labeur banal du malheur, de la misère. »

    Philippe Forest nous présente le poète qui fait face au malheur, à l’écoulement du temps car « la poésie est le sentiment du temps » et qui cependant va être « le poète de la vie, des enchantements d’enfants et des éveils émerveillés dans la nature » 

     

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    Nous sommes au monde

    Et nous marchons sur l’enfer

    Les fleurs le répètent

     

    Toute sa vie de vagabond, de père attendri et meurtri, entre dans ses poèmes car dit Issa «  si la poésie ne parle pas de ce monde alors elle n’est rien. »

     

    Venons maintenant au romancier, Natsume Sôseki le père du roman japonais jamais remis de la mort de son premier enfant, évènement qui va inspirer son travail.

    Cet écrivain, contemporain de Proust et de Kafka, écrit des livres étranges en particulier pour nous européens, romans qui témoignent d’ « une sorte d’effarement devant le mouvement s’accélérant du temps » . 

    Sôseki qui connaît l’exil en Europe, se marie de retour au Japon et « comme le malheur est patient  » il voit disparaitre la plus  jeune de ses filles, mort qu’il raconte dans un roman dont le sens du titre est « à l’équinoxe et au-delà (…) car il n’y a pas de raison pour un romancier que tout s’achève avec la vie. »

     

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    Le site exposition des photos de Y Yosuke

     

    Le troisième homme est photographe, Yamahata Yosuke  fut envoyé à Nagasaki immédiatement après l’explosion atomique et il rapporta des photos des ruines et des victimes.

    Le 6 août est son anniversaire, il a vingt huit ans, il est affecté à une base comme photographe, parviennent des rumeurs de choses terribles qui se seraient produites, il n’est qu’à 160 km de Nagasaki et ses supérieurs l’y expédient pour faire des photos qui témoignent de l’explosion.

    Il atteint « l’extrême limite au delà de laquelle plus rien n’existe » 

    Yamata «  dut éprouver à quel point paraissent irréelles les choses les plus vraies » 

    Il fait des clichés des vivants et des morts, il dit n’avoir éprouvé aucune émotion, aucune pitié « c’est seulement plus tard que sont venus la souffrance et la honte ».

    Ces photos furent longtemps tenues cachées, mais Yamata décida de les conserver, de les sauver.

    A travers ses trois vies bouleversées par la perte, l’écriture ou les photos servirent de planche de salut comme l’écriture servit de tuteur à Philippe Forest.

     

    Le titre de ce livre grave sarinagara signifie : pourtant, cependant, chute d’un des haïkus les plus célèbres d’Issa Kobayashi.

    Ce livre exigera de vous un effort de lecture, il délivre un message non d’oubli mais d’apaisement. Une écriture portée à la fois par une douleur indicible et par la volonté de choisir le chemin de la sérénité.

     

    Chez Tania un billet sur Natsume Sôseki

     

    Le livre : Sarinagara - Philippe Forest - Editions Gallimard ou Folio 2004

  • Eloge de l'ombre

     

                       陰翳礼讃

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    Jardins de Kyoto


    D’aucuns diront que la fallacieuse beauté créée par la pénombre n’est pas la beauté authentique. Toutefois, ainsi que je le disais plus haut, nous autres Orientaux nous créons de la beauté en faisant naître des ombres dans des endroits par eux-mêmes insignifiants.

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    Paravent à six feuilles en laque noir décoré au laque d'or. Canton, 18ème siècle

    Je crois que le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses. De même qu’une pierre phosphorescente qui, placée dans l’obscurité émet un rayonnement, perd, exposée au plein jour, toute sa fascination de joyau précieux, de même le beau perd son existence si l’on supprime les effets d’ombre.

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    En fait, la beauté d’une pièce d’habitation japonaise, produite uniquement par un jeu sur le degré d’opacité de l’ombre, se passe de tout accessoire.

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     ''La cuisine japonaise, a-t-on pu dire, n'est pas chose qui se mange, mais chose qui se regarde ; dans un cas comme celui-là, je serais tenté de dire: qui se regarde, et mieux encore, qui se médite !''


    Le livre : Eloge de l'ombre - Junichirô Tanizaki - Editions  Verdier

  • Une langue venue d'ailleurs - Akira Mizubayashi

    Merci à Aifelle qui a pu s'entretenir avec l'auteur et nous rapporter une photodu salon du livre

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    Tout commence avec un magnétophone

     

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    C’est un essai un peu hors norme que celui-là, écrit en français par un japonais, Akira Mizubayashi à 18 ans quand il décide d’apprendre le français. Il est un perfectionniste,  son apprentissage n’a rien à voir avec celui pratiqué ordinairement par un étudiant.
    Il écoute  les leçons de la radio, ils les écoutent, les apprend, les répète jusqu’à ce que son rythme, son accent frisent la perfection.
    Son père ne comprend pas bien cette obsession mais sacrifiant pour lui une bonne partie de son salaire, il lui offre un magnétophone qui va permettre à Akira de se glisser dans cette nouvelle langue avec passion.
    A la même période il découvre Mozart dont la musique l’accompagnera toute sa vie.



    Quand je dis que A Mizubayashi fait des progrès c’est un euphémisme, il entreprend la lecture de .....Rousseau dont l’oeuvre et la langue deviennent ses compagnons de chaque jour.
    1973 il obtient une bourse d’études pour une Université française, ce sera Montpellier, il étudie la littérature française et enrage contre ses erreurs de langage, contre sont accent imparfait et surtout il travaille.
    Une compagne, un retour au Japon et c’est à nouveau la France pour 3 années à l’ENS de la rue d’Ulm. De retour au Japon avec sa compagne française il devient enseignant à l’université.

    Cet essai très intime est assez fascinant, suivre le parcours de cet homme qui est littéralement ensorcelé, envoûté par une langue, langue qu’il appelle joliment langue paternelle en hommage à son père pour le soutien que celui-ci lui a apporté.
    C’est une dévotion qu’il porte aux auteurs, à ses maîtres.
    Il développe une réflexion passionnante sur le bilinguisme qui rappelle bien sûr les expériences d’un Nabokov ou d’un Cioran et vous serez surpris par le rôle tenu en la matière pas sa chienne qu'il soupçonne avec un brin d’humour d’être elle aussi bilingue.
    Un critique a écrit que ce livre était une déclaration d’amour à la langue française, laissez vous séduire.

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    Qu'en pense Keisha ? Découvrez absolument ce récit éblouissant, intelligent, un vrai velours... Coup de coeur...
    Le livre : Une langue venue d’ailleurs - Akira Mizubayashi - Editions Gallimard 2011

     

  • Sage résolution

    Pourquoi ne pas finir l'année sur une note de sagesse ?

    Où faudrait-il s'installer, que faudrait-il faire pour goûter ne serait-ce qu'un instant le contentement du coeur ?

     

    notes.gifNotes de ma cabane de moine - Kamo no Chômei - Editions Le Bruit du temps
    Un classique qui date du XII ème siècle et qui aujourd’hui parle à tous. Traduit de belle façon par le Révérend Père Sauveur Candau.

    Qui est Kamo ? Un lettré du  Bureau de la poésie  qui après bien des déconvenues décide de se retiré dans un ermitage, une cabane et d’y vivre dans la simplicité.
    Il décide de  "quitter le monde", de choisir " la voie du renoncement" et ce retrait, cet isolement nous donne un texte dépouillé, simple, d’une grande poésie, apaisant pour l’esprit
    Vivre au plus près de la nature et s’en contenter car dit-il "l'ambition de toute ma vie est de pouvoir, selon les saisons, contempler un beau paysage" sentir le passage des saisons " En hiver, je contemple la neige, qui s´accumule ou non, comme nos péchés qui apparaissent et disparaissent " sans pour autant oublier le monde " Si par une soirée tranquille, à ma fenêtre, je pense à de vieux amis tout en contemplant la lune, et si j'entends les cris du singe, je mouille ma manche de mes larmes "
    Cet homme qui vivait à une époque troublée, mais laquelle ne l’est pas ?, cet homme nous donne un leçon de sagesse, nous propose de vivre conscient de " l'impermanence de toutes choses en ce monde et la précarité de sa propre vie »
    A qui s’adresse ce petit livre ? à toute personne qui " approfondirait ses pensées et essaierait d'acquérir un savoir profond "

    Un de ces petits livres indispensables dans une bibliothèque 

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  • La cristallisation secrète - Yoko Ogawa

    cristallisation secrete.gifCristallisation secrète - Yoko Ogawa - Traduit du japonais par Rose-Marie Makino - Editions Actes Sud
    Après m’être régalée avec " La formule préférée du professeur" que m’avait fait découvrir Tania je me suis plongée dans ce nouveau roman avec délices. Dans ce récit l’auteur touche au fantastique et à l’absurde avec un grand talent.

    Dans une île jamais nommée, les habitants ont pris l’habitude de voir disparaître les objets, petits ou gros, utiles ou décoratifs, objets de la vie de tous les jours.
    Un jour les rubans ne sont plus là, puis les bonbons, un matin les oiseaux sont absents et ne chantent plus, les fleurs perdent leurs pétales.
    Tout le monde ignore le pourquoi de ces disparitions et  quand se produira la prochaine.
    Curieusement toute la population semble renoncer sans efforts à ces objets, les gens ne gardent aucun souvenir des choses disparues, ils n’en souffrent pas, simplement elles ne sont plus là et ils acceptent cette situation.
    On ne sait pas non plus qui décide et pourquoi. Un monde étrange est né sans mémoire, sans souvenir, sans émotion.

    La narratrice a une mère artiste, enfant elle ne comprenait pas que sa mère conserve pieusement au fond d’un tiroir un ticket du ferry disparu qui permettait de quitter l’île, un flacon de parfum, un bonbon à la limonade.
    L’enfant est devenue adulte et romancière. Elle soumet régulièrement ses manuscrits à son éditeur et écrit un roman mettant en scène une dactylo qui tape sur une machine dont les touches disparaissent progressivement, puis c’est la voix de la dactylo qui lui fait défaut, l’éditeur est très satisfait de son travail.
    La jeune femme n’est pas choquée de ce qui se passe autour d’elle, pourtant on murmure que parmi les habitants de l’île certains ont la malchance de conserver la mémoire ou ne se résignent pas à l’oubli. Ils sont alors poursuivis par les traqueurs, une milice toute puissante capable de détecter la persistance des souvenirs. Les arrestations se multiplient, les personnes montent dans des camions pour une destination inconnue, d’un jour à l’autre ils ne sont plus là, comme les objets ils sont portés disparus.

     

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    L'oubli (le site de l'image)

    Les disparitions s’accélèrent, la nourriture devient rare, on ne peut plus mesurer le temps car les calendriers disparaissent à leur tour,  les livres et les bibliothèques sont anéantis, les mots vont-ils eux aussi disparaître ? 
    Son éditeur est en danger car réfractaire à l’oubli programmé il garde en lui des souvenirs. Malgré les risques et avec l’aide d’un vieil homme, elle va le cacher dans un réduit de la maison "une caverne en plein ciel" protectrice certes mais qui isole cet homme du reste du monde. Elle a franchi le pas, elle est entrée en résistance.
    Ces trois personnages vont s’apporter assistance, amitié et affection malgré les risques, malgré la peur, ils ont décidés de ne plus obéir.

    Un roman d’une grande originalité, d’une grande justesse de ton. Yoko Ogawa avec des mots simples réussit à nous faire ressentir l’oppression, l’étouffement d’une société sous surveillance où règne l’arbitraire ; elle nous emporte dans un monde fantastique où l’oubli est la règle. Un roman profondément métaphorique et inquiétant tout en faisant la part belle à la poésie.  Un vrai plaisir de lecture
    Je n’ai pu m’empêcher de penser à Anne Franck enfermée dans l'arrière maison mais aussi au film " Soleil vert " et à la scène superbe où un vieil homme interprété par Edward G Robinson revoit sur un écran un monde disparu, on lui projette une prairie heureuse pleine de fleurs où s’ébattent des chevaux, une rivière court sur l’écran, le bruit de la cascade est la dernière image pour l’homme qui va mourir.
    Yoko Ogawa fait dire à un de ses personnages :  " Mes souvenirs ne sont jamais détruits définitivement comme s’ils avaient été déracinés. Même s’ils ont l’air d’avoir disparu, il en reste des réminiscence quelque part. Comme des petites graines. Si la pluie vient à tomber dessus, elles germent à nouveau. Et en plus, même si les souvenirs ne sont plu là, il arrive que le cœur en garde quelque chose. Un tremblement, une larme " (page 102)


    D’autres billets : Chez Voyelle et Consonne ou  le terrier de chiffonnette et just read it

     

    L'auteur
    yokoogawa.jpgYoko Ogawa auteure japonaise  a reçu de nombreux prix japonais et français. Elle est incontestablement l’un des plus grands écrivains de sa génération. Ses livres, traduits dans le monde entier, ont fait l’objet de plusieurs adaptations cinématographiques et théâtrales. Ses romans ont été traduits en français chez Actes Sud qui publie un recueil de ses romans.