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Rechercher : la petite lumière

  • La disparition de Majorana - Leonardo Sciascia

    Pour terminer cette incursion dans le domaine des sciences je vous propose une petite énigme scientifique.

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    Le monde de la physique quantique, celui de la théorie des neutrinos, sont des mondes qui fascinent à défaut de les comprendre vraiment.

    Soyez tranquille le livre que je vous propose n’est pas destiné aux as de la physique sinon je ne serai pas allée au bout. Ill y est question de physique quantique de principe d’incertitude et d’un homme, une sorte de savant fou.

    Que penseriez-vous d’un homme d’exception qui du jour au lendemain disparaît sans laisser la moindre trace ?  d’un génie de la physique qui refuse de publier ses travaux ?  d’un homme envié de toute la communauté scientifique mais qui ne souhaite que rester discret pour ne pas dire secret ? 

     

     

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                                          Ettore Majorana 1906-1938

     

    Nous sommes en Italie dans les années vingt et trente, années où la physique a chaussé des bottes de sept lieues. 

    Ettore Majorana après des études d’ingénieur intègre l’équipe du physicien Enrico Fermi.

     

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    Enrico Fermi  

     

    Majorana surprend tout le monde par son génie fulgurant, il se joue des difficultés mais refuse obstinément de publier ses travaux, « distant, renfermé dans ses pensées » il se lie très difficilement mais apprécie la « direction savante et stimulante » de Fermi. Sa famille est mis à mal par un procès long et injuste durant ces années là.

    Il travaille sur ce qui deviendra une nouvelle théorie de la physique : la mécanique quantique. Il passe une année à Leipzig en 1933 pour travailler auprès d’Heisenberg le père du Principe d’incertitude, il semble que ce temps fut une période heureuse et fructueuse. Il apprécie Werner Heisenberg qu’il décrit comme « une personne extraordinairement courtoise et sympathique  » 

    En 1937 il occupe un poste d’enseignant à Naples, se réfugie souvent dans la lecture, aime parler d’autres choses que de ses recherches.

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    Werner Heisenberg

     

    Brutalement en mars 1938 il disparaît. Il monte sur un bateau et se volatilise, il disparaît sans laisser la moindre trace.

    Enlèvement, fuite à l’étranger, meurtre, retrait dans un monastère : toutes les raisons possibles de cette disparition ont été étudiées mais bien peu sont crédibles. 

    C’est à cette énigme que le livre tente de répondre, cet homme, le « Rimbaud de la physique », cet homme dont Enrico Fermi dit « Majorana est celui qui m’a le plus frappé par la profondeur de son intelligence », cet homme a-t-il choisi délibérément de disparaître ?

    On a tout dit de Majorana, qu’il était en avance de plusieurs dizaines d’années sur les découvertes du moment mais qu’ il était aussi  un homme qui avançait  sur le fil du rasoir.

    Le monde des quantas, le principe d’incertitude qui veut que l’on peut connaître la position d’une particule ou sa trajectoire mais jamais les deux à la fois ! et ce fichu chat de schrödinger qui est et qui n’est pas !! 

     

     

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    Il faut avouer que c’est un monde qui a pu mettre à mal l’équilibre d’un homme.

    « La science comme la poésie, se trouve, on le sait, à un pas de la folie. » dit Sciascia. 

    Il le décrit comme en proie à  « sentiment de désarroi, d’impatience, de fureur » et Sciascia émet une hypothèse : Majorana a-t-il anticipé sur les dangers potentiels des découvertes en cours et vu « l’épouvante dans une poignée d’atomes » ?  

     

    J’ai entendu pour la première fois le nom de Majorana dans une émission de radio avec Etienne Klein comme invité, avec son talent de conteur il évoquait la personnalité de ce génial physicien. 

    L’ enquête menée est passionnante et brillante, Sciascia voit sa disparition comme « une architecture minutieusement calculée et risquée » et défend une thèse tout à fait convaincante.

     

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    ce livre fut publié pour la première fois en 1975 et il est réédité aujourd’hui chez Allia. 

  • Souvenirs d'antan - Nikolaï Lvov

    En regardant par dessus l’épaule vers la Russie d’antan

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    Dans un livre récent Vladimir Sorokine parodiait la Russie éternelle, Nikolaï Lvov, lui, tresse des couronnes à ses souvenirs, cette Russie d’avant la révolution c’est la sienne et quand il regarde en arrière c’est pour se souvenir des jours heureux.
    Le narrateur, Aliocha dont on devine aisément qu’il le double du romancier, est tout juste adolescent alors que règne Alexandre II dont on attend des réformes et qui permet à tous de regarder l’avenir avec optimisme.
    Moscou est le centre de la vie d’Aliocha, loin de la capitale Moscou vit encore à l’heure de la simplicité                          

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    Photo by Stephen Exley

    « Dans les rues recouvertes de pavés biscornus, entre les fentes, l’herbe verdoyante affleurait à la surface »
    Des petites échoppes occupent la Place Rouge, nobles et artisans, paysans, tout le monde respecte les rites religieux de la foi orthodoxe « les enfants recevaient leur éducation à la maison » tout le monde se connaît : les Gagarine, les Troubestkoï, les Chtcherbatov ....

    La vie est rythmée par les saisons, au printemps « les enfants sautaient dans la rue par les fenêtres » l’hiver « ils dévalaient les pentes glacées et patinaient sur les étangs du Patriarche »

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    Tableau de Boris Kustodiev

    Musique et littérature tiennent une grande place dans la vie d’Aliocha, mais aussi le précepteur qu’il déteste, la Niania qui le console de tout.
    L’été c’est le temps des visites il se souvient de son attente « nous regardions au loin, la grande route bordée de tilleuls centenaires, d’où devait surgir la calèche » celle de sa cousine Tania dont il va tomber éperdument amoureux comme on peut l’être à dix ans.
    La mémoire de la maison c’est Pelaguia Agapovna, c’est elle qui relate les faits et gestes des grands-parents, le temps où la famille vivait dans une isba de bois, les mariages, les pertes de jeu.
    Tout est empreint de poésie « les bosquets de lilas » « le pré en pente jusqu’à l’étang » les jeux, les représentations théâtrales, la lecture à voix haute du soir, la passion d’Aliocha pour Walter Scott........
    Mais bientôt c’est la fin de l’enfance, la guerre de Crimée va éclater dispersant la famille, le père part pour le Caucase, le narrateur entre dans le monde adulte.

     

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    officiers de l'armée Blanche


    Des souvenirs superbement évoqués, la prose est simple et belle, poétique, parfois lyrique. Quand Nikolaï Lvov écrit ses souvenirs la Russie a basculé, le monde idyllique de l’enfance est loin, l’auteur profondément attaché à sa patrie est un esprit libre,  il s’est marié avec une paysanne de son domaine et dénonce les abus, la pauvreté, sa proximité avec le peuple russe le pousse à s’engager politiquement mais la guerre civile lui fera prendre le chemin de lexil.
    C’est la Russie des romans de Tolstoï, de Tourgueniev, de Bounine qui est présente ici ressuscitée par Nikolaï Lvov

    L’auteur
    Nikolaï Lvov (1867-1940) est issu d’une famille de boyards de Tver qui a donné à la Russie de nombreux hommes de lettres, artistes ou serviteurs d’État. Président du gouvernement local de la région de Saratov, membre de la Douma d’État, Lvov prône, en 1905, un régime constitutionnel-démocrate et fonde le parti des Cadets. Après l’évacuation de l’Armée blanche vers Constantinople, en 1920, et l’assassinat de ses deux fils par l’Armée rouge, Nikolaï Lvov passe par la Serbie avant d’arriver en France. Installé à Meudon, il devient historien de l’Armée blanche et meurt à Nice, en 1940. Souvenirs d’antan est son premier texte traduit en français (source l’éditeur)

  • Relation d'un voyage de Paris en Limousin

     Le Grand Siècle Volume 2

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    Six lettres à une épouse, six lettres d'un poète léger et primesautier, l'oeil aux aguets sur les travers des hommes et la beauté des femmes ..........Retrouvons La Fontaine en sa correspondance.
    Le procès de Fouquet vient de se terminer, l’oncle de La Fontaine, Jannard, soutien du Surintendant reçoit une lettre de cachet l’enjoignant à l’exil à Limoges. La Fontaine décide d’accompagné son oncle :

    « La fantaisie de voyager m'était entrée quelque temps auparavant dans l'esprit, comme si j'eusse eu des pressentiments de l'ordre du roi. »

    Il va pendant le voyage laisser courir sa plume au bénéfice de son épouse Marie.
    Ces 6 lettres ne seront publiées qu’après la mort du poète.

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                                             La destinataire des lettres : Marie de Héricart

    Il faut plus de trois semaines pour effectuer le voyage et tout au long, La Fontaine décrit les paysages, la Beauce n’a pas ses faveurs, « trop plate » mais la Loire le surprend

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     « Elle est près de trois fois aussi large à Orléans que la Seine l'est à Paris. »


    Il peint à Marie les villes traversées :
    « Blois est en pente comme Orléans, mais plus petit et plus ramassé; les toits des maisons y sont disposés, en beaucoup d'endroits, de telle manière qu'ils ressemblent aux degrés d'un amphithéâtre. Cela me parut très beau, et je crois que difficilement on pourrait trouver un aspect plus riant et plus agréable.  »

    Un ton léger et ironique pour présenter ses compagnons de voyage dans le carrosse qui les emporte.
    « Dieu voulut enfin que le carrosse passât: le valet de pied y était; point de moines, mais en récompense trois femmes, un marchand qui ne disait mot, et un notaire qui chantait toujours, et qui chantait très mal: il reportait en son pays quatre volumes de chansons. Parmi les trois femmes, il y avait une Poitevine qui se qualifiait comtesse; elle paraissait assez jeune et de taille raisonnable, témoignait avoir de l’esprit, déguisait son nom, et venait de plaider en séparation contre son mari: toutes qualités de bon augure et j'y eusse trouvé matière de cajolerie, si la beauté s'y fût rencontrée; mais sans elle rien ne me touche; c'est à mon avis le principal point: je vous défie de me faire trouver un grain de sel dans une personne a qui elle manque. »

    Le récit est franchement humoristique quand il relate les incidents qui émaillent le voyage.
    « La comtesse se plaignit fort, le lendemain, des puces. Je ne sais si ce fut cela qui éveilla le cocher; je veux dire les puces du cocher, et non celles de la comtesse: tant y a qu'il nous fit partir de si grand matin qu'il n’était quasi que huit heures quand nous nous trouvâmes vis-à-vis de Blois, rien que la Loire entre deux. »

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    Il versifie, abonde en citations et n’oublie de se montrer à son avantage :
    « M’étant allé promener dans le jardin, je m'attachai tellement à la lecture de Tite-Live qu'il se passa plus d'une bonne heure sans que je fisse réflexion sur mon appéti

    Il peut aussi se moquer un peu de lui-même quant aux dangers qui guettent :
    « Tant que le chemin dura, je ne parlai d'autre chose que des commodités de la guerre: en effet, si elle produit des voleurs, elle les occupe; ce qui est un grand bien pour tout le monde, et particulièrement pour moi, qui crains naturellement de les rencontrer. On dit que ce bois que nous côtoyâmes en fourmille: cela n'est pas bien; il mériterait qu'on le brulât. »

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    Le but du voyage

    Limoges enfin qu’il pare de grâce, prudemment, il y trouve :

    « la meilleure table du Limousin. » quant aux habitants « Je vous donne les gens de Limoges pour aussi fins et aussi polis que peuple de France: les hommes ont de l'esprit en ce pays-là, et les femmes de la blancheur. »

    Ces lettres étaient destinées à être lues à voix haute , le poète espérait qu’elles feraient le tour de son cercle d’amis et qu’elles les amuseraient.
    Je vous propose de vous compter au nombre des amis de La Fontaine et d’écouter Philippe Lejour vous les lire.

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    Le livre audio :
    Relation d’un voyage de Paris en Limousin - Jean de La Fontaine - lu par Philippe Lejour - Editions Sous le lime


  • Alexandre Soljenitsyne Le courage d'écrire

    L’ âme Russe - Episode 2 Dans les pas d'un géant

    « A tous ceux à qui la vie a manqué pour raconter cette histoire »

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    J’ai eu envie d’intituler ce billet dans les pas d’un géant  car « Des millions de lecteurs ont eu leur vie accompagnée par Alexandre Soljenitsyne »

    Une exposition et un livre consacré au géant de la littérature russe, de la littérature du Goulag. Pour une fois l’expo n’est pas parisienne mais Genevoise, Lyon Genève 1H30 de route qui hésiterais ?
    Septembre est magnifique et ce fut un plaisir de découvrir la Fondation Bodmer dominant le lac Léman.

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    La Fondation Bodmer Cologny

    La Suisse qui accueillit Soljenitsyne en 1974 chassé d’URSS.
    Je dois dire que j’avais une petite appréhension car une expo de peintures c’est une évidence, une expo autour d’un écrivain je craignais un peu la sécheresse ou la mise en valeur d’objets sans intérêt et peut-être l’ennui.
    Combien de fois lisant Chalamov et ses Récits de la Kolyma j’ai eu l’envie de rencontrer l’homme, de l’entendre parler de son expérience, ici grâce à la qualité de l’exposition on entend Soljenitsyne.
    C’est une exposition tout à fait impressionnante et fascinante consacré à un monument de la littérature du XX ème siècle et sans doute à son plus grand écrivain.
    J’ai eu l’envie d’en garder la trace, le souvenir à travers le livre édité à cette occasion.
    Quand je publierai ce billet l’expo sera fermée mais vous pourrez vous tourner vers le livre qui est lui-même un événement.

    Le titre du livre d’abord  Le courage d’écrire  et le préambule écrit par C Méla directeur de la fondation qui dit dans la préface
    « Soljenitsyne a mené une lutte clandestine, puis ouverte, au nom de la vérité, pour révéler au monde une entreprise de servitude sans précédent » justifiant ainsi immédiatement le titr
    e
    Le livre/catalogue est réalisé par Georges Nivat que tout lecteur amateur de littérature Russe connaît. Il est professeur honoraire à l'université de Genève et commissaire de l’exposition, ses liens personnels et amicaux avec Soljenitsyne ont permis la réalisation et la réussite de l’ensemble.

    J’ai été fasciné dans l’exposition par les  textes inconnu, les articles de journaux, les objets, les lettres, les manuscrits dont certains étaient parmi les fameux samizdat imprimés ou copiés clandestinement. J’ai ressenti de la ferveur, de l’admiration et de la stupéfaction devant l’ampleur du travail d’un homme, travail réalisé sous le joug permanent de la peur. On retrouve tout cela dans le livre.

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    Le Zek matricule CHth-854

    Le livre permet cette découverte avec les fac-similés des feuillets, 466 feuillets autographes de l’Archipel du Goulag dont le manuscrit est resté enfoui en Estonie Le livre qui  est venu réveiller la conscience de l’occident sur la réalité du Goulag.
    Tout est magnifique et émouvant dans ce livre, les photos de Soljenitsyne portant sa veste de Zek , les bouts de crayons qui ont tracé les mots de son oeuvre, des objets personnels issus de sa maison de Troïtse-Lykovo. Les souvenirs des années de labeur, des années d’exil  à Cavendish et du temps du retour.

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    Ce livre qui raconte une destinée d’écrivain est magnifique, j’ai découvert la gestation de la Roue rouge qui se se veut la généalogie de la révolution russe, son explication, ses noeuds (une oeuvre qui me reste à lire).
    Les efforts de l’écrivain pour maintenir en détention sa mémoire intacte sont particulièrement impressionnants. Les pages de Georges Nivat, pour éclairer chaque période, sont riches, les extraits nombreux et les photos toutes choisies avec soin.

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    1998 le temps du retour  Photo : Grigory Dukor/ Reuters

    J’ai croisé avec bonheur dans ce livre/catalogue : Nikita Struve l’éditeur de l’Archipel du Goulag, Claude Durand son agent littéraire pour le monde entier ; Bernard Pivot qui a donné à la France entière l’envie de lire Soljenitsyne et dont les entretiens sont aujourd’hui disponibles en DVD, les photos de Soljenitsyne instituteur ou recevant son Prix Nobel.

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    Bernard Pivot reçoit Alexandre Soljénitsyne à Apostrophes
    le 11 avril 1975.

    Ce livre est un cadeau, cadeau pour nous lecteur, cadeau à faire. Lisez le, offrez le et faites lui une place dans votre bibliothèque.
     
    Le livre : Alexandre Soljenitsyne Le courage d’écrire - Sous la direction de Georges Nivat - Editions des Syrtes
     

     

  • Repas de morts - Dimitri Bortnikov

    L'âme Russe  - Episode 3

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    Après deux géants des lettres russes, Pouchkine et Soljenitsyne, je voulais faire un billet sur un auteur russe contemporain.
    J’ai hésité entre deux auteurs Vladimir Sorokine qui m’avait estomaqué avec Roman et qui m’a énormément plu avec  Tourmente son dernier roman chez Verdier mais je prends le risque de vous parler d’un auteur inconnu, ahurissant, russe mais écrivant en français et auteur d’un petit livre tout à fait stupéfiant.
    Tout au long de ma lecture j’ai hésité, j’ai été tentée de fermer ce livre :  illisible  mais toujours je l’ai rouvert pour rattraper cet auteur sur sa route vers les steppes et le passé.

    Premier avertissement les premières pages peuvent rebuter, mais allez y continuez cela vaut la peine
    Un retour vers le passé et la famille : 
    la mère rongée par la culpabilité liée à son métier, elle a avorté des femmes et voit dans ses cauchemars les âmes des enfants jamais nés « Elle était faite pour soigner les morts. Son chef c’était la mort (...) et elle attendait que la mort vienne la soigner. »

    L’auteur nous invite à un  bal des revenants  : le grand-père alcoolique qui a fait deux guerres « dans les forêts de Finlande »  la grand-mère babouchka bienveillante « toi Babania ...Toi ma vieille vielle grand-mère. Tant de gens ne savent pas que tu as vécu. »
    Le père violent et autour d’eux la steppe « dans la steppe en hiver - l’agonie. Dans ce blanc - l’agonie. »

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    Babania ....Je vois notre cour .......


    Tout vient s’entrechoquer : les saisons, lArctique, les amis, la prison, la guerre et par là-dessus la poésie plane « Et puis l’odeur du coucher de soleil. L’odeur du soleil endormi. Et l’herbe presque bleue. »

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    La mer de Laptev


    On perçoit dans les phrases haletantes les cris de douleur jusqu’à l’intolérable, la rage absolue, les mots  vidés de leur sens, et l’on se sent tanguer à la lecture de ce texte qui interpelle chacun

    « Toute la vie on cherche... Quelqu'un. Qui nous vivra après. Qui après notre mort recueillera notre âme. Quelqu'un devant qui t'as pas honte de crever. Quelqu'un à qui tu feras confiance quand il te murmurera - t'es mort. »

    A ce repas de funérailles nous sommes convié comme à une descente en enfer. C’est comme s’inviter à l’intérieur d’un tableau de Jérôme Bosch.

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    L'enfer - Jérôme Bosch

    Un écrivain qui crache, qui vomit les mots, un récit autobiographique aux antipodes des textes nombrilistes, Dimitri Bortnikov torture notre langue, il invente avec lyrisme, il nous choque au point de ne pas pouvoir oublier sa prose fascinante.
    A lui plus qu’à tout autre on peut appliquer les mots de Kafka :
    « Un livre doit être la hache qui fend la mer gelée en nous » à cela je laisse répondre Bortnikov  « Deux ans de pôle Nord. Deux ans sur les rives du Styx glacé. Blanc à perdre la vue. Glaces…Je transe. »


    Lisez ce livre difficile d’accès certes mais dont la libre écriture explose ligne après ligne, Bortnikov l’insoumis qui nous emporte de la Steppe glaciale à un Paris de solitude dans un long monologue.

    Le livre : Repas de morts - Dimitri Bortnikov - Editions Allia

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    L'auteur : Né en 1968 en Russie, l’auteur est installé en France depuis 2000 et écrit pour la première fois en français.

  • Le Crépuscule d'une idole - Michel Onfray

    crépuscule.gifLe crépuscule d’une idole - Michel Onfray - Fayard
    Je fais partie des gens que le freudisme agace, cela depuis de lointaines études et l’interdiction qu’il y avait alors à mettre en doute les affirmations de l’enseignant. Elles devaient être admises sans discussions possibles. J’ai toujours considéré la psychanalyse comme une thérapie peu fiable aux résultats très incertains et d’une durée risible. Ceci posé je n’ai jamais, au grand jamais mis totalement en doute les thèses de Sigmund Freud ou comme les appelle Michel Onfray ses " cartes postales"

    «Freud a découvert l’inconscient tout seul à l’aide d’une auto-analyse extrêmement audacieuse et courageuse»
    «Freud a découvert une technique qui, via la cure et le divan, permet de soigner et de guérir les psychopathologies»
    «la psychanalyse procède d’observations cliniques, elle relève de la science»
    «le complexe d’Œdipe est universel»,
    «la conscientisation d’un refoulement obtenue lors de l’analyse entraîne la disparition du symptôme»


    et bien sûr :  l’interprétation des rêves, les actes manqués, le déni, toutes ces notions développées dans une oeuvre qui occupe plusieurs rayons de bibliothèque, oeuvre qui semblait intouchable.
    C’était sans compter sur Michel Onfray, éternel empêcheur de penser en rond qui s’attaque à la statue du commandeur.
    C’est toute l’oeuvre de Freud qu’Onfray a lu pour écrire son livre, mais aussi sa correspondance, même si une partie de celle-ci est encore interdite d'accès.
    Que nous dit Michel Onfray en multipliant les citations de Freud lui-même ?

    Que les thèses développées par l’inventeur de la psychanalyse répondaient surtout aux obsessions de leur inventeur
    Que Freud était fasciné par des techniques qui frôlaient le charlatanisme
    Que lors des entretiens thérapeutiques avec ses patients il lui arrivait de s’endormir sans gêne aucune
    Qu’il a inventé des patients et masqué ses échecs thérapeutiques en falsifiant les rapports de ses expériences
    Qu’assoiffé de gloire et de richesse il n’hésitait pas à dénigrer, calomnier ses amis si cela pouvait servir ses intérêts
    Que son épouse, sa fille, sa belle-soeur ont toutes fait les frais de ses tourments personnels sans compter plusieurs patients qui ne se sont jamais remis des traitements infligés.

     

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    Le divan du psychanalyste à Vienne

    Mais Onfray ne s’arrête pas là, après avoir affirmé que Freud n’a jamais guéri personne, il insiste aussi sur les positions très conservatrices de Freud et lui reproche son silence sur la montée du Nazisme, car Freud n’a jamais écrit  " contre Hitler, contre le national- socialisme, contre la barbarie antisémite, alors qu'il n'hésite pas, régulièrement, à publier de longues analyses contre le communisme, le marxisme, le bolchevisme"
    La charge est violente et le réquisitoire très sévère, on sort de cette lecture un peu ahuri, se demandant pourquoi ces faits n’ont jamais été étudiés, comparés, pourquoi alors que la science réclame en permanence des preuves, on a accepté comme vérité la parole seule de Freud sans aucune preuve à l’appui. " Freud ne s'est pas contenté de créer un monde magique, il y a conduit nombre de personnes et a souhaité y faire entrer l'humanité tout entière"

     

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    Sigmund et Anna Freud on holiday, Italy, 1913.
     

    En voilà assez pour abattre n’importe quel statue, et l’homme Freud apparaît bien petit, on comprend mieux désormais sa haine des biographes et la destruction par lui ou ses proches d’une partie de sa correspondance.
    Alors tout est à jeter ? Non, même si le bilan est assez terrible, Michel Onfray reconnaît Freud comme philosophie et reconnaît l’apport important qui a " fait entrer le sexe dans la pensée occidentale "
    Il ne dénigre pas la psychanalyse mais refuse de la considérer comme une science comme Wittgenstein, Popper ou Deleuze avant lui.

    Onfray aime la polémique et ses passages sur les plateaux télé sont devenus  trop fréquents, son livre d’une écriture directe et simple est plein d'approximations disent ses détracteurs, mais beaucoup d'arguments avancés reposent sur les écrits de Freud lui-même ce qui affaiblit considérablement la critique. A cette lecture on s’offusque, on rit, on s’étonne, on est d’accord ou non, mais on ne s’ennuie pas un seul instant. Lisez ce livre dérangeant et tonique.

    Une interview de Michel Onfray