Soleil levant : le sens des mots
Je savais ce monde
Ephémère comme rosée
Et pourtant pourtant
Un livre superbe que Philippe Forest baptise roman mais qui apparaît comme un objet littéraire qui tient tout autant de l’essai, de la biographie ou du journal.
Dans un roman précédent L’enfant éternel l’auteur a raconté comment Pauline leur fut enlevée à l’âge de 4 ans après des mois de souffrance.
Après ce deuil « Le Japon nous est apparu naturellement comme le lieu vers où aller au lendemain de la mort de notre fille ».
Ce voyage et ce séjour au Japon va servir de fil rouge à ce livre, fil rouge qui va réunir un poète, un romancier et un photographe japonais.
Trois hommes, trois vies qui sont elles aussi ébranlées par la perte de proches, d’enfant, ou par la position de témoin
Le premier le poète Kobayashi Issa le maître du haïku qui vit dans un Japon « qui a fermé ses frontières » dont la « vie est une longue errance, les voyages à travers le pays, la poésie, des poèmes par centaines et à côté d’eux, tout juste le labeur banal du malheur, de la misère. »
Philippe Forest nous présente le poète qui fait face au malheur, à l’écoulement du temps car « la poésie est le sentiment du temps » et qui cependant va être « le poète de la vie, des enchantements d’enfants et des éveils émerveillés dans la nature »
Nous sommes au monde
Et nous marchons sur l’enfer
Les fleurs le répètent
Toute sa vie de vagabond, de père attendri et meurtri, entre dans ses poèmes car dit Issa « si la poésie ne parle pas de ce monde alors elle n’est rien. »
Venons maintenant au romancier, Natsume Sôseki le père du roman japonais jamais remis de la mort de son premier enfant, évènement qui va inspirer son travail.
Cet écrivain, contemporain de Proust et de Kafka, écrit des livres étranges en particulier pour nous européens, romans qui témoignent d’ « une sorte d’effarement devant le mouvement s’accélérant du temps » .
Sôseki qui connaît l’exil en Europe, se marie de retour au Japon et « comme le malheur est patient » il voit disparaitre la plus jeune de ses filles, mort qu’il raconte dans un roman dont le sens du titre est « à l’équinoxe et au-delà (…) car il n’y a pas de raison pour un romancier que tout s’achève avec la vie. »
Le site exposition des photos de Y Yosuke
Le troisième homme est photographe, Yamahata Yosuke fut envoyé à Nagasaki immédiatement après l’explosion atomique et il rapporta des photos des ruines et des victimes.
Le 6 août est son anniversaire, il a vingt huit ans, il est affecté à une base comme photographe, parviennent des rumeurs de choses terribles qui se seraient produites, il n’est qu’à 160 km de Nagasaki et ses supérieurs l’y expédient pour faire des photos qui témoignent de l’explosion.
Il atteint « l’extrême limite au delà de laquelle plus rien n’existe »
Yamata « dut éprouver à quel point paraissent irréelles les choses les plus vraies »
Il fait des clichés des vivants et des morts, il dit n’avoir éprouvé aucune émotion, aucune pitié « c’est seulement plus tard que sont venus la souffrance et la honte ».
Ces photos furent longtemps tenues cachées, mais Yamata décida de les conserver, de les sauver.
A travers ses trois vies bouleversées par la perte, l’écriture ou les photos servirent de planche de salut comme l’écriture servit de tuteur à Philippe Forest.
Le titre de ce livre grave sarinagara signifie : pourtant, cependant, chute d’un des haïkus les plus célèbres d’Issa Kobayashi.
Ce livre exigera de vous un effort de lecture, il délivre un message non d’oubli mais d’apaisement. Une écriture portée à la fois par une douleur indicible et par la volonté de choisir le chemin de la sérénité.
Chez Tania un billet sur Natsume Sôseki
Le livre : Sarinagara - Philippe Forest - Editions Gallimard ou Folio 2004
Commentaires
Voici le livre promis qui tient toutes ses promesses et qui me tente beaucoup. L'art pour sublimer la douleur - quand c'est possible!
@ Mango : l'art, la création littéraire ou photographie oui c'est bien ça
les photos sont magnifiques et ton billet fait très envie. Voyage au Japon?
@ miriam : je ne voyage que par la poésie, la peinture et la littérature mais c'est déjà un beau voyage
et chez Danièle Duteil des haïkus comme des envols d'oiseaux lors de migrations...
@ JEA : un petit coup d'aile pour y aller
Lu aussi et j'ai beaucoup aimé pour sa finesse et sa poésie :
http://livresdemalice.blogspot.fr/2012/04/philippe-forest-sarinagara.html
@ Malice : j'ai raté ton billet mais je vais réparer l'oublie
Très tentant. Je n'ai pas encore lu l'auteur, je l'ai rencontré une fois, il est fort intéressant, mais le livre qu'il présentait m'intéressait peu.
@ Aifelle : je n'ai pas aimé tous ses livres mais l'enfant éternel et ses essais sur la littérature japonaise sont excellents
"Je savais ce monde
Ephémère comme rosée
Et pourtant pourtant"... Magnifique !!!
Une découverte qui ne pourra être que belle ! Douce après-midi, Dominique. brigitte
@ Plumes d'Anges : les pages sur Kobayashi sont magnifiques
Je connais très mal le Japon et sa culture sinon par les haïkus, quelques films.
Passer par Philippe Forest (que je je crois n'avoir jamais lu) pour y plonger devrait me plaire.
C'est bien de le trouver en Folio !
@ christw : un détour qui vaut la peine à mon avis le parcours personnel de Forest et des trois japonais se font écho et c'est ce que j'ai aimé
Quelle belle découverte, merci ! De Sôseki, je ne connais encore que la poésie comme celle de K.Issa et les associer à un photographe me touche particulièrement.
" Tous en ce monde
sur la crête d'un enfer
à contempler les fleurs ! "
- Kobayashi Issa -
( emmyne )
@ emmyne Marilyne : c'est un livre que j'ai lu et relu et qui reste pour moi très fort et le mélange entre littérature et photographie est aussi très intéressant
Vous demander de lire moins vite pour limiter vos suggestions de lecture est inutile, je suppose ? Et hop, un projet de lecture de plus !
@ Bonheur du jour : en fait je triche car je recycle des lectures anciennes dont j'ai un souvenir très vif et qui ne m'imposent pas de relire tout le livre et pendant que paraissent ces billets .....je lis je lis
Éprouver ses limites et atteindre la sérénité...un long voyage chaotique.
Ma grande amie ici, Hiromi, me raconte son Japon, celui où elle a vécu et où vit sa famille. Bien loin des clichés et belles images. Elle peint et "la poésie est le sentiment du temps" prend alors tout son sens.
Merci et belle journée Dominique.
@ colo : les deux prochains livres vont te faire faire un voyage loin des clichés et dans lesquels ton amie devrait se reconnaitre
Inconnu... Bon, je peux ne pas en faire une priorité, là je sature dans les envies lecture!
@ Keisha : rien à faire quand la saturation est là, dans ce cas je me contente de noter les titres en espérant que l'envie revienne car elle revient toujours !
Tu rends bien et la gravité du sujet et la délicatesse des approches, je retiens ce titre et cette formule : "La poésie est le sentiment du temps". Belles illustrations en harmonie. Merci pour le lien vers T&P, Dominique.
@ Tania : un livre qui devrait te plaire
Le livre a l'air très bien et me donne envie de lire le poète Kobayashi Issa ; j'aime beaucoup le haïku que tu cites.
@ Claudialucia : un des meilleurs poètes de haïkus
Découverte totale !
Je commence tout juste le 3e tome de 1984... Et je ne pensais pas terminer ce roman japonais et pourtant... Alors pourquoi pas celui-là dans un autre registre!
@ Enitram : celui là est sur le Japon mais pas du tout l'auteur !
Murakami j'ai fait l'impasse mais j'y reviendrai sûrement un jour
Je vais me laisser encore une fois tenter d'autant plus que ce livre est paru en folio. Je garde un souvenir lointain mais bon d'un petit livre de Soseki "Oreiller d'herbe" et tu me donnes envie de découvrir Philippe Forest et Kobayashi. Merci
@ Nadejda : j'ai le même oreiller que toi mais je n'ai pas lu beaucoup Soseki , les pages de Forest donne envie en particulier le livre sur sa fille
Un auteur que je n'ai pas encore découvert mais qui est inscrit à mon programme 2012 (euh... me reste encore un peu de temps...).
@ Ys : tu as le même rythme de lecture que moi donc je suppose que tu vas avoir du mal à le caser !! je refais mes programmes de lecture en permanence pour faire de la place :-)
Beau billet ! J'aime beaucoup les ouvrages qui errent à la lisière des genres... celui-ci devrait parfaitement me convenir, je sors de suite mon petit carnet ;-)
@ Margotte : je partage ce goût pour les livres un peu frontière
Merci de m'avoir répondue et éclairée.... Ouf.
t encire un que je ne connaissais pas , c 'est sur que je vais le noter .. mais pour plus tard
car je dois écluser un retard important de lecture..
Luocine
@ Luocine : tu ne peux pas être dans les salles obscures ET avec un livre
Celui là est à noter par ses trois portraits mais le roman de Otsuka est à lire d'urgence